Texte intégral
Q- F. Rivière : A propos des indemnités de N. Forgeard, pour vous la solution est simple : il devrait rendre l'argent, tout simplement ?
R- Oui, et puis je crois qu'il faut redonner aux comités d'entreprise les droits qu'ils avaient à la Libération de notre pays, c'est-à-dire des droits dans la gestion des entreprises. Il faut faire en sorte que les représentants des salariés, au niveau des conseils d'administration, aient aussi de nouveaux pouvoirs. Et je pense qu'il devrait y avoir un droit de veto de la part des représentants des salariés par rapport à de telles indemnités. Voilà un homme qui a été pris en faute dans sa gestion d'une très grande entreprise, voilà un homme qui est quand même soupçonné - la justice le dira - d'avoir fait un délit d'initié, au moment même où EADS connaissait des difficultés, et on le remercie en lui donnant une somme formidable, 8,5 millions d'euros ! Et au même moment, je pense aux salariés de PSA qui ont fait grève pendant plusieurs semaines pour obtenir une petite augmentation de salaire et la direction a refusé la moindre augmentation. Je trouve que ce n'est pas simplement "un patron voyou" comme on dit, c'est quand même une économie qui marche sur la tête !
Q- F. Rivière : Oui, c'est un système...
R- Un système !
Q- F. Rivière : Je voudrais qu'on évoque ce qui s'est passé au cours de ces dernières 48 heures, au Maghreb : attentat déjoué à Casablanca, au Maroc, les terroristes ont préféré se faire exploser plutôt que de se rendre ; au moins 24 morts hier en Algérie dans deux attentats, des opérations revendiquées par Al-Qaïda. Comment, selon vous, peut-on faire face à ce défi, comment peut-on lutter contre ce phénomène terroriste ?
R- Bien sûr, il y a toute la lutte nécessaire, une lutte qui doit être une lutte faite en coopération avec l'ensemble des pays concernés, contre les mouvements terroristes eux-mêmes. Et puis, il y a à s'attaquer aux causes, au terreau du terrorisme, c'est-à-dire les différents conflits qui, aujourd'hui, ensanglantent le monde. Je pense notamment à ce qui se passe au Proche-Orient. Il faut vraiment qu'on débouche sur une issue politique. J'ai vu que, hier, le ministre des Finances du gouvernement palestinien s'était rendu au niveau de l'Union européenne pour réclamer que l'on verse à ce gouvernement les aides qui étaient dues par l'Union européennes. Je pense qu'il faut qu'il y ait des gestes extrêmement importants, qu'on mette en place une conférence internationale pour régler ce conflit entre la Palestine et l'Etat d'Israël, pour faire en sorte que la Palestine soit un Etat indépendant. Il faut solutionner la situation en Irak, avec le retrait des troupes américaines et un véritable
gouvernement irakien. Je pense que l'on n'arrivera pas à lutter contre le
terrorisme s'il n'y a pas un progrès et des avancées dans le règlement
des conflits que connaît aujourd'hui notre monde.
Q- C. Boisbouvier : Les islamistes sont populaires dans un certain nombre de pays, bien sûr, et hier, on l'a vu en Algérie avec le FIS, aujourd'hui avec les Frères musulmans en Egypte. Alors que faut-il faire ? Faut-il leur barrer la route, comme l'ont fait les militaires algériens en 1990 et le régime Moubarak aujourd'hui en Egypte, ou pas ?
R- Bien sûr qu'il faut agir, il faut tout faire pour leur barrer la route. On ne peut pas laisser...
Q- C. Boisbouvier : Mais jusqu'à faire un coup d'Etat constitutionnel, comme les militaires algériens l'ont fait en Algérie ?
R- Je pense qu'en Algérie, il y a eu une lutte qui a été menée, qui était nécessaire à l'époque. Après, on peut discuter de ce qui s'est passé depuis, avec la libération de 2.000 islamistes qui ont été remis "en circulation", je dirais. J'ai rencontré une association féminine en Algérie lorsque j'y suis allée, qui était très inquiète de croiser à nouveau certains islamistes dans certains villages, qui avaient été acteurs d'actes de violence, etc. Donc je pense qu'il faut une lutte frontale par rapport au terrorisme.
Q- C. Boisbouvier : Donc, la fermeté. Et vous pensez que la politique de réconciliation nationale d'A. Bouteflika, qui a amnistié 3.000 islamistes, comme vous le disiez, est un échec ?
R- "Un échec", on ne peut pas le dire comme cela. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui on s'aperçoit que certains de ces islamistes se sont de nouveau réorganisés, ont fondé la branche Maghreb d'Al-Qaïda, et ont de nouveau les moyens d'agir.
Q- C. Boisbouvier : En même temps, vous dites "fermeté" vis-à-vis de ces islamistes, mais reprise éventuelle de l'aide de l'Union européenne à la Palestine, malgré le fait que le Hamas est quand même un quand même un parti islamiste !
R- Oui, mais justement : que veut-on ? Veut-on que le Hamas soit de plus en plus fort au niveau de l'Etat palestinien ? Ou veut-on que le peuple palestinien décide librement, bien sûr, ses élus, ce qu'il a fait, mais se donne un gouvernement qui soit un gouvernement cherchant une issue politique dans le respect de l'Etat d'Israël, mais aussi en réclamant un Etat palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem Est comme capitale ? Si l'on veut que la Palestine sorte des difficultés qu'elle connaît aujourd'hui, il faut aider en effet le gouvernement palestinien, il faut faire en sorte que les fonctionnaires palestiniens soient rémunérés, il faut faire en sorte que la Palestine sorte de la crise sociale qu'elle connaît aujourd'hui, sinon, si on ne fait pas cela, eh bien oui, on poussera une partie des Palestiniens à aller vers des comportements extrémistes, parce que cela fait des décennies qu'ils connaissent ces souffrances sociales et démocratiques, donc il y a besoin de cette aide.
