Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les tensions internationales (Liban Palestine,, Darfour) et le futur statut du Kosovo, Paris le 24 juin 2007.

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Circonstance : Visite de Condoleezza Rice en France du 24 au 25 juin 2007

Texte intégral

Chère Condoleezza Rice,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes très heureux d'accueillir la secrétaire d'Etat américaine, pour son premier voyage en France depuis le changement de président de la République, et depuis qu'il existe un nouveau gouvernement. Je suis très heureux, personnellement, de l'accueillir, ici, au Quai d'Orsay.
Nous avons déjà échangé et nous allons continuer d'échanger nos impressions et nos perspectives à propos d'un certain nombre de sujets graves et importants. Je pense tout simplement lui dire, au nom de la France, qu'elle est la bienvenue et que plus nous travaillerons ensemble mieux cela sera. Et plus nous serons ensemble, et plus nous serons forts.
Mme Condoleezza Rice a bien voulu nous dire combien elle appréciait ce qui s'était passé à Bruxelles et ce nouvel élan qui est donné à l'Union européenne. Je la remercie. Sur bien des sujets concernant l'actualité immédiate, nous avons eu l'occasion de voir combien nous étions proches. Parfois, nous n'étions pas sur le même niveau de proximité. C'est bien, entre amis, de se dire les choses franchement.
Je vais vous laisser poser vos questions, après que Mme Condoleezza Rice vous aura adressé quelques mots.
Je voudrais vous dire que nous déplorons, et qu'au nom du président de la République, nous condamnons cet attentat contre les soldats espagnols de la FINUL. Vous le savez, selon nos dernières informations, hélas, cinq soldats espagnols seraient morts dans cet attentat.
Ceci impose, pour les Etats-Unis d'Amérique et pour la France, qui aujourd'hui se rencontrent et demain travailleront sur le Darfour, une attention commune, une concertation étroite plus développée encore.
Encore une fois, Condie, soyez la bienvenue. Je vous donne la parole.
(...)
Q - Vous avez lancé une initiative pour une conférence mi-juillet pour réunir les partis libanais. Est-ce que l'échec de M. Moussa vous fait changer d'avis sur cette conférence ? Ou bien la forme de cette conférence ? Est-ce que vous réfléchissez à autre chose ?
R - Nous n'ignorons pas le rôle de la Syrie au Liban. J'ai souligné combien la détermination franco-américaine, il y a trois ans, a permis, au contraire, le retrait des troupes syriennes du territoire libanais. Il n'y aurait pas eu toutefois cette détermination franco-américaine, s'il n'y avait pas eu la détermination des Libanais, après l'assassinat du Premier ministre Hariri.
Dans cette maison, il y a quelques années, j'étais déjà impliqué dans ce qui fut la recherche d'une approche, qui s'est traduite par les accords de Taïef, pour que cessent les combats fratricides entre Libanais. C'est une situation très complexe. Il y a une influence de la Syrie, négative pour la plupart du temps. Il n'est pas question de reprendre le dialogue avec la Syrie, si ce pays ne donne pas des preuves concrètes de sa participation au mouvement de paix.
Pour être bref, ce que nous avons proposé avec cette réunion de Paris n'a rien à voir. Ce que nous avons proposé est simplement que la France accueille sur son territoire les représentants de toutes les communautés libanaises. Ce qui s'est fait avec l'accord du Premier ministre Siniora, que nous continuons de soutenir.
D'ailleurs, M. Siniora vient, mardi, déjeuner avec le président de la République, et je serai présent, pour bien signifier que nous soutenons le mouvement du 14 mars. C'est bien clair.
Le Liban est un pays très proche de notre coeur. Les Français y ont compté et comptent encore. Le moins que nous pouvions faire - puisque tout le monde, après la résolution des Nations unies que nous avons obtenu ensemble, la France et les Etats-Unis, et qui a mis en place un tribunal pour rechercher les assassins du Premier ministre Hariri et les juger -, puisque tout le monde parle de dialogue national et d'un gouvernement d'union nationale, c'était, de façon très informelle, sans document préalable et sans document final, d'essayer que toutes les communautés viennent se parler en France.
Est-ce que cela sera possible ? Vous m'avez interrogé sur la mission du secrétaire général de la Ligue arabe. La mission n'a pas réussi puisqu'il souhaitait que se rencontrent à Beyrouth les représentants de toutes ces communautés. Il vient demain à la conférence sur le Darfour. Nous discuterons avec lui de notre proposition de réunion, qui a simplement été repoussée à cause de l'attentat meurtrier, et inqualifiable, contre le député, Walid Eido. Nous avons proposé de la repousser vers le 15 juillet, si c'était nécessaire. Nous en déciderons demain.
