Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affairees étrangères et européennes, avec la presse tchadienne le 9 juin 2007 à Goz-BeÏda, sur la condition des personnes déplacées et réfugiés et la situation dans les camps de réfugiés au Tchad et au Darfour.

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Circonstance : Tournée en Afrique de Bernard Kouchner du 7 au 11 juin 2007 : déplacement au Tchad le 9 à Goz-Beïda

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, après cette journée, quelles sont vos premières remarques ?
R - D'abord, le voyage n'est pas fini mais mes premières remarques sont assez inquiètes.
Il y a la situation des réfugiés, la situation dans les camps de réfugiés, qui sont aidés, comme d'habitude. Il y en a quand même plusieurs centaines de milliers, tout le long de la frontière entre le Tchad et le Soudan. Et puis, il y a les personnes déplacées, c'est-à-dire des Tchadiens qui ont été déplacés parce que l'on a attaqué leur village et qui ne sont pas tous pris en charge par le HCR. Il faut remercier le HCR et remercier d'ailleurs tous les travailleurs humanitaires que j'ai vus ici. Parce que nous, on en parle du Darfour, de loin, mais eux, ils travaillent depuis des mois, voire des années.
Il faut absolument qu'il y ait un règlement politique et il faut également les aider, pratiquement. C'est-à-dire sécuriser ces femmes qui, vous les avez vues dans les camps, disaient qu'elles n'osaient pas sortir. C'était à la fois les souvenirs de ce qu'elles avaient vécu dans leur propre village, mais en même temps une insécurité qui est palpable ici.
Donc, il faut qu'il y ait une opération, sans doute française, mais j'espère aussi européenne ; il faut que l'on propose à l'ONU de faire un peu plus ici.
Il y a une expression très belle avec les ONG : "certes, le coeur du problème c'est le Darfour, mais le poumon c'est le Tchad". Pour la première fois on parle d'une situation, qui ici, malmène, brise, tue les populations. Leurs villages sont détruits. Il faut songer également à reconstruire. Combien de temps cela va-t-il durer ? On part toujours, dans une opération politique et humanitaire, pour six mois, deux ans, et puis cela dure vingt ans.
Il ne faudrait pas que cela dure vingt ans. Sinon c'est une catastrophe. Voilà ma première impression. Elle est à la fois un peu dure, parce que ce n'est pas amusant de voir des femmes et des hommes dans ces conditions. Des enfants naissent dans ces camps. Songez à ces enfants dans quinze ans ? Quelle génération ? De quelle nationalité ? Parlant quoi ? Pour faire quoi ? Dans quel pays ? Il faut vraiment faire des efforts considérables.
Q - On a bien compris que le corridor humanitaire n'était plus d'actualité, mais alors, concrètement qu'est-ce que... ?
R - Un corridor humanitaire cela doit servir à quelque chose. D'abord, il n'était pas terrestre, il était aérien. Et c'est toujours d'actualité. Seulement, il faut un point où on amènerait la nourriture des gens pour la recevoir. On verra puisqu'il y a une étape soudanaise. Mais ce n'est d'actualité que pour aider les gens. Ce n'est pas un échec de faire ou non un corridor humanitaire. Cela ne veut rien dire. Si cela doit être fait, et si c'est utile, il y aura un corridor aérien.
Un corridor, ce n'est pas seulement de cheminer les armes à la main. Non, ce n'est pas du tout cela qu'on envisageait. Pour le moment, il faut parler de la condition des personnes déplacées et des réfugiés ici, à l'est du Tchad.
Q - C'est ça l'urgence ?
R - C'est l'urgence.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2007