Q- F. Rivière : Vous demandez le démantèlement de ce que vous appelez "le mur d'annexion". Vous ne parlez pas de "mur de séparation ou de clôture de sécurité"...
R- C'est un mur d'annexion. C'est comme le système des colonies : lorsque vous êtes sur place, que vous êtes dans un village palestinien, et que vous regardez, que vous levez la tête, et que tout autour les colonies sont là, il y a un sentiment d'enfermement. Quand vous êtes au pied du mur, qui traverse parfois des rues, c'est fini, c'est l'annexion, il n'y a plus de possibilité de passer de l'autre côté, il faut faire des kilomètres pour pouvoir passer, se rendre à l'hôpital, se rendre à l'école, etc. Donc c'est un mur d'annexion, il faut en effet le détruire. Si l'on veut une issue politique, ce n'est pas pas la force, c'est bien par les négociations.
Q- C. Boisbouvier : L'Iran veut acquérir l'arme nucléaire ; alors qui a raison, Paris et Washington qui sont contre, ou Moscou et Pékin qui laissent faire ?
R- Je suis contre l'armement nucléaire, je suis pour le respect du Traité de non prolifération nucléaire, donc je ne suis pas pour que l'Iran obtienne l'arme nucléaire. Autre chose est le nucléaire civil et le développement du nucléaire civil. Mais j'ai envie de dire qu'il faut continuer les négociations avec l'Iran. Le Président iranien fait de la provocation, il faut que les puissances occidentales ne répondent pas à ces provocations, continuons les négociations. Le président de l'Agence concernant les questions nucléaires a fait une proposition précise en disant : obtenons de l'Etat iranien qu'on puisse vraiment avoir une transparence réelle de ce qui se passe sur le nucléaire en Iran, en contrepartie d'une attitude des grandes puissances occidentales de respect du Traité de non prolifération, c'est-à-dire faisons des gestes sur le fait qu'elles-mêmes vont s'engager dans le désarmement nucléaire. On ne peut pas faire la leçon à des pays lorsque son propre comportement ne correspond pas au respect du Traité de non prolifération.
Q- F. Rivière : Est-ce que vous ne craignez pas que les attentats de ces dernières 48 heures au Maghreb ne relancent le débat sur la sécurité en France, et au fond ne fasse d'ailleurs le jeu du Front national ? J.-M. Le Pen, dès hier, disait que "nous sommes assis sur une poudrière" ?
R- Je crois que cette question du terrorisme, il faut en débattre de façon sérieuse et responsable, quel que soit le parti auquel on appartient. Il ne faut pas en faire un instrument électoral. Je veux le dire avec beaucoup de fermeté.
Q- F. Rivière : C'est ce que vous ne souhaitez pas, mais enfin, est-ceque vous ne craignez pas que ça n'arrive tout de même ?
R- Ca, bien sûr, Le Pen fonce, il va utiliser cela. J'espère que d'autres ne vont pas suivre, je pense à N. Sarkozy, notamment. J'espère que chacun sera suffisamment responsable pour ne pas suivre le candidat du FN dans cette voie particulièrement dangereuse.
Q- F. Rivière : Je voudrais qu'on évoque un certain nombre des propositions de votre programme, notamment en matière d'immigration. Vous êtes favorable, vous, à la régularisation de tous les sans-papiers. Vous ne craignez pas ce qu'on appelle le fameux effet "appel d'air", si on régularise, et que d'autres se disent : "si on est régularisés, tentons notre chance à notre tour" ?
R- D'abord, pourquoi il faut régulariser ? Il faut peut-être d'abord répondre à cette question. Je pense que c'est une question de dignité et de justice par rapport à ces hommes et ces femmes. Mais c'est aussi une position qui vise l'intérêt général. Parce que, que veut-on ? On veut des milliers de clandestins sur notre territoire ? Ou on veut des hommes et des femmes qui aient les moyens de travailler, de se loger, de vivre, et de participer à l'effort collectif, d'être solidaires à travers leurs cotisations, parce qu'ils auront un travail régulier, parce qu'ils participeront à l'enrichissement de notre pays. J'ai envie de cela. J'ai envie que chacun et chacune puissent participer à l'intérêt général, donc pour cela, il faut régulariser ces hommes et ces femmes. Ensuite, "l'appel d'air", vous savez, on a voté des lois, enfin, moi je ne les ai pas votées, mais Sarkozy a fait voter toute une série de lois par rapport à l'immigration ; on a même dressé des barbelés à certaines frontières. Cela n'empêche pas des hommes et des femmes d'essayer d'arriver dans notre pays ou d'autres pays, parce qu'ils fuient la famine, ils fuient la pandémie, ils fuient les atteintes aux libertés. Rien n'empêchera un homme ou une femme d'essayer de vivre mieux. Donc, la solution réelle - il faut avoir le courage de le dire quand on est un responsable politique - la solution réelle, elle est bien dans la coopération, dans le co-développement, pour faire en sorte que les pays, dont ces hommes et ces femmes sont originaires, se développent et répondent aux besoins de leurs populations. Après, on ne parlera plus d'immigration", etc, on parlera d'échange. Mais on a besoin d'échange, contrairement à ce disent certains, la Nation française s'est construite à partir de l'arrivée de populations. Dans certaines régions, j'ai beaucoup de plaisir quand je suis entourée de maires, par exemple en Lorraine, qui ont tous des noms à consonance italienne, parce qu'à une époque, on disait "les immigrés venus d'Italie", et aujourd'hui, ils sont élus du peuple, élus du suffrage universel. C'est cela la Nation française.
Q- F. Rivière : À propos d'Afrique, peut-être votre avis sur deux hommes qui font débat, qui sont controversés. D'abord, le chef de l'Etat ivoirien, L. Gbagbo, qui vient de signer une trêve avec le rebelle, G. Soro. A vos yeux, L. Gbagbo est-il un démocrate ou le chef d'Etat d' "un régime fascisant", comme dit J. Chirac ?
