Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à RMC le 9 mai 2007, sur le dialogue social, la négociation avec les partenaires sociaux et le service minimum dans les transports publics.

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Texte intégral


  
 
J.-J. Bourdin.- C'est un peu la rentrée sociale ce matin sur RMC avec J.-C. Mailly, notre invité, secrétaire général de Force ouvrière. J.-C. Mailly, bonjour !
 
R.- Bonjour !
 
Q.- Merci d'être avec nous. Nous allons évidemment parler des projets du futur gouvernement et du nouveau président de la République... J.-C. Mailly, avant de parler de social, est-ce qu'il y a matière à polémique, le déplacement de N. Sarkozy, là-bas sur un yacht, sur le yacht de V. Bolloré, est-ce qu'il y a matière à polémique, selon vous ?
 
R.- Je pense que c'est quelqu'un qui assume ses choix, en ce sens où on sait très bien que quand on vient d'être élu président de la République, quel que soit l'endroit où il allait, cela allait être su, donc il assume ses choix ! Maintenant on peut comprendre aussi que cela suscite des réactions. Pendant ce temps là, il y en a beaucoup qui rament, sans faire de mauvais jeux de mots. Donc, cela suscite des réactions, c'est prévisible aussi.
 
Q.- Mais qu'est-ce qui suscite des réactions selon vous, le fait qu'il soit en vacances sur un yacht ou le fait qu'il soit sur le yacht de V. Bolloré, qui est un ami, très bien, mais qui aussi pourrait passer commande avec l'Etat ?
 
R.- Je crois que c'est l'ensemble, cela surprend en tous les cas, c'est le moins que l'on puisse dire et le fait... tous les journaux, tout le monde sort les chiffres, je ne dis pas que c'est lui qui a payé, apparemment il a été invité, ce n'est pas ça, mais cela représente quelque chose de luxueux à un moment où beaucoup de Françaises et de Français ont des conditions difficiles. Mais en même temps, je crois que c'est quelqu'un qui assume ses choix, c'est comme ça : je vis comme ça et puis voilà, je ne vais pas me cacher quoi.
 
Q.- Bien, J.-C. Mailly, parlons du dialogue social, du futur dialogue social. Je me souviens de ce que disaient N. Sarkozy et F. Fillon pendant la campagne présidentielle : le dialogue social prendra toute sa place, c'est ce qu'ils ont dit. De quelle manière à vos yeux ?
 
R.- C'est ce que nous allons voir dans les semaines à venir. Nous avons cru comprendre que nous serions reçus assez rapidement.
 
Q.- Assez rapidement, cela veut dire avant la fin du mois de mai ?
 
R.- Peut-être oui, enfin, on n'a pas la date, mais il faut déjà attendre que le Gouvernement soit en place, enfin ça, c'est le président de la République qui décidera. Il recevra les interlocuteurs sociaux, dont les syndicats et le patronat pour discuter un peu de méthodes, une première approche, je dirais. Ceci étant, si l'on veut effectivement et c'est important que le dialogue social prenne toute sa place - le dialogue social, c'est de la négociation, c'est de la concertation, il n'y a pas que le Gouvernement, il y a le patronat aussi dans le dialogue et la négociation - il faut à la fois que cela soit réel, cela veut dire laisser le temps aussi aux syndicats et au patronat de négocier.
 
Q.- Cela veut dire quoi : laisser le temps de la négociation ?
 
R.- Regardez, il y a des groupes de travail qui existent avec le patronat qui devraient se transformer en négociations prochainement, depuis deux ou trois mois. Nous, on a commencé à faire des constats sur des questions qui sont lourdes : l'avenir de l'assurance-chômage, on ne traite pas ça en quinze jours, ni en un mois c'est évident, ni en deux mois ; ce qu'on appelle les parcours professionnels et un troisième sujet, qui celui-là sera beaucoup plus difficile, à la demande du patronat, c'est le contrat de travail. Donc, si on se saisit de ces questions-là avec le patronat, on sait très bien. Moi j'ai toujours dit, c'est l'expérience qui conduit à ça. Vous savez le temps social, ce n'est pas le même rythme que le temps politique. Donc il va falloir laisser, et il y a une nouvelle loi qui précise cela, il faut laisser le temps aux négociateurs. Alors on aboutit ou on n'aboutit pas, ça on ne peut pas prévoir avant. Donc il faut respecter ce rythme-là, premièrement. Deuxièmement, donc cela veut dire ne pas passer en force ou rapidement sur certains dossiers, parce que...
 
