Interview de Mme Marie-George Buffet, députée PCF et candidate à l'élection présidentielle 2007, à Europe 1 le 19 avril 2007, sur sa stratégie dans la campagne électorale pour mettre en avant la nécessité d'une "politique pleinement à gauche".

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


Q- J.-P. Elkabbach : Vous êtes la 11ème candidate invitée des "Matinales d'Europe 1", diffusées à la radio, évidemment sur Europe 1, et en son et images sur Europe1.fr. Avec M. Tronchot et A. Leroy, nous vous voyons grâce à la Web-camera, qui est dans le studio d'Europe 2 à Nice. Vous êtes à Nice où vous avez plusieurs meetings. Presque chaque candidat nous a annoncé une surprise. Quelle est ce matin la surprise Buffet ?
R- Une surprise, c'est surtout aller jusqu'au bout de la campagne, essayer de faire en sorte qu'on relève le gant de la gauche. Je suis un peu soucieuse d'entendre toutes ces rumeurs qui courent sur une possible alliance d'une partie de la gauche avec le centre. Il faut que la gauche soit bien elle-même, il faut qu'elle porte ses valeurs, ses combats. Donc j'ai envie de donner ce sens à ma candidature pour les derniers jours qui restent.
Q- J.-P. Elkabbach : De ville en ville, on voit bien que vous prêchez avec beaucoup d'authenticité et de mérite d'ailleurs, et pourtant ce sont les quatre "grands" qui se détachent en tête. Est-ce que, comme beaucoup disent, les carottes sont cuites et même brûlées ?
R- Non, les carottes ne sont pas cuites. Vous avez très bien qu'on a encore beaucoup d'hommes et des femmes qui sont indécis dans leur vote, même si ils ont fait parfois un premier choix, ils ne sont pas sûr de le maintenir jusqu'au bout. Alors, c'est vrai qu'on a l'impression qu'il n'y a plus de premier tour à cette élection présidentielle, et que le choix des Français et des Françaises serait d'éliminer le plus pire en prenant le moins pire, entre les quatre qu'on leur présente. Donc, j'ai envie de dire : écoutez, essayez de voter pour vous, pour résoudre vos problèmes, essayez de voter pour vos idées, pour vos luttes, pour les aspirations que vous avez, c'est-à-dire utile.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais pourquoi faut-il le dire si souvent pour que les gens soient convaincus, alors que cela devrait être une évidence ?
R- Mais parce que depuis des mois et des mois, quelque part on les enferme dans le second tour. On a dit : c'est d'abord le choix N. Sarkozy/S. Royal ; ensuite, il y a eu "le troisième homme" ; maintenant nous avons le quatuor avec Le Pen dans son château de Saint-Cloud. Et on dit...Voilà, maintenant le choix se réduit à cela. J'ai envie de dire "non", le choix d'une élection ne se réduit pas à éliminer l'un pour laisser l'autre en place.
Q- A. Leroy : Votre slogan, si j'ai bien lu, c'est "Et si le vote utile c'était le vote communiste ?". Visiblement, F. Hollande n'y croit pas du tout, il l'a encore redit hier soir : pour les socialistes, le vote utile, c'est eux, quoi ?
R- Mon slogan c'est "battre la droite et réussir à gauche". Et battre la droite, ça demande qu'il y ait une véritable dynamique parmi le peuple de gauche. Pour cela, il ne faut pas écrabouiller les autres sensibilités de gauche. Au contraire, il faut faire en sorte que ces sensibilités puissent s'exprimer au premier tour, et c'est comme ça je pense qu'on aura la dynamique nécessaire pour battre la droite au
second. Je crois que l'idée qu'il faut tous être comme un seul homme derrière S. Royal, ne permettra pas à la gauche de gagner. Il faut au contraire que ceux et celles qui à gauche ont envie d'une gauche qui porte vraiment des réformes audacieuses, se regroupent sur ma candidature et ça permettra en effet qu'on se rassemble au second tour.
Q- J.-P. Elkabbach : Justement, dimanche, un homme ou une femme, ou un jeune, qui vous est favorable, est-ce qu'il vote pour M.-G. Buffet de la gauche populaire et antilibérale, ou pour le PC ?
R- Il vote pour le PC qui porte cette idée de rassemblement à gauche, un rassemblement d'une gauche populaire qui est bien ancré dans la satisfaction des besoins des hommes et des femmes.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais pourquoi vous prenez vos distances vous-même avec le PC alors que vous en êtes la secrétaire nationale en exercice ?
R- Si je prenais mes distances avec le PCF, il n'y aurait pas sur mes affiches : "soutenue par le PCF".