R- Je ne pourrais pas donner à monsieur Gbagbo l'intitulé de "démocrate". Je crois qu'on a besoin, en effet, dans ce pays d'avancer vers une solution là aussi politique, par rapport aux conflits qui existent, et de faire en sorte que il y ait des avancées démocratiques. Mais c'est une responsabilité des populations locales, mais c'est aussi une responsabilité de la France. Est-ce que la politique de coopération entre guillemets, ce que l'on a appelé "la politique France-Afrique", n'a pas, quelque part, pendant toute une période, soutenu de tels régimes, et fait en sorte que ces régimes, l'existence de ces régimes, soit quelque part banalisée, puisque la France et d'autres puissances d'ailleurs, continuaient à coopérer et à soutenir des régimes comme ceux-là ?
Q- C. Boisbouvier : Et au Zimbabwe, est-ce que R. Mugabe est un "freedom fighter", un combattant de la liberté, que vous avez soutenu il y a vingt ans, ou est-ce que c'est devenu un dictateur ?
R- Là aussi, il ne faut peut-être pas employer des termes comme "dictateur". Je répète ce que je viens de dire : je crois que partout en Afrique - mais c'est vrai partout dans le monde -, on a besoin d'avancées démocratiques, c'est-à-dire d'un véritable débat d'idées, permettant des élections, où l'on n'ait pas simplement à acclamer le président unique ou le président à vie, mais à avoir vraiment un débat d'idées sur les solutions alternatives pour que l'Afrique émerge vraiment. J'ai envie de dire que l'Afrique est riche, l'Afrique a un véritable potentiel humain, l'Afrique a des ressources naturelles, l'Afrique peut tout à fait trouver les voies d'un développement économique, d'un développement démocratique. La question c'est de laisser l'Afrique se développer à partir de ses propres choix et ne pas influencer les choix des populations, des Etats qui composent l'Afrique.
Q- F. Rivière : M.-G. Buffet, parlons un peu d'économie, avec un certain nombre de mesures que vous proposez, et pour les financer. Elles sont nombreuses, dans le développement des services publics, l'augmentation des minima sociaux, du Smic... Une politique de logement social, des recrutements dans l'Education nationale. Vous voulez - vous employez le terme - "mobiliser l'argent autrement" ; qu'est-ce que cela veut-il dire ? Est-ce qu'on prend l'argent là où il est, donc chez les riches, entreprises et particuliers confondus ?
R- Il y a deux façons de le faire. Il y a d'abord besoin d'une redistribution des richesses créées. On n'a parlé tout à l'heure de monsieur Forgeard, on pourrait citer bien d'autres patrons, aujourd'hui, avec des salaires mirobolants. Mais pourrait aussi citer le problème du montant des dividendes des actionnaires. Aujourd'hui, nous avons des entreprises qui ne sont plus gérées avec le souci d'une production répondant à des besoins de débouchés, à l'innovation technologique, mais qui sont gérés juste au niveau du taux de rentabilité le plus rapide possible. On utilise une entreprise pendant deux ans, tel fonds d'investissement, et deux ans après, on liquide, on délocalise, etc. Ce n'est plus possible de penser comme cela, donc il faut une redistribution de l'argent. D'abord vers l'entreprise elle-même. Sur les 564 milliards d'euros dégagés - je prends en 2005 - par le travail, 70 % sont allés au remboursement des banques, OPA, dividendes des actionnaires. 30 % seulement sont revenus à l'entreprise. Je crois qu'il faut inciter les entreprises à mettre plus d'argent dans la recherche, dans la qualification des personnels, donc l'information, donc les salaires, donc les conditions de travail, donc l'innovation technologique, etc. Cela peut se faire de différentes manières, cela peut se faire par une fiscalité intelligente : est-ce que l'on module l'impôt sur les sociétés, est-ce que l'on module l'assiette de cotisations sociales des entreprises selon le comportement de l'entreprise, selon l'effort qu'elle met pour faire en sorte que l'entreprise se développe, crée de l'emploi, crée des produits respectueux du développement durable. Je crois que c'est le premier moyen. Le deuxième moyen pour redistribuer de l'argent, c'est aussi une politique du crédit : est-ce que l'Etat impulse un pôle financier public permettant de développer une politique du crédit qui, là aussi, viendrait soutenir notamment les petites et moyennes entreprises, pour permettre qu'elles soient compétitives. Et donc, qu'elles maintiennent les productions, les emplois dans notre pays. Ensuite, il y a les salaires : est-ce que l'on va vers l'augmentation des salaires ? Je pense que l'on peut, aujourd'hui, l'économie française doit permettre une augmentation réelle des salaires. Pas que du Smic, parce que si l'on augmente que le Smic, on tire les salaires vers le bas. Aujourd'hui, on a déjà la moitié des salariés qui sont en dessous de 1.450 euros. Donc il faut augmenter, il faut de grandes négociations salariales. Et puis, il y a la fiscalité ; qu'est-ce que vous voulez, aujourd'hui, on a une fiscalité qui ne tient pas la route. 56 % des recettes de l'Etat - vous vous rendez compte ! -, c'est la TVA et la TIPP, c'est-à-dire deux impôts injustes, deux taxes injustes. L'impôt sur le revenu, maintenant, ce n'est plus que 17 % des recettes de l'Etat.
Q- F. Rivière : Est-ce que la France peut faire tout cela toute seule ? Est-ce qu'elle ne va pas se retrouver très isolée dans le monde si elle prend ce type de mesures ?
R- Cela relève de choix politiques français !
Q- F. Rivière : Oui, mais est-ce que cela ne va pas décourager les investisseurs ?
R- La fiscalité française relève du choix d'un gouvernement français. Après, il faut en effet mener de paire cette action avec une action européenne. Aujourd'hui, on assiste entre les pays de l'Union
européenne, ce qui est quand même fort, à du dumping social mais aussi à du dumping fiscal, puisque entre pays appartenant à l'Union européenne on se fait la guerre pour essayer de s'arracher des entreprises, etc. Donc il faut bien sûr, en même temps, parallèlement, mener vraiment un combat pour obtenir une harmonisation sociale et fiscale au niveau de l'Union européenne, cela me parait, bien sûr, nécessaire.
