Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le conflit du Darfour, les réticences du Soudan au déploiement d'une force hybride ONU-Union africaine au Darfour, la conférence internationale de Paris du 25 juin, et l'efficacité des sanctions, Khartoum le 11 juin 2007.

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Circonstance : Tournée en Afrique de Bernard Kouchner du 7 au 11 juin 2007 : déplacement au Soudan le 11 à Khartoum

Texte intégral

Q - Les réticences du général al-Bachir portent sur quoi exactement ? Qu'est-ce qu'il vous a exprimé comme inquiétudes?
R - A son avis, il y a une préoccupation internationale, qu'il juge politiquement orientée. Il a le sentiment que le jeu n'en vaut pas la chandelle parce que, il le dit, cela va beaucoup mieux au Darfour qu'avant. Enfin, il faudrait quand même peut-être lui demander parce que mon interprétation de sa pensée pourrait être incorrecte.
Q - Est-ce qu'il vous a demandé d'intervenir auprès des Américains ?
R - Il a évoqué ce problème. Nous avons parlé de tous les problèmes. De la Cour pénale internationale. Mais on ne peut pas dire que la vision soit la même entre les Européens et les Soudanais. Mais, en même temps, il y a des terrains d'entente et il faut les développer.
Q - Est-ce qu'il s'oppose toujours à la présence sur son territoire de casques bleus ?
R - Pour le moment, il n'en est pas question. Il s'agit d'accepter l'opération hybride avec un certain nombre d'experts. J'ai dit d'ailleurs qu'un certain nombre d'experts français seraient sans doute à sa disposition. Pour le moment, il ne s'agit pas du tout de troupes étrangères. Il a accepté, et il l'a répété, 20.000 soldats, dès lors qu'il s'agit de troupes africaines.
Q - Est-ce qu'à l'issue de cet entretien vous avez l'impression que les sanctions peuvent être d'un quelconque effet auprès des autorités soudanaises ?
R - Ecoutez, j'ai l'impression que la fréquence avec laquelle ils en parlent indique qu'il y a quand même une préoccupation. Maintenant, sur le fond, on peut discuter entre nous de l'utilité des sanctions et de la preuve de leur efficacité. C'est vraiment au cas par cas. Mais il y a une préoccupation de la part de mes interlocuteurs, c'est certain.
Q - On a senti les Soudanais agacés par la multiplication des forums internationaux, la France ne faisant pas exception ; est-ce que c'est quelque chose que vous avez ressenti ?
R - Je n'ai pas ressenti d'agacement. Ils ont dit très clairement que la date - le ministre Lam Akol l'a dit - ne leur convenait pas. Pour le reste, le président Bachir vient de me dire : "bonne chance pour votre réunion". Alors agacement, ce n'est pas le mot. Je pense que cette préoccupation n'est pas habituelle et qu'elle est positive. Maintenant, on peut regretter la multiplicité des intercesseurs et l'intérêt manifesté ; moi je trouve que c'est positif. C'est comme quand on dit qu'il y a trop d'ONG, eh bien, oui, c'est mieux que s'il n'y en avait pas du tout !
Je crois qu'il y a de la part du président Bachir, mais aussi des autres interlocuteurs, une incompréhension face au mouvement de l'opinion publique qui s'intéresse au Darfour et qui souhaite qu'il soit mis fin aux massacres. Il y a là une grande incompréhension. Bien sûr, on peut évoquer d'autres massacres antérieurs, ce qu'il n'a pas manqué de faire, mais ce n'est pas une raison. Il y a une préoccupation et un intérêt et une sensibilité internationale qui a changé au fil des années. Vous en êtes tous témoins. Je crois qu'à la fois il faut s'en féliciter, en user pour que s'arrêtent les massacres, mais ne pas en faire un instrument qui serait, selon mes interlocuteurs, dirigé contre le pays lui-même. La France a toujours eu une position particulièrement claire. Nous sommes pour l'unité des pays africains et l'unité du Soudan en particulier.
