Interview de M. Hervé Mariton, ministre de l'outre-mer, à RFI le 10 mai 2007, sur l'activité gouvernementale à la suite de l'élection de Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, à la présidence de la République et sur la popularité de Jacques Chirac, président de la République sortant.

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Circonstance : Journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage le 10 mai

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière H. Mariton bonjour, il reste deux évènements inscrits dans l'agenda du Président J. Chirac avant la fin de son mandat : la finale de la Coupe de France de football, ce sera samedi au Stade de France, et puis ce matin à 11H30, l'inauguration d'une stèle dans le Jardin du Luxembourg, à l'occasion de la Journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage et ce sera d'ailleurs aussi la première apparition commune de N. Sarkozy avec J. Chirac. A quoi va ressembler cette cérémonie, H. Mariton ?
 
R.- Une cérémonie toute simple, sans discours, parce que J. Chirac n'a pas envie d'ajouter des discours aux discours et que l'importance c'est le symbole, l'important c'est les valeurs de la République : ce sont les droits de l'homme, c'est l'universalisme aussi qui explique cette cérémonie avec la part particulière qui prend la France. La France, premier pays à avoir reconnu dans la loi que la traite des êtres humains et que l'esclavage étaient un crime contre l'Humanité. Hier encore, au Conseil des ministres, un projet de loi approuvant un traité sur ces questions. On est dans un moment d'unanimité, je l'espère, parce qu'il y a des clivages partisans en France, il y a des gens qui ont voté Sarko, d'autres qui ont voté Ségo et en même temps, il y a un certain nombre de valeurs de la République qui peuvent nous unir. Il y a aussi l'apport considérable qu'a été celui de J. Chirac pendant ses mandats pour affermir, rappeler, cultiver ces valeurs de la République. Donc je crois que c'est un moment important pour dire une part de ce qu'est la France, pas dans la repentance, mais dans le récit national et dans l'affirmation de valeurs dans lesquelles tout le monde peut se retrouver.
 
Q.- Mais pendant sa campagne et dimanche soir, au soir de sa victoire, N. Sarkozy a répété qu'il en avait assez de la repentance. Est-ce qu'il n'y a pas une sorte de paradoxe au fait qu'il s'associe à cette cérémonie aujourd'hui ?
 
R.- Mais moi-même, je suis tout à fait défavorable à l'auto flagellation, mais je crois simplement que le récit national doit être dit et que l'histoire doit être connue pour avancer, pour ouvrir des pages nouvelles, toujours. Dire, l'hommage de la Nation aux victimes de l'esclavage. Dire aussi la fierté de la France d'avoir pendant la Révolution, puis ensuite de nouveau avec V. Schoelcher en 1948, aboli l'esclavage. Dire que la France a été sur ce sujet comme sur d'autres, une lumière du monde, c'est plutôt un élément de fierté. N. Sarkozy dit la fierté d'être français, la fierté d'être français, ce n'est pas une théorie, la fierté d'être français, ce sont des moments forts de l'histoire du monde.
 
Q.- H. Mariton, N. Sarkozy est de retour en France depuis hier. Qu'est-ce que vous pensez de ces brèves vacances sur le yacht de V. Bolloré ?
 
R.- L'important, c'est ce qu'il en sort, l'important ce sont les décisions qu'il prendra quand il sera président de la République le 16 mai au soir.
 
Q.- Est-ce que c'était le cadre idéal pour habiter la fonction ?
 
R.- C'est son choix. N. Sarkozy est allé en Méditerranée, sans être entré encore dans la responsabilité officielle de président de la République, c'est donc un moment privé, c'est un choix privé. Il n'est pas en fonction aujourd'hui, il le sera le 16 mai au soir.
 
Q.- Mais est-ce que vous pensez quand même, qu'en terme d'image, ce n'était pas forcément ce qui pouvait se faire de mieux ?
 
R.- Il l'assume dans un choix privé, lui, sa famille, c'est son choix. Vous savez, il y a des gens qui disent : oh, là, là, ce dîner au Fouquet's c'est scandaleux etc. Moi je suis l'élu d'une circonscription rurale, dans la Drôme avec beaucoup de gens modestes, je connais beaucoup de gens qui, quand c'est le jour de leur vie, cassent leur tirelire pour aller dans un grand restaurant de la Drôme qui s'appelle « Pic » et dont les menus sont très chers. Donc, on peut aussi comprendre que le soir de son élection, c'était à bien des égards pour N. Sarkozy le soir de sa vie. C'est un moment privé, les quelques jours qui ont suivi, c'était un moment privé. Le 16 mai, après la transmission de pouvoir, cela ne sera plus un moment privé, N. Sarkozy ne sera plus tout à fait un homme privé et il devra alors habiter complètement la fonction de président de la République.
 
Q.- Vous voyez bien quand même le contraste entre le "candidat du peuple", c'est un terme qu'il a employé, candidat du peuple, suivi très vite du Fouquet's, du jet et du yacht.
 
R.- Je vous le dis moi, je connais des gens très simples et extrêmement modestes dans la Dôme qui cassent leur tirelire pour aller se payer un bon dîner quand c'est le jour de leur vie.
 
Q.- Vous étiez hier au Conseil des ministres, le dernier présidé par J. Chirac, est-ce qu'il était particulier ?
 
