Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 7 mai 2007, sur la situation du parti socialiste à la suite de l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, et sur la ligne de conduite à adopter par la gauche pour les élections législatives.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand Qui est le leader de la gauche ce matin ?

R.- Ecoutez, je pense que S. Royal a pris une position forte dans cette campagne, mais il y a aussi un premier secrétaire du Parti socialiste qui doit jouer tout son rôle, des personnalités qui doivent s'impliquer et voilà ce que je voulais vous dire. La gauche, elle doit être en ordre de bataille, là, maintenant. L'enjeu, il est trop important, il est trop grave. Il est de savoir si N. Sarkozy, élu président de la République, c'est un parti, l'UMP, qui a tous les pouvoirs ou si on crée une force d'équilibre et de préparation de l'avenir. Moi, ma responsabilité c'est d'emmener tout le monde là dans cette bataille, de faire en sorte ensuite, une fois que nous aurons pris nos positions, et il en faudra, de rénover autant qu'il sera possible la gauche, la refonder, la rassembler, l'élargir, l'ouvrir. Bref, la mettre sous la perspective de l'échéance de 2012. Mais moi je ne prépare pas 2012 ici, je prépare les élections législatives qui arrivent dans un mois.

Q.- Qui prépare 2012 chez vous ?

R.- Mais ça, on verra. Je veux dire, on vient de sortir de 2007 et la séquence n'est pas terminée. Ce n'est pas la même chose d'avoir N. Sarkozy élu président de la République avec une majorité écrasante à l'Assemblée nationale ou avec une composition pluraliste de cette Assemblée.

Q.- Donc, si je vous entends bien...

R.- Moi, je fais en sorte que la séquence se termine différemment de ce qui est ici programmé par la droite.

Q.- Si je vous entends bien, il y a S. Royal, il y a vous et il y a des fortes personnalités ; ça fait trois légitimités différentes, qui a le leadership sur la gauche ce matin ?

R.- Mais il y a la légitimité du Parti socialiste, c'est ce que j'incarne, il y a la légitimité de celle qui a été candidate, S. Royal, et puis il y a la légitimité de ceux qui peuvent être utiles ; utiles, il faut quand même réfléchir à ça. Il y a un mot dans le vocabulaire français qui n'est pas le vocabulaire politique, qui s'appelle « être utile ». Eh bien, tous ceux qui peuvent être utiles, là, maintenant, pas utiles à eux-mêmes, pas utiles à leur famille politique, pas utiles simplement à leur camp, utiles à la France, parce qu'elle a besoin aujourd'hui la France. Je ne dis pas simplement de ceux qui ont voté pour S. Royal. La France, elle a besoin d'équilibre, elle a besoin de forces qui participent à l'échange démocratique et elle a besoin d'une perspective. Il y a celle qu'ouvre Sarkozy et il y a celle que nous devons aussi ouvrir là pour 2007.

Q.- Utiles à eux-mêmes ? Vous pensez à L. Fabius, à D. Strauss-Kahn, à qui exactement, que les choses soient claires ?

R.- Mais je pense qu'aujourd'hui mon rôle ce n'est pas de mettre en cause qui que ce soit, de régler je ne sais quels comptes. Ce n'est pas du tout et ma démarche et mon urgence. Alors vraiment je pense que ce serait tout le contraire de ce qu'il faudrait faire. Donc L. Fabius, D. Strauss-Kahn, à l'évidence S. Royal et tous ceux qui y sont nombreux heureusement peuvent être utiles, disais-je dans cette campagne. Derrière, là, il faut organiser un dispositif pour permettre que tous ceux qui, à un moment s'interrogent ; quel va être le destin de notre pays, comment on va faire, est-ce qu'un pouvoir va ici concentrer tous les moyens d'actions ou est-ce qu'il faut respecter le pluralisme ? Eh bien, nous, nous devons donner un espoir.

