Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à France-Inter le 30 avril 2007, sur le dialogue social et les relations entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
N. Demorand.- Demain le 1er mai, Fête du travail. Quelles revendications pour l'édition 2007 ?
 
R.- Juste un petit mot : ce n'est pas la Fête du travail. C'est ce qu'on dit régulièrement mais "la Fête du travail", la formule a été inscrite pendant la dernière guerre. Le 1er mai, c'est une journée de revendication et de solidarité partout dans le monde.
 
Q.- Alors quelles revendications ?
 
R.- Les revendications portent d'abord sur le pouvoir d'achat, bien entendu, elles portent également sur l'emploi, elles portent sur la protection sociale, enfin tout ce qui tourne autour du social, des revendications que nous portons depuis pas mal de mois maintenant.
 
Q.- L'ensemble des secteurs que vous venez de décrire est menacé ? Vous avez des inquiétudes ?
 
R.- Menacé, en tous les cas, en termes de pouvoir d'achat, il est évident que le compte n'y est pas, que ce soit dans le public comme dans le privé. Donc on veut des initiatives fortes en la matière. Dans le domaine de l'emploi, il suffit de regarder toute la polémique autour des chiffres du chômage.
 
Q.- Alors quel est votre avis là-dessus justement ? Il baisse ou il ne baisse pas le chômage ?
 
R.- Maintenant plus personne n'y croit, plus personne ne croit aux chiffres, c'est ça le drame. On est aujourd'hui dans une situation où, quel que soit le chiffre qui sort, on n'y fait pas attention. Cela veut dire qu'il y a un problème de crédibilité sur les chiffres du chômage et qu'il va falloir retravailler pour savoir quelle est la réalité réelle du chômage dans notre pays.
 
Q.- Et d'après vous, c'est quoi ? Ça se stabilise, ça baisse, ça monte ?
 
R.- Il peut y avoir une légère baisse depuis quelque temps, mais parce qu'il y a quand même plus de radiations, contrairement à ce que dit le Gouvernement, qu'il y a des effets démographiques, notamment aussi sur la baisse du chômage. Il y a par exemple beaucoup de gens qui, inquiets du futur débat sur les retraites, partent avant en disant, "à quelle sauce on va être mangé en 2008 ?" Mais le problème, derrière cela, c'est qu'il n'y a pas de réelle création d'emplois dans des secteurs importants avec des contrats stables. Je prends un exemple, c'est celui de l'industrie où l'on vit le nombre d'emplois plutôt diminuer par rapport à d'autres services. Un secteur où il y a des créations d'emplois, je vais prendre un exemple, c'est tout ce qu'on appelle "le service à la personne". Je ne dis pas qu'il y a pas de besoins dans ce secteur, le problème c'est que ce sont des emplois ultra précaires, deux heures par-ci, deux heures par-là. Donc, ce que l'on veut, c'est de véritables emplois, c'est-à-dire en CDI.
 
Q.- Donc vous n'y croyez pas à la baisse du chômage ? C'est une baisse en trompe-l'oeil d'après vous ?
 
R.- Je ne crois pas aux chiffres. Je pense qu'il y a une légère baisse en tendance mais je ne crois pas aux chiffres et personne n'est capable, aujourd'hui, de vous donner un chiffre, d'abord parce que les études ne sortent plus. Donc, à partir de là, il y a un vrai doute. Il y a un organisme qui existe, qui est le Conseil national de l'information statistique, qui doit se réunir - et il a commencé à le faire d'ailleurs - pour voir quel est le vrai chiffre, - enfin le "vrai chiffre"... -, le chiffre du chômage sur lequel tout le monde pourrait dire, "au moins c'est un chiffre sérieux". Tandis que pour le moment, on ne l'a pas.
 
Q.- FO est majoritaire chez Airbus. Entre les 8,5 millions d'euros d'indemnités de N. Forgeard, les 2,50 euros de dividendes pour les salariés et l'annonce définitive du plan Power 8 et des suppressions d'emplois, notamment en France, quel est votre sentiment à la veille de ce 1er mai ?
 
