Interview de M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, à Europe 1 le 3 mai 2007, sur les personnalités et les suites du débat organisé entre les deux candidats à l'élection présidentielle, M. Nicolas Sarkozy et Mme Ségolène Royal.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Vous, ça fait plus de 31 ans que vous êtes l'ami de N. Sarkozy, comment vous avez vécu personnellement le débat ?
Brice Hortefeux : J'ai écouté J. Dray tout à l'heure, à mon avis il a dit quelque chose de juste, en parlant de S. Royal il a indiqué qu'elle a été elle-même, et je pense précisément que N. Sarkozy a été lui-même, c'était donc un moment de vérité et un moment de vérité utile. N. Sarkozy a offert, à juste titre, l'image de quelqu'un de calme, de modeste, de constructif, de déterminé, et paradoxalement madame Royal a été agressive, très impressive, elle a été très souvent litanique et même parfois emportée, et finalement c'est l'image qu'il restera de ce débat.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez dire que ça vous a surpris de sa part ?
Brice Hortefeux : Ça m'a surpris comme tout à chacun, moi, vous savez, ce n'est pas parce que je sui engagé auprès d'un candidat, ce n'est pas parce que je suis un militant politique que je ne vois pas plus loin que le bout de mes chaussures. J'essaie d'avoir du recul, et avec beaucoup d'honnêteté j'ai observé ce débat, j'ai suivi ce débat, qui effectivement était intéressant, deux heures et demie de débat c'était utile, c'était quelque chose qui n'avait pas pu avoir lieu en 2002, et je pense que c'était un moment utile à la démocratie et à la clarté, et là il y a eu effectivement une réalité qui s'est imposée. D'un côté il y avait un candidat qui par sa connaissance des dossiers et par son calme, a rassuré, et puis de l'autre une candidate qui, par ses emportements, et par la répétition, il faut le dire, d'un certain nombre de banalités, inquiète. D'un côté on rassure, de l'autre on inquiète
Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes objectif ?
Brice Hortefeux : C'est comme ça en tout cas que je l'ai vécu, que je l'ai ressenti.
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, et vous ne croyez pas qu'il y a eu une sorte d'inversion des rôles, parce qu'on attendait de N. Sarkozy qu'il fonce, que lui harcèle etc, et c'est elle qui l'a interrogé, poursuivi, qui ne l'a pas lâché.
Brice Hortefeux : Oui, écoutez, la vérité c'est qu'on connaissait la compétence de N. Sarkozy, on n'a pas eu besoin d'attendre ce débat, d'ailleurs, à juste titre madame Royal l'avait dit dans une précédente émission, elle avait dit effectivement qu'il connaissait bien ses sujets, mais là il a offert une démonstration de calme et de courtoisie. Il n'y a jamais eu ni mépris, ni arrogance, il y a eu au contraire beaucoup de modestie et de calme dans l'expression de N. Sarkozy.
Jean-Pierre Elkabbach : Et ça il l'avait organisé, préparé, prévu ?
Brice Hortefeux : Non... mais vous savez, tout simplement, c'est son tempérament, et je dirais c'est son tempérament depuis longtemps puisqu'il a opéré cette mue que tous les candidats assument lorsqu'ils se préparent et là il a cette mue, eh bien l'a offerte hier, le calme, la sérénité, la compétence, face, il faut le reconnaître, à beaucoup d'imprécisions.
Jean-Pierre Elkabbach : Par exemple ?
Brice Hortefeux : Des exemples, malheureusement il faudrait deux heures et demie, parce que tellement il y a eu d'imprécisions. Des imprécisions par exemple sur la fonction publique, j'ai bien compris qu'on allait créer des emplois, on allait créer des emplois d'accompagnateurs, d'ailleurs c'est un gisement d'emplois infini puisqu'il peut y avoir les accompagnateurs des raccompagnateurs, tout cela c'est un gisement infini, mais on ne dit pas qui paye naturellement, aucune solution. Sur la dette, très honnêtement, j'ai entendu le mot prononcé, je n'ai entendu aucune solution. Sur la croissance, aucun moteur, la formule c'était "la croissance crée l'emploi", c'était la formule, rien au delà, sur les retraites, ça a été évoqué il y a quelques secondes, c'était d'une banalité à pleurer, parce que finalement on n'a pas très bien compris où ça allait, sur les questions scolaires, c'était soi-disant sa spécialité, on a eu droit à une succession de généralités. Alors on a eu des formules ébouriffantes, on a eu des trucs extraordinaires, "donnant donnant", "gagnant gagnant", "l'énergie des territoires", "l'ordre juste", "la revendication éducative", bref...
Jean-Pierre Elkabbach : Vous n'êtes pas surpris, c'est ce qu'elle répète depuis le début de la campagne.
Brice Hortefeux : C'est une succession de lieux communs, de banalités, jamais il n'y a eu de réponses précises. D'ailleurs, c'est très simple, soit on remettait à plat, dans sa bouche, soit on organisait la discussion. Vous savez, la vie politique, et surtout quand on veut être chef de l'Etat, ce n'est pas ça la réalité, ce n'est pas simplement la discussion, il faut à un moment donné qu'il y ait des décisions, et là hier, on n'a eu que le mot discussion. Jamais le mot "décision".