Q.- Cela veut dire ne pas passer par la loi sur certains dossiers ?
 
R.- Si les négociations n'aboutissent pas, à un moment donné c'est logique que le Parlement reprenne ses initiatives, mais en tous les cas... je vais prendre une image, une caricature pour me faire comprendre : si on nous dit, eh bien voilà, il faut discuter de tel sujet, vous avez quinze jours, si dans quinze jours...bon, eh bien ça, ce serait une provocation, c'est ça que je veux dire. Il faut laisser le temps et je dis bien, on n'a pas les mêmes rythmes. Alors c'est tout cela que l'on va mesurer dans les semaines à venir.
 
Q.- Alors on va regarder les mesures préconisées par le candidat N. Sarkozy : le service minimum dans les transports publics en cas de grève, c'est négociable évidemment ou pas ? On passe par la loi si la négociation n'est pas trouvée, c'est ce qu'il a dit.
 
R.- Oui, c'est ce qu'il a dit, mais attendez, c'est un vieux sujet ça. Parler de service minimum c'est mal prendre le dossier selon nous, c'est ce qu'on a dit, y compris pendant la campagne électorale. Qu'est-ce que c'est que le service minimum, tel qu'il est conçu ou appréhendé ? C'est de dire, le jour où il y a des grèves, il faut que les trains circulent au moins trois heures par exemple le matin et trois heures l'après midi. Nous, ce que nous disons, mais depuis longtemps...
 
Q.- Mais vous dites oui ou pas à ça ?
 
R.- Non, pas au service minimum comme ça. Nous, ce que nous disons c'est qu'il faut mettre en place, on appelle ça des systèmes d'alarme sociale, cela existe aujourd'hui et cela fonctionne.
 
Q.- Cela existe à la RATP notamment.
 
R.- Et cela marche, cela veut dire quoi ? Il y a, pas forcément un conflit, il y a un problème qui se passe à la RATP, eh bien avant que cela ne s'envenime, on essaye de le régler tout de suite par la discussion et la négociation, cela règle énormément de problèmes. A peu près 70 % des cas soulevés sont réglés de cette manière. Après, s'il y a un conflit, cela peut toujours arriver un conflit, ce n'est pas les syndicats qui sont coresponsables du trafic le jour d'une grève, c'est la direction de l'entreprise. C'est ce que fait la RATP, elle informe les usagers et elle s'engage à faire circuler des trains, c'est son organisation. Mais on ne peut pas demander aux syndicats de lancer un mot d'ordre de grève et d'être responsables des trains qui circulent, c'est anachronique, complètement. Je vous dirais qu'en Italie où cela a essayé de se mettre en place, il y a eu pas mal de problèmes et encore aujourd'hui.
 
Q.- C'est-à-dire que vous préférez une alerte sociale, donc...
 
R.- Une alerte, une alarme...
 
Q.- Donc généralisée peut-être par la loi.
 
R.- Pourquoi généralisée par la loi ?
 
Q.- Eh bien je ne sais pas !
 
R.- On peut très bien discuter entreprise par entreprise, cela s'est fait à la RATP, cela s'est fait dans une série d'entreprises de transports urbains ; à la SNCF cela a commencé, il y a eu un premier accord qui a été signé etc.
 
Q.- Oui, mais certains disent que si on ne l'impose pas, cela ne sera jamais fait dans certaines entreprises, jamais.
 
R.- Et pourquoi, au nom de quoi... !
 
Q.- Je ne sais pas, au nom d'un dialogue social insuffisant, peut-être, au nom de syndicats arc-boutés sur de vieilles habitudes ?
 
R.- Si les syndicats étaient arc-boutés sur de vieilles habitudes, à la RATP, il n'y aurait jamais eu cet accord qui date depuis plusieurs années. Donc ce n'est pas ça, mais en même temps présenter les choses en disant : si vous n'y arrivez pas, on mettra un service minimum, c'est faire du dossier un dossier quasiment idéologique et c'est vouloir remettre en cause à un moment donné le droit de grève. Nous, OK à l'alarme sociale ou à l'alerte sociale, on appelle ça comme on veut, mais pas de remise en cause du droit de grève et c'est ça l'élément clé.
 
