Interview de M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 4 juillet 2007, sur son rôle de président de l'Assemblée, les rapports entre N. Sarkozy et F. Fillon et l'éventualité d'une réforme de la Constitution permettant au Président de la République de s'adresser aux parlementaires.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

C'est F. Fillon vu d'en haut, avec le nouveau président de l'Assemblée nationale, B. Accoyer, bonjour.
Bonjour.
Q- Qu'est-ce que vous avez ressenti là-haut sur le perchoir ?
R- C'est une position originale : on est en face de tous les parlementaires, on voit leurs regards, on voit leurs sourires, on voit pour les nouveaux le visage de celui ou de celle qui découvre, un grand débat, un grand discours, et on lit les sentiments et on devine les attitudes et d'une certaine façon, on essaie d'en maîtriser certaines, lorsqu'elles sont excessives.
Q- Vous, longtemps, vous avez été dans l'hémicycle, au sein de l'hémicycle, et vous regardiez vers le haut, celui qui présidait à l'époque J.-L. Debré. Et là, il y a une inversion ?
R- Oui, c'est évidemment un moment très fort que de changer de position, de mesurer cette responsabilité. Mais parce que c'est ma nature, je l'ai vécu à cette échelle qui est l'échelle humaine de celui qui a changé de place, et qui d'une certaine façon change de responsabilités, mais doit respecter toujours celui à la place duquel il était il y a très peu de temps.
Q- Le président de l'Assemblée, géographiquement, il domine cet espace rénové qui est rempli de 577 députés, ils sont mobiles, ils sont bruyants, ils sont réactifs, est-ce que ça bouge un peu comme la houle, comme une vague, comme ça successive. Quand on le regarde, on le regardait à la télé, on entendait les commentaires à la radio, on voit bien que c'était un peu ça ?
R- Oui, c'est très réactif bien sûr. Par définition, les parlementaires sont des gens qui ont le sang chaud et ils réagissent. Ils sur-réagissent, d'autant plus qu'ils ont envie de parler, qu'ils ne le peuvent pas, puisqu'ils doivent écouter et c'est tout le rôle du président, d'essayer de garder à cette Assemblée, une dignité, une image qui la serve.
Q- Je vous pose cette question, parce que c'est la première que vous présidez, la première fois que vous en parlez. Est-ce que c'est pour cette raison - les bruits, les clameurs qui montent - que chaque orateur se sent obligé de gueuler comme dirait Flaubert, de hausser le ton ?
R- Oui, c'est d'ailleurs le mauvais aspect...
Q- Ça, ce n'est pas naturel.
R- ...Du fonctionnement, mais d'un autre côté, c'est un réflexe : lorsqu'il y a un bruit de fond, on parle plus fort et on a également l'impression, ce qui n'est pas toujours vrai, qu'en parlant plus fort, les idées, les messages passeraient mieux. Je crois que c'est une erreur qu'il faudra corriger.
Q- Alors et aujourd'hui, pendant les débats, on voit les députés lire leurs mails, en temps réel. Est-ce que vous les avez repérés, les distraits et les impatients qui écoutent d'une oreille inattentive et qui regardent leur téléphone ?
R- Oui, j'en ai vu quelques-uns, je crois que ce n'est pas très satisfaisant, parce qu'il ne faut pas faire deux choses à la fois. Il y a un respect à avoir, à l'égard de l'orateur d'abord, mais également à l'égard des Français, de ceux qui nous ont fait l'honneur d'être les élus de la nation, de siéger au Parlement. Et la moindre des choses c'est de travailler et de se consacrer à ce travail dans l'hémicycle.
Q- Alors quand ils viendront avec leur Internet, vous l'autoriserez ça ?
R- Ah ! Je ne suis pas convaincu qu'il faille offrir une diversion aux parlementaires. Il
faut que nous restions concentré sur notre mission.
Q- Alors B. Accoyer, président Accoyer, sur la forme, comment vous avez trouvé, étant géographiquement encore une fois au-dessus de lui, F. Fillon ? Hier, il devait montrer son territoire, le marquer, sa marge d'initiatives et d'actions, est-ce que vous pensez qu'ils se sont agrandis et qu'il a réussi ou échoué son examen de passage ?
R- Indiscutablement, il a réussi. Ce discours est un discours fort, un discours qui est en...
Q- Vous le pensez vraiment ?
R- Ah ! Oui, je le pense vraiment. Sur la forme, il était excellent, et sur le fond il s'inscrit complètement dans l'action gouvernementale, inspirée, inscrite dans le programme du président de la République, que d'ailleurs F. Fillon, devenu Premier ministre, a lui-même préparé avec N. Sarkozy.
Q- M. Grossiord a parlé tout à l'heure de la presse et de l'état de la presse, mais je prends trois titres : Libération dit « on a aperçu F. Fillon. » ; Le Parisien lui donne la mention « assez bien » et Le Figaro, le « deuxième homme est d'autant plus essentiel, qu'il ne prétend pas être le premier. »
R- Vous voyez, il y en a deux sur trois qui sont favorables, comme je vous le disais. C'était un très bon discours, une excellente prestation de F. Fillon qui s'inscrit dans l'évolution de la pratique institutionnelle actuelle, mais de la meilleure façon.