Q- A. Leroy : C'est en tout petit, ça...
R- Non, mais écoutez, ça vraiment n'a aucune signification. Je suis communiste, je le reste, et je suis vraiment très attachée à ce combat. Mais je porte depuis 2002 ce désir, avec tous les camarades, ce désir de rassemblement, c'est-à-dire, ce que nous avons fait d'ailleurs au mois de mai 2005 contre le Traité libéral pour l'Europe.
Q- J.-P. Elkabbach : A l'époque, on nous avait annoncé un grand mouvement populaire. On regarde avec une loupe et on ne le voit pas... On voudrait peut-être mais on ne le voit pas...
R- C'est vrai que d'autres sensibilités à gauche ont préféré jouer leur partition. Certaines pensent qu'il
n'y a pas de possibilité de créer les conditions d'une majorité de gauche portant une politique pleinement à gauche. Je pense que ça doit être l'objectif qu'on se donne, l'objectif ne doit pas être la division, ne doit pas être des candidatures témoignages, qui ne débouchent sur rien pour les hommes et les femmes de ce pays, qui souffrent énormément notamment avec les suppressions d'emplois, avec les bas salaires. Donc, je pense qu'au contraire il faut travailler à ce rassemblement.
Q- J.-P. Elkabbach : C'est émouvant de vous entendre, parce que c'est vrai que vous battez, vous êtes sur le front des luttes, vous êtes sincère, vous répétez sans arrêt "rassemblement", "dynamique", mais on voit rien venir.
R- C'est peut-être votre impression à vous, moi je fais une campagne qui est une campagne magnifique parce que beaucoup d'hommes et de femmes adhèrent aux propositions que nous faisons. C'est vrai qu'il y a le vote utile qui pèse, c'est vrai, personne ne peut se le cacher, c'est ce que je rencontre dans toutes les discussions que j'ai. Beaucoup d'hommes et de femmes à qui on a fait peur se disent : "Mais je ne veux pas revivre le traumatisme du 21 avril !" Et moi non plus je ne veux pas revivre ce traumatisme. Mais j'ai envie de leur dire que les sondages montrent que nous ne sommes pas dans cette voie-là puisqu'il semblerait maintenant que soit assurée la présence de S. Royal et N. Sarkozy au second tour. Mais surtout, réfléchissons à ce qui a provoqué le 21 avril 2002 : ce qui a provoqué le 21 avril 2002, c'est une gauche qui a renoncé, donc qui vous a déçus, et donc vous l'avez sanctionnée. Eh bien, si ne voulez pas qu'il y ait de nouveaux 21 avril dans les années qui viennent, parce que de nouveau la gauche vous a déçus...
Q- J.-P. Elkabbach : Là, on est à trois jours...
R- Oui, mais justement, il faut le répéter. Moi, je rencontre tous les jours des hommes et des femmes qui hésitent en effet entre le vote pour cette gauche populaire que je porte, et puis un vote du moindre mal, parce qu'il y a cette peur par S. Royal. Eh bien je leur dis : faites preuve de courage, de responsabilité, parce que si demain...
Q- J.-P. Elkabbach : Vous leur dites : ne votez pas pour elle au premier tour ?
R- Mais oui, parce que si demain nous n'avons pas les forces, le PCF, justement, face à la droite, si par malheur elle passait, de mener les combats nécessaires, mais si par bonheur c'est la gauche qui passe, de mener justement ce débat à gauche pour que les grandes réformes nécessaires soient accomplies, eh bien il ne se passera rien à gauche et de nouveau on sortira les sortants.
Q- M. Tronchot : C'est anecdotique mais c'est symbolique : l'ancien Président Giscard d'Estaing, père fondateur de l'UDF, a décidé de soutenir N. Sarkozy et pas F. Bayrou. C'est un atout pour M. Sarkozy ou c'est une vexation pour M. Bayrou ?
R- Ecoutez ! Ce n'est d'abord pas une surprise. Enfin... Tous les positionnements de monsieur Giscard d'Estaing vont dans le sens des politiques menées par la droite au pouvoir. On se rappelle comment il avait mené d'ailleurs cette campagne pour le "oui" à l'Europe libérale. Donc pour moi, je dirais que ça fait ni chaud ni froid.
Q- M. Tronchot : Vous pensez que l'UDF est plus à droite d'une certaine manière, en tous les cas quand on reprend sa fondation par VGE, que peut-être l'électorat du RPR devenu celui del'UMP aujourd'hui ?
