Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement, à "Radio France Internationale" le 23 mai 2007, sur la notion d'identité nationale par rapport à la mondialisation et sur la politique de l'immigration.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

C. Boisbouvier.- B. Hortefeux, bonjour... Merci de venir à RFI quatre jours après votre entrée au Gouvernement. Dans l'appellation de votre ministère il y a un mot qui fait polémique, c'est le mot "Identité nationale". Et en associant l'immigration et l'identité nationale, est-ce que vous ne dites pas aux gens que, eh bien les immigrés sont une menace pour l'identité nationale ?
 
R.- D'abord, pardonnez-moi de commencer cette première interview, j'espère qu'il y en aura d'autres, par une légère rectification. Vous parlez de polémique, elle est tranchée, c'est terminé. Ce n'est pas une surprise, N. Sarkozy pendant la campagne présidentielle avait mis au coeur de son engagement la question de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale. Les Français ont tranché, il faut bien que chacun se rende compte et s'en persuade, les Français ont décidé et ils ont décidé très largement. Ils ont donné, attendez ! Ils ont donné une majorité de 53 %, plus de 53 % à N. Sarkozy, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire qu'il y a polémique sauf à vouloir contester le résultat du suffrage universel. Les Français ont décidé. Deuxième réflexion, il y a eu une enquête qui a été publiée, vous l'avez vu comme moi dans un grand quotidien, Le Figaro, c'était un sondage - ce ne sont que des sondages mais c'est un élément de réflexion - montrant que près de trois Français sur quatre approuvent la création de ce ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Co-développement. Trois Français sur quatre. Donc à partir du moment où les Français ont tranché dans les urnes, à partir du moment où il y a une enquête d'opinion, il n'y en a pas eu d'autres, c'est la seule sur laquelle je me réfère, mais en tout cas c'est celle- là que nous avons à disposition, où trois Français sur quatre approuvent, ça veut dire qu'il n'y a pas de polémique, encore une fois, sauf à vouloir contester le vote des Français.
 
Q.- Alors, si vous voulez, on enlève le mot "polémique" mais il y a débat, et nous sommes en campagne électorale, il y a des législatives dans moins de trois semaines. Le Parti socialiste, par exemple, a demandé solennellement, c'était encore jeudi dernier, au Premier ministre de renoncer à ce projet, il disait "assimiler l'immigration à une menace potentielle pour l'identité de la France, c'est insultant pour les immigrés".
 
R.- Mais ce n'est pas du tout comme cela qu'on le conçoit. Le Parti socialiste est en pleine dérive, pour ne pas dire déroute, et donc il se raccroche en essayant d'agiter des épouvantails. La réalité est très simple : N. Sarkozy a pris acte du fait que jusqu'à présent, il y avait en réalité une compétence qui était répartie entre plusieurs ministères. Vous aviez le ministère de l'Intérieur, qui avait la compétence pour délivrer des titres de séjour et décider et réaliser les mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, c'était d'un côté donc le ministère de l'Intérieur, de l'autre côté, vous aviez le ministère des Affaires sociales qui s'occupait d'intégration et de naturalisation. Vous aviez aussi le ministère des Affaires étrangères qui s'occupait des visas et des réfugiés. Vous aviez aussi la francophonie, il y avait une structure du ministère de la Francophonie, qui s'occupait en réalité des lycées, mais aussi des réseaux de l'Alliance française et vous aviez comme un certain nombre de structures, et notamment celle de l'aide au développement, qui était en grande partie, qui correspond à une grande partie du ministère de la Coopération. Donc tout ça, ça fait 5, voire 6 d'ailleurs structures. A vrai dire ça fait 20 ans qu'on parlait de donner une cohérence à cela parce que tout se tient, et le courage et l'audace de N. Sarkozy, c'est précisément d'avoir bousculé les habitudes et les structures administratives classiques, en disant "mettons en perspective tout cela, donnons de la cohésion, offrons de la cohérence à cette politique". Si vous voulez, c'est comme s'il y avait différents anneaux et que ces différents anneaux eh bien constituaient une alliance. Et donc c'est pour cela qu'il a souhaité que ces différents secteurs - Immigration, Intégration, Aide au développement et Identité nationale - soient cohérents et soient dans une même alliance.
 
Q.- Mais pourquoi donc ce mot "identité nationale" ? Quel est son sens ?
 
