Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 15 mai 2007, sur les relations entre les syndicats et le gouvernement, le dialogue social et le service minimum dans les transports publics.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
R. Sicard- Hier, vous avez été reçu par N. Sarkozy. Est-ce que vous avez le sentiment que la période qui s'ouvre est une période de dialogue social ou pas ?
 
R.- C'est un peu trop tôt pour avoir une appréciation plus précise. Il y a en tout cas une démarche et un message qui a voulu nous être passé, y compris avec ce choix de recevoir les organisations syndicales, très tôt dans le calendrier, puisque le Président n'est pas encore explicitement en fonction. La cérémonie de passation ayant lieu demain. Je remarque d'ailleurs que vis-à-vis d'un certain nombre de ses collaborateurs, de son entourage, qui considéraient il y a quelque jours que les syndicats n'avaient d'autres choix, parce que n'étant que très peu représentatifs dans le pays - en tout ils le considéraient comme tel -, ils n'avaient qu'à s'aligner sur les décisions, sur la politique qui avait été approuvée par une majorité de Français.
 
Q.- Vous avez le sentiment que N. Sarkozy est plus ouvert au dialogue que son entourage ?
 
R.- En tout cas il a voulu, c'est ce que je retiens, par la gestion de son calendrier, montrer qu'il voulait discuter très tôt avec les organisations syndicales. Je me dis que si vraiment on ne pesait pas grand-chose dans ce pays, je ne vois pas pourquoi le Président nouvellement élu prendrait ce temps dans son calendrier alors qu'il y a beaucoup de choses à régler, à mettre au point en ce moment pour discuter avec les organisations syndicales.
 
Q.- Autrement dit, il vous a rassurés ?
 
R.- Je ne dis pas qu'il nous a rassurés, l'essentiel de l'entretien, comme je crois que cela a été le cas avec l'ensemble de ceux qu'il a reçus hier, à tour de rôle, a porté sur des questions de méthode. Il a été dit des choses durant la campagne, notamment sur des premières mesures susceptibles d'être prises dès juillet. Il a même été, à l'occasion de discours, annoncé que ces décisions seraient prises quoi qu'en pensent les interlocuteurs sociaux. J'ai enregistré le fait qu'hier, le message était sensiblement différent de ce point de vue là. Maintenant, s'il y a concertation, s'il y a négociations, c'est aussi par le traitement précis de chacune des questions qui vont être à l'ordre du jour que nous allons pouvoir nous apercevoir, si c'est une discussion ou des discussions pour la figuration, pour faire de la photographie, ou si, au contraire, on fait la place aux opinions exprimées par les syndicats.
 
Q.- Quel est le sentiment que vous avez eu hier, justement ? C'est plus de la figuration d'après vous ou c'est plus vraiment une volonté d'ouvrir les dossiers, de discuter, de négocier ?
 
R.- Le nouveau Président m'a demandé de ne pas faire de procès d'intention, alors je ne vais pas faire de procès d'intention, chacun est à même d'apprécier. Je pense qu'il y a aussi des élections législatives tout à fait prochainement. Peut-être estime-t-il qu'il avait intérêt, rapidement, à marquer qu'il souhaitait aménager des zones de dialogue avec les organisations syndicales. Mais personne, je crois n'est dupe.
 
Q.- Autrement dit, s'il y avait des mauvaises nouvelles, ce serait plutôt après les élections ?
 
R.- Je pense qu'il n'y aura pas d'annonce de mauvaises nouvelles avant les élections législatives, mais ça, je crois que tout responsable politique qui sait mener une vraie stratégie politique est à même de gérer un calendrier de ce point de vue là. Mais très rapidement, nous allons évaluer s'il y a effectivement un espace permettant aux organisations de salariés de se faire entendre ou est-ce, comme nous l'avons pronostiqué- je l'ai pronostiqué et je pense quand même qu'on reste sur cette philosophie - ce sont les organisations patronales qui seront davantage à l'écoute de la part du nouveau pouvoir.
 
Q.- Pendant la campagne électorale, vous aviez mis en garde contre un gouvernement ultra libéral. Est-ce que vous avez toujours cette crainte aujourd'hui ?
 
R.- Oui, tout à fait, tant qu'il n'y a pas des actes me démontrant que ce n'est pas le cas, nous n'avons pas abordé naturellement tous les sujets que nous pourrions faire. Mais nous allons normalement revoir le Président dans les prochains jours pour préparer plusieurs conférences à la rentrée, voire des réunions avec le Gouvernement. Mais par exemple, sur notre demande de revalorisation significative du SMIC, que nous souhaitons voir porté à 1.500 euros dès le 1er juillet, il ne nous a pas caché hier que ce n'était pas son choix. Donc déception déjà de ce point de vue là.
 
Q.- Sur un dossier par exemple comme celui de la durée du travail, N. Sarkozy dit qu'il faut pouvoir travailler plus pour gagner plus. Est-ce que là-dessus, vous êtes prêt à discuter ?
 