Q.- C. Guéant dit : je vois mal que les syndicats puissent aller contre l'avis du peuple français, je rappelle que les syndicats ne représentent que 8 % des salariés et 85 % des Français sont allés voter et ont dit clairement ce qu'ils voulaient.
 
R.- Attendez ! Moi j'espère qu'il ne sera pas ministre du Travail, parce que de telles déclarations, je trouve que c'est un peu provocateur. Qu'est-ce que je veux dire par-là ? Les citoyens ont voté massivement au premier et deuxième tour. N. Sarkozy a été élu président de la République avec toute la légitimité démocratique, ce n'est pas ça qui est en cause. Ceci étant, il faut bien comprendre une chose : comment ont voté les gens ? Certains ont voté Untel ou Untel par conviction, d'autres ont voté pour beaucoup en disant : voilà l'image ou quelques valeurs qui sortent ici ou là et tels problèmes personnels qu'ils ont considérés, pris en compte, mieux pris en compte par Untel ou Untel. Beaucoup de citoyens se sont exprimés ainsi. Je ne pense pas que tous les citoyens et les discussions que j'avais eues avec eux, ont fait une analyse globale, complète de tous les programmes, de toutes les mesures etc. Donc cela signifie quoi ?
 
Q.- Enfin, ils adhèrent à ce qu'a proposé N. Sarkozy.
 
R.- Ils adhèrent à l'image qu'ils ont eue, certaines valeurs exprimées, y compris peut-être le discours sur l'ordre etc. Pour une majorité qui l' ont élu, ça, on ne remet pas en cause. Mais après, dans la mise en oeuvre des choses, cela ne veut pas dire que c'est un catalogue qui a été mis sur Internet ou diffusé à 44 millions qui doit être mis en place, sinon...
 
Q.- Vous dites donc au prochain gouvernement : attention !
 
R.- Attendez, sinon, quel que soit le président de la République, il est élu et puis on dise, tout ce qu'il a annoncé, en n'allant pas dans le détail pour certaines choses, il y a certaines choses qui doivent se mettre en oeuvre, tout ce qu'il a annoncé, on met tout de suite en place, à la limite si on pousse le raisonnement, il n'y a plus besoin de négociations, il n'y a plus besoin de Parlement. Attendez, il faut faire attention à ce genre de raisonnement.
 
Q.- Bien, on va parler de la fusion ANPE/UNEDIC, du SMIC, la revalorisation. Nous allons parler de l'instauration d'un contrat unique qui pourrait être inspiré du CNE ou pas. On va en parler dans deux minutes, après la pub... [Après la pause] Regardons quelques dossiers importants. Nous allons parler du contrat du travail, parce que c'est peut-être le dossier essentiel. Le Smic : pas de coup de pouce le 1er juillet, a dit le candidat N. Sarkozy.
 
R.- Je pense que c'est une erreur. Nous n'avons jamais, à Force ouvrière, dit qu'il faut mettre le Smic à tel niveau pour le 1er juillet. Je pense qu'il faut un coup de pouce mais qu'il faut aussi regarder, pas simplement le Smic mais l'ensemble des grilles de salaires. Et là, il y a une des propositions avec laquelle nous sommes d'accord, qu'avait émises N. Sarkozy, c'est de dire dans les branches sur les négociations de salaires, on fera bouger les allègements de charges en fonction de l'existence d'un accord ou pas. Donc ce n'est pas simplement le Smic. Le Smic c'est un problème, certes, mais c'est l'ensemble des grilles.
 
Q.- Vous demandez un coup de pouce ?
 
R.- Oui, on ne le fixe pas mais on dit qu'il faut un coup de pouce sans dire le montant.
 
Q.- La fusion ANPE/ASSEDIC que propose le candidat N. Sarkozy ?
 
R.- C'est une erreur.
 
Q.- Pourquoi ? Ça fera faire des économies et ça permet d'être peut-être plus efficace.
 
