Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RTL le 14 mai 2007, sur les relations entre les partenaires sociaux et le gouvernement, notamment la réforme des régimes de retraite et le service minimum dans les transports publics.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, F. Chérèque.
 
R.- Bonjour.
 
Vous serez reçu tout à l'heure à 9 heures, à sa demande, par le nouveau président de la République, N. Sarkozy. Que représente pour vous N. Sarkozy ? Un risque, du fait de ses choix politiques, pour le climat social ou au contraire, une possibilité de voir évoluer la société française ?
 
R.- C'est le président de la République choisi par les Français d'une façon très claire, avec une forte participation et une majorité nette. Donc, déjà un respect pour les institutions et pour ce qu'il représente ; mais un espoir, bien évidemment que les propos de la campagne électorale, que certains désaccords qui ont pu s'exprimer, soient débattus pour lui faire entendre une chose : c'est que si les Français ont donné beaucoup d'espoir dans cette élection, il a une grande responsabilité et que les réponses qu'il doit construire, il ne peut pas les construire tout seul. En tout cas, les politiques ne peuvent pas les construire tout seuls, ils doivent les faire avec ceux qui connaissent, le mieux je crois l'entreprise : les syndicats de salariés, les syndicats patronaux et le monde associatif.
 
Q.- Il ne veut peut-être pas les construire tout seul, mais il sait où il veut aller. Par exemple, a dit N. Sarkozy, avant la fin de l'année, "je veux qu'un service minimum soit instauré dans les transports publics".
 
R.- Eh bien, la CFDT a sur tous les sujets qu'a abordés N. Sarkozy, ses propres propositions. Et pour ce qui est de ce sujet-là, il faut qu'on se mette d'accord sur l'objectif. Quel est l'objectif ?
 
Q.- Que les trains fonctionnent...
 
R.- Eh bien voilà.
 
Q.-... Trois heures par jour, le matin ; trois heures par jour, le soir.
 
R.- Mais on sait très bien qu'au niveau technique, les choses ne sont pas si simples que ça. Mais l'objectif c'est que les trains fonctionnent, que le service public fonctionne et c'est une des préoccupations de la CFDT. Nous l'avons réaffirmée récemment. Et pour ça, on propose que dans toutes les entreprises publiques, il y ait une négociation avec les partenaires sociaux pour faire en sorte que l'on privilégie le dialogue, l'écoute, qu'il y ait le moins de grèves possibles, comme nous avons su le faire avec une belle démonstration, par exemple à la RATP. Et je pense...
 
Q.- Mais ça existe déjà, çà. Il n'y a pas besoin de loi alors, à vous entendre F. Chérèque.
 
R.- Ah non. Non. Nous, nous ne sommes pas... On ne va pas faire une Loi pour une ou deux entreprises publiques...
 
Q.- C'est ce que veut faire N. Sarkozy.
 
R.- Eh bien, sur ce sujet, on va rappeler au nouveau président de la République - comment dirais-je !- que la leçon qu'on a tirée d'une période qui a été une période, je pense, un petit peu ridicule en terme de dialogue social celle du CPE, le fait de décider tout seul amène plus de désagréments que de réformes. Et on en a tiré une leçon. D'ailleurs, la majorité qui y a participé, précédemment, a fait une loi qui dit que sur les domaines du social, un gouvernement ne peut plus faire une loi sans confier aux partenaires sociaux une négociation. Donc, on lui propose d'appliquer tout simplement cette loi. Qu'il y ait des négociations dans les services publics, entreprise par entreprise, puisque la situation n'est pas la même, pour trouver des solutions à ce problème.
 
Q.- En tout cas, vous le dites, F. Chérèque, et vous le répéterez tout à l'heure à N. Sarkozy : pas de loi pour le service public, pour le transport minimum dans le service public de transports en commun.
 
R.- Mais il nous semble qu'il n'y a pas besoin de loi. L'objectif, vous l'avez dit : c'est que les trains fonctionnent. Et vous avez dit, d'ailleurs "les trains". On ne va pas faire une loi pour une entreprise.
 
Q.- Mais cela fait des années qu'on en parle.
 
R.- Eh bien des années qu'on en parle, nous on pense... Et d'ailleurs, la CFDT a refusé - et c'est un signe que nous avons voulu donner - on a refusé de lancer un mot d'ordre de grève cette semaine à la SNCF pour justement montrer qu'on est en capacité aussi de trouver des solutions par le dialogue.
 
Q.- Dès le mois d'août, dit N. Sarkozy, il faut que soient applicables la détaxation et la défiscalisation des heures supplémentaires. Donc, là aussi, l'objectif est clair.
 
R.- Oui mais l'objectif est clair. Là aussi, nous avons des propositions alternatives. La CFDT a toujours dit qu'on pouvait ouvrir les négociations. Il y a une possibilité de faire des heures supplémentaires dans notre pays. Mais ce que nous ne souhaitons pas, c'est que l'ouverture sur les heures supplémentaires favorise les heures supplémentaires au détriment de l'emploi. Et vous savez, dans notre pays, on a des milliers de personnes qui veulent travailler plus pour gagner plus ; et je pense aux personnes qui sont à temps partiel imposé, à toutes les aides ménagères qui travaillent et qui sont à temps partiel imposé, toutes les personnes qui travaillent dans les grandes Surfaces qui veulent travailler plus pour gagner plus. Donc, privilégions déjà les temps partiels et faisons en sorte que le système d'organisation du travail ne privilégie pas les heures supplémentaires au détriment de l'emploi.
 