Q - Je voudrais parler de la situation en Palestine, Madame la secrétaire d'Etat. Croyez-vous que votre politique au Proche-Orient est efficace ? Parce que l'on voit ce qui se passe en Palestine à Gaza, en Cisjordanie, au Liban. Pensez-vous par conséquent que la politique de votre gouvernement constitue la bonne politique ?
R - La France a été immédiatement alertée par la situation. Parce qu'elle savait depuis longtemps la situation des Palestiniens à Gaza qui supportaient avec tant de difficulté la vie quotidienne. Nous avons été, mais nous n'avons pas été suivis, partisan de les aider directement. Ce fut difficile.
Maintenant, je partage avec la secrétaire d'Etat américaine son analyse politique et juridique. Il y a un président palestinien : c'est M. Mahmoud Abbas. Nous lui avons apporté un secours direct, immédiatement. Et je suis heureux que l'Union européenne l'ait fait aussi, après les discussions de la semaine dernière. Je suis heureux également d'apprendre que les Israéliens ont débloqué les 600 millions de dollars de TVA et taxes, qu'ils vont les apporter au président, ou à M. Fayad, le nouveau Premier ministre.
Il n'empêche que le Hamas avait gagné les élections et qu'il faudra s'interroger sur ce que l'on peut faire, maintenant, élection ou pas, après les massacres, à l'intérieur de Gaza et ailleurs. Il faut tout faire pour aider les habitants de Gaza qui sont dans une situation de blocage complet.
Q - Ne pensez-vous pas qu'il est temps que les Etats-Unis, la France et d'autres demandent aux Chinois, qui jouent un drôle de jeu avec Khartoum, de mettre un peu de pression pour que les choses se débloquent ?
R - En tout cas, pour la première fois, demain, à Paris, les Chinois seront représentés aux côtés de Mme Rice, ainsi que la Ligue arabe, le Secrétaire général des Nations unies, et un certain nombre de ministres des Affaires étrangères. Voilà ce qui est nouveau. Ils ont accepté et ils viennent.
Nous savons quel rôle joue, rôle très divers d'ailleurs, cela dépend des endroits, les Chinois en Afrique. Nous en sommes très conscients.
Je voudrais préciser quelque chose à propos de cette réunion. J'ai lu dans la presse très souvent, "qu'est-ce que c'est cette réunion où les belligérants ne sont pas conviés ?" Non. Ce n'est pas fait pour cela. Le Soudan n'est pas invité. Il n'est pas venu pour la bonne raison qu'il n'a pas été invité.
Il y a le "groupe de Tripoli". Ce "groupe de Tripoli", ce sont les belligérants. Ils se réunissent et continuent de se réunir. Le but de cette réunion, et merci à la secrétaire d'Etat américaine d'avoir souligné son importance, c'est que demain, seront présents, au niveau ministériel, tous les gens qui sont intéressés, je veux dire, sinistrement intéressés, par la situation qui prévaut depuis des années.
Je sais que cela dure depuis des années. Est-ce une raison pour ne pas s'y intéresser ? Laisser les massacres se perpétuer même, si les massacres étaient plus importants avant ? Il faut arrêter les derniers massacres.
C'est une réunion qui a trois buts. Le premier, et le plus important, est de soutenir les efforts de l'Union africaine et des Nations unies dans cette phase actuelle, qui est la phase 2, qui n'est pas complètement accomplie. La phase 3 sera la force hybride, avec 20.000 soldats, et peut-être des résultats importants pour l'arrêt des massacres, et aussi la destruction de la nature.
Le deuxième point, c'est de soutenir politiquement les efforts qui, dans d'autres pays, aussi bien à Tripoli, qu'à Asmara, regroupent les responsables des mouvements rebelles. Cela seul est très important parce qu'au départ, ils étaient trois et maintenant ils sont 19. C'est un peu plus compliqué. Nous nous efforcerons, pour ce qui est de la France, de faire pression sur ceux qui sont chez nous, pour les amener à discuter avec l'Union africaine. Il faut que le processus politique -parce que c'est très bien de faire de l'humanitaire, ce n'est pas moi qui vous dirais le contraire, mais cela ne suffit pas-, que les efforts politiques, s'accomplissent et qu'enfin une situation de paix prévale.
