Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les acquis de la conférence de Rambouillet sur le Kosovo, le blocage des autorités yougoslaves et la prolongation de la réunion, Rambouillet le 20 février 1999.

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Texte intégral

Le ministre - Jai lu tout à lheure la déclaration au nom de lensemble du Groupe de contact, je peux répondre à quelques questions en plus mais, je nai pas beaucoup de temps.
Q - Quest-ce qui vous fait penser que les Serbes à Belgrade prendront plus sérieusement ce nouveau délai ?
R - Dabord, je voudrais souligner le fait que cest une évaluation conjointe de tous les membres du Groupe de contact. Jai parlé en tant quhôte et donc président de la réunion daujourdhui, mais ce que jai dit tout à lheure, cest au nom des Six. La deuxième chose, cest que, dans les tout derniers jours, nous avons vu des évolutions. Cela confirme le principe selon lequel dans une négociation, cest sous la pression de la conclusion, cest dans les derniers moments que lon peut voir les positions bouger. On a vu, à propos du volet politique de laccord certains éléments être négociés, non pas directement parce quils continuent à ne pas négocier directement mais par lintermédiaire des trois négociateurs, certains éléments être pris en compte, certains amendements se faire à la marge, puisque vous connaissez le principe général, il y a des textes dont léconomie générale nest pas modifiée, mais il peut y avoir des discussions.
On a vu, dans les dernières 24 ou 36 heures, des éléments bouger brusquement, sur des points qui ne bougeaient pas, où il y avait un dialogue de sourds depuis des jours et des jours. Cest pour cela que jai indiqué tout à lheure que sur le plan politique, les deux parties nous avaient semblé avoir progressé dans le bon sens. Je le répète : cest une évaluation de tous les membres du Groupe de contact, il ny a aucune distinction entre les uns et les autres là-dessus. Constatant cette situation, voyant quil y a eu des mouvements, difficiles mais quand même prometteurs, compte tenu de lenjeu, compte tenu des perspectives nouvelles et fortes quouvrirait un accord sur le Kossovo, compte tenu des conséquences quentraînent un échec que nous serions obligés de constater avec la suite, pour toutes ces raisons, nous avons accepté la demande des parties mais en même temps en les ayant en quelque sorte contraint à poursuivre pendant un temps bref ces négociations. Je nannonce - et je nai jamais annoncé dans cette affaire des négociations de Rambouillet - aucun résultat à lavance, je ne me suis jamais déclaré optimiste mais simplement déterminé et résolu. Nous sommes, mes homologues et moi-même, dans le même état desprit, et nous allons faire en sorte que ce petit délai supplémentaire soit utilisé au mieux, notamment par les trois négociateurs que nous avons précisément remandatés et avec lesquels nous avons très longuement parlé cet après-midi lorsque nous avons fait la réunion du Groupe de contact, après avoir entendu dailleurs les deux parties qui sont venues devant nous et que nous avons pu questionner sur létat exact de leur réponse.
Q - Que sest-il passé entre midi et 16 heures ?
R - Nous navions pas décidé de prolonger, cela sest passé tout naturellement par le fait quil y ait les six ministres et que nous alternions, au fur et à mesure de cette journée, des rencontres entre nous, à 2, 3, 6 ou avec les négociateurs. Certains avait vu tel ou tel Albanais, tel ou tel Serbe, rendait compte aux autres, nous refaisions le point, nous repartions, la discussion se poursuivait. Et quand nous avons épuisé les possibilités de progrès qui découlaient de ce type de rencontres variées, nous avons dit que nous fixions la date précise du Groupe de contact qui doit se réunir formellement. Nous nous étions vus à six à plusieurs reprises, depuis tôt le matin jusque dans laprès-midi, mais nous avions bien prévu une évaluation, cétait une évaluation sérieuse. Nous avons dailleurs symboliquement changé de salle : le Groupe de contact sest réuni, a entendu la partie albanaise, puis la partie yougoslave et serbe et ensuite a très longuement délibéré.
Voilà ce qui sest passé.
Q - Lors de ces réunions, il ny a eu aucun moment où les Serbes et les Albanais ont été dans la même salle ?
R - Je ne crois pas. Nous ne sommes pas à la recherche dune satisfaction formelle, ce que lon veut, cest que cela avance. On a vu dans la dernière journée que les négociateurs, en faisant la navette, avaient marqué des points qui justifiaient quil y ait un ultime effort.
Q - (Inaudible)
R - Cela forme un tout, cest bien ce que nous soulignons. Sil ny avait que le volet politique, nous pourrions dire que laccord est possible, et même quil nest pas loin. Mais, précisément, il ny a pas que le volet politique et on ne peut pas les dissocier, on ne peut pas considérer que ce sont deux choses différentes ni même chronologiquement trop différentes. Cela forme un tout.
