Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP et candidat à l'élection présidentielle de 2007, à France-Info le 28 mars 2007, sur ses valeurs, l'autorité et le maintien de l'ordre, et son engagement pour le plein emploi.

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Circonstance : Nomination, le 26 mars, de François Baroin au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Violents incidents à la gare du Nord à Paris le 27

Média : France Info

Texte intégral

O. de Lagarde - N. Sarkozy, bonjour. Vous êtes le cinquième candidat à vous asseoir dans ce fauteuil, dans ce studio depuis huit jours, et pas le dernier. Et à tous les candidats, je pose la même question à 8h15 : "Donnez-moi trois raisons de voter pour vous". Alors, on entendra votre réponse dans cinq minutes. Mais je voudrais d'abord que l'on parle de ce qui s'est passé hier. Alors, certes, vous n'êtes plus ministre de l'Intérieur. Que pense le candidat des violents incidents qui se sont produits à la Gare du Nord ?
R - Moi j'essaye, quand j'étais ministre de l'Intérieur, comme aujourd'hui quand je suis candidat, j'essaye de raisonner avec le bon sens et honnêteté. Un homme de 33 ans veut passer sans payer son billet, la police le contrôle, il se rebelle, frappe les policiers ! Est-ce que c'est une raison pour déclencher des émeutes ? Nous sommes le seul pays où on considère qu'arrêter quelqu'un parce qu'il ne paye pas son billet ce n'est pas normal ! Ce sont les contribuables qui payent quand il y a de la fraude. Il y a des millions de braves gens qui prennent, qui achètent leur ticket chaque matin, qui doivent être respectés. Et les commentaires que j'entendais sur ces émeutes ! Mais enfin, écoutez, si la police n'est pas là pour faire régner un minimum d'ordre, quel est le rôle de la police ?
Q - Mais, justement, le nombre d'interpellations qui dégénère ne cesse d'augmenter. Pourquoi ?
R -Mais attendez, je ne comprends pas... "Le nombre d'interpellations qui dégénère"... C'est la police de la République, c'est la gendarmerie de la nation, et ils font leur travail. Pendant des années, on n'a pas interpellé, pendant des années on a fermé les yeux, pendant des années on a laissé faire n'importe quoi ! Evidemment, qu'arrêter quelqu'un parce qu'il ne paye pas pendant des années, on s'en est moqués. Mais c'est leur travail de faire cela. Ou alors, pourquoi voulez-vous que les braves gens payent leur billet ? Pourquoi ? Et doit-on dire que c'est de la faute de la police, parce que quelqu'un se bat au moment où on lui demande des explications ? Allez donc aux Etats-Unis, en Angleterre ou dans toutes les autres démocraties. Regardez ce qu'il en coûte de frapper quelqu'un des forces de l'ordre ! Enfin, c'est quand même invraisemblable ! La démocratie c'est un minimum d'ordre, de respect, d'autorité, de tranquillité. On ne peut pas simplement être tout le temps du côté de ceux qui se moquent de la loi et qui se moquent des règlements. Alors, je ne suis pas ministre de l'Intérieur...
Q - Vous ne l'êtes plus...
R - ... je ne sais pas dans le détail ce qui s'est passé. Mais le principe, c'est quand même qu'on ne doit pas donner raison à celui qui veut passer sans billet et qui frappe un policier. C'est quand même extraordinaire !
Q - Mais vous ne sentez pas qu'il y a un fossé qui se creuse entre la police et le reste de la société ?
R - Oui, c'est cela, oui, oui, oui, "le fossé qui se creuse", je vais vous dire, c'est entre cette pensée unique et des millions de gens qui se disent : mais enfin, on marche à l'envers, hein ! On casse, on brûle une voiture parce qu'on s'ennuie : il faut être du côté de ceux qui brûlent la voiture ? On ne paye pas son billet parce qu'on a décidé de s'en moquer et de faire payer les autres à sa place : il faut être du côté du fraudeur ? Ecoutez, vous me demandez mes valeurs, ce ne sont pas celles-ci.
[Pause]
Q - N. Sarkozy, donnez-moi trois raisons de voter pour vous.
R - Trois raisons, pourquoi trois ? Je dirais, la première, c'est que je veux être celui qui incarne la valeur du travail, le travail doit être respecté, considéré, récompensé. Je veux être le candidat qui incarne l'autorité et le respect, parce qu'il n'y a pas de démocratie et pas de liberté, je pense notamment à l'école de la République, où de mon point de vue les élèves doivent respecter les maîtres, les familles doivent respecter le règlement de l'école. Et puis enfin, je dirais un troisième mot, le mot fraternité, parce qu'on ne laissera tomber personne, on tendra la main à tous. Mais chacun doit comprendre que s'il veut s'en sortir, il doit faire par lui-même le minimum d'effort nécessaire.