R.- Le mot d'identité nationale, c'est très simple, vous savez notre pays est un pays qui est une terre d'équilibre, équilibre entre les territoires, équilibre entre les milieux sociaux et il faut donc préserver cet équilibre et particulièrement à l'heure de la mondialisation. La mondialisation est quelque chose qui inquiète. Cela inquiète nos populations, enfin la population française, la population européenne, ça peut inquiéter les populations africaines, donc il faut que l'on préserve cette identité. Mais est-ce que c'est une action exclusive de la France ? Pas du tout. C'est pour cela qu'il ne peut pas y avoir de place à la polémique, il peut y avoir éventuellement place au débat, mais naturellement c'est le cas des Etats-Unis qui se préoccupent de leur identité nationale, c'est le cas de l'Espagne qui se préoccupe de l'identité nationale, c'est le cas de l'Angleterre qui se préoccupe de leur identité nationale. Et d'ailleurs dans ces pays, il y a parfois des structures, enfin il y a toujours des structures qui concernent l'immigration et souvent il y a accolé une notion qui est une notion qui tourne autour de l'identité nationale. Donc ceci n'est pas agressif, ceci ne doit pas être compris comme quelque chose de menaçant, ce doit être au contraire compris comme une initiative visant à donner de la cohérence.
 
Q.- Concrètement, B. Hortefeux, parlons immigration. ¨Pendant la campagne, N. Sarkozy a beaucoup parlé "d'immigration maîtrisée". En pratique, est-ce que cela veut dire qu'il n'y aura plus 200.000 titres de séjours délivrés par an, comme aujourd'hui ? Il y en aura moins ?
 
R.- Il y a plusieurs aspects, d'abord, concernant notre pays : d'abord il y a la situation des clandestins. Il faut que l'on sache quel est globalement le nombre de clandestins, ce qui est très difficile à savoir puisque par définition s'ils sont clandestins, on n'a pas de chiffres exacts, mais on peut considérer entre 200 et 400.000. J'ai le sentiment, j'espère que ce sera vérifié, que le nombre de clandestins a plutôt tendance à diminuer parce qu'il y a eu des textes importants qui ont été votés, à l'initiative d'ailleurs de N. Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, notamment deux textes principaux, en 2003 et en 2006, qui donnent les moyens d'une politique. Il faut donc que nous allions plus loin dans ce domaine. Deuxième question, est-ce qu'il doit y avoir en France des régularisations massives ? La réponse est non. Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est pénalisant pour les populations concernées et c'est pénalisant aussi pour notre pays. Cela s'est fait précédemment, ça s'est fait en 1997 sous le gouvernement de L. Jospin, on a régularisé 80.000 personnes d'un coup, moyennant quoi cela a entraîné un appel d'air, c'était normal et c'était logique. Je comprends parfaitement cette notion d'appel d'air parce que la personne qui bénéficie d'une régularisation dans le cadre d'une régularisation massive, elle en parle autour d'elle, elle en parle à sa famille, elle en parle dans son pays, on en parle dans sa commune, on en parle dans son village et ça fait un appel d'air. Moyennant quoi, vous vous en souvenez peut-être, on régularise 80.000 personnes en 1997, eh bien il y a eu une multiplication par quatre des demandes d'asile par la suite, c'était tout à fait cohérent. Il y a un pays qui l'a fait aussi autour de nous - on ne peut pas faire comme si ça n'existait pas - c'est l'Espagne. L'Espagne a régularisé 500.000 personnes en 2004/2005. Qu'elle est la conséquence ? A vrai dire, on la voit aujourd'hui. Aujourd'hui, vous avez l'Espagne qui se tourne vers l'Europe pour obtenir des financements de bateaux, d'avions pour protéger leurs frontières notamment les îles Canaries où il y a là un afflux massif. Donc ça veut dire qu'il ne faut pas faire cela, et il faut réagir en régularisant au cas par cas. Parallèlement, je termine, juste parce que c'est important, il ne faut pas croire que moi je serais sourd, je serais insensible à des situations personnelles, humaines qui sont graves. N. Sarkozy s'était rendu pendant la campagne présidentielle dans une association qui s'appelle « Coeur de femmes », c'était des femmes qui étaient des femmes battues. Eh bien, naturellement, il faut avoir le geste d'humanité. Cela veut dire très simplement qu'en matière d'immigration, avant que l'on parle d'aide au développement, en matière d'immigration, j'entends mener une politique qui soit à la fois faite de fermeté, mais aussi d'humanité. Pas l'un ou l'autre, pas l'un sans l'autre, c'est l'un et l'autre.
 