Q - Inaudible.
R - Le problème se présente à lenvers. Lorsque vous êtes dans une situation où vous voyez que les choses bougent, et je le répète que lenjeu est si grand, dans un sens comme dans lautre, que les conséquences dun accord comme les conséquences dun échec sont tout à fait considérables, vous nallez pas vous priver de lultime possibilité de réussir. Ce nest pas possible. Et les six ministres ont décidé, sans discussion compliquée de donner un petit délai supplémentaire. Ce nest pas une solution de facilité, cela ne traduit pas un fléchissement, cest tout linverse. Cest une concentration paroxysmique de volonté daboutir.
Q - (A propos de la Russie et de lOTAN).
R - Depuis le début, il y a une situation un peu particulière de la Russie lorsque lon traite des questions qui touchent à lOTAN. Cela nest pas nouveau : chaque fois que ces questions-là sont discutées, il y a cinq pays du Groupe de contact qui sont directement concernés et la Russie qui ne lest pas mais qui a tenu de façon constructive, depuis le début, à accompagner ce travail, accompagner cet effort et qui na jamais utilisé sa singularité comme un élément pour faire obstacle ou pour ralentir quoi que ce soit.
Il y a une différence de situation qui est connue. A part cela, il y a au sein du Groupe de contact, des discussions constantes parce que lon a à prendre des décisions vraiment difficiles. Ce sont des discussions ouvertes, ce ne sont pas de clivages. Nous sommes des partenaires dans cette affaire, des amis sur le plan personnel, nous voudrions vraiment réussir. Nous discutons, mais ce ne sont pas des clivages de pays à pays.
Q - La partie albanaise est arrivée à Rambouillet une peu éparpillée, avez-vous limpression quelle sest ressoudée au bout de 15 jours, quelle est plus cohérente et quelle réussit mieux à affirmer ses ambitions ?
R - Je pense en effet quau sein de la délégation albanaise, le fait davoir accepté de venir, dêtre venus ensemble, de sêtre trouvé dans ce même lieu pendant longtemps, a produit des dynamiques et a des conséquences multiples. Ils se connaissent sans doute mieux, avec une meilleure appréciation de ce qui les rassemblent ou de ce qui peut les distinguer. Je crois que cest assez sensible mais cela ne veut pas dire pour autant que cela rende totalement facile certaines décisions difficiles même pour eux.
Q - Avez-vous limpression que, pour les uns comme pour les autres, il y a une sorte deffet Rambouillet ?
R - Je pense que cette méthode, ce lieu, nont suscité aucun blocage. Cela na peut-être pas levé tous les blocages, comme par enchantement mais cela na créé aucun blocage au contraire. Il me semble que dans cette affaire du Kossovo, en ce qui concerne la prise de conscience, lanalyse des positions des uns et des autres, le travail, le début de tentatives de négociations, nous avons plus progressé en 15 jours quen 15 ans. Cest évident et quelle que soit lissue mardi sur le fond. Mais, cela ne règle pas tout comme par enchantement non plus.
Q - (Inaudible)
R - Vous me pardonnerez si je ne suis pas trop précis, il faut respecter cette négociation et leffet de cette méthode dont nous parlions il y a un instant tient aussi au fait quil y a une discrétion relative, aussi grande que possible qui est maintenue car il ne faut pas que chaque mouvement, chaque éventuelle concession donnent lieu à un débat public et soit aussitôt interprété dans un sens difficile pour les négociateurs. Cest très compliqué dêtre négociateur et cest très compliqué dêtre membre des délégations des deux parties. Cela fait aussi partie de la méthode. Il faut quils puissent se livrer à des hypothèses de travail quils puissent réfléchir ensemble.
Néanmoins, nous avons vu que, à propos du statut dautonomie, dans un premier temps, la délégation albanaise était sur une revendication radicale de lindépendance assurée par un référendum annoncé, ne voulait pas du tout entrer dans la discussion concernant par exemple le maintien dun lien visible entre le niveau fédéral de la République de Yougoslavie et le Kossovo autonome. On voyait quau début, il ny avait pas déchange possible à propos de cette question des minorités non albanaises du Kossovo dans le Kossovo autonome, des Serbes ou autres qui seraient des minorités. Et finalement, je ne peux pas dire que le dialogue se soit noué, puisque cela na jamais été direct, mais ce sont des sujets sur lesquels les négociateurs ont réussi à travailler, à recueillir des amendements, à faire réagir les autres sur les amendements, à avoir des contre-amendements, et faire un travail classique de négociations.