Q.- Donc là aussi, un désaccord avec N. Sarkozy, F. Chérèque ?
 
R.- Oui, mais on en aura d'autres. Mais je pense que ça fait partie...
 
Q.- Eh bien, dites donc, il va y avoir du sport tout à l'heure autour de la table !
 
R.- Non je ne pense pas. Eh bien, on verra s'il y aura du sport mais je crois que le président de la République n'est plus dans la situation du candidat. Il est dans la situation de construire avec les partenaires sociaux des réponses. En tout cas, on le souhaite.
 
Q.- Mais les réponses, il les a déjà. Et ce n'est pas les mêmes que les vôtres, visiblement ?
 
R.- Il a ses réponses. Sur les heures supplémentaires, le patronat n'est pas favorable à cette démarche-là parce que la volonté du patronat, c'est de faire travailler plus sans payer plus. Donc, on voit bien... Je prends un exemple : sur le contrat unique qui était aussi une proposition : "la" proposition du candidat...
 
Q.-... Du candidat Sarkozy.
 
R.-... Ca fait six mois qu'on travaille avec le patronat, les autres organisations syndicales pour faire une mise à plat des problèmes d'organisation du marché du travail dans notre pays. Au même moment où je serai avec N. Sarkozy, on fait un bilan de ce travail depuis six mois. On doit, et je l'espère d'ici la fin de l'année, se donner des objectifs de négociations. Donc ce qu'on attend du président de la République, c'est pas qu'il renonce à ses propositions, c'est qu'il laisse comme il s'y est engagé lui-même dans la campagne électorale, qu'il laisse ces espaces de négociations. Si on arrive à trouver des solutions pour arriver aux mêmes objectifs, c'est ce qu'il a dit et moi c'est l'objectif, si on atteint les mêmes objectifs par la négociation, qu'il nous laisse le faire. Si on ne l'atteint pas, à ce moment-là, il prendra les responsabilités qu'il le faut ; et il aura le droit de le faire.
 
Q.- Réforme des retraites. N. Sarkozy a dit qu'il souhaitait faire disparaître les régimes spéciaux de retraite. Vous êtes d'accord ?
 
R.- Il faut dans notre pays réformer tous les régimes de retraite par répartition pour les sauver.
 
Q.- Et faire disparaître les régimes spéciaux ?
 
R.- Non mais ça veut dire qu'on fait un régime unique mais ça coûtera beaucoup plus cher que de réformer régime par régime. Donc, je pense que... Non, on peut faire la démonstration comme vous voulez.
 
Q.- Ah bon ! Ca coûtera plus cher si on supprime les régimes spéciaux qui coûtent cher, ça coûtera plus cher ?
 
R.- Oui.
 
Q.- Ah bien dites-donc !
 
R.- ... parce qu'il faut faire une réforme régime par régime, comme on l'a fait à EDF. Monsieur Sarkozy était ministre des Finances à l'époque d'EDF. Il a inscrit luimême dans la loi qu'on ne pouvait pas toucher au régime d'EDF sans transformer la loi. Donc, on voit bien qu'il a su, en son temps, trouver des solutions. Donc réformer les régimes de retraite pour les sauver, c'est possible. Et je pense que si on ne le fait pas, ces régimes disparaîtront de toute façon.
 
Q.- Souhaitez-vous, F. Chérèque, qu'un coup de pouce soit donné au Smic, le 1er juillet ?
 
R.- Bien évidemment, il faut donner un coup de pouce au Smic. Mais on ne fait pas une politique salariale uniquement par l'augmentation du Smic. Donc, nous proposons - et là on a un débat, c'est aussi un engagement du candidat Sarkozy - de réfléchir à toutes les aides qu'on donne aux entreprises, en particulier les allègements de charges pour faire en sorte qu'on reconstruise des carrières professionnelles. Il y a trop de salariés qui restent au Smic toute leur vie : 17% de Smicards actuellement. Donc, il faut recréer du déroulement professionnel pour que chacun ait une évolution tout le long de sa vie professionnelle.
 
Q.- Et donc, coup de pouce au Smic. Vous croyez que l'automne sera chaud, F. Chérèque ?
 
R.- On ne peut pas le dire. J'espère que les quatre sommets sociaux que propose le nouveau président de la République déboucheront par des espaces de négociations et que dans notre pays, on arrêtera de faire les démonstrations qu'on a faites par le passé : passer en force ! Et qu'on fera évoluer les choses par le dialogue, par la négociation. Et je pense que par cette méthode, on pourra, j'en suis sûr, trouver les solutions nécessaires aux difficultés des salariés. Ils se sont mobilisés dans la campagne, ils veulent des réponses. A nous de les construire.
 
Q.- Voilà. Si N. Sarkozy nous a écoutés, il aura compris que vous n'êtes pas d'accord sur tout.
 
R.- Je crois, oui.
 
Q.- Mais c'est la vie !
 
R.- L'inverse aurait été étonnant.
 
Q.- D'accord. F. Chérèque qui n'était pas étonnant !
 
R.- Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2007