Texte intégral
J.-M. Aphatie.- Il y a une alerte rouge sur votre campagne, à 48 heures du second tour de scrutin tous les sondages donnent N. Sarkozy vainqueur. L'écart se creuse même, selon la dernière étude TNS SOFRES pour RTL, LCI et Le Figaro. 54,5 % d'intentions de vote se portent sur N. Sarkozy, et seulement 45,5 % sur vous S. Royal, êtes-vous inquiète ?
R.- Ne prenez pas une voix si triste...
Q.- Ah ! Mais je ne suis pas triste...
R.- Ecoutez, il y a eu plus de 150...
Q.- Le moment est solennel tout de même, et un peu grave...
R.- Il y a eu plus de 150 sondages, tous les sondages m'ont donnée perdante. Une élection n'est pas faite par les sondages, donc moi je me bats jusqu'au bout pour convaincre les Français. Vous savez ce qu'ont donné les précédents sondages, par rapport à la précédente élection présidentielle et même par rapport...
Q.- Ils ne se sont pas trompés au 1er tour...
R.- Oui, je ne pense pas qu'ils avaient prévu que L. Jospin serait éliminé au 1er tour de l'élection présidentielle...
Q.- Je parlais du 1er tour de l'élection de 2007.
R.- Oui, mais je veux parler moi de l'élection présidentielle précédente...
Q.- Nous ne parlions pas de la même chose.
R.- Voilà. Donc, je crois qu'il faut mobiliser jusqu'au bout et faire comprendre aux Français quel est le choix qui est aujourd'hui devant eux, voilà. Moi je pense que le choix de N. Sarkozy est un choix dangereux, et donc... et je ne veux pas que la France soit orientée vers un système de brutalité. Lorsqu'un candidat ne peut pas se rendre dans les quartiers populaires sans être entouré de 300 policiers, comme lorsqu'il a essayé de s'y rendre encore récemment, je pense qu'en effet ce n'est pas la France que nous voulons. Moi je veux que la fracture sociale ne soit pas le destin de la France de demain, et je suis convaincue que pendant ces 2 derniers jours, les Français vont réfléchir à ce qu'ils veulent pour notre pays.
Q.- F. Bayrou indique qu'il ne votera pas pour N. Sarkozy, mais il refuse de dire explicitement qu'il votera pour vous. Quand on est un responsable politique qui a recueilli 7 millions de voix au 1er tour d'une élection présidentielle, est-ce que ce n'est pas manquer de clarté et de courage de ne pas dire explicitement son choix S. Royal ?
R.- Non, je pense qu'il le fait à la fois subtilement et de façon responsable vis-à-vis de ses électeurs qui ne souhaitent pas de consigne de vote. Et en même temps, il a été suffisamment clairvoyant et suffisamment dur dans son constat et juste dans ce qu'il a exprimé, par rapport au système UMP, au système Sarkozy, à ce que cela représenterait, comme je le disais à l'instant, comme un danger pour la France en terme de concentration des pouvoirs, en terme de brutalité, en terme de mensonges aussi sur des choses qui sont affirmées avec un aplomb invraisemblable et contraire à la vérité. Donc, F. Bayrou a eu le courage de dire tout cela, et je crois qu'aujourd'hui, lorsqu'il dit clairement qu'il ne votera pas pour le candidat de la droite dure, il agit selon ses convictions et selon l'idée qu'il se fait de l'intérêt du pays.
Q.- Mais il ne dit pas qu'il votera pour vous, il peut voter blanc...
R.- Ah ! Mais c'est sa liberté, bien sûr.
Q.- Donc, on n'est pas certain... vous n'êtes pas certaine S. Royal qu'il votera pour vous ?
R.- Mais non, je ne fais pas d'intrusion dans le secret de l'isoloir.
Q.- Et alors sur quelle base pouvez-vous dire, puisque vous l'avez dit hier, ma décision est prise, si je suis élue je travaillerai avec le centre et avec F. Bayrou en particulier. S'il ne vote pas pour vous, sur quelle base pouvez-vous travailler avec lui ?
R.- Mais parce que je rénove la politique...
Q.- Ah !
R.- Bien sûr...
Q.- En travaillant avec des gens qui ne votent pas pour vous ?
R.- Oui, bien sûr, c'est ça...
Q.- C'est audacieux.
R.- C'est très audacieux, mais je pense que la France aujourd'hui en a besoin, la France a besoin d'être débloquée. Et contrairement au candidat de la droite dure, je ne suis pas la femme d'un clan, je ne suis liée à aucune puissance financière, à aucun système médiatique, qui aujourd'hui fonctionnent comme de véritables tracts. Je regardais hier les informations sur LCI, une fois de plus, et le résumé qui était fait du débat que nous avions eu ensemble, à croire cette chaîne c'est moi qui avais tout faux et c'est N. Sarkozy qui avait tout juste. On ne relevait même pas la grave erreur qu'il a commise, pour quelqu'un qui est candidat à l'élection présidentielle, de confondre pour l'Iran le nucléaire civil et le nucléaire militaire. On ne rappelait pas que sur l'EPR, il avait fait cette grave faute de confondre la 3ème et la 4ème génération de centrale. Donc, je crois qu'il y a là un candidat qui est lié aux puissances médiatiques et financières, comme l'a dit d'ailleurs F. Bayrou, et de l'autre une France qui précisément ne veut pas que le pouvoir continue à être concentré entre les mains d'un même système qui est au pouvoir depuis 5 années. Et moi, je veux débloquer le système politique, je crois que lorsqu'il y a un affrontement bloc contre bloc, ce n'est pas la France qui gagne, au contraire. Et en effet, ma main tendue vers les centristes, quel que soit le vote intime de F. Bayrou, reste là, parce que je pense que c'est en élargissant une majorité que l'on peut faire à nouveau avancer le pays, en reprenant un certain nombre d'idées sur l'Etat impartial, sur la question de la lutte contre la dette, sur une vraie réforme de l'Europe qui corresponde à l'aspiration des citoyens.