Q- F. Rivière : Comment voulez-vous relancer la machine européenne, dans quelle direction, de quelle manière ?
R- Je crois qu'on a, d'ici 2009, plusieurs étapes à franchir. D'abord, il faut que la France fasse avaliser - ce qui a été prévu d'ailleurs - le fait que puisque ce projet de traité constitutionnel n'a pas été reconnu par l'ensemble des pays composant l'UE, il est caduc. Donc il faut reconstruire, remettre l'ouvrage sur le chantier. Il faut donc relancer un débat sur un nouveau traité fondateur de l'UE. Cinquante ans après la naissance de l'UE, je crois qu'il est temps de faire le bilan, et de voir comment on peut relancer l'UE sur d'autres bases.
Q- F. Rivière : Faut-il un traité ou une constitution ?
R- Il faut un nouveau traité, je le pense profondément.
Q- F. Rivière : Et le soumettre par référendum à nouveau ?
R- Voilà. D'abord, on a peut-être une première étape, c'est la présidence française : quelle sera l'attitude du Gouvernement français nouvellement élu lors de cette présidence ? Est-ce qu'il mettra à l'ordre du jour, justement, le débat sur un nouveau traité ? Ensuite, on a les élections européennes en 2009, qui peuvent être un moment fort pour les électeurs des différents pays de l'UE pour exprimer des choix. Ensuite, il faudra en effet, je le souhaite, ratifier un nouveau traité par référendum. Bien sûr, c'est le choix de chaque pays ; moi je souhaite que la plupart, la totalité des peuples composant l'UE soit consultée par référendum.
Q- F. Rivière : Toujours en matière de changement, vous être favorable à une VIème République, c'est un peu l'idée à la mode dans cette campagne... Quelles sont les priorités en matière de changements institutionnels, selon vous ? Souhaitez-vous réduire les pouvoirs du président de la République, introduire la proportionnelle dans tous les scrutins ?
R- Oui, pourquoi ? Parce que aujourd'hui, on a l'impression d'être dans une sorte de monarchie présidentielle où les citoyens sont considérés un peu comme des gens analphabètes, à qui il faut expliquer le bien-fondé de la loi qu'on vient d'adopter. Or on l'a encore vu en 2005 que nos concitoyens sont tout à fait aptes à comprendre les grand enjeux du monde, sont out à fait aptes à décortiquer des tests, à comprendre et à s'en mêler. Donc je crois qu'il faut donner plus de place à une véritable démocratie participative au niveau de l'Etat. Cela demande en effet de faire en sorte que le rôle du président de la République, comme c'est le cas dans beaucoup de pays de l'UE, soit un rôle réduit au respect de la Constitution, à l'unité du pays et que ce soit l'Assemblée nationale qui voie son rôle revalorisé, une Assemblée nationale élue à la proportionnelle, et à parité, et qu'elle ait vraiment l'initiative des lois. Je pense également qu'il faut modifier le rôle de la deuxième chambre ou du Sénat faire en sorte que ce soit certainement une chambre soit une chambre de liaison entre l'Assemblée nationale et l'initiative citoyenne. Je propose que l'on puisse avoir des initiatives citoyennes sur la loi comme sur le référendum. Donc le Sénat pourrait jouer ce rôle de réceptacle de ces initiatives citoyennes.
Q- F. Rivière : Quelques mots sur la campagne et votre situation aujourd'hui dans les sondages - il en pleut tous les jours... Vous êtes créditée de 2 à 3 % - 3 % dans la dernière livraison de BVA. En 2002, R. Hue avait obtenu 3,37 % des suffrages au premier tour, si vous faites moins, est-ce que c'est l'arrêt de mort du PCF ?
R- Non, parce que la vie politique ne se réduit pas à l'élection présidentielle. Il y aura besoin, demain, des militants et des militantes communistes, des élus communistes du groupe à l'Assemblée nationale et au Sénat, des élus aux Conseils généraux et régionaux, des maires communistes - on est près de 13.000 - pour être aux côtés des salariés, des habitants. Je l'espère, dans le cadre, d'une victoire de la gauche pour construire à gauche de véritables réponses, et si par malheur c'était la droite qui était majoritaire, pour se battre contre les politiques réactionnaires qui seraient menées. Donc, pour moi, il n'y a pas de "mort" du PC, ce que je souhaite, c'est que...
Q- F. Rivière : On se souvient de l'influence et de l'importance du PC de l'après-guerre, des années 50, 60, 70 et même du début des années 80. On est très, très loin de cela. Qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui le relancer, et lui redonner un peu de vigueur ?
R- Peut-être réfléchir ensemble. Aujourd'hui, que deviendrait la gauche s'il n'y a plus de PCF ? Où ira la gauche ? On voit bien que le danger, c'est que la gauche, petit à petit lorgne vers le centre et ne porte plus les propositions alternatives, les idées, les valeurs...
Q- F. Rivière : Oui mais les Français regardent aussi vers une gauche
plus extrême encore...
R- Oui. Vous savez, il y a deux conceptions du combat politique : on peut avoir un combat politique qui se réduit à un témoignage, c'est-à-dire qu'on est dans les propositions, comme ça, mais on ne se mêle de la gestion. Je pense que si l'on veut vraiment mener un combat de gauche, il faut à la fois avoir le courage de porter un projet à gauche qui contre les logiques libérales ; j'ai parlé tout à l'heure de l'Europe, on a parlé de la redistribution de [inaud.], on a parlé de la VIème République, mais aussi une politique de gauche que l'on veut mettre en oeuvre, donc construire une nouvelle majorité à gauche et participer à un Gouvernement de gauche porteur d'une telle politique antilibérale.
Q- F. Rivière : Votre participation serait-elle conditionnelle ?