R- Lorsque vous regardez, honnêtement, les programmes de MM. F. Bayrou et Sarkozy, vous retrouvez les mêmes objectifs, les mêmes intonations. Nous sommes face à des hommes de droite qui sont des hommes de droite qui portent une politique libérale, avec : "levons les contraintes pour les entreprises", "licencions plus facilement", "augmentons la part de la charge des salariés sur la protection sociale", etc. C'est le même discours.
Q- J.-P. Elkabbach : Vous avez dit dans un de vos meetings d'hier, ça nous a frappés, que N. Sarkozy vous fait beaucoup rire. Vous voyez, tout arrive. Dans ses discours, vous dites : "Il cite Jaurès, G. Môquet, le philosophe italien Gramsci. Et bientôt, vous dites, Sarkozy va nous citer Lénine". Et si les communistes récupéraient Lénine, il ne le ferait plus !
R- La question ce n'est pas de récupérer Lénine, ce n'est pas de parler du passé. La question c'est de construire une politique qui permette de changer la vie de notre pays aujourd'hui. Qu'est-ce que dit, qu'est-ce que fait M. Sarkozy ? Il n'arrête pas de parler des travailleurs et des travailleuses, des ouvriers et des ouvrières. Mais qu'est-ce qu'il nous propose ? Il nous propose les consignes que lui a données quelque part Mme Parisot. Et je prends des exemples précis : par exemple...
Q- J.-P. Elkabbach : Elle lui donne des consignes, Mme Parisot ?
R- Non, mais enfin, on a bien vu comment elle a donné des consignes aux candidats, comme elle a dit, en sortant son Livre Blanc, avec ce rêve d'un contrat, comme elle dit - elle a des formules extraordinaires -"un contrat à durée indéterminée de mission à rupture préposée". Cela veut dire : vous faites une mission et ensuite, vous n'avez plus qu'à partir. Mais c'est un peu l'état d'esprit de N. Sarkozy lorsqu'il propose un CNE, vitam æternam.
Q- M. Tronchot : Deux choses : vous accordez un certificat de femme de gauche à Mme Royal ? Quand vous la voyez aller voir les salariés de PSA, aller soutenir les caissières du supermarché plutôt que d'aller honorer les rendez-vous avec la presse, puisqu'elle en parlait hier soir, elle n'est pas en train de vous imiter d'une certaine manière ?
J.-P. Elkabbach : Ou vous écouter peut-être, parce que vous lui avez dit : "barre à gauche !"
R- Ce que j'espère, c'est que la gauche mène une politique qui soit vraiment à gauche. Le PS, aussi bien dans son programme que...
Q- J.-P. Elkabbach : Vous voulez dire qu'il ne le fait pas ?
Q- M. Tronchot : Répondez-moi sur elle.
R- Je vais vous répondre. Et Mme S. Royal, en portant ses propositions, ne se donne pas les moyens de mener une politique vraiment à gauche. Il ne suffit pas d'aller à la porte d'une entreprise. Il faut aussi faire des propositions précises sur la redistribution de l'argent, à la fois au niveau des salaires, mais également au niveau d'une grande réforme fiscale. Je suis pour l'augmentation des impôts, des tranches d'impôts sur le revenu.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais par exemple, à l'égard des jeunes, S. Royal...
R- C'est fini par rapport à S. Royal, puisque vous m'avez demandé de répondre sur elle...
Q- J.-P. Elkabbach : Non, mais elle vient de faire une proposition.
R- Ensuite, il faut se positionner par rapport à l'Union européenne. Il faut qu'une gauche au pouvoir ait le courage de dire... qu'elle sorte du consensus libéral, et qu'elle exige qu'on ait un débat sur un nouveau traité fondateur de l'Union européenne, sinon on ne pourra pas mener une politique pour recréer des services publics dans notre pays.
Q- M. Tronchot : Le contrat première chance qu'elle propose, il est d'inspiration de gauche ou d'inspiration Villepin ? Vous le soutenez ou pas ?
R- Non, je ne le soutiens pas, comme les organisations de jeunes, pourquoi ? Que demandent les jeunes ? Ils demandent de pouvoir poursuivre leur études le plus loin possible pour avoir la meilleure qualification et ça c'est nécessaire pour les jeunes et c'est surtout nécessaire pour le développement de notre économie. C'est pour ça que je propose une allocation d'autonomie afin de leur permettre de poursuivre leurs études...
Q- J.-P. Elkabbach : Mais le contrat Première chance qu'elle vient de relancer, n'est-ce pas une occasion justement d'aider les jeunes à passer par étape, vers le travail ?