Q.- Il est assez rare que dans le procès général que les responsables politiques ont fait aux médias durant cette campagne, une chaîne précisément soit citée, vous l'avez fait, vous l'assumerez comme ça ?
R.- Oui bien sûr, de toute façon tout le monde le sait, tout le monde le voit et je ne vois pas pourquoi j'aurai la langue de bois, et je ne dirai pas les choses telles qu'elles sont aujourd'hui...
Q.- Sans doute cette chaîne vous répondra.
R.- Oui.
Q.- Ma décision est prise, dites-vous, pour le travail avec les centristes, pensez-vous que les dirigeants socialistes sont d'accord avec votre décision, qui est une décision solitaire finalement ?
R.- Mais vous savez, il faut toujours des éclaireurs pour assurer une mutation de la politique, pour moderniser la politique. Et aujourd'hui, j'ai cette responsabilité-là en lien direct avec le pays, j'ai compris que les Français ne voulaient plus qu'il y ait comme cela des alternances brutales et schématisées d'un camp contre un autre. J'ai entendu les valeurs qui sont défendues par les électeurs du centre, et par F. Bayrou en particulier. Et sur certaines de ces valeurs je me reconnais, en particulier sur les valeurs liées à l'humanisme, au respect de la personne humaine, au refus du mensonge, au refus de la concentration des pouvoirs, au refus de la défense d'un certain nombre d'intérêts, au refus du creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, pace que c'est cela le programme de N. Sarkozy, c'est cela que la France sera demain si N. Sarkozy est élu. Et ma responsabilité aujourd'hui, c'est à la fois de lancer une alerte par rapport au risque de cette candidature et par rapport aux violences, aux brutalités qui se déclencheront dans le pays, tout le monde le sait mais personne ne le dit, il y a une sorte de tabou sur ce qui se passe...
Q.- Il y aura des violences s'il est élu ?
R.- Il y a une sorte de tabou, vous le savez, sur ce qui...
Q.- Il y aura des violences si N. Sarkozy est élu ?
R.- Je le pense. Un candidat qui ne peut pas se rendre dans les quartiers populaires, sans susciter des mouvements qui le conduisent et qui le contraignent à être encadré par plusieurs centaines de policiers, je pense en effet qu'il a créé dans le parti... dans le pays, et en étant uniquement à la tête d'un parti, parce qu'il reste aujourd'hui président de l'UMP, ce qui ne s'est jamais vu depuis le début de la Vème République, je pense en effet qu'il y aura des tensions très fortes dans le pays parce qu'il a multiplié les provocations et les violences verbales, en particulier à l'égard des quartiers populaires. Et je crois en effet que cette candidature...
Q.- Mais si N. Sarkozy est élu...
R.- Je crois en effet que cette candidature est dangereuse, et c'est pourquoi je demande aux électeurs de bien réfléchir pendant ces deux derniers jours de campagne.
Q.- Si N. Sarkozy est élu, il le sera démocratiquement et les violences, si elles existaient, seraient illégitimes, nous en sommes d'accord ?
R.- Mais il faut qu'il se demande pourquoi il en suscite autant, je crois qu'il en est aussi responsable...
Q.- Il n'y a pas de violence encore aujourd'hui !
R.- Non, mais il y a des violences verbales, il y a une attente très tendue dans un certain nombre de quartiers, on le sait. Il a encore récemment, lors de son dernier meeting à Bercy, utilisé un certain nombre de propos qui ne sont, je crois pas, dignes d'un candidat à la présidence de la République, en tout cas qui ne sont pas conformes aux valeurs républicaines. Lorsqu'il parle de "liquider mai 68", lorsqu'il dit qu'il va "reformater les Français", lorsqu'il fait acclamer le mot de "kärcher", je pense qu'il flatte ce qu'il y a de plus sombre dans l'être humain. Et moi, je veux au contraire encourager ce qu'il y a de plus clair, je veux encourager la lumière qu'il y a dans toute personne humaine, parce que je crois que la France a besoin de paix civile, de réconciliation, d'être réformée sans brutalité, de vérité de la parole politique et aussi d'ouverture et d'élargissement d'une majorité, pour que toutes les bonnes idées et toutes les sensibilités - le plus largement possible - soient rassemblées pour réformer la France.
Q.- C'est vous ou le chaos ?
R.- Ce n'est pas ce que je dis, mais il y a quand même quelque chose de vrai dans cette vision des choses. Je crois qu'en effet, N. Sarkozy a accumulé au cours de cette campagne, à la fois les contrevérités, un certain nombre de mensonges, y compris sur la question de la sécurité, puisque depuis qu'il est ministre de l'Intérieur il y a eu 30 % d'augmentation des agressions depuis 2002. Il a menti aussi sur la question des retraites en prétendant que l'équilibre des retraites était assuré, ce qui n'est pas exact. Donc, il a avec aplomb multiplié, y compris des promesses qu'il ne pourra pas tenir, il a promis à tous les Français la suppression des droits de succession, le bouclier fiscal alors que le pays est gravement endetté. Donc quand effet un candidat a autant d'aplomb pour dire des mensonges, des contrevérités, et qu'en même temps il ne peut pas se déplacer sur l'ensemble du territoire national, oui je pense que cette candidature est à risque.
Q.- Vous voyez, la campagne se termine sur un mode assez dur.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2007