Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, à RTL le 3 avril 2007, notamment sur sa position dans les sondages et ses propositions concernant l'ENA, les entreprises en difficulté et la durée d'indemnisation des députés battus.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour, F. Bayrou.
R- Bonjour.
Q- "C'est une campagne dure, très dure, plus dure que ce que j'avais imaginé". Voilà ce que vous avez dit, dimanche, à Fort de France, en Martinique. Qu'est-ce qu'il y a de si dur dans cette campagne pour vous, F. Bayrou ?
R- Ah, c'est une campagne de très violents affrontements sans que, pour l'instant, on arrive à toucher le fond précis de la crise de la société française.
Q- Est-ce que c'est une campagne honnête, F. Bayrou ? Est-ce qu'elle se déroule loyalement, selon vous ?
R- C'est une campagne qui manque de débats. Et de ce point de vue-là, vous devriez organiser des débats.
Q- A douze, ce n'est pas possible...
R- A douze, ce n'est pas possible...
Q- ... Moins de candidats mais ça, c'est pas votre truc !
R- En tout cas, il y a quelque chose qui manque dans cette campagne, c'est la confrontation directe entre les candidats et les projets.
Q- Mais on ne peut pas choisir entre les candidats - ils seront douze sur le plateau !
R- Vous n'avez organisé... Enfin, je pense qu'il faudrait des débats, voilà. Je pense qu'il faudrait des débats et je pense que les Français voudraient des débats. Alors, organisez-les, comme vous voulez : à trois fois quatre, à trois fois cinq, à deux fois six, comme vous souhaiterez ! Mais je pense légitime et nécessaire qu'en tout cas les candidats principaux puissent confronter leurs points de vue.
Q- Ca vous manque ! Vous pensez qu'aujourd'hui, on constate une baisse de votre candidature dans les sondages...
R- Ce n'est pas vrai.
Q- Ce n'est pas vrai, quoi ? Les sondages ?
R- Ce n'est pas vrai. Ce matin, on est à 19% dans les sondages. Ce n'est pas ce que j'appelle une baisse.
Q- Il y a quand même... comment dirais-je ? Vous avez connu une ascension toutes ces dernières semaines ; et puis là, il y a quelque chose qui ne va pas quand même dans les sondages.
R- Eh bien, regardons non pas les sondages qui, je le répète, ne sont pas à la baisse, regardons ce qui reste et le premier tour du scrutin car c'est le 22 avril qu'on aura les véritables sondages.
Q- Votre proposition de supprimer l'ENA suscite beaucoup de commentaires et très peu de commentaires positifs. Voyez, l'AFP fait une dépêche, hier : "proposition fraîchement accueillie". Vous avez entendu ... deux auditeurs : pourquoi pas l'ENA, ça c'est leur problème !
R- Deux auditeurs sur combien ? Donc, quand on regarde les questions de la société française, pourquoi est-elle bloquée à ce point ? Pourquoi est-il impossible pour les citoyens de trouver en face d'eux un Etat qui comprenne ce qu'ils vivent ? Pourquoi est-ce que les problèmes, en effet, de la vie n'arrivent pas à déboucher et pourquoi n'y a-t-il aucun espoir de promotion interne dans la société française ?
Q- Mais ça, c'est pas la faute des hauts Fonctionnaires.
R- C'est parce qu'on mesure...
Q- C'est la faute des responsables politiques, peut-être ?
R- Oui, vous voulez m'écouter ? C'est parce qu'il se trouve qu'au sommet de l'Etat, dans la haute Fonction publique et au sommet de l'entreprise, dans les très grandes entreprises, les responsables - et c'est une spécificité française - sortent tous du même moule. C'est un moule qui est recruté très tôt avant l'âge de 20 ans, c'est-à-dire au moment où naturellement l'origine sociale joue un rôle très important dans le recrutement et l'absence de diversités... L'absence de diversités d'origines, l'absence de diversités de situations fait qu'il y a un enfermement au sommet de l'Etat. Et deuxièmement, à cette très haute Fonction publique et à cette très haute responsabilité dans l'entreprise, il est impossible d'accéder même quand on a une vie réussie... Eh bien, une société normale, c'est une société dans laquelle tout le monde a un espoir de promotion personnelle. C'est une société dans laquelle on peut entrer en bas pour finir en haut. On peut commencer ouvrier pour finir à un poste de responsabilité. Et c'est même très enrichissant. Et donc, ce moule unique à la française, il faut le changer et le remplacer par un autre type de promotion qui interviendrait plus tard dans la vie, autour de 35, 40 ans au moment d'exercer des responsabilités et au moment où on aura fait la preuve que chacun a pu avoir son chemin. Je prends deux exemples, si vous le voulez bien...
Q- Un seul !
R- Un seul ? Eh bien écoutez, je vais en mettre deux. Je vais prendre deux exemples.
Q- C'est le chronomètre qui va nous guider.
R- J'étais Outre-Mer ce week-end : Guyane, Martinique, Guadeloupe. Combien y at- il d'originaires de l'Outre-Mer dans la haute Fonction publique française ?
Q- Moi je n'en sais rien !
R- Vous n'en savez rien !
Q- Non.
R- Mais peut-être parce que vous n'en savez rien, c'est qu'il n'y en a pas assez. Deuxièmement, il y a toute l'administration...
Q- Mais vous le savez, vous ?
