Interview de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, à "BFM" le 10 mai 2007, sur la situation du commerce extérieur français et les réformes envisagées en la matière par Nicolas Sarkozy.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM

Texte intégral

S. Soumier.- Bonjour madame Lagarde.

R.- Bonjour.

Dernier conseil des ministres hier. Est-ce que vous pensez avoir fait la démonstration que la société civile pouvait réussir dans un ministère ?

R.- Ah ! Ecoutez, ce sont pour les utilisateurs, les clients des services de grands ministères, de déterminer si ça a été efficace ou non. Moi, je pense que...

Q.- "Les clients des services de mon ministère" ! Il n'y a pas un ministre qui parlerait comme ça, madame Lagarde. "Les utilisateurs et les clients des services de mon ministère" ! Non, mais franchement, vous avez, vous, vous avez l'impression d'avoir réussi ?

R.- Dans certains domaines, oui. Je crois qu'en matière d'attractivité du territoire français, on a plutôt bien réussi, puisqu'on se classe troisième en 2006, derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. On a attiré à peu près 60 milliards d'euros d'investissements directs étrangers dans des secteurs productifs. Dans le secteur de l'exportation avec une progression de 9,2 % en 2006, les entreprises françaises ont très, très bien travaillé à l'export et je pense qu'on a un tout petit peu aidé et moi, j'ai un peu aidé à rediriger un certain nombre d'entreprises vers des pays comme l'Inde, comme la Chine, comme la Russie, qui sont des pays en forte croissance et qui par conséquent peuvent développer les exportations à un rythme accéléré...

Q.- Alors madame Lagarde, vous parlez du fond et c'est tout à votre honneur. On va y revenir, mais moi, je parlais de la forme, parce que c'est de la politique et c'est aussi de la forme. Vous êtes couverte d'éloges aujourd'hui et on n'avait pas vu un ministre issu de la société civile, couvert d'éloges à ce point depuis la fin de son mandat. Cela veut dire quand même que vous avez dû accepter de faire un certain nombre de compromis, non ? Par rapport à d'autres venus justement du monde de l'entreprise et qui n'ont pas accepté ces compromis ?

R.- J'ai pris une première leçon et c'est peut-être en fait ce qui m'a aidé. Le deuxième jour de ma prise de fonction, le jour où interrogée par un de vos confrères sur une autre radio, j'ai exprimé mon souhait que l'on réforme rapidement le droit du travail en France, qui me paraissait être un frein au développement de notre pays. Et ce jour-là, j'ai été rappelée à l'ordre rapidement, on m'a demandé d'intervenir dans mon domaine et pas dans celui des autres. Donc je me suis interrogée pour savoir si j'allais fonctionner selon ces mécanismes, et je me suis dit que ça en valait la peine, précisément pour les entreprises, pour le secteur économique, auquel je pouvais apporter dans la mesure de mon ministère, celui du Commerce extérieur, les compétences que j'avais.

Q.- Oui, mais ça vous a imposé de gérer le Commerce extérieur avec des rustines, alors qu'il faudrait changer la chambre à air. Parce qu'aujourd'hui, on a toujours un point de fragilité très grave pour l'économie française avec le commerce extérieur ?

R.- Non, alors je vous corrige là-dessus. On a un point de fragilité en matière..., enfin on produit un déficit, mais aujourd'hui, les entreprises sont véritablement en situation de se redéployer à l'exportation. Mais pour autant, je suis complètement d'accord avec vous, il y a une série de réformes de fond qui sont totalement abordés dans le programme de N. Sarkozy, que nous devons impérativement mettre à l'oeuvre dans le pays pour que les entreprises françaises soient vraiment en mesure d'être compétitives par rapport à des concurrents comme les Allemands, comme les Italiens ou comme des pays du sud-est asiatique.

Q.- Juste un mot et on va aller sur ces réformes. Mais on a souvent parlé d'une sorte..., enfin le plafond de verre, ça ne me plaît pas vraiment comme expression. Mais dans la tête de beaucoup de chefs d'entreprises français, l'idée de l'exportation n'est pas forcément encore assez présente. Au-delà des réformes dont on va parler, mais juste une question de mentalité ? Peut-être pas assez ouvert sur le planète ?

R.- C'est vrai parce que nous avons un marché qui est extrêmement attirant, qui est assez vaste. Avec des marchés de proximité qui sont de la toute petite exportation et que par conséquent, il a été assez facile pendant longtemps de se cantonner dans un pré carré bien connu. Et on a pris du retard, par rapport à des Allemandes, par exemple, dont la structure est par ailleurs bien plus solide. Puisque vous savez, ils ont un secteur de la moyenne entreprise qui est beaucoup plus solide que le nôtre pour tout un tas de raisons sur lesquelles on pourrait débattre.

Q.- Alors "réformes profondes", est-ce qu'il faut pour ça avancer vite, madame Lagarde ? On sent monter du côté de certains syndicats, l'idée de prendre le temps, l'idée de négocier. Dans quelle disposition d'esprit est-ce que vous êtes vous ? Est-ce que le vote présidentiel est une sorte de référendum sur l'ensemble du programme de N. Sarkozy, et les syndicats n'ont pas à se mettre en face de ce chemin-là ?

R.- Moi, je fais trois observations. Premièrement, je crois que c'est une des premières fois que dans un grand débat d'élection présidentielle, les programmes de chacun des candidats sont identifiés avec autant de précision, avec un chiffrage, avec la méthode proposée par le futur président de la République, puisqu'il prend ses fonctions dans quelques jours, pour y arriver. Donc il y a un programme, il y a une méthode. Deuxièmement observation, il a un mandat, parce que 50, enfin plus de 53 % des votes des électeurs avec un suffrage aussi fortement exprimé par 84 % de la population, c'est un vrai mandat de changement. Et puis troisièmement, il a lui-même indiqué qu'il souhaitait que des conférences se tiennent avec les organisations syndicales d'une part, avec les organisations non gouvernementales sur les questions de l'environnement, pour précisément, aborder dans un climat de dialogue et de négociation, les grandes réformes qui doivent concerner à la fois le droit du travail, un certain nombre de questions fiscales et puis les grandes questions concernant l'environnement, le réchauffement de la planète.

Q.- Oui, donc ça veut dire prendre le temps alors ?

R.- Non, ça veut dire parce que...

Q.- Non, parce qu'avec notamment l'histoire du service minimum, on en parlera avec M. Dumas tout à l'heure, on a l'impression qu'il y a quand même en préparation une forme d'épreuve de force ?

R.- Je crois, pour les avoir vécues dans le secteur privé, [que] les réformes se font toujours avec toutes les personnes concernées par la réforme et rarement contre. Et je pense que le futur président de la République l'a bien compris, c'est bien dans cet esprit-là qu'il tend la main, qu'il veut inclure le plus possible tous les acteurs, en leur disant : asseyons-nous, négocions et voyons ce qu'ensemble nous pouvons proposer. Donc il y a un temps pour le dialogue, pour la négociation, et puis si d'aventure, ce qu'évidemment personne ne souhaite pour notre pays, la négociation ne donnait pas de fruit, à ce moment-là, il sera toujours temps de revenir devant le Parlement qui lui aussi sera sorti des urnes et sera revêtu d'une légitimité tout à fait forte.

Q.- Un mot, madame Lagarde : vous avez envie de continuer ? Un mot ?

R.- Si je peux servir à quelque chose, bien sûr, parce que c'est absolument fascinant et exaltant de pouvoir servir son pays.