Jean-Pierre Elkabbach : Attention, pas de provocation, parce que je vois J. Dray noter des tas de choses sur son carnet. Qu'est-ce que vous avez découvert de votre ami, et sincèrement, est-ce qu'à un moment vous n'avez pas eu chaud, pour lui ?
Brice Hortefeux : Attendez, naturellement, quand on a un ami qui fait un débat aussi important, j'imagine que ça a dû être la même chose pour J. Dray, on se sent solidaire, on se sent préoccupé, on est concentré, à vrai dire moi j'étais confiant, mais confiant et concentré, et donc j'ai vu le rythme de cette émission. Mais encore une fois, il y avait d'un côté un candidat qui connaissait, et de l'autre côté une candidate qui énonçait une succession, une litanie de lieux communs et de banalités, et je pense que le débat doit être utile précisément pour apporter des solutions, et autant N. Sarkozy prenait des exemples concrets, apportait, imaginait des solutions, portait des propositions, autant de l'autre côté on a eu des sonorités sympathiques, je vous le dis, sonorités sympathiques, mais pas au-delà.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais est-ce qu'il n'a pas été tellement obsédé, N. Sarkozy, par la crainte d'être, comme on le lui reproche, agressif, brutal et dur, qu'il a laissé passer des occasions de réagir ?
Brice Hortefeux : Je pense exactement l'inverse, je pense au contraire qu'il a donné cette image de sérénité totale. Vous savez, être chef d'Etat, il ne faut pas s'emporter, il ne faut pas être cassant, il ne faut pas être arrogant, il ne faut pas être méprisant, il faut connaître ses dossiers, et là la réalité elle est apparue, je le dis très sincèrement, je le dis sans aucune agressivité précisément, je pense que N. Sarkozy a gagné ce débat, pour une raison simple, c'est qu'il a fait une double démonstration, la démonstration de sa capacité à apporter des solutions concrètes, et en même temps sa maîtrise de lui-même. Et de l'autre côté, malheureusement, on ne peut pas dire la même chose.
Jean-Pierre Elkabbach : On ne peut pas être surpris, J. Dray dit "c'est elle qui a gagné", vous, vous dites, vous dites : "il a gagné".
Brice Hortefeux : Il a clairement gagné. Mais encore une fois il y a un constat... il a raison quand il dit, elle a été elle-même, et N. Sarkozy a été lui-même, les téléspectateurs ont pu voir d'un côté une candidate qui s'emportait, qui était souvent méprisante, souvent agressive, et un candidat qui était calme, serein et déterminé.
Jean-Pierre Elkabbach : Jusqu'au dernier moment les deux vont se battre, ce soir S. Royal est en meeting à Lille, et N. Sarkozy sera à Montpellier, et d'ici vendredi minuit je pense qu'ils vont saisir toutes les occasions de prise de parole pour continuer le combat. Madame Royal vient de dire qu'elle a repris la proposition de F. Bayrou sur la dette, est-ce que vous pensez que quelque chose dans le propos, le comportement de S. Royal dans le face à face, pourra séduire les électeurs centristes qui vont rester fidèles à F. Bayrou, qui ne rejoignent pas, déjà, N. Sarkozy ?
Brice Hortefeux : Moi je n'y crois pas, très sincèrement, une seconde, et là aussi ce n'est pas de la langue de bois, c'est la vérité. Je suis très frappé, comment voulez-vous que des électeurs centristes puissent se reconnaître dans une majorité que madame Royal appelle de ses voeux, qui rassemble les altermondialistes, qui rassemble des extrémistes Verts, qui rassemble le parti communiste, alors que la réalité c'est que les valeurs qui ont été défendues par F. Bayrou pendant toute la campagne du premier tour, ont été beaucoup mieux portées et incarnées par N. Sarkozy, et j'ajoute que l'image qui a été offerte hier par N. Sarkozy devrait, à mon avis, séduire, à juste titre, convaincre, à juste titre, les électeurs de F. Bayrou du premier tour.
Jean-Pierre Elkabbach : Chacun s'est exprimé, B. Hortefeux, J. Dray, ils ont peut-être intérêt l'un et l'autre à regarder le dossier, les fiches particulières sur le nucléaire, parce que des deux côtés il y a eu quelques erreurs.
Brice Hortefeux : J. Dray : Peut-être que chez madame Royal on lui a mal mis le transparent, parce qu'elle a dit 17%, c'était 78%, donc en réalité...
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, et lui a dit 50%, on lui a mal mis aussi sa fiche.
Brice Hortefeux : B. Hortefeux : N. Sarkozy était donc plus près de la vérité.
Jean-Pierre Elkabbach : Ah oui oui, à ce jeu-là !
Brice Hortefeux : C'est l'exemple que vous prenez, je ne l'évoquais pas, mais enfin je suis obligé de vous le rappeler. Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2007