Q- Alors justement, en quoi le rôle du Premier ministre est-il en train de changer sous nos yeux ?
R- Mais tout naturellement ; le quinquennat a changé le fonctionnement de nos institutions. La simultanéité du mandat présidentiel et du mandat des députés fait que le Président a une place encore plus centrale. Non seulement, il imagine, il inspire, il donne la direction, mais il est très présent. Ceci étant, il faut souligner que tout cela ne peut fonctionner qu'avec un Premier ministre qui est le maître du Gouvernement, qui organise...
Q- Non, mais à terme, si ça continue est-ce qu'on peut se passer d'un Premier ministre ? Je n'ai pas dit de F. Fillon, mais d'un Premier ministre ?
R- Certainement pas. Il y a besoin d'un chef de Gouvernement, qui a les mains dans le cambouis - c'est une image peut-être un peu triviale - mais c'est cela et qui est indispensable, en relais de la volonté politique, de l'action politique voulue et inspirée par le président de la République.
Q- Est-ce que, B. Accoyer, vous jugez, vous, nécessaire de clarifier les rôles respectifs justement du Président, du Premier ministre, du Parlement, puisque bientôt, s'il y a une réforme de la Constitution, le président de la République pourra s'adresser personnellement devant le Parlement ?
R- Je crois que c'est une très bonne chose que le président de la République puisse venir s'adresser directement aux parlementaires. Aujourd'hui, il faut lire un message du Président, les parlementaires se mettent debout. Tout cela date de 150 ans...
Q- Non, mais vous êtes en train de travailler avec ou l'Elysée, avec les groupes politiques, de cette réforme ?
R- Bien sûr que personnellement j'y réfléchis et que j'ai d'ores et déjà en tête de faire dans la concertation avec tous les groupes politiques, un travail qui sera d'abord un travail d'analyse, de réflexion et de projets, d'un projet donc je voudrais qu'il aboutisse à des solutions consensuelles. Et qui redonne et qui donne comme le souhaite d'ailleurs le président de la République, une place plus grande au Parlement.
Q- Mais d'ores et déjà, vous imaginez le président de la République venant une fois par an, deux fois par an, et puis quand il a fini il s'en va, ou on discute de son intervention ? On en parlait tout à l'heure, est-ce qu'on vote après lui ? Jusqu'où on va ?
R- Ah ! J.-P. Elkabbach, là vous touchez au coeur, parce que c'est le coeur des institutions. La Vème République fait que le président de la République ne peut pas s'exprimer, ou en tout cas ne peut pas être dépendant du vote des parlementaires. C'est là le coeur. Par contre, je crois qu'il est indispensable qu'il puisse s'exprimer directement devant les parlementaires et c'est cela que nous allons...
Q- Echanger oui.
R- C'est cela que nous allons préciser.
Q- Et vous, avec ou malgré une forte majorité, comme vous l'avez à l'UMP avec le nouveau centre, est-ce que vous tiendrez au respect de l'opposition, dans tous les droits de l'opposition et à un équilibre, d'une certaine façon, du rapport de forces ?
R- Oui. Bien sûr ! D'abord j'ai longtemps été, en tout cas, j'ai siégé dans l'opposition, à des moments où il y avait des textes particulièrement importants qui ont d'ailleurs coûté fort cher au pays - je pense aux 35 heures - et je n'avais pas ménagé ma peine à cette époque. Et je pense qu'il faut, c'est utile pour le meilleur travail parlementaire et pour le pays, que l'opposition puisse être davantage entendue. Mais c'est commencé, parce que comme l'a souhaité le président de la République, d'ores et déjà, la principale commission, en tout cas la commission la plus influente, celle qui a le plus de pouvoir à la fois de décision, mais également de contrôle, c'est-à-dire la Commission des Finances de l'Assemblée nationale est désormais...
Q- J'ai reçu ici sur Europe 1 D. Migaud...
R- Un parlementaire de l'opposition, vous l'avez cité D. Migaud.
Q- Le président de la République annonce et promet que l'ouverture va continuer. Des missions ont été confiées à des personnalités de gauche, qui acceptent de servir, d'être utile à leur pays. On a vu H. Védrine, on a vu J. Lang... Il ne manque plus que qui ? L. Fabius ? D. Strauss-Kahn, peut-être ?
R- Peu importe...
Q- C'est une hérésie ce que je dis ?
R- Peu importe les personnalités, ce qui est important, c'est d'utiliser toutes les compétences et cette ouverture ...
Q- Elle va continuer ?
R- ...On voit bien que les Français l'apprécient, et y compris les militants politiques de l'UMP dont on pourrait penser qu'ils pourraient être partisans. Non, ils trouvent que c'est très bien. Ils ont raison, de rassembler les Français pour résoudre les problèmes graves auxquels nous sommes confrontés.
