Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, à "France Inter" le 20 avril 2007, sur le déroulement de la campagne électorale, ses références à Tony Blair, la mutation de la gauche, le nouveau paysage politique et les nouvelles valeurs ainsi que son appel à soutenir le "pacte présidentiel" dès le premier tour.

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Média : France Inter

Texte intégral

Nicolas Demorand - Depuis plus d'une semaine, tous les candidats à l'élection présidentielle sont au micro de FRANCE INTER. Tous, sauf une. Douzième invitée de ses « Sept - neuf trente » de campagne, Ségolène Royal. Bonjour madame.
Ségolène Royal - Bonjour.
Nicolas Demorand - Et bienvenue. Vous êtes la candidate du Parti socialiste. A mes côtés pour vous interroger, Hélène Jouan, chef du service politique, et Bernard Guetta, Europe, international et bien d'autres choses encore. Première question Ségolène Royal, pour vous la campagne a été longue, vous en avez même vécue deux, celle des primaires socialistes puis la campagne présidentielle à proprement parlé. Le moins que l'on puisse dire c'est que ça n'a pas toujours été facile. Pouvez-vous faire un bilan d'état personnel de ces derniers mois ?
Ségolène Royal - Un bilan d'état personnel ? Non, je le ferai plus tard.
Nicolas Demorand - C'est le bilan d'état que vous refusez ou le personnel ?
Ségolène Royal - Personnel.
Nicolas Demorand - Bon !
Ségolène Royal - Je pense que quand on est engagé dans une échéance comme celle-ci on ne pense qu'à elle, c'est-à-dire qu'au lien direct entretenu avec les Français, à la façon dont on peut les convaincre, à l'enjeu qui se joue pour la France, pour les années qui viennent, et en tout cas en ce qui me concerne j'évite de penser à moi et de parler de moi. Mon programme ce n'est pas moi, ce sont les Français.
Hélène Jouan - C'est quand même vous qui avez mené campagne pendant de longs mois. Nicolas SARKOZY, ce matin, dans LE PARISIEN, dit « J'ai plein de cicatrices ». Ca été dur aussi pour vous ou pas ?
Ségolène Royal - Ecoutez, si on pense que ces échéances sont dures, si on est là pour se plaindre, il ne faut pas s'y engager, c'est quand même assez curieux de la part du candidat de l'UMP de s'engager dans une échéance comme celle-ci où chacun connaît les épreuves, ensuite de s'en plaindre. Moi, je ne parle pas de moi. Je suis étonnée de voir à quel point Nicolas SARKOZY parle sans arrêt de lui. Ce qui concerne les Français c'est leur avenir, c'est comment on va régler les problèmes d'urgence qui sont graves en France, la question de la dette, du chômage, des bas salaires. J'ai rencontré hier les syndicalistes d'AIRBUS, ils n'ont toujours pas de réponse à leur demande, je leur ai dit que le plan de suppression d'emploi serait suspendu si je suis élue, nous remettrions l'ensemble des choses à plat, surtout après avoir découvert le scandale du pactole avec lequel monsieur FORGEARD est parti. Ils sont très inquiets, c'est des familles, 10 000 familles déstabilisées après l'annonce de 10 000 suppressions d'emplois, des sous-traitants qui souffrent. C'est ça qui me touche et ce sont les cicatrices des autres et certainement pas les miennes.
Hélène Jouan - On va reparler de votre programme, de votre projet, mais est-ce que politiquement malgré tout ça n'a pas été difficile cette campagne ? Comment avez-vous réussi à gérer vos rapports avec le Parti socialiste en particulier ? Vous avez inquiété parfois vos amis socialistes.