R.- Non, attendez ! Je rappelle d'ailleurs que tous les gestionnaires de l'UNEDIC, cela veut dire toutes les confédérations, les cinq confédérations et les trois organisations patronales, sont contre. Pourquoi on est contre ? Ce n'est pas parce qu'on va fusionner deux organismes que le chômage va diminuer. Ce n'est pas une question de structures. En plus, la crainte qu'il peut y avoir derrière tout cela, c'est que quand vous fusionnez celui qui indemnise et celui qui place, l'un des objectifs c'est de faire pression sur les chômeurs pour qu'ils prennent n'importe quel travail, parce que vous avez les deux instruments dans la même main. On a dit beaucoup de bêtises dans la campagne électorale, les uns et les autres d'ailleurs, sur cette question-là. Y compris au Royaume-Uni, même s'ils sont dans un même lieu, ce n'est pas le même service qui indemnise et qui place. Il faut laisser une séparation entre l'indemnisation et le placement. Dernier élément : nous tenons, mais l'ensemble des gestionnaires du système, à ce que le paritarisme, c'est-à-dire la gestion par le patronat et les syndicats du système d'assurance chômage demeure, parce que y compris c'est lié à la négociation. C'est à l'issue de négociations. Si on est attaché à la négociation, il faut préserver ce genre de choses. Deuxièmement, c'est un facteur de responsabilisation pour tout le monde, que ce soit les organisations patronales ou les organisations syndicales. Donc, c'est cette série d'éléments qui font que ce n'est pas avec cela qu'on fera diminuer le chômage.
 
Q.- Les heures supplémentaires défiscalisées et sans charges ?
 
R.- Oui mais là, pareil. Les gens ont envie de gagner plus, c'est évident que le pouvoir d'achat c'est un objectif. Maintenant, je ne vois pas comment, concrètement, on peut choisir soi-même en tant que salarié, de faire ou de ne pas faire des heures supplémentaires. Cela ne peut pas être un choix individuel que de dire : tiens ! je veux partir en vacances, ou je veux acheter une voiture, je vais faire des heures sup. Non, ce n'est pas comme cela que ça se passe. Les heures supplémentaires c'est fonction de l'activité de l'entreprise. Regardez Airbus en ce moment : ils font des heures supplémentaires, parce qu'il y a une très grosse activité, malgré tous les problèmes. Mais ce n'est pas le salarié qui décide de choisir les heures sup. Mais l'employeur qui dit : "voilà, on a un tel carnet de commandes, on a tel volume d'activités, je vous demande de faire des heures supplémentaires, tel ou tel service". Donc, on ne choisit pas et donc dire que c'est du volontariat, ce n'est pas vrai. Ca ne peut pas exister comme ça. Deuxième élément, une inquiétude forte c'est : est-ce que les exonérations de charges ou de cotisations sociales qui seront ainsi faites, est-ce qu'elles seront intégralement compensées à la Sécurité sociale ? On dit oui, sauf que c'est loin d'être évident chaque année. Je rappelle que chaque année, il manque 2,5 à 3 milliards d'euros de la part de l'Etat qui n'honore pas ses dettes, et ça c'est un problème.
 
Q.- J'ai l'impression que vous êtes opposé à tout. Cela va être difficile la négociation sociale dans les mois qui viennent ?
 
R.- Non, non, attendez ! Il y a eu une campagne électorale. Les uns et les autres ont donné leurs idées...
 
Q.- Mais sur quels points êtes-vous prêt à vraiment négocier, à faire des avancées ?
 
R.- Attendez ! Quand on regarde, avec des annonces... vous parlez de la fusion UNEDIC/ANPE, ça on est contre. Mais ça se met en place non pas la fusion mais la coordination, elle se met en place. Ne croyez surtout pas que la France est un pays figé où rien ne bouge. Y compris dans les relations ANPE/UNEDIC, il y a eu des évolutions ces dernières années. Si l'on veut négocier les parcours professionnels, amener plus de garanties individuelles et collectives aux salariés, il y a toute une série de choses que l'on est prêt à négocier, mais il y a aussi ce qu'on ne peut pas accepter, et ils le savent en plus, puisqu'on leur a dit.
 
[...]
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 9 mai 2007