Troisième point, c'est de soutenir économiquement, politiquement nous l'avons dit, les efforts des Nations unies. S'il y a 20.000 soldats qui viennent dans la force hybride, quels qu'ils soient, il faudra les payer. Or, les 7.000 qui sont là-bas, on ne les paie pas. Ils ne font rien parce qu'ils n'ont pas reçu de salaire depuis janvier. Si nous continuons comme cela, cela ne marchera pas.
Cette réunion a ces trois buts. Elle n'est pas une réunion de "peace making". C'est au contraire une réunion de soutien aux efforts internationaux qui ont été déployés. Faudra-t-il continuer à ce niveau ? Il faut continuer d'agiter le cocotier.
Q - Sur le Kosovo, le président de la République au G8 a proposé un délai de six mois pour la résolution du Conseil de sécurité, avec une condition, c'est que la Russie reconnaisse, je crois citer mot à mot ce qu'il a dit, la perspective inéluctable de l'indépendance du Kosovo. Maintenant, il est question d'un délai de quatre mois à l'ONU. Est-ce que la condition mise par le président de la République française au moment du G8 est toujours valable, avec ce délai de quatre mois ?
R - Le délai de quatre mois, Condie va y répondre. C'était un délai de six mois qu'avait proposé le président de la République. Nous verrons bien.
Il faut qu'avec l'Union européenne, avec nos amis américains et tous les membres du Conseil de sécurité, et les cinq membres permanents, nous mettions à profit ce délai de quatre ou six mois pour tenter de convaincre, aussi bien les Serbes que les Albanais du Kosovo. Et nous le ferons. Il faut que le Groupe de contact se rencontre parce qu'il y aura peut-être des responsabilités à assumer. Tout cela se fera, comme l'a dit le président de la République, sur la base du document de M. Martti Athissari, qui est clair.
Maintenant, nous verrons bien ce que propose la résolution qui se modifie chaque jour et qui est en gestation au Conseil de sécurité à New York. Si nous donnons d'avance les perspectives, je crois que ce n'est pas la peine, malgré la connaissance très précise, qu'en ont et les protagonistes et leurs alliés. Je crois qu'il faudra les convaincre, même si ce sera un peu difficile, pendant la période qui nous sera offerte de quatre à six mois.
S'il est clair que la communauté internationale doit prendre ses responsabilités au niveau du Conseil de sécurité, de la résolution 1244, qui était la base et qui ne le sera plus, peut-être, c'est aussi à l'Union européenne, chez qui cela arrive -car c'est au centre de l'Europe que le Kosovo se situe- de prendre toutes ses responsabilités, aussi bien maintenant, dans la période qui s'annonce, que dans le futur.
Q - Quelles sont vos attentes par rapport au sommet de Charm el-Cheikh ? Y a-t-il des réunions du Quartet prévues aussi sur la Palestine ? Le gouvernement américain a-t-il donné le feu vert au gouvernement israélien pour entamer des pourparlers avec la Syrie ?
R - Quelques mots. Je suis d'accord. Deux Etats pour deux peuples, cela fait longtemps qu'on le dit. Certains l'ont dit avant les autres, cela ne change rien. Ce n'est pas encore arrivé.
Tout ce qui va dans ce sens, y compris la réunion de Charm el-Cheikh est évidemment bienvenu. Je suis aussi d'accord parce que cela renforcera l'évidence que M. Mahmoud Abbas est le représentant du peuple palestinien, même si le peuple palestinien est divisé.
Et ne nous masquons pas dernière notre petit doigt pour reconnaître ces divisions. Essayons de les affronter. D'abord par l'aide qu'il faut apporter aux Palestiniens maintenant, qui ont subi depuis tant de mois un blocus très difficile. Et puis en essayant d'unir nos efforts. Cela ne fait pas très longtemps que je suis ministre des Affaires étrangères et européennes. Mais la discussion sur ce point, comme sur le Kosovo d'ailleurs, a été, entre les 27 pays de l'Union européenne, une discussion extrêmement riche et difficile. Parce que tout le monde n'est pas d'accord. Mais finalement, les 27 ont décidé unanimement d'apporter un soutien très précis à ce processus de paix-là, - comme à bien d'autres processus de paix d'ailleurs. Mais comme c'est le dernier en date, nous l'encourageons et puis nous allons nous y mettre.
Mesdames, Messieurs, Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2007