R- Mais non, c'est la même chose que la CPE. On dit aux jeunes - le CPE c'était pendant deux ans ; vous êtes pendant deux ans tout le temps à l'essai et puis ensuite on ne sait pas. Et là, on nous dit : pendant un an, on va prendre en charge tous les salaires, toutes les charges sociales par les collectivités régionales, donc par les impôts des familles, les employeurs eux n'auront plus ces charges et ces salaires à payer mais après cette année, que se passe-t-il ? Donc les jeunes veulent entrer dans l'emploi normalement, ils veulent entrer dans l'emploi par un contrat à durée indéterminée, avec bien sûr une période d'essai comme c'est le cas dans le code du travail aujourd'hui. Et moi je pense qu'il faut aller plus loin, il faut aller vers une sécurité d'emploi et de formation, c'est ce que demandent les organisations syndicales, c'est-à-dire sécuriser le parcours
professionnel...
Q- J.-P. Elkabbach : C'est exactement ce que vous avez dans votre programme.
Q- A. Leroy : Quand vous dites ça, justement, "sécuriser l'emploi et la formation pour en terminer avec le chômage", est-ce que finalement on peut décréter le plein emploi ?
R- On peut décréter que chaque individu doit être garanti dans son accès à l'emploi, à la formation et dans le maintien de ses revenus. Cela veut dire qu'il est possible en effet qu'une entreprise, pour différentes raisons - moi j'interdirais les licenciements boursiers mais il est possible qu'une production s'arrête - à ce moment-là, il faut que les salariés concernés puissent percevoir des revenus identiques et puissent être reconduits, accompagnés vers un nouveau travail, grâce, si nécessaire, à des périodes de formation. Cela demande bien sûr que la formation redevienne un très grand service public.
Q- A. Leroy : Vous misez beaucoup sur le vote des jeunes, en tout cas sur celui des moins de 25 ans, je crois qu'il y en a 8000, vous l'avez dit, qui ont rejoint le PCF. Vous êtes très confiante mais visiblement tout indique en fait qu'ils sont plus attirés par J. Bové et O. Besancenot ?
R- Ecoutez, je m'adresse aux jeunes comme je m'adresse aux autres catégories de la population. Pourquoi ? Parce que je pense que les jeunes depuis 2002, ont témoigné d'une volonté de changement à travers les différentes luttes qu'ils ont menées et je pense notamment à leur grande mobilisation contre le contrat "Première embauche", le "contrat Précarité poubelle", comme ils l'appelaient. Donc je m'adresse à eux mais comme je m'adresse à l'ensemble des salariés, je vais dans les nombreuses entreprises et ce que je constate, c'est que cette précarité au travail envahit maintenant tous les domaines et j'ai envie de dire toutes les catégories sociales et que cette question de sécuriser l'emploi professionnel est une question essentielle pour l'avenir de notre pays.
Q- M. Tronchot : Qu'est-ce qui vous différencie d'ailleurs de candidats comme O. Besancenot sur le plan des propositions économiques ?
R- Peut-être que sur les propositions on se retrouve, la question c'est quelle ambition on se donne ?
Q- M. Tronchot : Pourquoi il est devant vous, alors dans les intentions ?
Q- J.-P. Elkabbach : Pourquoi vous êtes là tous les deux, tous les trois avec J. Bové, quatre, cinq -
je vais remuer le couteau : n'aurait-il pas été plus efficace que vous soyez un ? C'est dommage que les Narcisse aient préféré leur ego à l'union ? Cela aurait été tellement plus efficace.
R- La Ligue Communiste Révolutionnaire que représente O. Besancenot n'a jamais été membre en tant
que telle des collectifs unitaires antilibéraux. Parce qu'ils n'ont pas fait le choix de ce rassemblement dès le début. Ils ont fait le choix de penser qu'il n'y aurait pas de possibilité de majorité et donc qu'il valait mieux rester dans l'opposition et faire des candidatures témoignages. Ensuite, les collectifs antilibéraux ont choisi ma candidature à deux reprises, d'autres ne l'ont pas acceptée, voilà. La question aujourd'hui est de porter un message constructif à gauche. C'est-à-dire de faire en sorte que la gauche gagne mais qu'elle gagne pour réellement résoudre les problèmes que connaissent les hommes et les femmes de ce pays.
Q- J.-P. Elkabbach : Quelles sont vos conditions, vos attentes, pour que vous recommandiez au deuxième tour un vote Royal ?
R- Là-dessus, je ne suis pas pour négocier quoi que ce soit, c'est une question pour moi de bon sens. Au deuxième tour, toute la gauche - TOUTE LA GAUCHE -doit se rassembler pour battre la droite.
Q- J.-P. Elkabbach : Vous ne demandez pas qu'elle prenne ceci ou cela de votre programme ?