Ségolène Royal - C'est possible, ça c'est le prix sans doute de ma liberté, mais moi j'avance sur le chemin que je crois juste pour la France. Je définis des règles nouvelles dont le pays a besoin pour se redresser. J'avance des propositions que j'aie construites avec les Français au cours d'une campagne participative, j'ai été la seule à prendre le temps de cette écoute, on s'est beaucoup moqué de moi à l'époque, souvenez-vous. Et c'est pour ça aujourd'hui que je me sens forte et sereine parce que je sais que les propositions que je fais je les ai construites avec les Français et donc elles répondent à leurs préoccupations, et en particulier, en effet, la question de la lutte contre le chômage. Je pense qu'il est possible de gagner la bataille du chômage et de construire une société du plein emploi avec un nouveau pacte, avec les entreprises, en modernisant aussi le dialogue social comme l'ont fait les pays du nord de l'Europe, et même l'Espagne, José Luis ZAPATERO le disait hier soir, ils ont mis en place très rapidement une autre façon de gouvernance dans l'entreprise qui permet à la fois d'anticiper les mutations, de lutter contre les délocalisations, d'augmenter les bas salaires, et donc de relancer la machine économique, ce qui nous permettra aussi de lutter contre les inégalités salariales.
Bernard Guetta - Hier encore, à Toulouse, Ségolène Royal, vous parliez de la gauche du 21e siècle. Alors, je voudrais en quoi et sur quoi surtout, les bouleversements de ces dernières décennies - la révolution technologique, la fin du bloc soviétique, la mondialisation économique, l'apparition de nouveaux géants - conduisent-ils la gauche à devoir changer ?
Ségolène Royal - Mais les mutations que vous venez de décrire elles conduisent tout le monde à changer, donc la gauche aussi qui se remet tout le temps en cause puisque son objectif c'est de faire en sorte de concilier à la fois le développement économique et le progrès humain, de faire en sorte que les richesses soient mieux distribuées, de maintenir un haut de degré protection sociale qui est menacée par le libéralisme et par la mondialisation. Donc, la gauche a des principes, donc c'est toujours plus difficile pour elle de devoir appliquer ces principes. On pourrait, en faisant un peu de polémique, je peux me le permettre un peu ce matin sur FRANCE INTER, la droite n'a pas de principe, donc finalement ça ne la gêne ces mutations, pas de principe au sens où pour ceux qui croient au libéralisme ils pensent que cette idée-là de libéralisme va régler tous les problèmes et finalement c'est la libre concurrence qui va régler les problèmes. La gauche n'a jamais pensé ça, donc c'est plus difficile de muter. En même temps, nous sommes en train de muter, je pense que j'aie aidé la gauche à accélérer cette mutation au cours de cette campagne, d'abord en faisant une campagne différente et en imposant la démocratie participative au Parti socialiste, qui ensuite s'en est trouvé très heureux parce que quand les animateurs de débats se sont retrouvés dans des salles qui à nouveau se remplissaient, ils ont compris qu'il fallait que la politique change et que cette phase d'écoute était très importante et que les citoyens attendaient d'être associés aux décisions qui les concernent. Et pour moi, c'était une façon, après avoir mûrement réfléchi, de lutter contre le 21 avril bis, c'est-à-dire de faire en sorte que les gens aient à nouveau envie de venir voter parce qu'on les aura pris en considération. Je pense que cette phase a été réussie. Ensuite, l'autre mutation c'est de concilier la liberté individuelle, les protections sociales garanties et l'efficacité économique. On a souvent opposé à gauche la protection sociale et l'efficacité économique, l'un jouant contre l'autre, je pense aujourd'hui que face aux difficultés que la France rencontre ce sont ces idées de gauche qui correspondent aujourd'hui à ce dont la France a besoin, des idées neuves, celles du 21e siècle, c'est-à-dire qui n'opposent les uns aux autres. Il est possible de concilier l'agilité dont les entreprises ont besoin pour conquérir les marchés internationaux et...
Hélène Jouan - ... c'est pas de la flexibilité, ça, l'agilité des entreprises ?