Q - N. Sarkozy, J.-L. Borloo, vous a apporté son soutien hier. Alors, ce n'est pas complètement une surprise, il vous aura quand même fait un tout petit peu lanterner, non ?
R - C'est votre commentaire, et à ce titre je le respecte. Jean-Louis et moi, on travaille depuis des années ensemble, on s'entend très bien... Beaucoup accéléré le travail en commun et la réflexion en commun ; il est venu me rejoindre hier, dans le Vaucluse, et je crois que l'expression qui est la sienne aujourd'hui est utile, était attendue, c'est un homme avec qui je veux travailler, avec qui nous partageons beaucoup de choses, et notamment, la culture du résultat.
Q - Il avait conditionné son soutien à l'acceptation d'une sorte de programme, sur des questions d'emploi, de formation, de logement, d'équité. Vous êtes tombé d'accord, vous avez pris des engagements ?
R - Il n'y a pas de conditions, on ne négocie pas comme cela, ce n'est pas la question. Un programme pour la présidentielle, pour la France, doit couvrir l'ensemble des domaines, et avec Jean-Louis, on a décidé de s'engager sur quelque chose de très fort, qui est le plein emploi. Si je suis élu président de la République, je m'engage sur cinq ans à obtenir le plein emploi en France, comme le connaissent nombre de grades démocraties à travers le monde. Je veux dire à nos auditeurs que c'est possible ; les Anglais l'ont réussi, les Américains l'ont réussi, un certain nombre de démocraties de l'Europe du Nord l'ont réussi. Il n'y a aucune raison que la France ne le réussisse pas. Le plein emploi, 5 % de chômeurs donc, cinq mois en moyenne, maximum au chômage, et aucun licencié économique qui ne passe par la case "chômage", puisqu'on leur fera un contrat avec le service public de l'emploi. Cela méritait qu'on en parle, c'est un engagement très précis, très fort.
Q - Vous disiez que vous connaissiez bien J.-L. Borloo. Selon vous, il a la stature d'un Premier ministre ?
R - Vous savez, J.-L. Borloo, comme un certain nombre ont bien sûr ces qualités-là. Mais je voudrais vous dire une chose, ce sont les Français qui choisiront le président de la République, ce ne sont ni les sondages, ni les médias, ni les journalistes, ni les observateurs, ni personne. Et partant, je ne veux pas m'avancer sur ce sujet. J'attends que les Français fassent leur choix pour le deuxième tour, et une fois au deuxième tour, qu'ils fassent leur choix du président de la République, c'est extrêmement important. Je dis d'ailleurs aux Français : pensez librement, réfléchissez librement, ne vous laissez pas imposer une pensée unique. Cette élection c'est une opportunité historique pour revivifier la démocratie française, pour qu'on ait les vrais débats sur les vraies questions.
Q - Voilà pour J.-L. Borloo. Quelqu'un d'autre que vous connaissez bien, avec qui vous avez travaillé aussi, F. Bayrou. Alors, ce matin, dans Le Figaro, il parle de vous comme du "compère de S. Royal", qualifiée elle-même de "commère". A votre avis, avec F. Bayrou, les ponts sont irrémédiablement coupés ?
R - Non, mais je pense qu'il doit avoir quelques soucis avec sa campagne, ce qui l'amène à être agressif, mais je ne le serai pas moi-même. Parce que, voyez-vous, je pense que les Français veulent savoir ce que l'on veut, les uns et les autres. Dire du mal, critiquer comme cela, ça n'amène absolument rien. Chacun a compris que dans sa stratégie, il ne pouvait pas avoir de majorité et donc cela condamnait la France à la confusion et à l'immobilisme. Point. Maintenant, F. Bayrou a été pendant cinq ans dans tous les Gouvernements, bon. Aujourd'hui, il veut se distinguer de ce qu'il a fait dans le passé, c'est son droit. Je n'ai nul commentaire à faire.
Q - Dans cette interview du Figaro, il déclare qu'il préférerait vous affronter vous, plutôt que S. Royal. "Le débat de société serait plus net", dit-il. Vous, vous avez une préférence ?
R - Non, aucune. C'est assez amusant ce qu'il dit, parce que s'il est donc face à S. Royal, il sera le candidat de la droite, et s'il est face à moi, il sera le candidat de la gauche. Dites-moi, quelles convictions !Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2007