R- Il y a toute l'administration de la culture, de la science. Y a-t-il des scientifiques, y a-t-il des culturels dans l'administration de la culture et de la science ? Ce qui manque, c'est que des parcours différents puissent alimenter et vivifier le monde de la décision et de la responsabilité en France.
Q- Mais la crise que nous connaissons, aujourd'hui, elle est plus liée aux décisions qu'ont prises les responsables politiques qu'aux énarques. Ce ne sont pas les énarques qui sont responsables de la situation qu'on connaît aujourd'hui ? Nous sommes d'accord...
R- Monsieur, vous avez beau changer les responsables politiques, les responsables de l'administration demeurent les mêmes.
Q- Le vrai pouvoir est là : des responsables politiques ont failli à leurs responsabilités ?
R- Le vrai pouvoir est là. D'ailleurs, très souvent les responsables politiques, comme vous le savez, sont eux-mêmes issus de ce type de formation et de ce corps. Ce qui manque, c'est la diversité. Ce qui manque c'est qu'on ouvre les portes et les fenêtres ; et il est nécessaire, non pas seulement nécessaire, il est urgent dans la société française qu'on puisse faire leur place à des gens qui viennent d'ailleurs, qui viennent d'en bas, qui ont traversé des difficultés, qui ont fait leurs preuves dans l'entreprise, dans le syndicalisme, dans la vie de tous les jours comme elle
est.
Q- O. Besancenot, A. Laguiller, J. Bové, M.-G. Buffet ont rendu visite aux ouvriers grévistes de l'usine Peugeot-Citroën d'Aulnay. Ils réclament 300 euros de plus sur leur salaire. S. Royal y était, hier. Est-ce que vous irez, vous, F. Bayrou ?
R- Ah, écoutez, j'étais hier chez Chausson ! Chausson Outillage à Reims qui est une entreprise, elle aussi en grève, et qui rencontre des difficultés. Je vais voir les entreprises en grève ou en difficultés aussi bien que les entreprises qui réussissent systématiquement, et j'y vais depuis des années parce que là est la réalité française. Chez Chausson, hier, dans l'usine de Chausson, eh bien on a parlé, en effet, des craintes et des difficultés qui sont celles de l'industrie française.
Q- Je vous posais la question parce qu'une campagne, c'est beaucoup de symboles. Comme vous avez dit, hier, que sur bien des sujets - je vous cite : vous étiez "plus à gauche que les socialistes", alors comme toute la gauche va à Aulnay Citroën, vous, je vous demandais si vous étiez...
R- Ah, écoutez franchement !
Q- C'est pas le lieu forcément ?
R- La gauche n'est pas dans un seul lieu, ou les valeurs républicaines, plus exactement, ne sont pas dans un seul lieu. J'ai rappelé, hier, que quand il a fallu défendre l'allocation spécifique de solidarité pour les chômeurs, cette dernière aide qu'ils obtiennent en fin de droits, j'étais seul à monter à la tribune de l'Assemblée nationale, la gauche s'est tue. J'ai rappelé, hier, que lorsqu'il y a eu la privatisation des autoroutes et qu'on a décidé, en effet, de réserver les autoroutes qui étaient payées par les Français pour des intérêts privés, ce qui a été à mon avis une faute contre la France, j'ai été tout seul à aller à la tribune et au Conseil d'Etat à titre personnel pour défendre ce que je croyais des valeurs républicaines.
Q- Nous racontons ce matin sur l'antenne de RTL, la décision du bureau de l'Assemblée nationale d'allonger durant cinq ans d'ailleurs, la durée d'indemnisation des députés battus. C'est une décision qu'a prise le bureau de l'Assemblée nationale en 2003, à l'unanimité des groupes. Le vôtre aussi, F. Bayrou ?
R- Non. Non. Le nôtre, non, parce que je trouve...
Q- Le vôtre était contre ?
R- ... Il n'était pas dans ce bureau. C'était pas l'unanimité des groupes. Ce sont les questeurs qui ont décidé cela. Je trouve...
Q- Personne ne l'a dénoncé à l'époque ?
R- Je trouve que c'est une faiblesse française que de vouloir perpétuellement faire des privilèges pour les uns et donner des leçons aux autres. Je pense qu'on devrait de ce point de vue-là prendre garde au caractère d'exemplarité qui devrait être celui de la vie publique.
Q- Et là, les députés ont failli au caractère d'exemplarité ?
R- Et les députés ont manqué au caractère d'exemplarité. En tout cas, ceux qui les dirigent...
Q- Ceux qui dirigent les députés ! Mais enfin, on n'a pas beaucoup entendu l'UDF, à l'époque.
R- On a entendu l'UDF. Moi-même, en meeting, je peux vous envoyer la bande si vous le voulez, mais peut-être n'étiez-vous pas là...
Q- Je n'étais pas à votre meeting... Vous savez, je ne fais pas tous vos meetings, F. Bayrou !
R- ... Trop occupé à suivre d'autres secteurs de l'opinion.
Q- Ah oui, ça ! Une vacherie à la fin. On écoutera la bande.
R- Ecoutez, si vous me cherchez, vous me trouvez, J.-M. Aphatie.
Q- Ah ça, je le sais depuis longtemps.
R- Ceci est la règle.
D'accord. F. Bayrou était l'invité de RTL ce matin. Bonne journée.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 avril 2007