Ségolène Royal - Je préfère agilité parce que quand la droite a utilisé le mot flexibilité c'était toujours celle des salariés, c'est-à-dire ceux qui profitaient du système, les quelques-uns aux dépens du plus grand nombre. Le nouveau système que je propose, qui a été expérimenté ailleurs et qui a réussi, c'est de sécuriser les salariés et donc parce qu'ils sont s??curisés ils vont accepter dans le cadre d'un dialogue social bien construit et bien anticipé, ils vont accepter une mutation de l'entreprise grâce à la Sécurité Sociale professionnelle, au maintien du salaire, même lorsque que l'entreprise est obligée de supprimer des emplois en attendant d'en retrouver ou de reconstruire d'autres, ou pour le salarié d'être accompagné individuellement pour trouver une nouvelle activité. Voilà le nouvel équilibre, le nouveau compromis social que je propose, et j'ai rencontré l'ensemble des organisations syndicales et patronales du pays, et donc si je suis élue je serai immédiatement prête et le gouvernement aura sa feuille de route pour tout de suite mettre en place ce dispositif.
Bernard Guetta - Alors, justement, vous venez de nous dire que vous avez accompagné par votre campagne et votre positionnement cette nécessaire, inévitable, inéluctable, mutation de la gauche. Au début de votre campagne, vous vous référiez souvent à Tony BLAIR, c'est-à-dire à un homme qui n'a rien changé aux réformes, aux bouleversements libéraux, introduites par madame THATCHER mais qui a introduit une dimension sociale, notamment avec le salaire minimum. Est-ce que toujours l'idée que vous vous faites de la mutation nécessaire de la gauche ?
Ségolène Royal - Je ne me suis pas référée souvent à Tony BLAIR, j'ai cité deux fois Tony BLAIR.
Bernard Guetta - C'était votre démarrage, un peu votre marque de fabrique au départ.
Ségolène Royal - Il y avait un tabou, les socialistes n'avaient pas le droit de citer Tony BLAIR, il se trouve que j'aie cité Tony BLAIR, alors il ne faut pas basculer de l'autre côté du cheval et dire que je me suis référée sans arrêt à Tony BLAIR. J'ai cité aussi d'autres dirigeants des pays d'Europe parce que mon souci c'est de regarder ce qui marche et de voir comment on peut transposer à la française un certain nombre de solutions. Je me permets de nuancer ce que vous avez dit, Tony BLAIR n'a pas fait du thatcherbisme, il a réinvesti...
Bernard Guetta - ... j'ai pas dit ça.
Ségolène Royal - ... il a réinvesti... si, vous avez dit il a fait du thatcherbisme, et il a fait le salaire minimum. Non, ce qu'il a fait en plus c'est qu'il a réinvesti massivement dans les services publics.
Bernard Guetta - Tout à fait !
Ségolène Royal - Et ça, ça se dit moins. Il a réinvesti dans le système de soins qui était en état calamiteux, il a réinvesti dans l'école publique...
Bernard Guetta - ... c'est clair, mais il n'a rien changé aux réformes libérales de madame THATCHER.
Ségolène Royal - Attendez, il a fait une chose à laquelle je me suis référée, donc le réinvestissement dans les services publics, et la bataille contre le chômage des jeunes. A Londres, le chômage des jeunes est inférieur à 5 % et dans tout le pays, donc il a réussi ce défi. Je ne dis pas que les choses sont transposables à l'identique en France mais quand je propose que des jeunes qualifiés ou des jeunes non qualifiés soient immédiatement mis au contact du travail pour faire leurs preuves et qu'il vaut mieux les payer sur les fonds de formation professionnelle ou sur l'indemnisation du chômage pour les voir au travail plutôt que de les laisser en désespérance et en abandon, effectivement je pense que c'est une bataille neuve que l'on peut gagner.
Nicolas Demorand - Sur la conduite de la démocratie dans les mois qui viennent, éventuellement, Ségolène Royal, quand on voit l'état des forces en présence, des forces politiques en présence, en France, on s'aperçoit que l'UMP s'est globalement un quart de l'électorat, le PS globalement également, peu ou prou, un quart, le centre 15 à 20 %, selon les derniers sondages, pareil pour le Front national, plus la gauche de la gauche, comment est-ce qu'on construit une majorité qui ne soit pas artificielle quand on est porteur et qu'on est défendu que par un quart de l'électorat ? Le scrutin majoritaire aux législatives permet cet artifice-là, de transformer 25 en 50, mais vous ne pensez pas qu'il est temps aujourd'hui de construire des alliances beaucoup plus larges et si oui avec qui ?
