Interview de Mme Dominique Voynet, sénatrice des Verts et candidate à l'élection présidentielle, à La Chaîne Info le 3 avril 2007, sur la comparaison entre les propositions de N. Sarkozy sur le développement durable et l'environnement et celles des Verts.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- "Ensemble", c'est le titre du livre de N. Sarkozy. Un joli titre ou un titre usurpé ?
R- C'est un titre qui contredit l'action du ministre de l'Intérieur, aujourd'hui candidat de l'UMP. Depuis des mois et des années, il a déployé énormément d'énergie pour stigmatiser, séparer, traiter tour à tour, des jeunes, des vieux, ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, de ceux qu'il considère comme inclus dans la société et ceux qu'il met sur la touche.
Q- Dans cet ouvrage, il propose non pas de créer un ministère de l'Ecologie, mais plutôt un ministère du Développement durable qui rassemblerait l'énergie, les transports, l'écologie, l'eau, la biodiversité, etc. Est-ce que c'est une bonne idée ce ministère global ?
R- Je crois que l'idée d'un vice-premier ministre au Développement durable doté du pouvoir d'arbitrage sur tous les ministères aménagés, aurait été une idée préférable...
Q- C'est le Pacte écologique aussi, entre autres.
R- De la même façon que tous les ministères doivent se préoccuper des conséquences de leur activité sur l'environnement, tous les ministères devraient aussi se préoccuper des conséquences de l'activité sur le développement économique et sur l'emploi. Je crois qu'il n'est pas bon de trop segmenter les lieux de décision dans le Gouvernement.
Q- N. Sarkozy propose également "un Grenelle de l'environnement". Les socialistes disent que ce n'est pas nécessaire. Et vous, vous trouvez que c'est une bonne idée ? Vous êtes prête à vous mettre autour d'une table ronde au printemps ?
R- C'est une formule, c'est de la rhétorique, ça ne correspond à aucune réalité concrète. Je crois qu'on a besoin de mettre de l'environnement dans toutes les politiques publiques, c'est aussi le sens du vice-premier ministre : qu'il puisse arbitrer, empêcher les bêtises, orienter vers les bonnes décisions, notamment pour ce qui concerne la dimension internationale de l'action de la France, et aussi la nécessaire harmonisation fiscale et sociale qui doivent constituer le fond des politiques en matière d'environnement. On doit arrêter d'opposer environnement et emploi, environnement et développement économique. L'environnement c'est une des conditions aussi du développement économique.
Q- Le Groupement des experts sur le climat de l'ONU s'est rassemblé hier, il tient des propos alarmistes. Est-ce que c'est une bonne solution que de faire peur aux gens ?
R- Ils ne sont pas alarmistes, ils sont alarmants, parce que la situation est sérieuse, elle est grave. Depuis des années et des années, on discute du diagnostic. Oui le climat de la terre est en train de changer, oui les activités humaines en sont responsables, oui on peut faire quelque chose ! En combinant prévention du changement, pour limiter les émissions de carbone, et adaptation à cechangement, dans les territoires notamment, qui seront concernés par des événements climatiques extrêmes ou par la montée des océans, on doit se mettre en marche et agir. Assez bavardé !
Q- EDF propose de tout suite lancer trois nouveaux réacteurs nucléaires EPR pour éviter la pénurie...
R- Mais ça n'est pas la réponse !
Q- ...et pour avoir une énergie non polluante !
R- Mais ça n'est pas la réponse ! Puisque le secteur le plus préoccupant, c'est le secteur des transports, qui représente à peu près un tiers des émissions de carbone. Le deuxième secteur le plus préoccupant, c'est le secteur de l'habitat et du tertiaire qui représente un autre gros quart des émissions de carbone. L'électricité pour laquelle on est en situation de surproduction, c'est 20 % du problème. Franchement, on a le temps de se poser, de développer l'efficacité énergétique, de diversifier les sources d'énergie. EDF ne peut pas tirer prétexte du changement climatique pour proposer des solutions à côté de la plaque !
Q- Joli succès dimanche pour les rassemblements organisés par N. Hulot, vous étiez présente au Trocadéro.
R- Bien sûr !
Q- Voynet-Hulot, même combat, ou finalement, il détourne des voix vers les grands candidats, parce que les grands candidats ont été obligés de montrer "patte verte" ?
R- Je crois que la démonstration a été faite au Trocadéro. Les grands candidats ont signé le Pacte écologique et se sont dépêchés d'oublier leurs promesses. Seuls étaient présents au Trocadéro ceux qui sont conscients qu'il faut agir, passer à l'action. Le peuple de l'écologie, dans les associations, dans les réseaux, sur le terrain, il n'a pas envie que les questions soient oubliées. Qui va s'occuper de restaurer la qualité de l'eau si les écologistes n'ont pas au soir du premier tour suffisamment de voix pour peser sur les choix des candidats du deuxième tour ? Personne. Donc je crois qu'on doit en être conscients. Il n'y a que les Verts aujourd'hui qui soient sur ce terrain et qui n'aient pas abandonné effectivement l'ambition de changer radicalement les politiques qui vont permettre de vivre mieux demain.
Q- C'est combien "suffisamment de voix" ? C'est un peu plus de 5 % comme N. Mamère en 2002, c'est beaucoup plus ? Combien vous faut-il de suffrages pour être faiseuse de roi ou de reine au deuxième tour ?
