Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP et candidat à l'élection présidentielle, à France Inter le 2 mai 2007, sur le débat télévisé prévu avec Ségolène Royal et sur les conséquences de mai 1968 sur la vie politique et sociale de la France.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand A l'heure où on parle, il y a plus de deux millions de Français qui nous écoutent, mais ce soir, N. Sarkozy, pour le débat avec S. Royal, ils seront sont doute une vingtaine de millions. Ce n'est vraiment pas une journée comme les autres. Comment vous allez vous y préparer ?
 
R.- Quitte à vous surprendre, c'est une journée de campagne présidentielle exactement comme les autres. Je savais en étant candidat à l'élection présidentielle qu'il y aurait un débat, que la campagne serait longue et la campagne pour l'élection présidentielle c'est un peu comme le Tour de France, moi qui suis passionné de vélo. Bien sûr il y a les étapes de montagnes, alors disons que nous serions soit dans les Pyrénées, allez ou soit dans les Alpes, l'Alpe d'Huez, mais chacun sait que pour ramener le maillot jaune sur les Champs Elysées il y a des étapes de plaines et que les étapes de plaines ça peut réserver de grandes surprises. La caractéristique...
 
Q.- ... oui, là c'est un contre la montre aujourd'hui ou pas ?
 
R.- C'est même une petite montagne, mais la caractéristique c'est qu'il faut être au rendez-vous dans les montagnes mais il ne faut pas être déconcentré dans la plaine, et voilà, c'est tout. Par ailleurs, je sais que les Français regardent ce débat avec beaucoup plus de sérénité que certains observateurs, ils ont une idée de madame Royal, une idée de moi-même, bien sûr, et ce que je souhaite c'est que ce débat leur permette de mieux comprendre les projets de l'un et de l'autre.
 
Q.- L'ancien président de la République, V. Giscard d'Estaing a déclaré ce matin que c'était "un moment absolument décisif dans cette campagne". Vous le pensez aussi ?
 
R.- Moi, je pense que chaque moment est décisif mais je ne suis pas de ceux qui, comment, dramatisent les enjeux d'un débat à ce point-là. Les Français réfléchissent beaucoup, rendez-vous compte, ils ont été 85 % à voter. Je me souviens, j'étais l'invité, votre invité avant les élections, on parlait, et là on disait alors que fera Le Pen ? Boum, il a perdu la moitié de ses voix ; que diront-les Français, est-ce que la campagne était passionnante ? 85 %, personne, absolument personne parmi vous, ne le prévoyait. J'étais moi-même bien loin de m'imaginer que les Français seraient 11,5 millions à me choisir dès le premier tour. Donc, je ne pense pas que les Français choisissent pour cinq ans un président de la République sur la seule impression qu'ils auront d'un débat de deux heures, même si celui-ci, naturellement, est important.
 
Q.- J.-M. Le Pen, hier, a déclaré qu'il appelait, pardon, à une abstention massive, il a appelé ses électeurs à profiter du pont du 8 mai et donc à ne pas aller voter. Votre réaction ?
 
R.- Alors, pour quelqu'un qui aime la France, qui appelle au civisme, au sursaut national, c'est curieux de demander aux citoyens de ne pas voter. Je suis sûr que les citoyens voteront. Et puis j'ai vu qu'il me mettait à égalité avec madame Royal, je suis sûr que ça vous rassurera beaucoup.
 
Q.- Vous dites quoi aux électeurs du Front national, qui ont entendu une consigne de vote claire ou de non vote, en l'occurrence ?
 