Ségolène Royal - Je pense que la politique a changé en profondeur, ce que vous venez de dire le prouve. Il y a un certain nombre de Français qui se situent ni à droite, ni à gauche, c'est ce filon qu'a exploité François BAYROU tout en restant lui aussi dans une espèce de flou et en restant le patron de l'UDF d'ailleurs, et sans dire très clairement ce qu'il ferait entre les deux tours, donc il est assis entre deux chaises. Je ne sais pas si vous avez essayé de rester assis entre deux chaises, mais c'est quand même...
Nicolas Demorand - ... c'est pas très confortable !
Ségolène Royal - ...c'est pas très confortable.
Nicolas Demorand - On peut y arriver en faisant un grand écart, par exemple.
Ségolène Royal - Voilà ! Et donc, il faut repenser la dynamique politique et reconquérir ce vote, d'abord en réinstallant les clivages mais pas au sens artificiel ou dogmatique du mot, mais les clivages au sens de confrontation des projets, des valeurs et des idées. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se faire. Et là, on voit très clairement se dessiner deux modèles de société, moi je pense qu'on peut réformer la société française sans la brutaliser, je pense qu'il ne faut pas en rabattre sur les solidarités fondamentales, certainement pas procéder au déremboursement que propose le candidat de l'UMP, puisqu'il propose maintenant des franchises médicales, c'est-à-dire qu'il opposera les Français qui auront les moyens de se faire soigner et puis ceux qui pourront se payer des assurances privées pour s'assurer l'accès aux soins ou l'accès à la retraite.
Nicolas Demorand - Mais est-ce que vous êtes prête à construire, justement, des majorités plus larges avec éventuellement d'autres formations politiques pour éviter encore une fois que les 25 % d'un corps électoral deviennent 50 % d'une majorité par un scrutin majoritaire uniquement ?
Ségolène Royal - Je pense qu'il y a deux choses, il y a effectivement des dynamiques de discussion entre les organisations politiques, ne serait-ce que pour faire émerger ensuite des majorités parlementaires, mais avant il y a l'étape de l'élection présidentielle qui se noue entre une personne et le peuple français, et donc là il y a un dépassement des partis politiques. Et j'observe que je suis la seule candidate à rallier sur son nom des électeurs qui ont voté pour le oui à la Constitution européenne et d'autres qui ont voté pour le non à la Constitution européenne ; au-delà de la question de l'Europe, c'était aussi une vision de l'économie, de la société, de la hiérarchie des valeurs, d'une volonté d'une politique plus efficace, d'une Europe qui se protège et d'un certain nombre d'exigences. Donc, ce que je propose c'est un dépassement d'un certain nombre de clivages mais en redéfinissant bien clairement les règles du jeu et les objectifs d'une société qui pense que par exemple la loi du plus juste doit remplacer la loi du plus fort, qui pense que l'on peu réconcilier, et ça c'est nouveau, des solidarités collectives et qu'il faut certainement pas reculer sur ces principes si l'on veut assumer et faire assurer par les Français une responsabilité individuelle, qui pense que l'efficacité économique doit se repenser dans un juste équilibre entre la compétitivité économique, l'efficacité sociale, l'investissement dans le facteur humain, et notamment dans la formation, et le levier écologique, donc, sur ces trois piliers-là je crois que l'on peut relancer une croissance durable, et qui estime aussi que les fonds publics doivent être répartis autrement. Je suis la seule aussi à proposer une nouvelle vague de régionalisation, je suis la seule régionaliste de cette campagne, parce que je pense que la réforme de l'Etat et la lutte contre les gaspillages dépendent d'une meilleure répartition des responsabilités publiques.
