Texte intégral
Nord Eclair : Votre premier mandat n'a-t-il pas été caractérisé par une pratique plus marquée du réformisme après les "années Blondel", qui sont apparues comme plus contestataires ?
Jean-Claude Mailly : Non, Force Ouvrière a toujours été une organisation réformiste, attachée à la pratique contractuelle. C'est l'outil de notre indépendance : notre rôle est de chercher à améliorer la situation des salariés et nous estimons devoir y parvenir par la négociation, et non en confiant aux politiques le soin de régler les problèmes à notre place. Cela dit, quand une négociation commence, on n'a aucune certitude sur son issue. Ces derniers temps, nous avons signé beaucoup d'accords, en fait tous sauf sur l'assurance-chômage et l'emploi des seniors. Pour l'avenir, l'outil contractuel reste essentiel, mais les dossiers sont complexes. Le patronat veut-il vraiment rechercher des compromis ? On verra!?
Nord Eclair : On présente souvent FO comme « le syndicat de la feuille de paie ». Vous devez être content de voir le président de la République donner tant d'importance au pouvoir d'achat...
Jean-Claude Mailly : Si certains emploient cette expression de façon péjorative, je l'assume pleinement : quand on travaille, il est normal d'essayer d'en tirer le meilleur salaire possible. C'est une question de dignité, mais aussi un moyen de soutenir la croissance. Quant à traduire les intentions du gouvernement dans les faits, je suis obligé de constater que la concertation ultrarapide sur les heures supplémentaires a laissé plusieurs points importants dans l'ombre : la compensation à la Sécurité sociale des cotisations non prélevées, le cas des cadres au forfait, celui des salariés à temps partiel. Les autres leviers, comme la déduction des intérêts d'emprunt, sont des mesures aléatoires. Quand mesurerons-nous leurs retombées sur la consommation ? Nous préférons que la hausse du pouvoir d'achat passe par le salaire, parce que là au moins il n'y a pas d'échappatoire possible.?
Nord Eclair : Parmi les projets de la nouvelle majorité, quelles sont pour vous les causes possibles de tensions ?
Jean-Claude Mailly : J'en vois trois. D'abord, le service minimum. La ligne blanche à ne pas franchir, c'est le respect du droit de grève. Or deux éléments posent problème dans la mécanique retenue. Un, pourquoi interroger les salariés 48 heures avant une grève ? S'agit-il seulement d'estimer les moyens disponibles ou leur demandera-t-on de s'engager ? Deux, le président de la République a ressorti mercredi soir, lors de son interview, l'idée du référendum au bout de 8 jours de grève, que je croyais enterrée. Un tel vote peut paraître démocratique ; en réalité, il ouvre la porte à toutes sortes de pressions patronales et c'est une source de conflits.?
Nord Eclair : La franchise médicale est une autre pomme de discorde ?
Jean-Claude Mailly : Plus généralement, le financement de la protection sociale. On ne peut pas justifier par les besoins de la recherche une mesure qui va conduire à un moindre accès aux soins. L'égalité d'accès aux soins est l'un des fondements du pacte républicain. Quant à la TVA sociale, je ne crois pas qu'elle puisse être un outil de lutte contre les délocalisations. Elle ne compensera pas, et de loin, l'écart de coût des produits avec des pays comme la Chine et elle se traduira certainement par une hausse des prix. Invoquer l'exemple allemand est aventureux car chez nos voisins l'inflation renvoie à un traumatisme historique qui guide encore les comportements. C'est pourquoi les patrons allemands ont joué le jeu. Mais qu'en sera-t-il chez nous ? Que l'État commence par payer ses dettes à la Sécurité sociale -2,3 milliards d'euros-, qu'il clarifie ce qui relève de l'assurance et ce qui relève de la solidarité, ensuite nous verrons comment financer ce qui doit l'être.?
Nord Eclair : Troisième terrain d'affrontement possible ?...
Jean-Claude Mailly : C'est la réduction du nombre des fonctionnaires. La fonction publique vit un vrai malaise ; on n'y a plus le sentiment d'être dans un service public. Nous demandons avant toute décision une réflexion sur le rôle de l'État et du service public dans une République comme la France.?
Nord Eclair : Le volontarisme politique du nouveau pouvoir ne vous convainc donc pas ?
Jean-Claude Mailly : Je suis pour le volontarisme politique ! Oui, il faut savoir s'affranchir de certaines contraintes. Mais précisément, ce n'est pas ce qui se dessine sur le plan européen : le respect des critères budgétaires de l'Union a été réaffirmé et le problème de la surévaluation de l'euro par rapport au dollar n'est pas posé. Quant à la relance par les mesures fiscales, qui coûtera au moins 11 milliards d'euros, ma méfiance trouve son origine dans deux souvenirs cuisants. En 1981, le gouvernement a opéré une relance ; un an et demi après, c'était le tournant de la rigueur. Et en 1995, c'est seulement six mois après une campagne menée sur le thème de la « fracture sociale » qu'on a serré la vis. Il faut s'en souvenir.
PROPOS RECUILLIS PAR DIDIER HUSSON source http://www.force-ouvriere.fr, le 26 juin 2007