Voilà des petits exemples qui nous font dire comme je le disais au début, mais je ne peux que me répéter, pardonnez-moi que sur le plan politique, on voit comment on pourrait atteindre laccord mais précisément, il y a le volet sécurité qui est indispensable. Sans ce volet sécurité, cette présence militaire internationale au sol, la partie albanaise nira pas au bout des concessions que lon attend delle parce quelle naura pas suffisamment confiance et on comprend bien pourquoi. Cela suppose quil y ait en face une décision grave pour accepter cette présence qui est quelque chose dévidemment tout à fait aux antipodes que les Yougoslaves et les Serbes se font, quels que soient dailleurs leur couleur politique, de la souveraineté nationale. Cest une sorte de bond, de pas de géant qui est à faire en terme de mentalité sur ce plan.
Q - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui, pour Belgrade rendrait un accord plus acceptable ?
R - A vrai dire, je ne le sais pas très bien puisque nous navons pas été saisi de contre-propositions. Je ne peux pas comparer une proposition acceptable et une contre-proposition inacceptable ou linverse. Je ne sais pas très bien, mais ce que je peux vous dire, ce que nous répétons, cest que cet accord est dans lintérêt des deux parties. Ce nest pas un accord mené pour imposer une solution favorable à une partie contre lautre. Le Groupe de contact, dès ces premières réunions en mars 1998 a examiné ce problème, sest interrogé sur toutes les solutions possibles et a conclu à lautonomie substantielle. A partir de là, il y a eu un raisonnement qui a conduit à lidée de cette garantie au sol. Nous pensons vraiment - les six ministres le pensent -, que cette force au sol serait une garantie dans les deux sens une garantie de sécurité pour les populations albanaises du Kossovo, comme dailleurs pour les minorités non albanaises du Kossovo. Ce serait une garantie pour que les milices soient désarmées, mais pour quelles soient désarmées, il faut quil y ait une sécurité plus forte. Cest donc une garantie, même du point de vue de la Yougoslavie qui voit ainsi confirmer, à travers cette stabilité, son intégrité et sa souveraineté. Cela nous semble répondre au besoin des uns et des autres.
Q - Inaudible
R - Nous avons constaté que les quelques progrès dont nous avons parlé aujourdhui ont été faits dans la toute dernière période. On peut donc en effet espérer que dautres progrès soient faits dans la toute petite période supplémentaire que nous avons imposée et qui sera également sous pression. Cest ce que nous espérons.
Q - (Inaudible)
R - Cest une négociation, donc on parle, on essaie de convaincre. Ce sont essentiellement les négociateurs qui parlent, les ministres ne sont pas là pour se substituer aux négociateurs mais pour évaluer le travail qui est fait. Ce sont des discussions dans lesquelles nous essayons de comprendre les raisons fondamentales de ce blocage des autorités yougoslaves. On connaît leur réaction historique, ils lont dailleurs dit publiquement : ce pays dit quil na jamais accepté de troupes étrangères sur son sol. Mais, nous faisons remarquer que les comparaisons historiques quils prennent nont rien à voir avec ce que représente aujourdhui les soldats issus de pays comme la France, la Grande-Bretagne, lItalie. On ne peut pas comparer cela aux périodes historiques où la Yougoslavie, avec courage dailleurs, avait réussi à empêcher la venue darmées étrangères sur son sol ou avait réussi à les combattre efficacement. Cela na aucun rapport mais on nous explique de partout - et pas uniquement les autorités de Belgrade - toute personnalité de ce pays, tout intellectuel de ce pays nous explique quil y a là une sorte délément didentité nationale dans ce refus. Nous prenons des exemples, nous montrons ce qui a pu se passer dans dautres pays, comment les choses évoluent. On essaie de montrer quen matière de souveraineté, lautonomie nest pas automatiquement la fin de la souveraineté. Ce nest pas une indépendance brutale et éventuellement déstabilisante, cest même linverse dans certains cas, cest une solution différente, nous prenons des exemples, on explique, on discute...
Q - Si nécessaire, irez-vous à Belgrade dici là ?
R - Ce nest pas dans mes projets pour le moment mais on nécarte au sein de ce Groupe aucune initiative utile ou efficace.
Q - Est-il prévu que lun des six ministres du Groupe de contact reste jusquà mardi ?
R - Non, ils ne restent pas. Il est possible que les uns ou les autres passent, comme dans la période récente si vous avez observé ce qui sest passé depuis 15 jours. En ce qui me concerne, jai plutôt lintention de laisser les négociateurs travailler et je crois que cest lintention de Robin Cook aussi. Mais, tout est possible. Ce nest pas organisé « comme à larmée ». Cela dépend des besoins.
Q - Et Mme Albright ?
