Interview de M. Jean-Marc Ayrault, député PS, sur "LCI" le 19 juin 2007, sur les personnalités composant le nouveau gouvernement, la tenue d'un conseil national du Parti socialiste devant fixer le calendrier de la rénovation du PS, ainsi que sur sa candidature à sa propre succession à la présidence du groupe socialiste à l'Assemblée nationale.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- J.-L Borloo va remplacer A. Juppé comme numéro 2 du Gouvernement chargé de l'Ecologie et du Développement durable. Est-ce une bonne
nomination ?
R- Cela je ne peux pas en juger, je ne jugerai que sur la politique qui sera menée.
Q- Il vous semble apte à défendre les intérêts de l'environnement ?
R- Je n'en suis pas certain, on va voir, vous savez, je ne connais pas encore le programme, je ne connais pas les mesures qui ont été prises. Mais en tout cas il y a une ardente obligation à respecter ce qui a été signé, je le rappelle, par plusieurs candidats - S. Royal l'a fait et N. Sarkozy - le Pacte écologique de N. Hulot. On va voir dans la politique si ça se concrétise, ça je n'en suis pas certain. Ce sont les infrastructures pour les transports publics pas exemple, et tout ce qui va être fait pour diminuer l'effet de serre, l'aide aux économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables, est-ce que ça sera le cas ou est-ce que les lobbies industriels de type routier par exemple, continueront à dominer ? On verra bien qui décidera, ce qui sera décidé. En tout cas, nous, nous jugerons sur pièce.
Q- Un mot sur A. Juppé : doit-il quitter sa mairie de Bordeaux ? Vous qui êtes député et maire, si vous aviez été battu comme lui, vous auriez quitté la
mairie ?
R- Il n'y a pas de rapport, moi je crois que c'est sa décision personnelle. C'est quelqu'un qui est tout à fait respectable et estimable. En même temps, sa défaite est symbolique : c'est la défaite de la droite, c'est la défaite de l'UMP, c'est la défaite de N. Sarkozy, qui s'est traduite dans la victoire de madame Delaunay, notre candidate socialiste qui a fait un remarquable travail et qui est une personnalité très réputée à Bordeaux.
Q- J.-M. Bockel est annoncé au Gouvernement, c'est un socialiste, maire de Mulhouse. Que lui dites-vous avant qu'il commette l'irréparable, si j'ose dire ?
R- Q- Je pense qu'il n'a rien à faire là-dedans. D'ailleurs, il devrait lire les résultats des élections législatives de ce dimanche, c'est la France à 50-50. Et s'il est sincère - et je crois qu'il est sincère, comme maire de Mulhouse il fait du bon travail, je le connais depuis longtemps - vraiment je ne sais pas ce qu'il irait faire dans cette galère.
Q- Il essaye d'incarner entre guillemets le "blairisme" dans le socialisme français et vous ne lui laissez pas sa place, il n'a pas les moyens de s'exprimer.
R- Mais si, nous lui laissons la place et qu'il la prenne la place dans cette période où la rénovation du Parti socialiste et de la gauche doit se faire. Et d'ailleurs, samedi prochain nous serons réunis pour lancer le programme de la rénovation. Parce que le mandat que les électeurs nous ont donné dimanche dernier est très clair, ce n'est-pas seulement de nous opposer- je ne suis pas un robot de l'opposition - c'est effectivement d'être là vigilants, exigeants et en même temps force de proposition, force de contre-proposition. Et puis en même temps, de rénover la gauche et cette rénovation elle doit commencer maintenant, c'est une priorité et j'espère que samedi, ça ne sera pas : tout change pour que rien ne change ; des accords d'appareil pour que tout soit figé. Et ça on ne nous le pardonnerait pas et donc si J.- M. Bockel veut jouer un rôle utile, qu'il le fasse là. Je pense que c'est ça qu'on attend.
Q- Lors de ce conseil national samedi, vous fixerez le calendrier de la rénovation. Quel est le bon calendrier ? Est-ce qu'il faut un congrès tout de suite ? Est-ce qu'il faut attendre novembre 2008 ? Est-ce qu'il faut un congrès avant les municipales ? Qu'est-ce qu'on fait ?