R- Mais non, je porte toute une campagne, je porte tout un projet cohérent avec les moyens financiers, les moyens démocratiques, les moyens au niveau de l'Union européenne, pour que ce projet soit réaliste et soit mis en oeuvre. Et je ne vais pas dans un coin de table négocier un désistement au second tour. Face à Sarkozy comme face à Bayrou ou face à Le Pen et d'autres, face à cette droite et cette extrême droite...
Q- J.-P. Elkabbach : Vous les mettez tous dans le même sac ?
R- Non, je ne les mets pas tous dans le même sac, je pense encore, je l'ai dit hier soir lors de mon meeting, j'espère encore qu'il y a vraiment une droite républicaine et que cette droite ne sera pas emportée par des idées d'extrême droite, je tiens à cela. Je le dis, il faut que la gauche se rassemble pour battre la droite, c'est une évidence pour moi.
Q- M. Tronchot : L'hypothèse d'une participation des communistes ou de ce que vous appelez "la gauche populaire antilibérale" à un Gouvernement de gauche avec une présidence Royal par exemple, est-ce que c'est une hypothèse exclue ou pas ?
R- Ce n'est pas une hypothèse exclue...
Q- J.-P. Elkabbach : S'il y a victoire de la gauche ?
R- Mais oui, si la politique menée par ce Gouvernement permet d'avancer sur la résolution des problèmes. Si ce n'est pas le cas, non, je ne vois pas l'intérêt de participer à un Gouvernement. Nous serons avec nos élus...
Q- M. Tronchot : Y a-t-il des réformes symboliques qui pourraient vous amener véritablement à l'envisager ?
R- Mais je vous ai parlé tout à l'heure des trois grands leviers qu'il faut mettre en oeuvre, sinon on n'y arrivera pas : que ce soit l'Union européenne, que ce soit la grande réforme fiscale, la redistribution de l'argent et une véritable avancée démocratique dans l'entreprise comme dans la cité.
Q- J.-P. Elkabbach : Il y a une attitude chez S. Royal qui devrait vous rassurer : elle n'a pas cédé malgré les sollicitations à la tentation centriste.
R- Ecoutez, j'espère que cela va se poursuivre entre les deux tours.
Q- M. Tronchot : D. Strauss-Kahn veut qu'on arrête de le considérer comme un Premier ministre possible de F. Bayrou, s'il était élu président. Vous êtes rassurée ou vous pensez qu'il essaye surtout de préserver les chances d'être celui d'une présidente de gauche ?
R- Franchement, cela ne m'intéresse pas. La question c'est vraiment qu'au premier tour, si les hommes et les femmes de ce pays veulent qu'enfin la gauche réponde à leurs attentes, ne les déçoive pas de nouveau et que de nouveau on n'ait pas un retour de la droite et de l'extrême droite, il faut se rassembler pour une candidature qui porte cet objectif. Après, le positionnement de D. Strauss- Kahn, hier ou demain, cela a peu d'importance dans cette affaire.
Q- J.-P. Elkabbach : Si près du but, trois jours, sur quoi M.-G. Buffet, une telle élection se gagne t- elle ? Est-ce que c'est le programme, ce sont les réseaux, c'est le caractère ?
R- Je crois qu'il ne faut jamais lâcher sur les propositions parce que tous les débats que je fais depuis maintenant des semaines et des semaines, les hommes et les femmes que je rencontre me parlent emploi, santé, éducation, culture, recherche, Europe. Ce soir encore, pour mon dernier meeting, je reviendrai sur la présentation de mon projet, mais je consacrerai du temps à l'appel à la responsabilité. C'est-à-dire, faisons en sorte que demain la gauche existe toujours.
Q- J.-P. Elkabbach : Vous avez dit : s'il y a échec électoral, il y aura un débat au sein du Parti communiste ?
R- C'est normal.
Q- J.-P. Elkabbach : C'est peut-être normal, il y en aura même un au sein de tous les partis d'ailleurs. Il y a une recomposition en route, cela nous permet de voir avec une dimension historique. Mais ce débat aurait lieu avant ou après les élections législatives ?
R- Ecoutez, on va tout de suite entamer les élections législatives bien évidemment, c'est très important...
Q- J.-P. Elkabbach : Donc c'est vous qui conduirez le PC ou ce que vous appelez le rassemblement de la gauche antilibérale, populaire ?
R- Bien sûr mais vous savez, contrairement parfois aux images, à part quelques camarades qui sont partis, on a un parti très très mobilisé, très rassemblé, très fort dans cette campagne, il mène une très belle campagne. Je ne sais pas quel sera le résultat mais il a mené une très belle campagne sur le fond, sur le projet, essayant de rassembler à gauche et je pense que tout cela va se ressentir dans les législatives.