Q.- Pour vous, les législatives c'est le troisième tour, de cette présidentielle ?

R.- Non, ce n'est pas la revanche. J'entendais "la revanche", l'élection présidentielle elle est terminée. Il y a un président, ce n'est pas celui que j'avais choisi, chacun le sait, il est là. Maintenant c'est de savoir quelle Assemblée nationale on compose ? Alors moi, je dis il faut que cette Assemblée nationale permette que la politique que nous avons, nous, combattue ne puisse pas être menée comme N. Sarkozy voudra.

Q.- Donc la cohabitation serait une bonne chose pour pousser votre raisonnement au terme ?

R.- Ecoutez, franchement, il y a des élections, tout est ouvert. Donc on va voir le rouleau compresseur, ça ne vous a pas échappé, tous les pouvoirs pour les mêmes ! Moi, je ne veux pas de ce système-là et beaucoup ont dit il faut rénover la vie politique, beaucoup ont dit il faut éviter qu'il y ait une concentration dans les mêmes mains du pouvoir. Eh bien, les électeurs ont justement cette capacité d'équilibre.

Q.- Mais la cohabitation, pour pousser votre raisonnement dans ses retranchements, elle est au bout d'une logique de contre pouvoir ; c'est comme ça que vous attaquez les législatives là ?

R.- Ce n'est pas le scénario, convenons-en, le plus probable. Il faut faire attention. Mais, en même temps, rien ne doit être interdit. C'est-à-dire que nous sommes là dans une bataille où nous ne pouvons pas connaître l'issue, mais je dois dire qu'il faut mener pleinement cette bataille-là et ne pas le faire de manière défense, je pense que ça ne serait pas ce qu'attendent les Français, ils ne veulent pas simplement être défendus, ils veulent que nous soyons nous en capacité de propositions.

Q.- Pourquoi avez-vous perdu ?

R.- Ecoutez, sans doute qu'il y a des raisons qui tiennent d'abord à la droite. Ce qui s'est produit là, l'élection de N. Sarkozy, ce n'est pas que la droite soit devenue majoritaire, elle l'a toujours été depuis au moins vingt ans, c'est qu'il y avait une division au sein des droites et notamment entre l'extrême droite et la droite, ce qu'a fait N. Sarkozy, et là je ne porte pas de jugement de valeur, même s'il a tout fait pour aller sur ce terrain-là, c'est la jonction entre l'extrême droite et la droite. Il aura siphonné au premier tour l'extrême droite, ramené l'extrême droite au second tour sur lui et capté ce qu'il pouvait obtenir du centre droit. Il a réuni les droites. Eh bien pour la gauche l'enjeu il est aussi de réunir les gauches. Ecoutez, franchement, une élection présidentielle après ce qui s'était produit en 2002, on a été capable d'avoir sept candidats. Donc il faut aujourd'hui se dire ce n'est plus possible cette organisation de la gauche, il faut se mettre dans un processus dynamique.

Q.- D'alliances, de nouveaux partis, de quoi, dites-le ?

R.- Non, ce que je veux dire c'est qu'il faut dire à ceux qui veulent travailler avec nous pour permettre justement qu'il puisse y avoir l'alternance et l'alternative, il faut qu'ils s'y mettent tout de suite avec nous et pas juxtaposer des petites boutiques politiques qui n'ont plus beaucoup d'intérêt. Donc il faut maintenant faire, ce qu'on va appeler, des assises, une refondation, qu'importe, mais que ceux qui veulent maintenant s'organiser le fassent.
Q.-
Ça ira jusqu'où, a priori ?

R.- Alors ensuite...

Q.- De Besancenot à Bayrou, c'est ça le spectre ?

R.- Non, mais je pense que pour Besancenot on sait bien qu'il n'est pas dans perspective-là, ne laissons pas penser qu'il pourrait, je respecte sa démarche, mais qu'il pourrait venir avec le Parti socialiste avec d'autres travailler pour faire une force de Gouvernement, nous l'avons bien vu dans cette campagne.