Q - Il vous a demandé de faire pression sur les groupes, les groupements rebelles ?
R - Non. Il a demandé, et nous en sommes, bien sûr, d'accord, que tous participent au processus de paix. Je lui ai dit : "Qu'est ce que vous faites pour cela ? Que pouvez-vous faire pour que les groupes viennent pour continuer le processus d'Abuja?" Il dit qu'il le faisait, aussi bien à Asmara, qu'à Addis-Abeba.
Et puis quelque chose doit être dit, pour être franc : il y avait trois groupes rebelles quand nous avons commencé à nous intéresser au Darfour. Il y a 18 groupes maintenant, 18 groupes rebelles, demain il y en aura 22, et ce n'est pas commode.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez été surpris par la fermeté du président al-Bachir ? Vous vous attendiez à une ouverture ? A plus ?
R - Non. Mais fermeté, oui.
Q - Vous vous attendiez à un geste d'ouverture ?
R - Il a d'abord salué la Conférence du 25 et c'est, de sa part, un geste.
Ils sont en train de discuter à Addis-Abeba avec l'ONU, et c'est très bien. On verra bien le résultat. Je pense et j'espère qu'il a un peu mieux senti la préoccupation internationale.
Q - Monsieur le Ministre, un des principaux chefs rebelles habite en France depuis longtemps (Abdel Wahid el Nour). Est-ce que la France peut avoir un rôle dans le processus de réunification des rebelles, est-ce que vous allez vous avancer ?
R - Mais nous le faisons tout le temps. On l'a encore vu il y a trois jours. Nous n'arrêtons pas de lui dire qu'il faut une solution politique et un processus de paix. Chaque fois les Soudanais nous en parlent : pourquoi Abdel Wahid el Nour est-il chez vous ? Je leur réponds, pourquoi voulez-vous qu'on l'expulse ? Il ne gêne pas la politique française et il n'a pas de position outrancière. Il est chez nous depuis longtemps. Voilà.
Q - Monsieur le Ministre, les Européens semblent divisés sur les sanctions américaines. Quelle est la position de la France vis-à-vis de ces sanctions ?
R - Je n'ai pas senti que les Européens étaient divisés. Ce sont les Etats-Unis qui ont été à l'origine de cette décision unilatérale. Le problème des sanctions, vous le savez, se pose au cas par cas, la France ne refuse pas les sanctions systématiquement, elle n'aime pas les employer. Cà dépend des cas.
Q - Si on parle de l'Afrique du Sud ?
R - L'Afrique du Sud, cela a été efficace. Si on parle de l'Irak, sûrement pas.
Il faut voir à chaque fois, voilà. La question ne se pose pas pour nous maintenant. Parce que nous croyons que l'opération hybride va avoir lieu, enfin, nous l'espérons. Le sens de ce voyage était de dissiper les malentendus. Je souhaite que les autorités soudanaises, à Addis-Abeba, aillent dans le sens de cette opération hybride des Nations unies.
Q - Et vous l'espérez quand cette force hybride, Monsieur le Ministre ?
R - On l'espère, le plus vite possible.
Q - Les Soudanais ne semblent pas comprendre l'émotion internationale.
R - Cela prouve le décalage énorme entre les occidentaux, par exemple, l'opinion internationale et les autorités soudanaises. Il y a une compréhension différente de ces sujets : l'atteinte aux Droits de l'Homme, l'atteinte à la vie humaine. Quand cela se passe, ce n'est plus une affaire intérieure. Et on leur explique que les affaires intérieures sont comme les affaires habituelles. Maintenant il y a, à propos des Droits de l'Homme et de leur violation, et surtout à propos de la condition faite à des êtres humains, une sensibilité mondiale. C'est l'aspect le plus positif de la globalisation, on ne va pas s'en plaindre ni s'en cacher. Alors nous le disons.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2007