Texte intégral
L'Express : Que changeriez-vous dans la fonction présidentielle, du point de vue de la Constitution et de sa pratique, si vous étiez élu ?
François Bayrou : C'est le chef de l'Etat qui est élu au suffrage universel! Je propose donc de récrire l'article 20 de notre Loi fondamentale: «Le président détermine la politique de la nation et le gouvernement la conduit.» Dans la pratique, il faut que le président soit présent devant les Français, qu'il porte la politique et les réformes, au lieu d'être lointain. Qu'il assure, devant le peuple des citoyens, et rassure, s'il le peut, sur les grands choix qui sont devant nous. A lui d'en faire la pédagogie et d'en porter sur les épaules la responsabilité. Le président ne se dissimule pas derrière le gouvernement et il considère le peuple comme un partenaire à part entière; les choix ne doivent donc pas être faits en dehors de lui, mais avec lui.
L'E. : Jusqu'à quel point le président doit-il être un chef de la majorité? Jusqu'à quel point reste-t-il un arbitre ?
F. B. : Le président n'est pas le chef de la majorité! Il est l'élu de tous les Français. D'ailleurs, l'idée d'un chef de la majorité est en elle-même un dévoiement de nos institutions. Il ne faut pas mélanger l'exécutif et le législatif. Le principe de la République, c'est la séparation des pouvoirs. De Gaulle a gouverné alors que son parti n'avait pas la majorité à l'Assemblée nationale. Les majorités se font au Parlement sur des textes. Quant au président, son rôle est double: il rassemble et il entraîne. Dans son rôle de rassembleur, il tient compte de tout le monde; il ne représente pas un parti ni une coalition. Mais, devant le pays, il assume une politique, comme de Gaulle le faisait - et Dieu sait que personne n'aurait soupçonné de Gaulle de ne représenter que l'UNR [le parti du Général]!
L'E. : Comment moderniser la communication présidentielle ?
F. B. : Il faut que le président parle aux Français, souvent et normalement. Qu'il saisisse toutes les occasions disponibles. Le président américain s'exprime deux fois par jour: il plante son pupitre avec son emblème dans un champ ou dans une base militaire et il parle. Il accompagne ainsi la réflexion et la conviction du peuple des citoyens américains. Le président français doit faire la même chose. En France, le président parle le 14 juillet et le 31 décembre - les deux seuls jours où personne ne l'écoute, puisque les gens ont, à ces dates, autre chose en tête!
L'E. : Le style présidentiel est-il aujourd'hui dépassé ?
F. B. : La solennité et la simplicité peuvent aller de pair. Il n'y a pas de raison de se prendre pour l'élu des dieux: le président n'est que l'élu du peuple! Je serai un président citoyen. Je changerai le moins possible mes habitudes de vie. Je garderai mes liens avec mon village, pendant le week-end ou pendant les vacances. Je ne serai pas enfermé à l'Elysée. Je continuerai à rencontrer les Français, comme l'un des leurs, provisoirement investi de la fonction de les représenter, mais qui ne cesse pas d'être leur proche.
L'E. : Imaginez-vous le 14 Juillet très différent de ce qu'il est aujourd'hui? Et la garden-party ?
F. B. : Je dois vous avouer que je n'ai pas réfléchi à la garden-party. Le président est à la fois chef d'Etat, avec ce que cela a de solennel, et le premier des citoyens, avec ce que cela a de simple et de juste. Je veux une simplicité des attitudes, une capacité à marcher dans la rue avec une surveillance discrète, etc. Les gens qui ne se promènent qu'avec un mur de gardes du corps autour d'eux ne peuvent pas parler à leurs concitoyens. De ce point de vue, François Mitterrand, qui arpentait tranquillement les rues de Paris, est plus proche du comportement que je veux avoir.
L'E. : Votre pari de recomposition de la vie politique repose entièrement sur votre personne. N'accentuez-vous pas ainsi l'aspect présidentialiste de la Ve République ?