R- Notre participation au Gouvernement est conditionnelle à la politique qui serait menée par ce gouvernement.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 avril 2007
R- Oui, et puis je crois qu'il faut redonner aux comités d'entreprise les droits qu'ils avaient à la Libération de notre pays, c'est-à-dire des droits dans la gestion des entreprises. Il faut faire en sorte que les représentants des salariés, au niveau des conseils d'administration, aient aussi de nouveaux pouvoirs. Et je pense qu'il devrait y avoir un droit de veto de la part des représentants des salariés par rapport à de telles indemnités. Voilà un homme qui a été pris en faute dans sa gestion d'une très grande entreprise, voilà un homme qui est quand même soupçonné - la justice le dira - d'avoir fait un délit d'initié, au moment même où EADS connaissait des difficultés, et on le remercie en lui donnant une somme formidable, 8,5 millions d'euros ! Et au même moment, je pense aux salariés de PSA qui ont fait grève pendant plusieurs semaines pour obtenir une petite augmentation de salaire et la direction a refusé la moindre augmentation. Je trouve que ce n'est pas simplement "un patron voyou" comme on dit, c'est quand même une économie qui marche sur la tête !
Q- F. Rivière : Oui, c'est un système...
R- Un système !
Q- F. Rivière : Je voudrais qu'on évoque ce qui s'est passé au cours de ces dernières 48 heures, au Maghreb : attentat déjoué à Casablanca, au Maroc, les terroristes ont préféré se faire exploser plutôt que de se rendre ; au moins 24 morts hier en Algérie dans deux attentats, des opérations revendiquées par Al-Qaïda. Comment, selon vous, peut-on faire face à ce défi, comment peut-on lutter contre ce phénomène terroriste ?
R- Bien sûr, il y a toute la lutte nécessaire, une lutte qui doit être une lutte faite en coopération avec l'ensemble des pays concernés, contre les mouvements terroristes eux-mêmes. Et puis, il y a à s'attaquer aux causes, au terreau du terrorisme, c'est-à-dire les différents conflits qui, aujourd'hui, ensanglantent le monde. Je pense notamment à ce qui se passe au Proche-Orient. Il faut vraiment qu'on débouche sur une issue politique. J'ai vu que, hier, le ministre des Finances du gouvernement palestinien s'était rendu au niveau de l'Union européenne pour réclamer que l'on verse à ce gouvernement les aides qui étaient dues par l'Union européennes. Je pense qu'il faut qu'il y ait des gestes extrêmement importants, qu'on mette en place une conférence internationale pour régler ce conflit entre la Palestine et l'Etat d'Israël, pour faire en sorte que la Palestine soit un Etat indépendant. Il faut solutionner la situation en Irak, avec le retrait des troupes américaines et un véritable
gouvernement irakien. Je pense que l'on n'arrivera pas à lutter contre le
terrorisme s'il n'y a pas un progrès et des avancées dans le règlement
des conflits que connaît aujourd'hui notre monde.
Q- C. Boisbouvier : Les islamistes sont populaires dans un certain nombre de pays, bien sûr, et hier, on l'a vu en Algérie avec le FIS, aujourd'hui avec les Frères musulmans en Egypte. Alors que faut-il faire ? Faut-il leur barrer la route, comme l'ont fait les militaires algériens en 1990 et le régime Moubarak aujourd'hui en Egypte, ou pas ?
R- Bien sûr qu'il faut agir, il faut tout faire pour leur barrer la route. On ne peut pas laisser...
Q- C. Boisbouvier : Mais jusqu'à faire un coup d'Etat constitutionnel, comme les militaires algériens l'ont fait en Algérie ?
R- Je pense qu'en Algérie, il y a eu une lutte qui a été menée, qui était nécessaire à l'époque. Après, on peut discuter de ce qui s'est passé depuis, avec la libération de 2.000 islamistes qui ont été remis "en circulation", je dirais. J'ai rencontré une association féminine en Algérie lorsque j'y suis allée, qui était très inquiète de croiser à nouveau certains islamistes dans certains villages, qui avaient été acteurs d'actes de violence, etc. Donc je pense qu'il faut une lutte frontale par rapport au terrorisme.
Q- C. Boisbouvier : Donc, la fermeté. Et vous pensez que la politique de réconciliation nationale d'A. Bouteflika, qui a amnistié 3.000 islamistes, comme vous le disiez, est un échec ?
R- "Un échec", on ne peut pas le dire comme cela. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui on s'aperçoit que certains de ces islamistes se sont de nouveau réorganisés, ont fondé la branche Maghreb d'Al-Qaïda, et ont de nouveau les moyens d'agir.
Q- C. Boisbouvier : En même temps, vous dites "fermeté" vis-à-vis de ces islamistes, mais reprise éventuelle de l'aide de l'Union européenne à la Palestine, malgré le fait que le Hamas est quand même un quand même un parti islamiste !
R- Oui, mais justement : que veut-on ? Veut-on que le Hamas soit de plus en plus fort au niveau de l'Etat palestinien ? Ou veut-on que le peuple palestinien décide librement, bien sûr, ses élus, ce qu'il a fait, mais se donne un gouvernement qui soit un gouvernement cherchant une issue politique dans le respect de l'Etat d'Israël, mais aussi en réclamant un Etat palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem Est comme capitale ? Si l'on veut que la Palestine sorte des difficultés qu'elle connaît aujourd'hui, il faut aider en effet le gouvernement palestinien, il faut faire en sorte que les fonctionnaires palestiniens soient rémunérés, il faut faire en sorte que la Palestine sorte de la crise sociale qu'elle connaît aujourd'hui, sinon, si on ne fait pas cela, eh bien oui, on poussera une partie des Palestiniens à aller vers des comportements extrémistes, parce que cela fait des décennies qu'ils connaissent ces souffrances sociales et démocratiques, donc il y a besoin de cette aide.
Q- F. Rivière : Vous demandez le démantèlement de ce que vous appelez "le mur d'annexion". Vous ne parlez pas de "mur de séparation ou de clôture de sécurité"...