R- Moi j'exprime ce que j'entends de la base du parti, je suis à la fois responsable national, comme président de groupe et puis en même temps, j'écoute ce qui se dit, j'ai fait beaucoup de déplacements dans les départements. Tous veulent la rénovation, mais tous veulent aussi un parti rassemblé, un parti qui ne se perd pas dans des querelles de personnes, de leaders, et puis qui ne fait pas le travail de rénovation. Donc moi je souhaite que le calendrier soit un vrai calendrier de travail, qu'on démarre tout de suite, y compris par un vote, pour dire : maintenant on a compris, nous n'étions pas prêts, sur un certain nombre de sujets nous n'avions pas tranché, par exemple pour les retraites on était dans l'entre deux, sur le rapporte entre l'économique et le social, on était dans l'entre deux, cela n'a pas aidé notre candidate et puis cela n'a pas aidé non plus nos candidats aux élections législatives. Donc tranchons pour toute une série de questions, soyons fidèles à nos valeurs, soyons une gauche moderne, mais préparons nous, on ne va pas attendre 2012 pour se préparer.
Q- Il faut un programme de séminaires, de conventions, sur les retraites, sur l'assurance maladie, sur les 35 heures ?
R- Il faut beaucoup de décisions les unes après les autres, tranchées par des votes, mais avec une méthode que personnellement je préconise : ouverte sur la société. C'est-à-dire pas seulement le Parti socialiste entre soi, mais ouverte sur les autres partis de la gauche, ouverte sur les citoyens avec des débats que nous organiserons et puis ouverts sur les entreprises, sur les syndicats, sur la société civile en général, les intellectuels, les chercheurs, nous avons besoin de tout ça et nous avons besoin de parler aussi avec les autre partis de gauche européens, les sociaux-démocrates, mais aussi d'avoir une vision mondiale parce que c'est ça qu'on attend de nous. Pour créer de la confiance, une gauche moderne, qui sera prête, et avec un congrès qui tranchera ça et notamment la question du leadership en 2008, après les élections municipales.
Q- S. Royal a-t-elle eu tort d'annoncer sa séparation d'avec F. Hollande au soir du second tour des législatives, vous privant un peu de cette victoire politique claire ?
R- Je ne crois pas qu'elle l'ait annoncée, elle ne le souhaitait pas. En tout cas, c'est l'explication que moi j'ai eue, directement. C'est vrai que ça a troublé ce soir là,puisqu'on avait l'impression que c'était une déclaration volontaire. Mais il y a ce livre qui doit sortir demain où elle annonce effectivement que F. Hollande et elle se séparent. C'est une affaire privée mais qui a pris ce soir-là une tournure médiatique. Mais n'en restons pas là, je crois que c'est une décision qui leur appartient, elle est claire, comme l'un et l'autre l'on dit. Maintenant chacun doit se consacrer, et nous tous, à l'oeuvre qui est la nôtre, c'est-à-dire : tout faire pour la gauche soit crédible dans notre pays et que les Français aient confiance.
Q- Vous avez été un proche soutien de la candidate pendant toute la présidentielle ? Cette situation privée a-t-elle pesé sur la campagne ?
R- Elle a sans doute joué, mais je pense que maintenant cette affaire est derrière nous, allons à l'essentiel. Moi je ne veux pas développer davantage un aspect qui relève quand même de leur vie privée, qui doit être totalement respectée.
Q- Pour mener la rénovation, faut-il un comité de sages au PS, comme le préconise J. Lang ?
R- Pourquoi pas ? Toutes les idées sont à prendre, si l'objectif est bien celui que je vous ai dit tout à l'heure.
Q- S. Royal est candidate à diriger le parti. Est-ce qu'elle est apte à ce travail d'équipe que nécessite la direction d'un parti, elle qui a vraiment une propension aux initiatives individuelles ?
R- Un parti, c'est quelque chose de très difficile à diriger, il faut vraiment un travail collectif, il faut évidemment un leadership. Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs ; si on confond vitesse et précipitation, on va se tromper. La question aujourd'hui qui est posée et qui sera posée samedi, qui sera posée jusqu'au congrès, ce n'est pas : qui est candidat ? C'est quelle analyse on fait de la société, les raisons de l'échec ? Mais ce n'est pas seulement l'échec de la présidentielle, il y a eu 2002, il y a eu deux fois la présidentielle, deux fois les législatives. Quelles sont les attentes, par rapport à la gauche, des Français, comment comprenons-nous cette société ? A quoi devons nous répondre en priorité ? Et ce n'est qu'après que la question du leadership et la question du premier secrétaire se posera. Ce n'est pas un préalable, c'est un aboutissement.