R.- Il y a une tension très forte depuis l'annonce du plan Power 8. D'ailleurs, nous continuons à demander sur les points les plus critiques pour nous, de ce plan, une renégociation, une négociation qui n'a toujours pas démarré avec la direction d'Airbus. Nous attendons, nous verrons aussi après les résultats des élections, si les différents candidats, enfin les deux qui restent, qui ont pris des engagements, sont prêts à tenir certains engagements, notamment le rôle de l'Etat. Mais il faut bien comprendre que quand on voit monsieur Forgeard dans les conditions qu'on connaît, percevoir 8 millions et demi d'euros et les salariés percevoir 2,50 euros ou 2,88 euros d'intéressement, il y a une provocation, d'autant que les carnets de commande sont pleins, les heures supplémentaires ont lieu, les types bossent, il y a un gros travail. Donc cela veut dire qu'il y a un vrai problème de gestion dans cette entreprise et les salariés vivent mal le fait qu'ils soient victimes de problèmes de gestion. Alors, il y a Airbus en tant que tel, où là il y aura - parce qu'il y a des syndicats, parce que nous allons négocier - ce que l'on appelle un plan social, avec des départs en pré-retraite, etc. Mais ce qui m'inquiète encore plus, c'est tout le réseau des sous-traitants où là - on a des revendications en la matière d'ailleurs -, ils risquent d'être laissés sur le carreau.
 
Q.- N. Sarkozy hier soir en meeting, hier après midi pardon, en meeting, disait que parachute doré et autre immoralité étaient liés à l'effet délétère de mai 68. Vous pensez que ça vient de là ?
 
R.- Le lien, je ne le comprends pas très bien, entre mai 68 et les parachutes dorés. Ce qui est nécessaire, c'est de remettre en cause les parachutes dorés. Qu'il y ait eu des effets pervers, comme dans tout, en mai 68, maintenant, on n'efface pas quarante ans d'histoire.
 
Q.- F. Fillon, le conseiller politique de N. Sarkozy, appelle ce matin dans Les Echos les syndicats à constituer un pôle réformiste. A FO, vous en ferez partie ?
 
R.- Je n'aime pas tellement ces formules. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que c'est qu'un syndicat réformiste d'abord ?
 
Q.- Plutôt la CFDT, j'imagine.
 
R.- Je n'en sais rien, il faudra demander à monsieur Fillon. Mais un syndicat, moi je ne connais pas de syndicat...
 
Q.- Il dit que la CFDT en soit, un des acteurs principaux, ne l'étonnerait pas, et il espère qu'elle sera suivie par d'autres...
 
R.- Attendez : "réformiste" ça veut dire quoi ?. Personne n'appelle à la révolution en tant qu'organisation syndicale aujourd'hui. Donc cela veut dire qu'on veut améliorer la situation des salariés, d'abord par la négociation et quand ce n'est pas possible, par l'action. Quand on signe un accord - on vient d'en signer un, par exemple, sur les accidents du travail et les maladies professionnelles -, on est qualifié de syndicat réformiste. Mais réformiste, ce n'est pas tout laisser faire, réformiste, cela doit être exigeant quant au contenu des accords. Alors après, c'est en fonction des choix qui seront proposés, en fonction de la qualité des négociations, en fonction du contenu des accords que l'on se positionne, et en fonction de la pression que l'on met également pour que ces accords soient bons. Alors on verra, quel que soit le résultat des élections et la mise en place d'un nouveau gouvernement, ce qui sera nécessaire. Tout le monde a bien compris que le social au sens large, est au centre, en tous les cas au centre des préoccupations. Donc il va falloir que le nouvel élu en tant que Président ou la nouvelle élue si c'est la présidente de la République, et son gouvernement, prennent des initiatives.
 
Q.- Vous allez donner des consignes de vote demain ?
 
R.- Non. Nous n'avons jamais données et nous n'en donnerons pas, parce que c'est ça aussi l'indépendance syndicale. Vous savez, c'est une exigence permanente ; l'indépendance syndicale c'est de ne pas donner de consigne. On a juste réagi sur des points particuliers des uns ou des autres qui touchent au social. Vous savez, il y a un vieil adage, "qui ne dit mot, consent". Qu'on ne nous dise pas après "vous n'avez rien dit quand on l'a proposé". Mais globalement non, aucune consigne de vote. C'est de la responsabilité des citoyens.
 
Q.- Les syndicats font également partie, d'après N. Sarkozy, de l'héritage délétère de mai 68, les erreurs qu'ils ont pu commettre, etc. Là encore, vous rejetez l'accusation, vous la comprenez ? Que lui dites-vous ?
 
R.- Les syndicats, d'abord, ne relèvent pas de 68. Les syndicats, Force ouvrière, est né en 1895, donc il y a bien plus longtemps que mai 68 que nous sommes nés. Qu'il y ait eu, je dis des effets pervers à 68 dans l'Education nationale, certaines choses, OK. Tout le monde peut en discuter, mais comme dans tout mouvement, il peut y avoir des effets pervers, c'est évident. Mais je ne fais pas le lien entre le mouvement syndical et mai 68. Mai 68, a aussi été pour certains... Moi, mon premier mandat de délégué...
 