R- C'est un mur d'annexion. C'est comme le système des colonies : lorsque vous êtes sur place, que vous êtes dans un village palestinien, et que vous regardez, que vous levez la tête, et que tout autour les colonies sont là, il y a un sentiment d'enfermement. Quand vous êtes au pied du mur, qui traverse parfois des rues, c'est fini, c'est l'annexion, il n'y a plus de possibilité de passer de l'autre côté, il faut faire des kilomètres pour pouvoir passer, se rendre à l'hôpital, se rendre à l'école, etc. Donc c'est un mur d'annexion, il faut en effet le détruire. Si l'on veut une issue politique, ce n'est pas pas la force, c'est bien par les négociations.
Q- C. Boisbouvier : L'Iran veut acquérir l'arme nucléaire ; alors qui a raison, Paris et Washington qui sont contre, ou Moscou et Pékin qui laissent faire ?
R- Je suis contre l'armement nucléaire, je suis pour le respect du Traité de non prolifération nucléaire, donc je ne suis pas pour que l'Iran obtienne l'arme nucléaire. Autre chose est le nucléaire civil et le développement du nucléaire civil. Mais j'ai envie de dire qu'il faut continuer les négociations avec l'Iran. Le Président iranien fait de la provocation, il faut que les puissances occidentales ne répondent pas à ces provocations, continuons les négociations. Le président de l'Agence concernant les questions nucléaires a fait une proposition précise en disant : obtenons de l'Etat iranien qu'on puisse vraiment avoir une transparence réelle de ce qui se passe sur le nucléaire en Iran, en contrepartie d'une attitude des grandes puissances occidentales de respect du Traité de non prolifération, c'est-à-dire faisons des gestes sur le fait qu'elles-mêmes vont s'engager dans le désarmement nucléaire. On ne peut pas faire la leçon à des pays lorsque son propre comportement ne correspond pas au respect du Traité de non prolifération.
Q- F. Rivière : Est-ce que vous ne craignez pas que les attentats de ces dernières 48 heures au Maghreb ne relancent le débat sur la sécurité en France, et au fond ne fasse d'ailleurs le jeu du Front national ? J.-M. Le Pen, dès hier, disait que "nous sommes assis sur une poudrière" ?
R- Je crois que cette question du terrorisme, il faut en débattre de façon sérieuse et responsable, quel que soit le parti auquel on appartient. Il ne faut pas en faire un instrument électoral. Je veux le dire avec beaucoup de fermeté.
Q- F. Rivière : C'est ce que vous ne souhaitez pas, mais enfin, est-ceque vous ne craignez pas que ça n'arrive tout de même ?
R- Ca, bien sûr, Le Pen fonce, il va utiliser cela. J'espère que d'autres ne vont pas suivre, je pense à N. Sarkozy, notamment. J'espère que chacun sera suffisamment responsable pour ne pas suivre le candidat du FN dans cette voie particulièrement dangereuse.
Q- F. Rivière : Je voudrais qu'on évoque un certain nombre des propositions de votre programme, notamment en matière d'immigration. Vous êtes favorable, vous, à la régularisation de tous les sans-papiers. Vous ne craignez pas ce qu'on appelle le fameux effet "appel d'air", si on régularise, et que d'autres se disent : "si on est régularisés, tentons notre chance à notre tour" ?
R- D'abord, pourquoi il faut régulariser ? Il faut peut-être d'abord répondre à cette question. Je pense que c'est une question de dignité et de justice par rapport à ces hommes et ces femmes. Mais c'est aussi une position qui vise l'intérêt général. Parce que, que veut-on ? On veut des milliers de clandestins sur notre territoire ? Ou on veut des hommes et des femmes qui aient les moyens de travailler, de se loger, de vivre, et de participer à l'effort collectif, d'être solidaires à travers leurs cotisations, parce qu'ils auront un travail régulier, parce qu'ils participeront à l'enrichissement de notre pays. J'ai envie de cela. J'ai envie que chacun et chacune puissent participer à l'intérêt général, donc pour cela, il faut régulariser ces hommes et ces femmes. Ensuite, "l'appel d'air", vous savez, on a voté des lois, enfin, moi je ne les ai pas votées, mais Sarkozy a fait voter toute une série de lois par rapport à l'immigration ; on a même dressé des barbelés à certaines frontières. Cela n'empêche pas des hommes et des femmes d'essayer d'arriver dans notre pays ou d'autres pays, parce qu'ils fuient la famine, ils fuient la pandémie, ils fuient les atteintes aux libertés. Rien n'empêchera un homme ou une femme d'essayer de vivre mieux. Donc, la solution réelle - il faut avoir le courage de le dire quand on est un responsable politique - la solution réelle, elle est bien dans la coopération, dans le co-développement, pour faire en sorte que les pays, dont ces hommes et ces femmes sont originaires, se développent et répondent aux besoins de leurs populations. Après, on ne parlera plus d'immigration", etc, on parlera d'échange. Mais on a besoin d'échange, contrairement à ce disent certains, la Nation française s'est construite à partir de l'arrivée de populations. Dans certaines régions, j'ai beaucoup de plaisir quand je suis entourée de maires, par exemple en Lorraine, qui ont tous des noms à consonance italienne, parce qu'à une époque, on disait "les immigrés venus d'Italie", et aujourd'hui, ils sont élus du peuple, élus du suffrage universel. C'est cela la Nation française.
Q- F. Rivière : À propos d'Afrique, peut-être votre avis sur deux hommes qui font débat, qui sont controversés. D'abord, le chef de l'Etat ivoirien, L. Gbagbo, qui vient de signer une trêve avec le rebelle, G. Soro. A vos yeux, L. Gbagbo est-il un démocrate ou le chef d'Etat d' "un régime fascisant", comme dit J. Chirac ?