Q- Le leadership au groupe PS à l'Assemblée se pose beaucoup plus vite. Vous êtes candidat à votre propre succession. Vous êtes président de groupe depuis 10 ans, est-ce qu'il n'est pas temps de céder la place ?
R- Ecoutez, je vais vous dire, franchement, je ne m'accroche pas, je ne suis pas candidat pour être candidat, je ne cherche pas cette place à tout prix. Mais j'ai vécu justement des périodes extrêmement difficiles : j'ai vécu 2002, le 21 avril et là, j'ai présidé le groupe et j'ai préservé son unité tout en essayant de le mettre en mouvement. J'ai vécu les débats internes, le référendum, où là le parti a failli se fracturer, j'ai préservé le groupe de travail des députés de ces affrontements. Et puis ça été la même chose au moment de la désignation des candidats aux élections présidentielles. Le groupe s'était fixé une priorité et les députés, quelle que soit leur sensibilité, étaient d'accord avec moi : nous sommes l'opposition, nous incarnons l'opposition. Je dois dire que nous l'avons fait de façon efficace puisque nous sommes sans doute le groupe socialiste d'opposition qui a obtenu le plus de victoires. Rappelez vous le CPE, rappelez vous la loi sur le logement social, rappelez vous la blocage du projet gaz de France et bien d'autres choses. Et puis nous avons su prendre nos responsabilités, quand l'intérêt national était en jeu, nous étions aux côtés du président Chirac par exemple contre la guerre en Irak. Nous ne sommes ni des béni-oui-oui ni des ni-ni tout le temps, ni des non-non tout le temps. Nous prenons nos responsabilités. Donc dans cet esprit, je suis candidat et puis je suis candidat aussi avec le fruit de mon expérience nantaise. Parce que je suis heureux d'avoir pu faire élire 5 députés sur 5 à Nantes qui sont tous dans mon équipe municipale, une équipe qui rassemble du centre gauche jusqu'aux alternatifs avec toutes les sensibilités de la gauche mais sur un projet. Et puis je suis aussi heureux que nous ayons été les seuls à signer un accord Verts/PS. Alors je me dis peut-être que ça, ça peut utile. Si on considère que c'est utile, alors j'irais, si on considère qu'il faut revenir aux querelles du passé, les uns contre les autres, ça ne m'intéresse pas.
Q- Si L. Fabius est candidat, vous vous effacez devant lui puisqu'il a été ancien Premier ministre ou pas ?
R- Ecoutez, moi je souhaite qu'on donne un signe de renouveau et de rassemblement. Moi je souhaite incarner cela.
Q- L. Fabius, ce n'est pas le renouveau ?
R- Je souhaite incarner cela avec la façon de faire qui est aussi que selon le talent des uns et des autres, moi j'associe les uns et les autres, je l'ai fait et je ne me suis pas occupé de savoir s'il était fabiusien, strauss-kahnien ou jospiniste ou "hollandais" ou je ne sais quoi. Il sont travaillé avec moi en confiance et ce sont souvent d'excellents députés, je vous rappelle aussi que nous avons quelques succès puisque nous avons 75 députés de gauche de plus, que nous avons 25 % de femmes de plus au groupe socialiste et donc il va falloir faire vivre toutes ces personnes-là ensemble avec un seul objectif : d'être vraiment la force de l'alternance.
Q- Et vous garderez les Verts dans le groupe PS ou vous les laissez partir avec les communistes ?
R- Je ne suis pas sûr, peut-être que les Verts vont former un groupe comme ça c'était passé entre 1997 et 2002 avec les radicaux, les citoyens du MRC et les Verts, parce qu'il faut effectivement que les députés aient des moyens de travail et ne pas être dans un groupe, être non inscrit, c'est très pénalisant. Donc ils décideront, mais en tout cas moi je souhaite, je vais vous dire, qu'on crée un intergroupe de la gauche, c'est ma proposition parce qu'il va falloir se battre ensemble.
Q- Et en un mot, il faudra prendre la présidence de la commission de Finances ?
R- Oui je crois parce que c'est un outil de contrôle et d'information extrêmement important pour l'opposition, pour qu'elle joue vraiment son rôle.