R - Mme Albright est en Europe pour deux ou trois jours. On va travailler comme on la fait les deux premières semaines. Je suis de toute façon disponible, Robin Cook peut venir facilement, certains autres passent, mais nous gérons cela en concertation souple entre nous et en fonction de lutilité.
Q - (Inaudible)
R - Pas du tout, nous sommes toujours sous les mêmes menaces. Il ny a rien de changé. Il ny a pas dun côté, une logique diplomatique et de lautre, une logique de frappe. Il y a une diplomatie qui travaille au service dun objectif politique, une solution politique mais qui intègre la menace de la force puisquil faut appeler les choses par leur nom. Nous sommes dans la même situation quavant. Tout cela est combiné.
Il ne faut pas opposer ces instruments, ce sont des instruments au service dun objectif. Nous voulons, dune façon ou dautre autre, mettre un terme à cette tragédie du Kossovo qui est extrêmement dangereuse, qui est choquante bien sûr mais qui en plus est dangereuse. Nous voulons y mettre un terme. Nous employons tous les moyens dont nous disposons, quils soient politiques ou diplomatiques ou militaires sil le faut. Cela forme un tout.
Q - (Inaudible)
R - Je ne pense pas, il est pris au contraire de plus en plus au sérieux et cette mobilisation diplomatique, ces réunions, cette présence en France si continue tous ces derniers temps montre une concentration de la part de lensemble des pays du Groupe de contact. Il représente beaucoup : les Etats-Unis, la Russie et toute lEurope, la relation avec les Quinze pays dEurope est assurée par lintermédiaire de M. Fischer qui est le président en exercice. Il y a une concentration qui est tout à fait considérable et je crois que la détermination qui est réitérée chaque jour, à travers la façon dont sexpriment les dirigeants des six pays, à travers une forte complémentarité qui a dû vous frapper, je pense quil en résulte un message de détermination qui ne fait que monter.
Q - (Inaudible)
R - Ce nest pas du tout notre état desprit. Pour être francs, ce nétait pas notre état desprit ce matin mais nous avons constaté des vrais mouvements dans la toute dernière période et nous avons vu quils avaient été obtenus grâce à cette concentration de pressions et grâce au délai qui était là. Ce sont les négociateurs qui nous lont dit, ce ne sont pas les ministres qui ont changé davis sur la ligne politique, plus de diplomatie et moins de menaces. Ce nest pas du tout cela, la ligne politique est exactement la même, simplement ils nous ont dit, « on est vraiment en train de faire du bon travail. Il se passe quelque chose, cela reste terriblement difficile peut-être impossible, on ne sait pas, mais il se passe quelque chose ». Cest là où nous avons estimé que nous navions pas le droit de couper ce momentum mais quil ne fallait pas trop le prolonger, sinon, nous allions perdre justement cet élan. Doù un délai très court.
Q -
R - Je crois que le côté détermination du recours à la force, sil le faut malheureusement est tout à fait perçu et tout à fait présent.
Q - Est-ce quune nouvelle réunion du Groupe de contact est prévue pour mardi de toute façon ?
R - Non, parce que cela se heurte à des problèmes dagenda : tous les ministres du Groupe de contact ne peuvent pas être tous à Paris tout le temps. Ils nous disent quils adorent cela, quils sont très contents davoir fait la connaissance de Rambouillet mais ils ne peuvent pas être là tout le temps. Par exemple, aujourdhui M. Ivanov était au Japon, il ne pouvait pas être avec nous, mais il était représenté par un vice-ministre. On ne sait pas ce qui est le plus commode. Ce qui est clair, cest quà lissue du délai dont je vous parlais, nous procéderons à une évaluation, elle se fera peut-être sous forme dune réunion, peut-être sous forme de conversations téléphoniques ou au contraire, nous écouterons lanalyse faite par les négociateurs et les directeurs politiques, nous verrons. Cest une question secondaire de moyens. Il ny a pas de réunion préprogrammée.
Q - (A propos du rôle de lOSCE)
R - De toute façon, lOSCE continue à jouer un rôle dans laccord parce que dans la force au sol qui est à nos yeux un complément indispensable de laccord politique, il y a un volet civil qui continuera à être mis en oeuvre dans le cadre de lOSCE, en combinaison avec lUnion européenne. De toute façon lOSCE a un rôle qui peut être étendu, pourquoi pas ? Tout ce qui peut aider à un accord est à prendre en considération. Concernant le Conseil de sécurité, il est prévu, entre les pays concernés, que léventuel accord serait endossé, cest le terme juridique exact - endossé et adopté par le Conseil de sécurité si cet accord arrive comme nous le souhaitons de toutes nos forces.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 1999)