Hélène Jouan - Mais très simplement, au soir du premier tour, quel signe adressez-vous et à qui, à quels électeurs ? Est-ce que vous tournez plutôt vers votre droite, vers votre gauche, et comment vous essayez de rassembler un électorat qui sera forcément plus large que les 20, 25 %, 26 % que vous ferez éventuellement le 22 avril ?
Ségolène Royal - D'abord, j'appelle tous les électeurs à se mobiliser massivement dès le premier tour, tous ceux...
Hélène Jouan - ... le vote utile, c'est pas dangereux ça pour une dynamique de gauche, au second tour ?
Ségolène Royal - Je vais vous préciser un petit peu les choses, tous ceux... votre question est tout fait judicieuse, en effet, mais la première chose c'est qu'il faut une très forte participation, et moi une nouvelle fois, je le répète, j'appelle tous les électeurs qui veulent que ça change vraiment, que la France se relève, que nous puissions regarder de façon positive vers l'avenir, et je vois l'attente aussi qui existe dans les autres pays, européens en particulier, qui observent de très près, et même à l'échelle de la planète, ce qui va se passer en France. Donc, vil y a une très forte attente à l'égard de la France pour qu'elle retrouve sa place à la table de l'Europe, qu'elle joue un rôle sur la scène internationale et surtout qu'elle retrouve le chemin de la croissance, du développement et du rayonnement. Et moi, je veux être cette candidate-là, qui va donner de la fierté aux Français.
Hélène Jouan - Et quels signes supplémentaires vous adressez aux électeurs au soir du premier tour ?
Ségolène Royal - Je les appelle à se rassembler sur le pacte présidentiel que j'aie proposée et qui est un projet cohérent, appuyé sur un certain nombre de valeurs, tous ceux qui pensent par exemple que les valeurs humaines dans l'action politique doivent toujours l'emporter sur les valeurs boursières ou financières peuvent se retrouver autour de moi et de ce que je propose. Tous ceux qui pensent que l'on peut réformer en profondeur la France sans la brutaliser peuvent se retrouver autour de moi. Tous ceux qui pensent que la révolution écologique est une chance à accomplir peuvent se retrouver autour de moi. Tous ceux qui pensent, et je le répète, qu'il ne faut pas en rabattre sur la question éducative et la remettre au coeur de tout et en avant de tout, et les moyens seront rendus à l'éducation pour la prochaine rentrée scolaire, et qu'il faut maintenir farouchement les services publics tout en les réformant pour qu'ils s'améliorent et que les services publics sont une garantie des libertés individuelles et de l'efficacité économique, peuvent se retrouver autour de moi. Tous ceux qui pensent que la France a besoin d'un ordre juste qui remplace tous ces désordres injustes que les Français vivent aujourd'hui peuvent se retrouver autour de moi.
Nicolas Demorand - Ségolène Royal, vous publiez un tout petit livre ces jours-ci, aux Editions DALLOZ, sur le droit des enfants. J'aimerais à la lumière de ce que vous écrivez dans ce livre vous demandez une réaction à ces propos de Jean-Marie LE PEN qu'on pouvait lire dans LE MONDE, il parlait de vous, « C'est une femme », Ségolène Royal donc, « qui méprise tellement les institutions qu'elle se permet d'avoir quatre enfants sans se marier ». Vous voulez que je continue la citation ou pas, ou on s'arrête là ?
Ségolène Royal - Non, on s'arrête là !
Nicolas Demorand - On s'arrête là !
Ségolène Royal - Pour donner des leçons aux autres encore faut-il être exemplaire !
Nicolas Demorand - C'est votre seule réaction ? Vous méprisez tellement les institutions que vous ne vous mariez pas, ça vous faire rire ! Mai 68, dans le même ordre d'idée, j'ai beaucoup lu ça de très très près, a beaucoup été critiqué par Nicolas SARKOZY, « héritage de laxisme, de laisser-aller, dévalorisation du travail, oubli des limites, notamment pour les enfants, transgressions tous azimuts », vous êtes en opposition avec lui sur ce point ?
