Interview de M. François Baroin, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, à France-Inter le 14 mai 2007, sur la victoire de la majorité UMP à l'élection présidentielle ainsi que sur la personnalité et le bilan de Jacques Chirac, président de la République sortant.

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Média : France Inter

Texte intégral

 
N. Demorand.- Ministre de l'Intérieur, maire de Troyes, conseiller politique à l'UMP et très proche de J. Chirac, bonjour F. Baroin.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- Et bienvenue sur France Inter. Mercredi aura lieu la passation de pouvoir entre N. Sarkozy et J. Chirac. Dans quelle mesure, F. Baroin, la joie de voir un membre de votre famille politique accéder à l'Elysée, après cette campagne présidentielle, est-elle altérée par le fait que cette victoire a été construite, quand même, si on regarde les choses de près, sur une rupture avec J. Chirac ?
 
R.- La satisfaction et le plaisir est très supérieure à ce que vous pouvez dire ici, parce que c'est la première fois, depuis 25 ans, qu'une majorité se succède à elle-même, et pour J. Chirac qui s'est investi, qui a apporté son soutien à N. Sarkozy, qui avait voulu la création de l'UMP au lendemain de sa réélection en 2002, dans les conditions singulières face au Front national pour offrir une grande formation de la droite et du centre et pour constituer un bloc d'une majorité présidentielle qui l'a accompagné tout au long de ces cinq ans, c'est un vrai, une vraie satisfaction personnelle, c'est une vraie prouesse politique et c'est aussi un élément de grandeur, que d'accepter que quelqu'un de sa famille qui a le talent, qui a la capacité de mener cette campagne et qui au final a eu cette capacité de convaincre une majorité de Français qui est N. Sarkozy...
 
Q.- Et qui ne se dit pas son héritier. Et qui ne se dit pas son héritier ?
 
R.- Et qui ne se dit pas son héritier d'accepter le fait que la rupture qui a été un élément probablement pour créer les conditions de la victoire de N. Sarkozy, soit l'un des éléments de langage dominant, de cette campagne. C'est aussi un geste d'une grande force politique de la part de J. Chirac, d'avoir privilégié non pas la préservation des acquis de son mandat mais d'avoir favorisé l'élément dynamique d'une campagne pour permettre à quelqu'un de son camp d'être installé à l'Elysée.
 
Q.- C'est tout de même difficile non ? Douloureux peut-être, je ne sais pas, de quitter une vie politique sans avoir d'héritier direct ou en tout cas, d'héritier qui se réclame nettement de ce qu'a pu être le chiraquisme. Qu'en pensez-vous ?
 
R.- Non, on ne peut pas le dire comme ça. D'abord, la carrière de N. Sarkozy n'a cessé de croiser celle de J. Chirac, et aujourd'hui il est désormais son successeur. Ensuite, en politique, il y a des hauts, il y a des bas, il y a des périodes de rencontre, il y a des périodes de croisement et puis il y a des périodes parfois de changement et parfois d'éloignement, parfois de rupture. Au final, ils sont retrouvés ensemble après des séquences plus ou moins difficiles, qui permettent à l'un et à l'autre, à J. Chirac Président sortant d'avoir cette satisfaction, de pouvoir poursuivre cette action dans la logique majoritaire, telle qu'elle a été dessinée pendant ces cinq années et pour N. Sarkozy, je le crois, d'avoir une famille qui s'est rassemblée autour de lui, de sa candidature, de ses capacités et qui font qu'il est un président de la République, qui dans quelques semaines, je l'espère aura une majorité présidentielle pour gouverner.
 
Q.- Qui est J. Chirac pour vous, F. Baroin ? On lit souvent dans les journaux que vous êtes comme son fils spirituel. Alors si vous êtes comme son fils, est-il comme votre père ?
 
R.- Non, chacun a son père, lui il n'a pas eu de fils. En revanche, il a eu cette force, je crois, d'abord d'être toujours ouvert sur le monde et d'avoir une curiosité intacte. Il a un regard sur les hommes et sur les femmes et ce qui m'a beaucoup frappé c'est cette densité humaine tout simplement. Ce n'est pas un homme qui ait un « prêt à penser » qu'il impose, ce n'est pas un homme qui a une philosophie avec des étagères à l'intérieur desquelles il rentre des tiroirs et il les ouvre. C'est un homme qui formidablement de son temps, contrairement à tout ce qu'on a bien pu vouloir dire, en ce sens, qu'il écoute, il regarde, et il adopte la meilleure attitude, pour mener la meilleure politique avec des convictions qu'il ne négocie jamais. Tout ce qu'il a fait, sur la cohésion de la nation, l'unité de la société, le pacte républicain, la relance de la laïcité, cette volonté de cohésion sociale, son analyse d'une société fragilisée par un monde incertain et turbulent, l'a amené je crois à être à la fois un homme de rassemblement, ce qui était très puissant et très demandé en 2002, un homme de paix, avec la gestion de la question irakienne et il restera dans l'histoire de ce point de vue, comme l'homme qui a eu raison contre toutes les forces puissantes sur le plan international. Et puis c'est un homme également de vision, je crois que son analyse du co-développement, la question de l'immigration, les pays pauvres avec une démographie très dynamique et puis les pays riches avec une démographie plutôt au ralenti, font qu'on est dans un effet de ciseau qui peut être très menaçant et donc son rôle autour du développement et de la protection environnementale, font de lui quelqu'un humainement merveilleux - je pèse mes mots - et politiquement passionnant, parce que contrairement à une idée reçue, toujours de son temps, parce que toujours à l'écoute de ce qui se passe dans la société.
 