R.- Vous savez, les électeurs n'appartiennent à personne et moi je ne parle pas simplement aux électeurs du Front national, j'ai été l'un des premiers, peut-être d'ailleurs l'un des seuls, à parler à ces électeurs. Je ne vois pas pourquoi on doit diaboliser quelqu'un qui a choisi le Front national. On doit plutôt réfléchir, pourquoi a-t-il fait ce choix ? Pourquoi a-t-il choisi de porter son bulletin sur un parti d'extrême droite ? Les diaboliser, le leur reprocher, ça revient à dire à celui qui souffre, "tu as tort de souffrir". Moi, je veux comprendre. Or, je suis de ceux qui pensent que nous avons, nous, les partis républicains, une part de responsabilité dans la montée du Front national ces dernières années, nous ne parlions pas des sujets qui préoccupent les Français. Je me souviens ici même, vous m'aviez longuement interrogé sur l'identité, "mais enfin, monsieur Sarkozy, qu'est-ce qui vous prend, parler d'identité ?", vous m'aviez dit ça plus gentiment mais ça revenait un peu à ça.
 
Q.- Et vous ne m'aviez pas répondu d'ailleurs à l'époque !
 
R.- Si, si, je vous avais répondu, ce sont les Français...
 
Q.- ... si, je vous avais dit pourquoi un ministère de l'identité nationale, pourquoi un ministère, quelle loi prendrait-il ? Je n'ai pas eu les réponses.
 
R.- Si, vous êtes... c'est formidable que vous pensiez, je vous le dis très gentiment, que vous n'avez jamais tort. Les Français ont répondu à votre place, ils ont été 11 millions, 11,5 millions à considérer que c'était bien. Je vous ai expliqué que pour devenir français il fallait comprendre ce que c'était l'identité de la France et qu'il n'était pas anormal de joindre l'identité de la France et l'immigration parce que c'est à ceux qui nous rejoignent d'accepter les valeurs qui sont les nôtres. Mais vous aviez été parmi ceux, enfin je le dis gentiment, un petit peu choqué par cela. A l'arrivée, 85 % de participation. Cela devrait vous réveiller !
 
Q.- Mais on est bien réveillé là !
 
R.- Oui, oui, enfin, moi aussi, mais enfin, quand même, un petit peu, il y avait un petit peu de pensée unique dans tout cela, la pensée convenue.
 
Q.- Non mais c'était simplement une question qu'on peut se poser, qui se pose toujours, vous pouvez le reconnaître tout de même.
 
R.- Je pense qu'après le premier tour elle ne se pose plus. La campagne a passionné.
 
Q.- Non mais là-dessus on est d'accord.
 
R.- Merci, ah ben d'accord, ok...
 
Q.-... non mais là-dessus, qu'elle ait passionné, on est d'accord, évidemment.
 
R.- Ce n'était pas... mais si elle a passionnée c'est que les thèmes qui ont été choisis étaient les bons, parce que je me demande comment vous pouvez avoir une campagne passionnante avec des thèmes qui ne soient pas les bons ? Il faudra m'expliquer. Et qui est-ce qui a porté les thèmes de la campagne, le travail, l'identité nationale, l'immigration, la sécurité avec les peines sur les multirécidivistes, le pouvoir d'achat, la protection contre les délocalisations, qui est-ce qui a sorti tous ces thèmes ? Je regardais le meeting de Charléty de madame Royal...
 
Q.-...ça avait de la gueule, non, hier, quand même ?
 
R.- Ah, formidable, formidable !
 
Q.- 60 000 personnes.
 
R.- Vous y étiez ?
 
Q.- Quarante dedans, vingt dehors.
 
R.- Vous y étiez ?
 
Q.- J'étais devant ma télé, moi.
 
R.- Ah oui, vous y étiez... ah bon !
 
Q.- Non, j'étais devant ma télé, je suivais ça en direct sur BFM. Ah ! Il ne faut pas citer la concurrence.
 