F. B. : L'élection présidentielle est l'élection majeure. Seule l'irruption du peuple souverain dans le jeu politique, bien rodé, permet de changer les choses. La majorité présidentielle sera constituée sur le critère du soutien à la nouvelle démarche qui fera travailler ensemble des Français d'un bord et de l'autre. Je n'ai aucune tentation du culte de la personnalité! C'est une majorité non pas autour d'un homme, mais autour d'une démarche et d'un projet - même si l'homme compte aussi, bien sûr.
L'E. : Quel rôle incombe au Premier ministre ?
F. B. : Il met en oeuvre la politique définie pour le pays, en est responsable devant l'Assemblée nationale. Il est le coordinateur et le metteur en musique de tout ce qui est fait.
L'E. : Vous souhaitez une vingtaine de ministres. Faut-il modifier l'architecture gouvernementale ?
F. B. : L'architecture actuelle est trop éparpillée. Je veux un gouvernement plus compact, sans ministres délégués. Je souhaite un n° 2, chargé du long terme, donc du plan, de la prospective, du durable, en matière d'environnement comme en matière de société. Il y aura toujours un ministère de l'Education, de l'Intérieur, de l'Economie, etc. En revanche, je changerai le rôle des secrétaires d'Etat: ils doivent être non pas de petits ministres, mais des chefs de commando pour des missions ponctuelles, avec des équipes restreintes. Idéalement, ils devraient pouvoir demeurer députés. Ils seraient ainsi mis au banc d'essai et formés en même temps.
L'E. : Des exemples ?
F. B. : On doit remettre en question les statistiques, qui sont mensongères dans notre pays. Regardez les chiffres de l'emploi: on ne compte même pas les chômeurs d'outre-mer, c'est dire! Voilà une mission commando. Je songe aussi à des missions sur l'énergie ou à la politique de prévention des conséquences de certains produits chimiques sur la santé.
L'E. : Comment serait conduite la réforme des institutions que vous préconisez ?
F. B. : Pendant l'été, j'organiserai une réflexion avec toutes les grandes forces politiques du pays et nous bâtirons les institutions les plus justes possible, avec la restauration du rôle du Parlement, une nouvelle loi électorale - 50% des députés élus à la proportionnelle - et des dispositions pour l'investiture de tous les corps de contrôle de la République. Il y aura un référendum quand sera terminé le travail de maturation, pour que tout le monde ait la certitude que les réformes sont expliquées, comprises et justes.
L'E. : A part la nomination d'un chef de gouvernement, quel serait votre premier acte fort de président ?
F. B. : Mon premier acte de président sera d'ouvrir avec les organisations syndicales et patronales, ainsi qu'avec le Conseil économique et social, une réflexion sur la social-économie que je souhaite: la création de deux emplois sans charges par entreprise, le plan de lutte contre l'exclusion, les heures supplémentaires, l'intéressement des salariés aux bénéfices et la question plus large de la simplification, enfin, le «Small Business Act», une loi de protection et de soutien des PME. Entre son installation à l'Elysée, à partir du 17 mai, et jusqu'au second tour des législatives, le 17 juin, le président prépare la réflexion de la nation et la délibération du Parlement sur ces sujets.
L'E. : Et le président que vous seriez jouerait un rôle actif ?
F. B. : Oui, il s'y colle. Il n'est pas dans son Olympe, enfermé rue du Faubourg-Saint- Honoré. Bien sûr, il ne mène pas le détail des négociations, mais il saisit le pays en lui montrant l'impact et les conséquences des choix qui doivent être faits.
L'E. : Et si les partenaires sociaux s'opposent à ces changements ?
F. B. : Après un vote du peuple français, ils ne s'y opposeront pas, vous verrez... Et, s'ils ont des objections, elles méritent d'être entendues.
L'E. : Vous réfutez la théorie des «100 jours», qui consiste à faire passer les réformes les plus dures dans la foulée d'une élection. Le gouvernement Balladur, auquel vous apparteniez, avait réalisé ainsi une réforme des retraites.
F. B. : Avec le temps, j'ai pris conscience de ce que cette méthode de passage en force coûtait à l'idée même de réforme. Cela a donné à la société française le sentiment qu'il fallait toujours être sur ses gardes, que les réformes risquaient toujours de vous tomber sur la tête sans qu'on vous le dise. De là vient, pour une part, la peur des réformes. Quand on agit dans le dos des Français, ils n'ont qu'un seul recours, la rue. De plus, seuls les salariés du privé étaient concernés, les régimes spéciaux, parce qu'on les craignait, étaient soigneusement laissés de côté. Ma méthode, au contraire, ce sera la réforme en continu, la réforme assumée, pédagogique, non traumatisante parce que non matraquée.