Q.- Il y a actuellement 25.000 personnes qui sont reconduites à la frontière chaque année, est-ce que vous voulez augmenter ce chiffre ou pas ?
 
R.- L'objectif de 25.000 doit être - enfin c'est 25.000, sans compter ceux ont été refoulés à la frontière - donc il y a deux catégories. La situation est assez simple, sur les dernières années connues, dont les chiffres sont connus, il y a eu 187.000 visas qui ont été délivrés. Il y en a 92.000 qui l'ont été pour des motifs familiaux, c'est-à-dire sans aucune garantie de la maîtrise de la langue du territoire sur lequel ils se rendent, le territoire français - on ne sait pas s'ils parlent français ou pas, ce qui est quand même un facteur d'intégration - et sans aucune garantie sur leur capacité à exercer une activité professionnelle. Et sans compter tout le reste, les logements et ainsi de suite. En revanche, il n'y a que 7 %, c'est-à-dire 11.000, qui viennent pour exercer une activité professionnelle. Et vous voyez bien, quand je vous donne ces chiffres, je mets de côté les 40.000 étudiants qui eux sont naturellement un apport intéressant. Mais quand je donne ces chiffres, vous voyez bien que le système ne fonctionne pas. 92.000 qui viennent, enfin 87.000 pour des motifs familiaux - c'est-à-dire sans aucune connaissance particulière et donc avec des risques de non intégration, de difficultés pour le pays qui accueille, pour nous, et de risques de non intégration pour eux, ce que est injuste - et simplement, 7 % qui viennent pour des motifs professionnels. Il faut bousculer un peu les choses.
 
Q.- Mais quand vous dites qu'il faut apprendre le français avant de venir, vous savez ce qu'on vous répond : "est-ce que la mère de Z. Zidane parlait français quand elle est arrivée en France ?"
 
R.- Oui, d'ailleurs, c'est assez sympathique que vous me rappeliez ça parce que c'est moi-même qui l'avais soulevé, donc j'avais évoqué cette question : le père de Zidane parlait-il français ? Et je crois qu'il faut avancer avec pragmatisme. Quand même ! Pour s'intégrer dans un pays, c'est mieux si vous parlez la langue. Si demain, vous décidez de vous installer au Brésil, si vous parlez exclusivement le français et que vous n'avez l'intention de ne parler que le français, cela vous gênera pour vous intégrer au Brésil. Si vous parlez le portugais, le brésilien, évidemment cela vous facilite la tâche. Donc il y a des exemples, notamment aux Pays-Bas, un exemple intéressant. Je me rendrai d'ailleurs sur place pour voir comment ça fonctionne, quelles sont les règles, quelles sont précisément les suggestions et les pistes que l'on peut creuser, mais aux Pays-Bas, vous avez un test de langue avant d'accepter la venue sur le territoire. Peut-être qu'il faut creuser cette idée tout en étant très prudent, puisqu'il y a un contexte juridique dont on doit tenir compte dans notre pays. Je trouve que l'idée d'un test de langue avant une arrivée sur le territoire national me paraît assez de bons sens. Encore une fois, pour être intégré, il faut la langue, il faut l'activité professionnelle.
 
Q.- Mais concrètement, 25.000 reconduites par ans, on est loin des 200.000, 300.000 ou 400.000 clandestins qui vivent en France. Alors, est-ce que vous allez être tenté de faire du chiffre et peut-être de multiplier les contrôles d'identité ?
 
R.- J'entends clairement faire preuve, encore une fois, de fermeté et d'humanité. Je ferai l'un et l'autre. La fermeté, cela veut dire qu'il faut que nous veillions à ce qu'il n'y ait pas une évolution en sens inverse de ce qui est engagé depuis maintenant quelques années, concernant la politique d'accueil. Il y a, je vous dis entre 200 et 400.000 clandestins, il faut que ces clandestins comprennent qu'on vient sur notre territoire lorsque l'on est en situation régulière.
 
Q.- Pas de traques des sans-papiers ?
 
R.- Et je serai aussi très vigilant concernant les procédures d'asile. Il y des facteurs aujourd'hui de détournement des procédures d'asile et je serai extrêmement vigilant sur ce sujet. Troisième point sur lequel je serai aussi très vigilant, c'est sur les réseaux des passeurs, parce que vous savez qu'ils se nourrissent en réalité - ce sont des sortes de mafias qui se nourrissent - sur les passages essentiellement d'Afrique et du Maghreb, puisque 70 % de l'immigration c'est autour d'Afrique et du Maghreb et qui se nourrissent, en faisant payer des prix exorbitants pour obtenir un passage. Eh bien, il y a 3.500 passeurs ou réseaux de passeurs qui ont été interpellés l'année dernière, on va démultiplier ces efforts.
 