Q- M. Tronchot : Votre place de responsable national du parti ne peut pas être remise en question par un mauvais score au premier tour de l'élection présidentielle ? Ou est-ce qu'on en re-débat normalement chez les communistes, après ?
R- Il n'y a pas panique à bord, ne vous inquiétez pas, cela va très bien et on va mener ce combat des législatives tous ensemble.
Q- A. Leroy : Je me demandais ce que c'était pour vous qu'un échec électoral ?
R- Ecoutez, je n'ai pas de chiffres, ce n'est pas une question de chiffres, moi je suis dans l'état d'esprit d'aller jusqu'au bout, on verra les résultats dimanche...
Q- J.-P. Elkabbach : Vous dites d'aller jusqu'au bout, quel bout ?
R- D'aller jusqu'au bout de la campagne...
Q- J.-P. Elkabbach : Il n'y a aucune raison que vous n'alliez pas jusqu'u bout de la campagne. Qui pourrait vous en empêcher ?
R- Non mais je dis : voilà ce que je vais faire, je vais aller jusqu'au bout de la campagne, et si vous m'aviez laissé finir ma phrase, et puis je dirais vous verrez les résultats dimanche soir et à partir de là, on verra comment on se remobilise pour bien sûr le second tour, pour battre la droite et puis pour les législatives.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais à quel moment, vous seriez, vous, déçue de vos propres résultats ?
R- Je n'ai pas de chiffres, je serais déçue si...
Q- J.-P. Elkabbach : Non, mais au-delà des chiffres ? Qualitativement ?
R- Si vraiment j'avais l'impression que tout ce que j'ai senti dans cette campagne, toute cette sympathie, etc. ne donnait pas ses fruits, mais je ne suis pas dans cet état d'esprit.
Q- J.-P. Elkabbach : Et vous dites ce matin que vous conduiriez de toute façon le PC ou la gauche antilibérale vers les élections législatives ?
R- Mais bien sûr, il faut tout de suite se mettre en ordre de bataille pour les législatives.
Q- J.-P. Elkabbach : Un combat après l'autre.
R- Le premier combat, après dimanche, c'est le combat pour battre la droite dans 15 jours, il ne faut pas oublier celui-là, ce n'est pas fait encore, il ne faut pas oublier celui-là.
Q- J.-P. Elkabbach : Plus largement, il y a longtemps que j'ai envie de vous poser la question. Nous vivons un phénomène historique et j'ai envie de dire de longue durée. Depuis la chute du mur de Berlin, l'effondrement de l'URSS et des pays de l'Europe de l'Est et même avant, les partis communistes subissent une sorte de déclin presque inéluctable. Est-ce qu'ils sont condamnés à disparaître ?
R- Non, je ne le pense pas. Je pense que c'est vrai qu'il y a une formidable offensive pour créer dans de très nombreux pays une sorte de bipartisme sans qu'il y ait vraiment espoir de changement...
Q- J.-P. Elkabbach : Oui mais on retrouve des partis communistes refondés qui font partie de ces grandes vagues politiques dans le bipartisme. Moi je pense qu'il y a possibilité de créer une alternative à gauche, de faire en sorte que se lève une nouvelle majorité de gauche, très exigeante sur les propositions, très forte sur les valeurs, sur le sens de leur combat, sur un véritable projet de société, et je pense que le Parti communiste a toute sa place dans ce combat.
Q- M. Tronchot : Pourquoi ce que vous appeliez autrefois au Parti communiste la "classe ouvrière" continue à se tourner autant vers le Front national ?
R- Peut-être parce que justement la gauche ne répond pas à ses attentes, parce qu'elle ne lui redonne pas espoir. Peut-être que le principal objectif des hommes et des femmes qui composent mon parti, le parti auquel j'appartiens, doit être de s'adresser en permanence à eux, pas pour les culpabiliser mais pour leur dire tout simplement : on peut changer la vie. On leur a tellement dit qu'on ne pouvait plus changer la vie. Moi, je leur dis qu'il est possible...
Q- J.-P. Elkabbach : On leur a tellement dit qu'on allait changer la vie qu'ils finissent par croire que c'est un disque rayé.