Q.- F. Bayrou le peut-il ?

R.- Bayrou c'est son problème maintenant, tous les gestes ont été faits quand même. Regardez ce qui s'est produit avec S. Royal au cours du second tour de l'élection présidentielle, nous-mêmes nous disons que nous sommes ouverts, prêts à travailler avec tous ceux qui sur la base d'un contrat de Gouvernement, la politique elle ne doit pas se faire en cachette, elle se fait dans la clarté. Donc si on veut rénover la vie politique, si on veut faire avancer une conception moderne de la vie économique, si on veut avoir des relations sociales qui soient équilibrées, tous ceux qui veulent venir viennent, mais ils ne viennent pas pour dire...

Q.- Donc ça vous allez le faire plutôt dans l'urgence, alors que vous aviez quelques années de temps plutôt libre ces dernières années, non ? Est-ce que ce n'est pas le pire moment pour le faire ? C'est un travail de refondation...

R.- Non, non, on ne va pas faire le travail de refondation là pendant les élections législatives, il y a un mois. Ce qu'il faut dans les élections législatives c'est rassembler le Parti socialiste, la gauche, convaincre les électeurs d'équilibrer le pouvoir et faire en sorte qu'au lendemain des élections législatives, dans une configuration que je ne connais pas encore, nous menions ce travail-là ; travail d'opposition si nous sommes dans l'opposition, travail de proposition si nous sommes dans une autre situation, mais en tout cas mener ce travail. Mais vous dites, nous ne l'avons pas fait. Je constate quand même que le Parti socialiste qui n'était pas au second tour en 2002 l'a été. Je constate que les forces ou supposées telles qui étaient à côté du Parti socialiste en ont supporté toutes les conséquences.

Q.- Enfin j'imagine qu'une disqualification pour le second tour ne vous satisfait pas.

R.- Bien sûr. Bah, bien sûr.

Q.- Donc bon.

R.- J'aurais préféré que nous puissions gagner, mais je veux dire par là que nous avons fait du parti socialiste, et j'y ai travaillé, pas seul, avec tous, la première force politique du pays, presque, même si l'UMP a finalement dépassé le Parti socialiste avec ce que j'ai dit de l'alliance de fait avec les électeurs d'extrême droite, je parle des électeurs, mais je pense qu'aujourd'hui nous ne partons pas de rien, il y a eu ce travail-là, il y a eu cette campagne-là, mais moi je veux maintenant être utile dans le moment qui vient avec les élections législatives.

Q.- Pourquoi avez-vous perdu hier ?

R.- Vous m'avez déjà posé cette question !

Q.- Mais j'aimerais avoir la réponse maintenant !

R.- Mais je vous l'ai dit, nous avons perdu parce que nous n'avions pas suffisamment rassemblé les gauches et donc il faut qu'il y ait maintenant ce grand mouvement qui doit fédérer ce qui ne l'a pas été suffisamment...

Q.- Il n'y a pas un problème idéologique et politique aussi ?

R.- Et il y a un problème aussi bien sûr de prise en compte de ce qu'est l'évolution de la société, que nous devons nous-mêmes traduire, le travail nous l'avions anticipé en disant finalement c'est la valeur clé, N. Sarkozy l'a utilisé, instrumentalisé en disant "travailler plus pour gagner plus", on va voir ce que ça va être, mais nous nous devons dire c'est le travail pour tous, c'est-à-dire la nécessité d'être dans la société par le travail. Deuxièmement sur une conception d'autorité de l'ordre on va vers des dérives, on va voir lesquelles, ou, au contraire, on fixe des droits, des devoirs, le respect et ça doit être aussi une traduction politique. La modernisation de la gauche, franchement, elle est en cours depuis des années, il faut aller encore plus loin, mais ça ne doit pas être l'abandon de ces valeurs. Cessons de laisser penser qu'il faudrait un mot là central où il n'y aurait plus d'idées majeures. Sarkozy d'ailleurs a démontré le contraire, il...