R.- Il était ordinaire et extraordinaire à la fois. Ordinaire, parce qu'avec beaucoup de maîtrise, J. Chirac a ouvert la séance en disant : eh bien on échangera quelques propos à la fin. Mais d'abord nous ouvrons l'ordre du jour : partie A, et puis projets de loi, projets de décret, nominations, communication sur des sujets importants. La culture, l'eau ressource rare, l'eau d'un point de vue écologique, l'eau d'un point de vue agricole. J. Chirac rappelant ses engagements dans ces matières. Et puis à un moment, cet ordre du jour ordinaire a été épuisé, comme on dit. Et donc, on est passé à une intervention de D. de Villepin, applaudi, c'est rare qu'on applaudisse en Conseil des ministres. Et puis une intervention de J. Chirac, applaudi aussi. Et puis ensuite un déjeuner, avec à la fois quelques propos, avec des blagues comme on peut en avoir autour d'un déjeuner et puis là aussi, dans l'autre ordre pour le coup, un peu à rebours du protocole, mais on n'était plus dans un temps protocolaire, un propos du Président rappelant qu'en France tout se termine par des discours. Et un propos empreint de beaucoup d'émotion de D. de Villepin, Premier ministre, ancien secrétaire général de l'Elysée, rappelant combien il connaissait la maison et combien nous devions - Gouvernement mais la France devait - beaucoup à l'action de J. Chirac. Une action qui souvent n'a pas été parfaite, parce qu'il s'agit de choses humaines.
 
Q.- Il y a un sondage BVA ce matin, 54 % des Français jugent mauvais le bilan de J. Chirac.
 
R.- Dont acte, le peuple s'exprime souverainement, c'est un sondage, ce n'est pas une élection. Je crois simplement que c'est à certains égards injuste, même si c'est l'opinion des citoyens à un moment donné. Je crois que J. Chirac a beaucoup apporté, la modernisation du pays a tout de même fait de grands pas. La cohésion sociale, parfois menacée a été maintenue, améliorée et en même temps les fragilités restent considérables. Alors les gens retiennent peut-être plus les manifs de banlieues de la fin 2005 que ce qui a été fait en termes de rénovation urbaine sur le plan Borloo etc. C'est la difficulté de la vie publique. Les valeurs de la République ont été bien affirmées, les Français se souviennent de Chirac en 2002 face à J.- M. Le Pen. Ecoutez, le bilan c'est évidemment un peu trop tôt pour le faire, je crois qu'il est important, je crois qu'il y a aussi beaucoup de choses à faire. Ce sont des chances nouvelles qui s'ouvrent aussi à la France demain avec N. Sarkozy. J. Chirac, lui a souhaité ses meilleurs voeux.
 
Q.- Vous n'avez pas obtenu d'information hier, sur ce que vont faire J. Chirac et D. de Villepin dans l'avenir ?
 
R.- J. Chirac, tout le monde sait qu'il va créer une fondation, il aura des bureaux au sein desquels il va mettre le beau tableau que nous lui avons offert. Et puis D. de Villepin, il ne dit pas à la politique "Fontaine, je ne boirai jamais de ton eau". En 2008, peut-être s'engagera-t-il. Ce que je crois simplement c'est qu'il a envie, pendant quelques mois, d'un peu de "rupture" pour utiliser ce mot, qui ne lui était peut-être pas le plus familier. Et pendant quelques mois, que ce soit dans le privé, dans le public, de passer à autre chose, quitte à revoir la politique, son engagement, ses grandeurs et ses difficultés à un autre moment. Mais quand on sort de Matignon, on n'a pas envie d'embrayer tout de suite. Voilà.
 
Q.- H. Mariton, qu'est-ce qui va changer selon vous dans le style de la présidence de la République avec N. Sarkozy ?
 
R.- Si je veux être très honnête dans ma réponse, je n'en sais rien... non honnêtement, je ne suis pas le plus intime de N. Sarkozy, mais je n'en sais rien. Parce que, il va falloir que N. Sarkozy constitue des équipes, il va falloir qu'il habite la fonction, il y a la pratique. Il faut se mettre dans le costume, à tous les sens du président de la République. En même temps, moi, ce que je trouve positif, c'est quand N. Sarkozy - et je trouve que cela a été son atout dans la campagne présidentielle - s'engage sur un programme d'action net, clair, opérationnel, avec un mode d'emploi et qu'il se donne obligation de résultat. Donc, moi je crois qu'il faut que l'on passe très vite à l'action, au résultat, on n'a pas le droit de décevoir. Les Français attendent de nous qu'on agisse, qu'on agisse vite et qu'on agisse de manière très opérationnelle sur les sujets qui leur sont chers : pouvoir d'achat, l'emploi, les questions de sécurité, mais aussi les sujets qui peuvent rassembler large, je pense aux questions d'environnement. Quel sera exactement le Président N. Sarkozy ? Eh bien vous, comme moi, comme vos auditeurs, on ne le sait pas encore et nous le verrons. En tout cas je souhaite que cela se passe bien évidemment.
 
Q.- Un dernier mot, le Conseil national de l'UDF se réunit aujourd'hui. 22 des 29 députés UDF ont appelé à voter N. Sarkozy au second tour. Est-ce que vous pensez que F. Bayrou a un peu mangé son pain blanc ?
 
R.- F. Bayrou a sans doute un créneau à occuper. Moi je viens de l'UDF, je suis à l'UMP très à l'aise dans mes baskets, mais j'ai été, historiquement, au Parti républicain, à l'UDF. Ce que je crois c'est que l'UDF peut avoir naturellement son autonomie, sa liberté, ses exigences, son impertinence et qu'en même temps l'histoire est faite. Les pères fondateurs de l'UDF et les électeurs de l'UDF, la très grande majorité des parlementaires UDF, elle est faite d'un partenariat exigeant et logique entre l'UDF et l'UMP. Si F. Bayrou décide à rebours, s'il décide à l'envers et de faire l'inverse, quelque part, F. Bayrou aura quitté l'UDF.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 mai 2007