R- Non, non c'est parce que la gauche a déçu. Il faut faire en sorte, justement, et c'est le sens de ma candidature, que la gauche ne les déçoive plus, c'est-à-dire qu'elle ait le courage d'affronter les logiques libérales, qu'elle ait le courage de prendre appui sur eux justement, ces hommes et ces femmes du monde du travail, pour lever les obstacles. On a besoin à la fois d'un Gouvernement d'une gauche de courage, et d'hommes et de femmes mobilisés pour faire en sorte que les obstacles se lèvent, et puis qu'une nouvelle politique voie le jour dans ce pays.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais il y a des rassemblements qui se produisent à l'échelle locale et qui incluent des socialistes et parfois même des UMP. Certains maires communistes ont composé des équipes municipales hétéroclites ou mixtes, je pense par exemple à monsieur A. Bocquet, maire de Saint-Amand-Les-Eaux. Il a choisi, si je sais bien, des socialistes, je crois même qu'il a des UMP dans son conseil municipal.
R- Je crois qu'A. Bocquet, qui est un homme de gauche, un militant communiste, un député communiste, a vraiment peur que la gauche relève le gant (sic), et j'ai fait des meetings avec lui...
Q- J.-P. Elkabbach : Non, mais cela veut dire qu'on peut ouvrir très loin.
R- Mais aux municipales, il faut conduire des listes d'hommes et de femmes de gauche, d'hommes et de femmes de progrès, d'hommes et de femmes qui sont intéressés à être ensemble sur un programme, pour faire en sorte que les populations de ces villes avancent, connaissent le progrès social, la démocratie, aient accès à la culture. Donc, les municipales elles arriveront en 2008. Pour l'instant, il faut relever...
Q- J.-P. Elkabbach : Non, non, mais c'est au-delà des municipales : l'idée que l'on peut rassembler aussi à l'échelle nationale, en ouvrant...
R- Mais sur quelle politique au plan national on va ouvrir à la droite ? Enfin, écoutez ! Posons des questions toutes simples pour que chacun réfléchisse. Monsieur Bayrou, monsieur Sarkozy, ils sont pour la reconstruction des services publics ? Monsieur Bayrou et monsieur Sarkozy ils sont pour l'augmentation des salaires ? Ils ont dit le contraire tout au long de leur campagne. Ils ont même proposé une TVA sociale. Ils nous font un discours pour nous dire qu'il faut moins se soigner, etc. Et on va aller travailler avec eux ? Mais enfin ! Il faut que la gauche porte ses combats, il faut que la gauche justement réaffirme qu'une autre politique est possible, qu'il y a de l'argent disponible dans ce pays pour la mener, et qu'il y a, si on fait les réformes nécessaires, la possibilité que beaucoup de citoyens, de salariés, participent aux décisions qui les concernent. Donc, je pense que c'est ça qu'il faut donner, et là on relèvera un espoir à gauche.
Q- A. Leroy : J'ai lu pas mal de témoignages de gens acquis à votre cause, qui disent : oui, on va voter localement, il n'y a pas de souci, on va voter communiste, mais alors jamais à la présidentielle.
R- J'ai déjà répondu à cette question. C'est la question du vote utile. Eh bien, moi je les appelle, ces hommes et ces femmes à réfléchir d'ici dimanche. S'ils ne nous donnent pas les forces à travers la présidentielle, demain, d'apporter leur colère,leurs espoirs, leurs exigences à gauche, nous ne serons pas suffisamment efficaces pour le faire. Donc, nous continuerons à nous battre. Mais donnez-nous les moyens de mener à vos côtéscette bagarre pour que la gauche réponde à vos attentes.
Q- M. Tronchot : La valeur travail c'est une valeur de gauche ou est-ce une valeur de droite ? Mais le travail, c'est une valeur, oui, c'est une valeur qui demande reconnaissance et non pas plus de travail, plus d'heures supplémentaires pour gagner un peu plus, mais qui demande reconnaissance des qualifications, augmentation donc des salaires, qui demande formation tout au long de la vie, qui demande...
Q- M. Tronchot : Vous financez cela comment ? Parce que quand on voit votre programme - les
renationalisations, le SMIC à 1.500 euros dès l'été prochain, la retraite qu'on remet à taux
plein, etc.
R- Mais il y a de l'argent.
Q- M. Tronchot : Tout cela a un coût.
R- Mais bien sûr.
Q- M. Tronchot : ...Je veux dire il faut qu'il y ait une croissance aussi. Cela ne se décrète pas non, la croissance.