R- Je ne pourrais pas donner à monsieur Gbagbo l'intitulé de "démocrate". Je crois qu'on a besoin, en effet, dans ce pays d'avancer vers une solution là aussi politique, par rapport aux conflits qui existent, et de faire en sorte que il y ait des avancées démocratiques. Mais c'est une responsabilité des populations locales, mais c'est aussi une responsabilité de la France. Est-ce que la politique de coopération entre guillemets, ce que l'on a appelé "la politique France-Afrique", n'a pas, quelque part, pendant toute une période, soutenu de tels régimes, et fait en sorte que ces régimes, l'existence de ces régimes, soit quelque part banalisée, puisque la France et d'autres puissances d'ailleurs, continuaient à coopérer et à soutenir des régimes comme ceux-là ?
Q- C. Boisbouvier : Et au Zimbabwe, est-ce que R. Mugabe est un "freedom fighter", un combattant de la liberté, que vous avez soutenu il y a vingt ans, ou est-ce que c'est devenu un dictateur ?
R- Là aussi, il ne faut peut-être pas employer des termes comme "dictateur". Je répète ce que je viens de dire : je crois que partout en Afrique - mais c'est vrai partout dans le monde -, on a besoin d'avancées démocratiques, c'est-à-dire d'un véritable débat d'idées, permettant des élections, où l'on n'ait pas simplement à acclamer le président unique ou le président à vie, mais à avoir vraiment un débat d'idées sur les solutions alternatives pour que l'Afrique émerge vraiment. J'ai envie de dire que l'Afrique est riche, l'Afrique a un véritable potentiel humain, l'Afrique a des ressources naturelles, l'Afrique peut tout à fait trouver les voies d'un développement économique, d'un développement démocratique. La question c'est de laisser l'Afrique se développer à partir de ses propres choix et ne pas influencer les choix des populations, des Etats qui composent l'Afrique.
Q- F. Rivière : M.-G. Buffet, parlons un peu d'économie, avec un certain nombre de mesures que vous proposez, et pour les financer. Elles sont nombreuses, dans le développement des services publics, l'augmentation des minima sociaux, du Smic... Une politique de logement social, des recrutements dans l'Education nationale. Vous voulez - vous employez le terme - "mobiliser l'argent autrement" ; qu'est-ce que cela veut-il dire ? Est-ce qu'on prend l'argent là où il est, donc chez les riches, entreprises et particuliers confondus ?
R- Il y a deux façons de le faire. Il y a d'abord besoin d'une redistribution des richesses créées. On n'a parlé tout à l'heure de monsieur Forgeard, on pourrait citer bien d'autres patrons, aujourd'hui, avec des salaires mirobolants. Mais pourrait aussi citer le problème du montant des dividendes des actionnaires. Aujourd'hui, nous avons des entreprises qui ne sont plus gérées avec le souci d'une production répondant à des besoins de débouchés, à l'innovation technologique, mais qui sont gérés juste au niveau du taux de rentabilité le plus rapide possible. On utilise une entreprise pendant deux ans, tel fonds d'investissement, et deux ans après, on liquide, on délocalise, etc. Ce n'est plus possible de penser comme cela, donc il faut une redistribution de l'argent. D'abord vers l'entreprise elle-même. Sur les 564 milliards d'euros dégagés - je prends en 2005 - par le travail, 70 % sont allés au remboursement des banques, OPA, dividendes des actionnaires. 30 % seulement sont revenus à l'entreprise. Je crois qu'il faut inciter les entreprises à mettre plus d'argent dans la recherche, dans la qualification des personnels, donc l'information, donc les salaires, donc les conditions de travail, donc l'innovation technologique, etc. Cela peut se faire de différentes manières, cela peut se faire par une fiscalité intelligente : est-ce que l'on module l'impôt sur les sociétés, est-ce que l'on module l'assiette de cotisations sociales des entreprises selon le comportement de l'entreprise, selon l'effort qu'elle met pour faire en sorte que l'entreprise se développe, crée de l'emploi, crée des produits respectueux du développement durable. Je crois que c'est le premier moyen. Le deuxième moyen pour redistribuer de l'argent, c'est aussi une politique du crédit : est-ce que l'Etat impulse un pôle financier public permettant de développer une politique du crédit qui, là aussi, viendrait soutenir notamment les petites et moyennes entreprises, pour permettre qu'elles soient compétitives. Et donc, qu'elles maintiennent les productions, les emplois dans notre pays. Ensuite, il y a les salaires : est-ce que l'on va vers l'augmentation des salaires ? Je pense que l'on peut, aujourd'hui, l'économie française doit permettre une augmentation réelle des salaires. Pas que du Smic, parce que si l'on augmente que le Smic, on tire les salaires vers le bas. Aujourd'hui, on a déjà la moitié des salariés qui sont en dessous de 1.450 euros. Donc il faut augmenter, il faut de grandes négociations salariales. Et puis, il y a la fiscalité ; qu'est-ce que vous voulez, aujourd'hui, on a une fiscalité qui ne tient pas la route. 56 % des recettes de l'Etat - vous vous rendez compte ! -, c'est la TVA et la TIPP, c'est-à-dire deux impôts injustes, deux taxes injustes. L'impôt sur le revenu, maintenant, ce n'est plus que 17 % des recettes de l'Etat.
Q- F. Rivière : Est-ce que la France peut faire tout cela toute seule ? Est-ce qu'elle ne va pas se retrouver très isolée dans le monde si elle prend ce type de mesures ?
R- Cela relève de choix politiques français !
Q- F. Rivière : Oui, mais est-ce que cela ne va pas décourager les investisseurs ?
R- La fiscalité française relève du choix d'un gouvernement français. Après, il faut en effet mener de paire cette action avec une action européenne. Aujourd'hui, on assiste entre les pays de l'Union
européenne, ce qui est quand même fort, à du dumping social mais aussi à du dumping fiscal, puisque entre pays appartenant à l'Union européenne on se fait la guerre pour essayer de s'arracher des entreprises, etc. Donc il faut bien sûr, en même temps, parallèlement, mener vraiment un combat pour obtenir une harmonisation sociale et fiscale au niveau de l'Union européenne, cela me parait, bien sûr, nécessaire.