R.- Bon ! Alors, disons que vous n'y étiez pas, mais écoutez, il y a quelque chose qui m'a frappé, je suis sûr que vous avez été frappé, à aucun moment madame Royal n'a dit ce qu'elle voulait faire pour résoudre les problèmes des Français, chaque fois le discours est toujours le même : "attention, la droite revient, la brutalité revient". C'est formidable, cette idée qu'à la gauche française que toute personne qui n'a pas strictement les mêmes idées qu'elle, c'est un illégitime. Fantastique ! C'est le sectarisme. Alors, on a le droit d'avoir des débats, mais alors si moi je ne suis pas d'accord, je suis brutal. Si je dis quelque chose qui ne va pas dans le sens de la pensée unique de gauche, je suis illégitime. Je suis un danger pour la démocratie pour la seule raison que je n'ai pas les idées de gauche.
 
Q.- Cela va être chaud, ce soir non, le débat avec S. Royal ?
 
R.- Pas du tout ! Mais pourquoi chaud ? D'abord, chaud, je ne sais pas, S. Royal c'est quelqu'un dont je respecte la personne et dont je respecte les convictions. Mais regardez la différence, moi je ne critique pas, ce n'est pas parce qu'on  n'a pas mes idées que je les trouve illégitimes. Est-ce que vous m'avez entendu dire des choses comme "ignoble", quand madame Royal parle de mes propositions, "ignoble", on insulte 11,5 millions de gens ? Est-ce que vous m'avez entendue dire qu'elle était brutale ? J'ai dit, "non, je crois qu'elle se trompe sur les 35 h", elle veut les généraliser. Quand elle promet la régularisation pour tout le monde, à deux générations, pour les enfants scolarisés, je ne suis pas d'accord, mais je ne vais pas insulter les gens. Je pense que la France a besoin de tolérance et de respect.
 
Q.- Elle a dit hier...
 
R.-... et il y a une certaine gauche qui est tellement convaincue qu'elle a raison, qu'elle est sectaire.
 
Q.- Elle a dit, hier, S. Royal, au cours de son meeting que "vous n'étiez pas C. de Gaulle, que Doc Gynéco n'était pas Malraux"...
 
R.-... je confirme.
 
Q.- Vous confirmez ça aussi ?
 
R.- Que je mon prénom n'est pas Charles ? Oui, c'est vrai.
 
Q.- Que "Doc Gynéco n'était pas Malraux et que F. Mauriac n'était pas B. Tapie", c'était sa réponse à la polémique très dure que vous avez lancée contre mai 68.
 
R.- Non, attendez, attendez...
 
Q.-... "vous n'êtes pas de Gaulle"
 
R.- Non mais, formidable, alors attendez, quand j'avance une idée, c'est une polémique, quand la gauche avance une idée, c'est un débat, quand je remporte les élections, je suis populiste, quand la gauche les perd, elle est populaire. Mais réveillez-vous !
 
Q.- Mais je suis réveillé, enfin !
 
R.- On est en démocratie, c'est la République.
 
Q.- Je ne vous le fais pas dire.
 
R.- Mais pourquoi dites-vous "une polémique très dure"...
 
Q.- Vous avez proposé de liquider une page de l'histoire de France...
 
R.-... non, non, non.
 
Q.-...de liquider l'héritage de mai 68.
 
R.- Non, non, non.
 
Q.- C'est une citation dans le texte.
 
R.- Non, non, je ne l'ai pas proposé comme ça, ce n'est pas vrai. Mais attendez, pourquoi "une polémique très dure" ? Pourquoi ne dites-vous pas...
 
Q.- Mais c'est vous qui avez choisi le mot "liquider".
 
R.-... un débat, pourquoi pas un débat.
 
Q.- Non mais, justement...
 
R.-... est-ce que le débat vous gêne ?
 
Q.- Absolument pas !
 
R.- Alors, sur 68...
 
Q.-...débattre de mai 68...
 
R.-  ... oui, voilà.
 
Q.-... faire le bilan de mai 68, ce n'est pas "liquider" mai 68, là il n'y est pas le débat.
 