Q.- Le temps passe très vite, il nous reste trois minutes pour parler co-développement, cela fait des années qu'on en parle, pour fixer les populations dans leur pays et limiter les flux migratoires. Cela ne marche. Qu'est-ce que vous aller faire de plus ?
 
R.- D'abord, il y a une chose qui commence à fonctionner, ce sont les aides au retour volontaire. Ce n'est pas tout à fait de l'aide au développement, mais c'est un élément très important, c'est une idée qui avait été lancée sous le précédent quinquennat, que N. Sarkozy avait avancée et c'est une idée sur laquelle moi je me suis penché depuis ma prise de fonction. Vous savez ce que sont les aides au retour volontaire, c'est-à-dire qu'on encourage les immigrés qui sont sur notre territoire à repartir chez eux pour aider leur pays et on leur donne un pécule qui n'est pas un pécule négligeable. Si vous prenez une famille avec deux enfants, c'est de l'ordre de 6.000 euros nets, en dehors des frais de retour et ainsi de suite. 6.000 euros nets c'est une somme, cela permet dans un certain nombre de pays de redémarrer, de donner un petit coup pour engager une initiative et une activité. J'observe qu'il y a des symboles, je serais d'ailleurs très heureux de rencontrer un des ces symboles, par exemple, c'est le maire de Bamako. Aujourd'hui, le maire de la capitale du Mali, Bamako, est un immigré, quelqu'un qui avait immigré en France, qui est reparti dans son pays avec cette procédure d'aide au retour volontaire et qui a donc acquis une place, une place tout à fait importante et éminente. Je trouve que c'est un très beau symbole et il faut le multiplier. Il y a eu 1.000 bénéficiaires, vous avez raison, les chiffres sont modestes, il y a eu 1.000 bénéficiaires il y a deux ans, il y en a eu 2.000 dans la dernière année connue, il faut que l'on augmente ces procédures d'aide au retour volontaire et je m'y engage très clairement.
 
Q.- Oui, mais un pays comme le Mali reçoit chaque année plus d'argent de ses ressortissants en France que de l'aide publique au développement. Que pouvez-vous faire ? Vous pouvez augmenter cette aide publique ?
 
R.- Vous avez tout à fait raison, ces chiffres d'ailleurs sont très intéressants, je les ai regardés quasiment pays par pays. Et souvent, les fonds qui sont transférés des immigrés en France vers leur pays d'origine, sont supérieurs à la politique d'aide au développement. Cela veut dire qu'il y a une manne, cela veut dire qu'il y a une réalité financière. Le problème c'est que ces fonds sont orientés quasi exclusivement vers le fonctionnement. Et il faudrait au contraire que ça soit vers l'investissement, donc il faut donner un coup de main pour que ça soit réorienté vers l'investissement. Les sommes existent, aujourd'hui, le problème c'est que c'est plus vers le fonctionnement que vers l'investissement, or ces pays n'ont pas besoin de consommation supérieure, ils ont besoin d'investissements plus massifs.
 
Q.- L'objectif affiché, c'est 0,7 % du PIB, mais on en est loin ?
 
R.- Oui, mais on a commencé à zéro, comme vous savez, 0,31 %, on est monté aux alentours de 0,5 % et c'est un objectif de passer à 0,7%. Vous dites qu'on en est loin mais observez, reconnaissez avec moi que la tendance est incontestablement la bonne, il faut la confirmer.
 
Q.- Vous allez bientôt en Afrique ? Est-ce que le président Sarkozy ira aussi bientôt en Afrique ?
 
R.- Le président de la République avait annoncé, d'ailleurs dans sa campagne, qu'un de ses premiers déplacements se déroulerait en Afrique. Il tiendra cet engagement, il me l'a confirmé encore hier. J'aurai l'occasion naturellement de l'accompagner.
 
Q.- Et on peut savoir si ce sera plutôt en Afrique de l'Ouest, en AfrIque du Sud ?
 
R.- Non, ça c'est encore prématuré, mais enfin...
 
Q.- On parle de Bamako et de Pretoria ?
 
R.- Eh bien cela me paraîtrait être des bonnes pistes.
 
Q.- Merci et nous sommes contents de vous avoir reçu quelques jours après votre arrivée au Gouvernement.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 mai 2007