Q- Oui, oui, mais en même temps, il y a des arrière-pensées politiques. Quand du haut du perchoir, vous voyiez hier le Parti socialiste, est-ce qu'on sent dans quel état il est ? Après l'ouverture, après un Président dont F. Hollande dit qu'il est omniscient, omnipotent, omniprésent ?
R- Vous savez, lorsque l'on est faible, on ne peut que critiquer parfois avec un petit peu de véhémence et quelquefois un peu de violence. Je le regrette. Moi, je souhaite que nous ayons une opposition qui propose, qui propose des solutions qui puissent séduire les Français réellement. Or il faut bien reconnaître, hélas ! qu'actuellement l'opposition n'est pas en situation de séduire de façon suffisante les Français, parce qu'elle ne propose pas de choses concrètes.
Q- D'accord, mais F. Hollande...
R- Elle s'est contentée de faire de l'opposition frontale.
Q- Mais F. Hollande, qui sera là demain matin, disait hier - au moins il critiquait - il estime que ce n'est pas la croissance qui va augmenter, ce sont les inégalités qui vont croître. Il dit vous prétendez favoriser le travail, mais la rente que vous privilégiez et vous allez alourdir les déficits. Et puis, il y a l'autre promesse qui risque de faire un peu de couac, peut-être en France et au niveau de l'Union européenne : c'est le report ou le retard à 2012 de l'équilibre du budget.
R- Finalement, et c'est cela d'ailleurs l'échec de la gauche, elle ne propose rien. F. Hollande critique de façon acerbe. On a souvent vu d'ailleurs que ses critiques étaient infondées et étaient démenties par les faits. Il continue, il persiste. Je souhaite sincèrement qu'il sorte de cet état de léthargie.
Q- Par exemple, alors donnez-lui l'occasion, il propose à F. Fillon et peut-être au président de l'Assemblée, en tout cas à la majorité, de rendre des comptes tous les six mois - vous l'avez entendu hier - sur sa politique économique et sociale, devant les députés, les sénateurs. Est-ce que ça c'est une bonne idée ? Est-ce que vous êtes favorable tous les six mois évaluation ?
R- Mais bien sûr, l'évaluation c'est une très bonne chose, on ne peut craindre l'évaluation que si on ne travaille pas bien. Or comme notre volonté est de travailler le mieux possible, il faut au contraire développer l'évaluation et le contrôle, c'est la volonté du Gouvernement, c'est l'indication, le souhait du président de la République et les Français sont d'accord et nous aussi.
Q- F. Fillon nous dit qu'il se place, je le cite, "à l'avant-garde d'une France en mouvement, qu'il veut affranchir du défaitiste, des pesanteurs en réformant sur tous les fronts, y compris au prix de sacrifices". Là, il annonce carrément la couleur : le progrès oui mais des sacrifices. Est-ce que vous pouvez éviter que ce soit toujours les mêmes qui montent sur l'hôtel des sacrifices ?
R- Oui, bien sûr qu'il faut partager les efforts, mais ce qui est certain c'est qu'il faut se mettre en mouvement. L'immobilisme qui a caractérisé l'action de la gauche, qui a caractérisé ses projets, cet immobilisme ne peut conduire qu'à l'échec dans un monde qui bouge. Or la France a tellement d'atouts, nous avons tellement de talents, dans nos universités, dans nos entreprises, nous avons tellement de talents dans l'art, dans la culture qu'il suffit - et c'est notre voeu et je crois partagé bien au-delà des différents partis politiques - c'est de se mettre en marche et de retrouver l'espérance.
Q- Il disait hier le Premier ministre, trouver dans le pays un souffle de confiance dont le président de la République est l'initiateur et lui, le dépositaire. Est-ce qu'ils vous convainc d'abord ?
R- Oui.
Q- Et deuxièmement, il dit « un souffle de confiance. ». Peut-être qu'il est optimiste, mais il dit même que la France sort d'une longue dépression nerveuse, alors est-ce qu'il donne les bons remèdes aux Français, le docteur Fillon, pour le moment ?
R- Oui, oui. Comme je suis moi-même un médecin, je dirais que le diagnostic s'appuie sur l'immobilisme et certaines formes de blocage de la société française, qui est restée très, très, très marquée, par les penseurs marxistes du 20ème siècle et qui maintenant est en train d'en sortir et qui maintenant regarde devant et en haut. Et cela, c'est bon pour tous les Français, pour ceux qui auront besoin de la solidarité parce qu'ils vieillissent et pour les jeunes, notre espérance.
Q- Donc ce matin, vous nous dites que le Premier ministre, F. Fillon n'est pas asphyxié, qu'il a retrouvé un peu d'oxygène et qu'il existe ?
R- Tout à fait. Il existe et il entraîne un Gouvernement vers l'avant, vers le progrès, c'est cela que je soutiens et c'est pour cela que j'agis.
Q- Et poussé et attiré par N. Sarkozy, c'est ça ?
R- C'est une évidence, les Français l'ont exprimé ainsi.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2007