R.- Non mais ce n'est pas une polémique. Une polémique c'est lorsqu'on utilise - les mots ont un sens - des arguments qui ne sont pas des arguments de fond pour polémiquer. Là, j'ai posé un débat. Quel est ce débat ? En 1968, la règle c'était de faire de l'élève l'égal du maître, de supprimer la hiérarchie des valeurs, tout se valait, il fallait jouir sans contrainte, il n'y avait plus de règles, "sous les pavés la plage". A ce titre en mai 68, on a supprimé la sélection, les notes, les classements, les élèves ne respectaient plus les maîtres puisqu'ils valaient les maîtres, on n'enseignait plus les grands auteurs parce que Voltaire ça valait H. Potter, on faisait des comptes rendus sur les textes dans les journaux. C'est ça l'héritage de mai 68. C'est un débat.
 
Q.- Mais c'est aussi l'IVG...
 
R.- Non, c'est faux, c'est faux.
 
Q.- Mais si ! C'est l'IVG, c'est la fin de l'ORTF...
 
R.-... attendez, attendez...
 
Q.-... c'est un certain nombre de libertés pour les travailleurs, c'est quand même autrement plus complexe.
 
R.- Ce qui est formidable avec vous c'est que je n'ai pas l'impression de répondre à un journaliste, mais de faire un débat avec un homme politique.
 
Q.- Mais pas du tout !
 
R.- J'en suis ravi, c'est un entraînement pour ce soir.
 
Q.- Mais peut-être que vous ne débattez pas assez avec les journalistes ou qu'ils ne vous portent pas assez à la contradiction, je n'en sais rien, mais ça me semble de bon sens !
 
R.- Alors, si vous voulez bien me poser une question, je vais y répondre avec beaucoup d'intérêt.
 
Q.- Alors, la liquidation de mai 68 va jusqu'où ?
 
R.-... alors, sur les travailleurs...
 
Q.-... voilà la question.
 
R.- Sur les travailleurs, d'abord sur l'IVG et la pilule. Permettez-moi de vous dire qu'on peut avoir ses convictions et être précis. De quand date la pilule ?
 
Q.- 1967, Neuwirth.
 
R.- 1967, c'est un peu difficile de dire que la pilule - qui est un progrès parce que c'est une liberté sexuelle - c'est un peu difficile de dire que ce qui a été voté par le Parlement en 1967 c'est l'héritage de 68.
 
Q.- En fait, c'était avant. 75, l'IVG.
 
R.- Attendez, attendez, IVG, formidable, c'est V. Giscard d'Estaing qui est président de la République, c'est J. Chirac qui est Premier ministre, c'est S. Veil... c'est difficile de dire que c'est l'héritage de Geismar et d'autres. Mais sur les travailleurs, c'est mieux que ça encore, car c'est au moment de 68 qu'on a dévalorisé le travail parce que le travail empêchait la vie, et c'est à partir de 1968, d'ailleurs, la meilleure preuve c'est que les ouvriers ne se sont jamais mêlés aux manifestations de 68.
 
Q.- Non mais il y avait des cortèges...
 
R.- Non, non, non, non, permettez-moi de vous le dire, alors ça c'est un fait historique, et que le mouvement des travailleurs, que le mouvement ouvrier ne s'est jamais mêlé à 68 parce que mouvement ouvrier a toujours considéré que 68, c'était une révolution mondaine, et ça a d'ailleurs été tout le problème de 68, et on a dévalorisé le travail, méprisé les travailleurs à partir de 68. D'ailleurs pourquoi ? Parce que l'idéologie de Cohn-Bendit c'était ça, il ne fallait plus de croissance, il n'y avait plus besoin de travailler. Et à partir de ce moment-là celui qui travaillait dans les usines, celui qui travaillait dur n'a pas été, lui, considéré et 68 on a tourné le dos à la valeur du travail.
 
Q.- Voilà un beau débat sur 1968.
 
R.- Ah, voilà !
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 mai 2007.