Ségolène Royal - Oui, parce que je pense qu'il n'est jamais bon lorsque l'on revisite l'histoire de France de dénigrer toute une période qui a eu quand même... qui a rempli un rôle très important, qui a libéré des forces qui étaient étouffées, qui a permis aux femmes d'accéder à la contraception et à l'IVG. Alors, comme dans tous ces mouvements tumultueux, il y a parfois des excès, comme la phrase, « Il est interdit d'interdire », mais à cette époque il était, je pense, urgent de secouer le joug qu'une génération faisait peser sur celle qui avait envie de se lever et d'accéder aux libertés, à la culture, à la fraternité et mai 68 a apporter beaucoup et en même temps après il a fallu recadrer un certain nombre de choses, ce que j'ai fait d'ailleurs parce que la famille était aussi un sujet tabou pour la gauche, et lorsque j'ai été ministre de la Famille j'ai fait voter une loi sur l'autorité parentale par exemple, j'ai créé le congé de paternité, j'ai fait un plan massif de construction de crèches que la droite malheureusement a arrêté.
Nicolas Demorand - Mais, un livre sur les enfants, c'est parce qu'on dit beaucoup que vous avez une conception maternelle, voire maternisante de la politique, il y a même un psychanalyste, Roger DADOUN, qui dans LE MONDE, aujourd'hui, dit, « Que la candidature de Ségolène Royal incarne un désir de mère en gestation. L'irruption du maternel non régressif inaugure une nouvelle ère du politique ». C'est vrai ? Vous incarnez le maternel non régressif ?
Ségolène Royal - C'est pas mal, non, le maternel régressif ? Ce n'est pas négatif en tout cas. Ecoutez, moi, ce que je constate c'est que la France a besoin aujourd'hui d'un projet global et cohérent et que...
Nicolas Demorand - ... mais d'une maman ou d'un projet global et cohérent ?
Ségolène Royal - Non, je pense qu'elle a besoin d'un chef d'Etat, d'un chef d'Etat mais qui regarde les choses différemment et surtout qui a compris que tout se tenait, que tout se tenait, et cette approche globale, peut-être je ne sais pas si elle est féminine, en tout cas j'assume, moi, ma part de féminité, comme dans chaque personne humaine, homme ou femme, il y a une part de masculinité, une part de féminité, donc forcément la part de féminité l'emporte. C'est peut-être ce qui m'aide à comprendre cette approche globale où tout se tient, il n'y a pas des, comment dirais-je, des lieux politiques disjoints les uns des autres mais si l'on sait par exemple bien faire fonctionner la famille au bon moment, on sait que les enfants réussissent mieux à l'école, donc, famille/école ; s'ils travaillent bien à l'école, ils trouvent du travail, donc école/famille/travail/emploi, tout se tient. Je pense aussi que notre avenir national dépend de la façon dont nous réussirons à réduire les écarts entre pays riches et pays pauvres, nous ne nous sauverons pas tout seul. Donc, cette approche globalisante des problèmes de société, des solutions à trouver, je pense est aujourd'hui un regard et une méthode qui sont nécessaires pour résoudre rapidement les problèmes qui se posent au pays.
Nicolas Demorand - Donc, du maternel prospectif et non régressif, comme dirait Roger DADOUN. Une question d'auditeur, « Comment allez vous prendre en compte le vote massif du non au traité de Constitution européenne ? », extrêmement rapidement, une poignée de secondes, c'est fini Ségolène Royal, juste sur cette question des votes non.
Ségolène Royal - Je fais le faire en agissant très rapidement dès mon élection si les Français me font confiance pour faire en sorte qu'il y ait d'une part une Europe qui se protège contre les délocalisations, une réforme de la Banque centrale européenne qui sera amenée à s'occuper aussi de croissance et d'emploi, et enfin la négociation d'un protocole social qui sera ajouté au Traité avant d'être à nouveau soumis à référendum.
Nicolas Demorand - Merci Ségolène Royal d'avoir été l'invitée de FRANCE INTER, ce matin. Formule rituelle, bonne fin de campagne d'ici à dimanche même si la campagne officielle s'arrête ce soir, à minuit.
Ségolène Royal - Merci.