L'E. : Si vous êtes élu, en quoi la vie des Français aura-t-elle changé à la fin de l'année 2007 ?
F. B. : Beaucoup de choses auront changé ! Notre démocratie, d'abord, avec, pour la première fois depuis cinquante ans, une majorité centrale, qui fera travailler ensemble des socialistes, des démocrates et des gaullistes. La situation de l'emploi, par le dégel de centaines de milliers d'embauches - les deux emplois sans charges devront être applicables au 1er septembre ou au 1er octobre; il y aura eu un grand plan de lutte contre l'exclusion. Et j'aurai commencé la réconciliation des Français avec l'Europe, et de l'Europe avec la France.
L'E. : Donneriez-vous un coup de pouce au Smic le 1er juillet ?
F. B. : Je suis favorable à une évolution régulière du Smic, sans à-coups, qui suivra l'évolution de la productivité du travail. Mais je ne veux pas «smicardiser» la société française.
L'E. : Vous dites réfléchir à la création d'une TVA sociale. Etes-vous favorable à son expérimentation ?
F. B. : Je ne sais pas ce qu'en la matière l'idée d'expérimentation signifie. L'idée de la TVA sociale est de compenser une baisse des charges pesant sur les salaires par une augmentation du taux de la TVA, notamment pour que les objets manufacturés en France coûtent moins cher que ceux qui sont fabriqués à l'étranger. Expérimenter reviendrait à créer un nouveau taux de TVA, disons de 25%, par exemple pour l'industrie du meuble. Or la réglementation européenne ne permet pas de créer un taux pour un secteur particulier. En revanche, donner aux entreprises la possibilité de créer deux emplois sans avoir à payer de cotisations pendant cinq ans, comme je le propose, est une manière d'expérimenter, sur la France entière, la baisse du coût du travail. Au bout de deux ans, la mesure sera évaluée et l'on verra si l'allègement des charges sociales crée de l'emploi.
L'E. : L'Europe est absente de cette campagne. Vous-même ne l'évoquez qu'à la page 18 de votre programme, qui en compte 20. Quelle sera votre priorité en la matière ?
F. B. : Je commencerai, dès le mois de mai, une tournée européenne pour une série de rencontres - ce seront mes premiers voyages à l'étranger: la commission de Bruxelles, la chancelière allemande, Angela Merkel, le chef du gouvernement italien, Romano Prodi, le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. J'entretiens avec eux une longue familiarité, nous aurons à prendre la décision d'écrire un nouveau Traité européen qui soit lisible, court, compréhensible. L'Europe est une urgence, et je le dis d'autant plus que je ne court-circuiterai pas sur ce sujet essentiel les citoyens français.
L'E. : En quoi changeriez-vous la diplomatie à la française, en quoi la prolongeriez-vous ?
F. B. : Dans ses grandes lignes, la diplomatie française est juste: la France refusant toute situation d'allégeance, se battant pour un monde multipolaire, à égalité de droits et de devoirs pour les grands piliers qui le constituent, la France défendant une idée de la planète dans laquelle les grandes régions du monde s'organisent en unions à vocation politique. Celles-ci n'effacent pas les nations, mais leur permettent de faire entendre leur voix - par exemple, celle de la France plaidant pour qu'il y ait un garant européen au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne peuvent plus jouer ce rôle à eux seuls. Et l'Europe est le précurseur de ces grands piliers.
L'E. : Quelle est l'erreur de votre campagne que vous voudriez corriger avant qu'il ne soit trop tard ?
F. B. : La dynamique de cette campagne est formidable. Le changement dont beaucoup de Français rêvaient sans y croire est maintenant à portée de main. Je donnerai toutes mes forces, et mon équipe aussi, dans les quatre semaines qui viennent, comme jamais auparavant, pour que ce souffle nouveau l'emporte, et renverse les citadelles du passé.Source http://www.bayrou.fr, le 20 avril 2007