Q.- Enfin il faudra bien arbitrer entre des lignes après, entre ce que décrit D. Strauss-Kahn, ce que décrit plutôt L. Fabius, ce que peut décrire aussi S. Royal, donc il faudra bien trancher à un moment.

R.- Mais ça a été tranché, ne laissons pas penser que ça n'a pas été tranché, y compris d'ailleurs par la désignation de S. Royal comme candidate. Ça a été tranché aussi dans des congrès successifs. Arrêtons de dire, il faut trancher la ligne. La ligne moderne, la ligne ouverte, la ligne de rassemblement, elle est depuis longtemps fixée. Et moi...

Q.- Il faudra la traduire concrètement alors. Mais est-ce qu'il y a dans la défaite, un certain nombre d'examens qu'il faut faire sur la manière dont la campagne a été menée ?

R.- Il faut toujours regarder, et je dis aussi les choses pour moi et pour l'ensemble du parti socialiste et pour la campagne, il faut bien sûr comprendre ce qui s'est produit, j'en ai donné quelques traces, c'est-à-dire le rassemblement des droites, une évolution de la société dont nous devons absolument comprendre ce qu'elle traduit...

Q.- Sur le plan strictement stratégique là ?

R.- Oui, oui, oui ! Sur le travail, sur l'ordre, sur la responsabilité individuelle et aussi sur des valeurs collectives, tout ça doit être repris, regardé, revisité, mais sur la campagne, écoutez, franchement, oui on aurait pu faire différemment. Et alors ? Moi, je ne vais pas me livrer ce matin, pardon de le dire, à un travail introspectif, à un battage de coups, à un moment où il faut être dans le combat parce que la séquence n'est pas terminée.

Q.- L'examen rétrospectif c'est important, vous le ferez quand alors ?

R.- Ecoutez, je termine la séquence, parce qu'il faut la terminer, il faut qu'elle soit conclue de la meilleure des façons, moi ce qui compte c'est l'enjeu pour le pays, ce n'est pas l'enjeu pour le parti socialiste, ce n'est pas l'enjeu pour tel et tel au parti socialiste. C'est l'enjeu pour le pays ; est-ce qu'on équilibre, est-ce qu'on permet à une force qui s'est quand même une nouvelle fois levée, parce que je dis quand même les 47 % qui se sont rassemblés derrière S. Royal, ça existe, regardez le vote des villes, aujourd'hui la plupart des villes françaises qui ont donné confiance à la gauche, alors il faut faire le travail de rénovation, de rassemblement, d'élargissement. Mais avant il faut, tout en étant conscients de l'enjeu, être rassemblés, unis et capables de donner à notre pays un espoir.

Q.- Ça tangue, hein, la gauche là ?

R.- Non, ça ne doit pas tanguer. Cela doit être, au contraire, bien aujourd'hui organisé et calibré. Je ne veux pas laisser là dans ces jours qui viennent ; je ne veux pas laisser quoi que ce soit se produire. Ça ne tanguera pas.

Q.- Ça veut dire quoi, quoi que ce soit ?

R.- Je ne veux pas qu'on se livre ici, je ne le ferai pas et personne ne doit le faire, à des exercices qui n'ont pas aujourd'hui...

A Q.- llez-y franchement, dites-le, nous, c'est quoi des exercices ?

R.- Mais je vous l'ai dit ! Ça ne tanguera pas.

Q.- Vous maintenez la ligne ?

R.- Ce n'est pas le problème de maintenir la ligne. Il y a un enjeu qui vient, qui s'appelle les élections législatives. Je ne me laisserai pas détourner, et les socialistes non plus, de ce seul objectif. C'est trop important, c'est trop grave.

Q.- Merci, F. Hollande !

R.- Merci à vous, c'était un plaisir !