Q- F. Rivière : Comment voulez-vous relancer la machine européenne, dans quelle direction, de quelle manière ?
R- Je crois qu'on a, d'ici 2009, plusieurs étapes à franchir. D'abord, il faut que la France fasse avaliser - ce qui a été prévu d'ailleurs - le fait que puisque ce projet de traité constitutionnel n'a pas été reconnu par l'ensemble des pays composant l'UE, il est caduc. Donc il faut reconstruire, remettre l'ouvrage sur le chantier. Il faut donc relancer un débat sur un nouveau traité fondateur de l'UE. Cinquante ans après la naissance de l'UE, je crois qu'il est temps de faire le bilan, et de voir comment on peut relancer l'UE sur d'autres bases.
Q- F. Rivière : Faut-il un traité ou une constitution ?
R- Il faut un nouveau traité, je le pense profondément.
Q- F. Rivière : Et le soumettre par référendum à nouveau ?
R- Voilà. D'abord, on a peut-être une première étape, c'est la présidence française : quelle sera l'attitude du Gouvernement français nouvellement élu lors de cette présidence ? Est-ce qu'il mettra à l'ordre du jour, justement, le débat sur un nouveau traité ? Ensuite, on a les élections européennes en 2009, qui peuvent être un moment fort pour les électeurs des différents pays de l'UE pour exprimer des choix. Ensuite, il faudra en effet, je le souhaite, ratifier un nouveau traité par référendum. Bien sûr, c'est le choix de chaque pays ; moi je souhaite que la plupart, la totalité des peuples composant l'UE soit consultée par référendum.
Q- F. Rivière : Toujours en matière de changement, vous être favorable à une VIème République, c'est un peu l'idée à la mode dans cette campagne... Quelles sont les priorités en matière de changements institutionnels, selon vous ? Souhaitez-vous réduire les pouvoirs du président de la République, introduire la proportionnelle dans tous les scrutins ?
R- Oui, pourquoi ? Parce que aujourd'hui, on a l'impression d'être dans une sorte de monarchie présidentielle où les citoyens sont considérés un peu comme des gens analphabètes, à qui il faut expliquer le bien-fondé de la loi qu'on vient d'adopter. Or on l'a encore vu en 2005 que nos concitoyens sont tout à fait aptes à comprendre les grand enjeux du monde, sont out à fait aptes à décortiquer des tests, à comprendre et à s'en mêler. Donc je crois qu'il faut donner plus de place à une véritable démocratie participative au niveau de l'Etat. Cela demande en effet de faire en sorte que le rôle du président de la République, comme c'est le cas dans beaucoup de pays de l'UE, soit un rôle réduit au respect de la Constitution, à l'unité du pays et que ce soit l'Assemblée nationale qui voie son rôle revalorisé, une Assemblée nationale élue à la proportionnelle, et à parité, et qu'elle ait vraiment l'initiative des lois. Je pense également qu'il faut modifier le rôle de la deuxième chambre ou du Sénat faire en sorte que ce soit certainement une chambre soit une chambre de liaison entre l'Assemblée nationale et l'initiative citoyenne. Je propose que l'on puisse avoir des initiatives citoyennes sur la loi comme sur le référendum. Donc le Sénat pourrait jouer ce rôle de réceptacle de ces initiatives citoyennes.
Q- F. Rivière : Quelques mots sur la campagne et votre situation aujourd'hui dans les sondages - il en pleut tous les jours... Vous êtes créditée de 2 à 3 % - 3 % dans la dernière livraison de BVA. En 2002, R. Hue avait obtenu 3,37 % des suffrages au premier tour, si vous faites moins, est-ce que c'est l'arrêt de mort du PCF ?
R- Non, parce que la vie politique ne se réduit pas à l'élection présidentielle. Il y aura besoin, demain, des militants et des militantes communistes, des élus communistes du groupe à l'Assemblée nationale et au Sénat, des élus aux Conseils généraux et régionaux, des maires communistes - on est près de 13.000 - pour être aux côtés des salariés, des habitants. Je l'espère, dans le cadre, d'une victoire de la gauche pour construire à gauche de véritables réponses, et si par malheur c'était la droite qui était majoritaire, pour se battre contre les politiques réactionnaires qui seraient menées. Donc, pour moi, il n'y a pas de "mort" du PC, ce que je souhaite, c'est que...
Q- F. Rivière : On se souvient de l'influence et de l'importance du PC de l'après-guerre, des années 50, 60, 70 et même du début des années 80. On est très, très loin de cela. Qu'est-ce qui pourrait aujourd'hui le relancer, et lui redonner un peu de vigueur ?
R- Peut-être réfléchir ensemble. Aujourd'hui, que deviendrait la gauche s'il n'y a plus de PCF ? Où ira la gauche ? On voit bien que le danger, c'est que la gauche, petit à petit lorgne vers le centre et ne porte plus les propositions alternatives, les idées, les valeurs...
Q- F. Rivière : Oui mais les Français regardent aussi vers une gauche
plus extrême encore...
R- Oui. Vous savez, il y a deux conceptions du combat politique : on peut avoir un combat politique qui se réduit à un témoignage, c'est-à-dire qu'on est dans les propositions, comme ça, mais on ne se mêle de la gestion. Je pense que si l'on veut vraiment mener un combat de gauche, il faut à la fois avoir le courage de porter un projet à gauche qui contre les logiques libérales ; j'ai parlé tout à l'heure de l'Europe, on a parlé de la redistribution de [inaud.], on a parlé de la VIème République, mais aussi une politique de gauche que l'on veut mettre en oeuvre, donc construire une nouvelle majorité à gauche et participer à un Gouvernement de gauche porteur d'une telle politique antilibérale.
Q- F. Rivière : Votre participation serait-elle conditionnelle ?
R- Notre participation au Gouvernement est conditionnelle à la politique qui serait menée par ce gouvernement.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 avril 2007