R- La croissance, il faut l'inciter. C'est pourquoi moi je pense qu'il faut que de nouveau l'Etat s'occupe de relancer une politique industrielle dans notre pays. Un pays ne peut pas se développer qu'à partir des services. Et pour cela, il y a plusieurs leviers possibles. Il faut responsabiliser les grands donneurs d'ordre par rapport à tout ce qui concerne les filiales, les équipementiers. On voit ce qui est en train de se passer dans l'automobile et qui commence à se passer dans l'aérospatiale. Il faut donc que les grandes compagnies soient responsabilisées par rapport à la pression qu'elles exercent sur les prix de leurs équipementiers. Deuxièmement, il faut, je crois, mettre en place un pôle financier public du crédit permettant d'aider les moyennes et les petites entreprises qui créent de l'emploi, qui consacrent des moyens à la recherche, à l'innovation technologique, de pouvoir se développer. Et puis, il faut une fiscalité intelligente. Il ne faut pas que l'impôt sur les sociétés touche de la même façon l'entreprise qui vise la financiarisation et puis l'entreprise qui cherche à maintenir une production de qualité respectueuse du développement durable. Tout cela ce sont des leviers que peut essayer un Gouvernement.
Q- J.-P. Elkabbach : Absolument, et on voit bien que, pour vous, le monde il est ou noir ou blanc.
R- Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je pense justement que nous sommes peut-être, avec les propositions que nous portons, ceux qui défendons réellement l'entreprise, donc le travail, par rapport à des prédateurs financiers soutenus par monsieur Sarkozy ou monsieur Bayrou. On a vu ce qui s'est passé à EADS quand même. Lorsqu'on va au bout de cette affaire, avec le plan Power 8, 10.000 suppressions d'emplois, et maintenant on apprend - je ne parle même pas de l'affaire Forgeard/Breton, parce que ça, j'ai dit ce que j'en pensais déjà à plusieurs reprises - mais maintenant, on apprend qu'Airbus Allemagne réembauche des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers, mais dans un cadre de contrat précaire, on se dit quand même qu'il serait bien que dans une entreprise comme celle-là, les syndicats et l'Etat qui est actionnaire, jouent réellement leur rôle pour le développement de l'entreprise.
Q- J.-P. Elkabbach : Mais l'Etat a peut-être déjà joué son rôle, et d'autre part...
R- En assurant les 8,2 millions à N. Forgeard ?
Q- J.-P. Elkabbach : Vous avez dit "l'affaire N. Forgeard/T. Breton". Mais T. Breton, ministre de l'Economie et des Finances, a démenti hier ce qu'on lui prête comme propos. Il faut peut-être tenir compte de l'avis de ceux qui s'expriment, quand on les attaque ou les accuse.
R- Mais alors, il faut savoir qui dit vrai, alors : les actionnaires ou T. Breton ?
Q- J.-P. Elkabbach : Eh bien, alors ? Demandez une enquête !
R- Eh bien, oui. Allons-y, faisons une enquête parlementaire sur ce qui s'est passé à EADS.
Q- J.-P. Elkabbach : C'est votre première élection présidentielle. Qu'est-ce que vous avez appris pour vous-même, de vous, et pour la suite politique ?
R- Peut-être la force..., la force...
Q- J.-P. Elkabbach : Attention ! On ne peut pas dire "la force tranquille", c'est à Mitterrand, récupéré par Mme Royal.
R- La force du projet que nous avons élaboré tous ensemble, les hommes et les femmes participant aux collectifs locaux, les militants. Et puis, un projet qui s'améliore tout au long de la campagne, parce qu'à la rencontre des salariés, à la rencontre des habitants, des hommes et des femmes concernés par tel ou tel problème - je pense à la culture, je pense à la recherche où j'ai eu beaucoup de rencontres - eh bien, nous améliorons ce projet. Et je sens que ce projet ce n'est pas un projet pour un tour à la présidentielle, il faudra continuer de le porter à travers les législatives et, après les législatives dans le combat quotidien, à la fois bien sûr en tant qu'élue mais aussi aux côtés des salariés, des hommes et des femmes qui, dans ce pays, mèneront des luttes. Donc, je pense qu'il faut vraiment dire tout simplement qu'une autre politique est possible. On nous a tellement dit le contraire. Eh bien, moi je suis en train de montrer que c'est possible.
Q- J.-P. Elkabbach : Merci Madame Buffet. D'élection en élection, comme le chantera peut-être tout à l'heure, N. Canteloup, avec Julie, d'élection en élection, on continue. Vous êtes infatigable.
R- Ce n'est pas que je suis infatigable, c'est qu'il y a beaucoup d'hommes et de femmes, aujourd'hui, dans ce pays, qui souffrent énormément, et je n'ai pas envie simplement de leur dire que je fais un tour de piste et puis qu'ensuite, j'arrête. J'ai envie de leur dire que demain, avec mes camarades, nous continuerons à être à leur côté, tout simplement.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2007