R- A 1 ou 2 % nous ne pèserons pas. A 3 % c'est plus facile, à 4 % c'est plus facile. Chaque pour-cent en plus c'est une occasion de convaincre, qu'il va falloir changer la politique agricole, la politique des transports, la politique énergétique, pour réduire l'impact sur l'environnement, avoir un meilleur contenu des politiques en emplois, et permettre également de réduire les tensions au sein de la société, qu'il y a des gens qui sont aujourd'hui contraints d'accepter les heures supplémentaires et de ne pas pouvoir gagner du temps pour vivre, et de l'autre côté, des gens qui aujourd'hui ne peuvent pas travailler, est un scandale ! Nous devons concilier l'urgence écologique et l'urgence sociale.
Q- Alors, la famille écolo ne suit pas toujours le même candidat. Après C. Lepage, A. Weachter rejoint F. Bayrou. Vous êtes déçue, surprise, attristée ?
R- Je crois que c'est un choix tactique. Des gens qui peinent à exister sont aujourd'hui tentés effectivement d'apporter leur soutien à un grand candidat. Je pense que c'est un mauvais calcul.
Q- Et supprimer l'ENA, comme le propose F. Bayrou, c'est une bonne idée ?
R- Supprimer l'ENA pour remplacer par une école qui ferait la même chose et qui aurait un autre nom, c'est vraiment tout ce qu'on déteste dans la politique, c'est un des effets d'annonce. Je crois qu'il est indispensable de réduire les fossés entre les grandes écoles et l'université. Je crois qu'on doit pouvoir être un haut fonctionnaire, reconnu et respecté quand on a un doctorat par exemple, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas. Par contre, je crois qu'on doit aussi réduire le fossé entre ce qu'on investit sur les grandes écoles et ce qu'on donne à un étudiant à l'université. Prétendre supprimer l'ENA pour donner finalement des gages à une partie effectivement des Français qui adore détester les énarques tout en ne voulant rien changer à l'organisation de l'administration, ça ne me paraît pas juste.
Q- F. Nihous, le candidat des chasseurs, n'est pas contre l'Ena mais plutôt contre les énarques, il voudrait les envoyer au plus près du terrain. Est-ce que ce n'est pas une bonne solution de déconcentrer, de délocaliser les énarques ?
R- Ce qui me dérange le plus c'est la présence des grands groupes de pression au coeur de l'appareil d'Etat. Ils pèsent énormément sur la décision. Le fait que dans les mêmes écoles soient formés à la fois les dirigeants de la plupart des grandes entreprises, publiques ou privées, et les directeurs d'administration centrale et futurs ministres me paraît très préoccupant. Je souhaite effectivement une grande diversité dans la formation des élites de notre pays, je souhaite aussi une grande diversité sociale, ethnique, pour permettre finalement de rapprocher la décision des besoins des gens.
Q- F. Nihous n'espère pas faire mieux que J. Saint-Josse, le candidat CPNT de 2002, il n'espère pas faire mieux mais il voudrait être devant vous. Il se donne comme objectif de faire mieux que les Verts. Que vous inspire cette chasse ?
R- Vous vous rendez compte ! Moi, je me présente aux élections présidentielles avec le souci de porter un projet de société : montrer qu'on peut vivre mieux, gagner du temps pour vivre, faire reculer la pauvreté, faire baisser le niveau de violence dans la société. Je ne me présente pas contre qui que ce soit, je ne me présente pas avec le souci effectivement d'être devant ou l'autre, je ne pense pas non plus d'ailleurs que ce soit très intéressant de défendre un projet de société qui se limite à la défense d'une passion ou d'un loisir. Je veux convaincre les Français que, dans le monde de demain, on devra mieux gérer nos ressources naturelles, restaurer la qualité de l'eau, gérer les ressources des océans, éviter la déforestation, économiser l'énergie, et que ça doit nous permettre paradoxalement de créer des activités, des emplois, de la richesse pour tous, de la richesse de l'écologie, de l'éducation, de la formation, de la culture, du bien être, du temps pour vivre, du plaisir, aussi. C'est important.
Q- Est-ce que chasser c'est nécessaire puisque le gibier est redevenu surabondant ?
R- Réguler les espèces c'est important. Mais on doit en même temps respecter le rythme de vie et la biologie des espèces, et respecter les engagements internationaux de la France.
Q- Y a-t-il eu de l'hystérie, comme l'affirme N. Sarkozy, autour de l'identité nationale et des événements de la Gare du Nord ?
R- Il y a eu un manque de recul évident, et de la part du ministère de l'intérieur et de la part du candidat de l'UMP, et de la part des principaux candidats. Le fait qu'on ait jugé en comparution immédiate, sous la pression des médias, sous la pression des principaux présidentiables n'est pas bon. Je pense qu'il faut raison garder.
Q- Justice expéditive, avez-vous dit, mais bon les images étaient parlantes, il y avait des violences, c'était visible.
R- D'accord, sauf qu'un an de prison ferme, c'est extrêmement lourd. Bien des auteurs de fraude fiscale, d'accidents du travail, de travail au noir, etc, ne sont pas punis aussi durement. Je crois qu'il faut être très conscients de la réalité. Les tensions entre les jeunes et la police restent présentes à un niveau très élevé. Dans la police des transports, dans effectivement le quotidien, les choses sont très difficiles. Ce jugement ne va pas faciliter les choses.
Q- En un mot, le lendemain du scrutin, vous êtes rassurée sur le fait que la gauche plurielle, socialiste et Verts notamment, sauront se retrouver et se parler ?
R- J'espère qu'on saura se retrouver et se parler. Le dialogue a été pauvre, je souhaite pour ma part la victoire de la gauche, je pense qu'elle ne peut pas se faire en éteignant la diversité à gauche, elle ne peut pas se faire en utilisant des noms d'oiseaux, vous savez le fait que le débat politique se limite à traiter les uns ou les autres d'hystériques n'est pas de bon augure. Je souhaite qu'on arrive aux discussions sur le fond et qu'on chiffre aussi les projets.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 avril 2007