R.- Nous allons voir comment il illustre cette posture de campagne électorale, cela a été ça jusqu'à présent. Il semble s'apercevoir aujourd'hui qu'il y a quand même un problème...
 
Q.- Il a dit qu'il ferait ce qu'il avait dit.
 
R.- Oui sans doute, mais en tout cas il essayera de faire ce qu'il a dit sur un certain nombre de sujets. Est-ce qu'il y parviendra ?
 
Q.- Il y a des points sur lesquels vous essayerez de l'en empêcher ?
 
R.- Empêcher ou contrarier les projets tels qu'il les a annoncés ? Nous sommes convaincus et d'ailleurs il s'aperçoit lui-même que la clause du volontariat pour faire des heures supplémentaires est une clause qui n'existe pas dans le droit social d'aujourd'hui. C'est l'employeur qui dispose du temps de travail des salariés comme il l'entend. Et très souvent, cela dépend naturellement de l'activité de l'entreprise, du cahier des charges, du cahier de commandes de l'entreprise pour faire travailler les salariés. Or, il s'est prononcé sur la base d'un volontariat. J'attends de voir comment les employeurs conçoivent l'organisation du temps de travail à partir des expressions volontaires, des attentes individuelles de chacun des salariés. Là, il y a donc une réelle difficulté, après un slogan de campagne, à le traduire dans les faits, dans la vie des entreprises.
 
Q.- Sur le service minimum, qu'est-ce qui va se passer, est-ce qu'il vous en a parlé hier ?
 
R.- Nous en avons parlé et j'ai demandé à avoir des précisions à ce propose. Il y avait eu des déclarations très fortes, et nous avions d'ailleurs alerté sur l'intention de s'attaquer au droit de grève, à la représentation sociale. Il y a donc une conférence qui est susceptible d'être convoquée à la rentrée sur la démocratie sociale. Nous avons un problème de représentativité syndicale dans notre pays. Il faut améliorer la démocratie dans ce sens et j'ai disons, obtenu l'assurance qu'il n'y aurait pas de décision unilatérale du Gouvernement dans les prochaines semaines. En même temps...
 
Q.- Sur le service minimum ?
 
... R.- Sur le service minimum. En même temps, le Président n'a pas caché qu'il souhaitait que l'on discute du sujet durant l'été.
 
Q.- Mais ce qu'avait dit N. Sarkozy, c'est que s'il n'y avait pas d'accord pendant l'été, il y aurait une loi à l'automne.
 
R.- Nous verrons bien. Il n'a pas réaffirmé cette position hier, ce qui ne veut pas dire qu'il ait changé d'avis, je suis tout à fait lucide.
 
Q.- Mais ce sujet sur le service minimum, c'est un point de blocage possible ?
 
R.- Je ne pense pas qu'il faille confondre les causes et les conséquences. Personne, ni parmi les salariés, ni parmi les organisations syndicales ne fait de la grève un objectif en soi. S'il y a des zones où il y a des conflits et je remarque d'ailleurs que dans cette période les secteurs où il y a le plus d'arrêt de travail, le plus de grève, c'est dans le secteur privé. Et singulièrement depuis le début de l'année, pour obtenir des augmentations de salaire. D'ailleurs ce sont des mobilisations qui dans un nombre de cas significatif maintenant sont payantes, qui rapportent des augmentations qui n'étaient pas prévues. Donc la question de la grève n'est pas prioritairement aujourd'hui un sujet dans le secteur public et singulièrement dans les transports.
 
Q.- Dans le futur Gouvernement, il y aura 15 ministres, donc des regroupements de ministères, est-ce que ce regroupement, vous, cela vous inquiète, cela vous pose problème ?
 
R.- Je pense que les choix qui seront faits quant à la structure du Gouvernement et des terrains d'action, d'intervention de chacun des responsables, cela a une signification, cela a une importance. Ce que je perçois aussi c'est, une nouvelle conception dans la direction des affaires du pays. Je pense que nous allons vers une très forte centralisation de beaucoup de décisions, apparemment y compris dans le domaine social et parfois même par le menu détail.
 
Q.- Vous réclamez un ministère du Travail, vous voulez qu'il existe encore un ministère du Travail à part entière ?
 
R.- Eh bien ce n'est pas simplement pour faire bonne figure dans un panorama. Je pense que si par exemple on fait dépendre l'avenir de la Sécurité sociale des comptes dits sociaux de l'ensemble du budget de la Nation, que cela soit les argentiers de Bercy qui décident de ce qui convient de faire en matière de protection sociale uniquement à partir des critères financiers, c'est un choix politique mais c'est un choix qui ne permettra pas de répondre aux besoins sociaux qu'est censée assurer la Sécurité sociale. Donc la structure de Gouvernement, le périmètre des différents ministères, c'est quelque chose d'important effectivement.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2007