Q.- Pour S. Royal, mai 68 c'est les accords de Grenelle.
 
R.- Oui, comme 36. Vous savez les grands-messes comme on appelle les grandes réunions syndicats/patronat, elles ont un effet quand on est en période de crise sérieuse. Cela a été vrai en 1968, c'est évident. On dit "les accords de Grenelle", en fait il n'y a jamais rien eu de signé. Mais 1936, ça fait partie des crises importantes. Il y a eu des résultats sociaux aussi en 1936 comme en 1968, et comme je le disais, moi j'étais lycéen à l'époque, mon premier mandat de délégué, c'était délégué lycéen, c'était en 68. Donc il y a quand même eu des effets positifs.
 
Q.- Vous étiez sur une barricade ou non à l'époque ?
 
R.- Non, j'étais en province, il n'y avait pas de barricades.
 
Q.- Vous pensez qu'on travaille assez en France ?
 
R.- Cela dépend ce que l'on veut dire. Si c'est pour remettre en cause la durée du travail, non. La durée du travail, si on est fidèle au système républicain, c'est-à-dire un minimum d'égalité de droit, ce doit être une durée légale. Alors s'il s'agit de faire travailler plus les gens, moi je dis il y a deux cas où c'est possible, très rapidement : tous les salariés qui sont en temps partiel subi, notamment, je vais prendre un secteur comme le commerce par exemple : beaucoup de femmes d'ailleurs, 38% des femmes sont à temps partiel, qui souhaitent travailler à temps plein. Tout de suite, on leur donne la possibilité de travailler plus, passer d'un temps partiel à un temps plein et de gagner plus. Deuxième exemple - ceux qui sont à temps partiel le connaisse bien,-, ce que l'on appelle "les heures complémentaires", quand vous travaillez par exemple 20 heures à temps partiel, jusqu'à la 23ème heure, si vous travaillez trois heures de plus, ce n'est pas payé en heures supplémentaires. Voilà deux exemples concrets, rapides, qu'on peut mettre en place pour travailler plus et gagner plus. Pour le reste, je suis beaucoup plus sceptique.
 
Q.- Mais globalement, la France est-elle assez travailleuse, est-elle assez productive ?
 
R.- Oui, bien sûr.
 
Q.- En dépit des 35 heures, du fait qu'on travaille moins que dans d'autres pays ? Expliquez-nous le paradoxe.
 
R.- Le paradoxe est que la France est un des pays où la productivité du travail horaire est la plus forte. Quand il a été mis en place les 35 heures, même si Force ouvrière avait été critique sur la méthode à l'époque, quand les 35 heures ont été mises en place dans beaucoup de grandes entreprises, cela a accéléré la productivité du travail. C'est pour cela que les remettre en cause aujourd'hui, cela pose un problème parce que le salarié serait victime de ce que j'appelle "la double peine". Mais globalement, quand on compare, ça dépend ce qu'on rentre comme données ou pas, c'est très largement comparable. Vous savez, quand le Gouvernement français, quel qu'il soit, vante la France à l'étranger pour attirer les investisseurs étrangers - et je rappelle que la France est le quatrième ou troisième pays d'accueil des investisseurs étrangers, ils ne sont pas masos les types, s'ils viennent investir, c'est que ça marche -, on vante la productivité du travail, on vante la qualité des infrastructures, on vante un coût du travail relatif, modeste, moyen par rapport à d'autres. Donc ce n'est pas un élément déterminant.
 
Q.- Quelle sera votre attitude sur le dossier du service minimum pour les transports en temps de grève promis par N. Sarkozy et pour la réforme des régimes spéciaux ?
 
R.- J'ai déjà fais savoir à une consultation qu'il n'était pas question, pour nous, de négocier au niveau national sur un service minimum. Cela fait un peu partie de ce qu'on agite sur le plan idéologique. Alors, il y a des choses qui peuvent se faire entreprises par entreprises. A la RATP, il y a un système d'alarme sociale par exemple, mais vouloir mettre ce dossier, monter ce dossier au pinacle, c'est une volonté d'opposer.
 
Q.- Il y aura un "troisième tour social", selon l'expression consacrée, d'après vous ?
 
R.- Troisième tour social, cela revêt un caractère politique. Cela veut dire qu'il y a le premier tour politique, deuxième tour politique, un troisième tour, non. Maintenant, ça dépendra des initiatives qui seront prises, surtout, que quel que soit le président ou la présidente élus, que l'on soit reçus rapidement pour faire valoir nos revendications et discuter sur la méthode.
 
Q.- Les invitations ont été lancées par les deux candidats, en tous cas.
 
R.- J'ai vu.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2007