Q.- Qu'est-ce qu'il vous a appris ? Ou qu'avez-vous appris à ses côtés au long de ces années ?
 
R.- D'abord il m'a donné confiance en moi-même. Il m'avait dit très tôt, un peu d'ailleurs ce que N. Sarkozy avait dit le soir de son élection - il faudra peut-être un jour lui poser la question, savoir si ça fait partie des enseignements de J. Chirac autour de la construction personnelle de Nicolas - mais il m'a dit cette phrase : « Le pays t'a donné et il faut que tu lui rendes. » On ne s'en rend pas toujours compte quand on a 15 ans, 18 ans ou 20 ans, par un système éducatif, par un dispositif de protection, par des services publics magnifiques, par une position historique qui vous dépasse et cette capacité d'emmagasiner ce que le collectif vous donne pour ensuite le restituer. Alors on peut le faire sous plusieurs formes, vous le faites comme journaliste, on peut le faire dans le syndicalisme, on peut s'engager dans des associations, il a dit « la politique c'est quelque chose qui te permettra de donner encore plus et d'agir. » Et donc ce point-là a été très important. Et ensuite cet amour de la France, cet amour des valeurs républicaines et ce désir d'insister plutôt sur ce qui rassemble que sur ce qui divise.
 
Q.- Dans le bilan, on voit beaucoup, F. Baroin, que J. Chirac est considéré comme un homme de mots, c'est-à-dire quelqu'un qui a su mettre les mots sur un certain nombre de réalités : le danger pour l'état de la planète, les enjeux écologiques, la fameuse fracture sociale... Donc savoir trouver les mots c'est important mais dans le bilan, il y a aussi l'aspect négatif, il n'a été qu'un homme de mots, notamment sur la fracture sociale. Qu'en pensez-vous ?
 
R.- Je pense que c'est le regard de l'instant, pardonnez-moi de le dire ainsi, très caricatural et qui n'est en rien ce que le regard de l'historien pourra apporter sur les 12 ans de Chirac à l'Elysée. D'abord parce que si on retrace ce qui s'est passé entre 2002 et aujourd'hui, ce qui est le bilan de la mandature, on a les meilleurs chiffres en termes de recul du chômage depuis 25 ans, il y a les meilleurs chiffres en terme de production de logement social depuis plus de 20 ans, il y a un renforcement de l'autorité de l'Etat qui a permis de réduire très significativement et les actes de délinquance et d'augmenter les taux d'élucidation des enquêtes...
 
Q.- Oui, mais il y a en même temps ce sentiment que la France est en déclin, qu'elle est fragile, qu'elle s'interroge, qu'elle n'est pas à sa place dans une économie mondialisée, il y a tout ça aussi ?
 
R.- Oui, mais parce que nous sommes un pays qui s'est structuré avec un Etat très centralisé, qui n'a pas encore totalement absorbé la deuxième phase de décentralisation, avec des industries de main d'oeuvre qui ont été très, très fortement touchées par les délocalisations. Mais d'un autre côté, nous sommes formidablement puissants en terme de développement de nouvelles technologies. La France est aux avant-postes dans de très nombreux secteurs et je trouve que cette névrose et ce pessimisme n'est pas de bon ton. Et j'ajoute qu'il y a vraiment de très fortes raisons d'espérer. Vous savez, quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console : il faut voyager plus. Moi, j'ai eu la chance comme ministre d'Outre Mer d'avoir une ouverture sur le monde par les positions françaises que nous avons grâce à ces territoires. Vous savez, le regard porté sur la France n'a rien à voir avec le regard que les Français portent sur eux-mêmes.
 
Q.- Avec la fin de son mandat, F. Baroin, J. Chirac, redevient un justiciable comme les autres, possiblement entendu donc par la justice dès mi-juin. Vous pensez que ça arrivera à un président de la République, ex-président de la République devant les juges ?
 
R.- Je n'en sais strictement rien, je ne suis favorisé d'aucune confidence et je dirais que c'est vraiment très, très secondaire.
 
Q.- Ca ne gâche pas la sortie quand même ?
 
R.- Non, non, rien ne gâche la sortie, et puis vous savez, un président de la République, ça se juge dans l'histoire, chacun porte son jugement tel qu'il soit, et porte son regard. Je suis convaincu que la trace et la marque, car les deux font de paires, la trace et la marque qu'il laissera à la tête de notre pays constitueront un élément important de l'histoire de notre pays. A tout de suite, F. Baroin...
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2007