Interview de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, auprès du Premier ministre, à France inter le 21 mai 2007, sur son rôle au sein du gouvernement et sur le revenu de solidarité active.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Monsieur le Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, bonjour... Et bienvenue sur France Inter. Quel titre étrange ! Pourquoi pas ministre ?

R.- Ah, pour des raisons qui tenaient à ce que je ne souhaitais pas rentrer au Gouvernement. Je pensais que passer d'une association à une fonction ministérielle n'était pas forcément une bonne chose, pour ces raisons-là, et que les discussions que nous avons eues ont porté sur le Président de la République, qui souhaitait que je rentre au Gouvernement comme un membre classique, moi qui restais rester dehors, et de trouver une formule, je dirais, qui est peut-être un positionnement un tout petit peu différent.

Q.- Et pourtant, vous êtes au Conseil des ministres, donc vous êtes au Gouvernement, de fait.

R.- Absolument, et au Conseil des ministres pour les affaires qui me concernent, c'est-à-dire sur les sujets qui traiteront de la pauvreté.

Q.- Avez-vous du pouvoir, M. Hirsch ?

R.- Ecoutez, je ne sais pas comment j'aurais répondu à la question, si vous m'aviez posé la question il y a quelques jours. J'imagine qu'il y a un mois, il y a trois mois, vous m'auriez peut-être posé la question et je vous aurais répondu que le pouvoir que l'on pouvait avoir était un pouvoir de persuasion et un pouvoir de conviction, et j'espère ne pas le perdre. Qu'est-ce que ça veut dire, cette question-là ? Ça veut dire : quels sont les leviers qui sont nécessaires pour pouvoir changer les mécanismes qui créent la pauvreté. Et pour ça, il y a plusieurs leviers. Je dirais, les premiers leviers qui sont les plus importants, sont des leviers qui sont liés à : comment on fait travailler ensemble les syndicats, les associations, les différents partenaires sociaux, les différentes institutions qui doivent travailler ensemble. Comment est-ce que l'on convainc qu'il ne faut pas trouver un discours stéréotypé sur la pauvreté ? Et puis il y a d'autres leviers qui sont que dans le maquis des lois, il faut en prendre des nouvelles, plus simples et plus justes, qui est qu'il faut savoir mettre l'argent là où il faut. Voilà, la question si... je ne sais pas si elle ne se pose pas en terme de pouvoir mais en terme de leviers, c'est est-ce que l'on va rajouter deux ou trois leviers supplémentaires à ce que l'on faisait jusqu'à présent.

Q.- Alors, appelons ça des leviers. Les aurez-vous bien en mains, avec la force qu'il faut pour agir, notamment pour mettre en musique, on l'a bien entendu, que c'est un rôle de chef d'orchestre que vous décrivez.

R.- Non, ce que je décris, c'est un rôle peut-être un peu particulier, c'est-à-dire que si je suis maintenant dans cette nouvelle position, ce n'est pas pour commencer par réfléchir et définir ce que j'ai à faire, c'est parce qu'on y a réfléchi avant, c'est pour faire une chose, c'est pour faire une chose : c'est rappeler que l'on ne peut pas faire le plein emploi s'il n'y a pas des objectifs de réduction de la pauvreté qui vont avec, parce que sinon ça fait de la pauvreté au travail, et la deuxième chose, que pour faire ça, il y a un élément important, qui est la réforme des minima sociaux, la réforme du RMI, de l'allocation parent isolé, de l'allocation spécifique solidarité, pour faire en sorte que - ce que vous m'avez entendu dire depuis deux ou trois ans - [à savoir] que reprendre du travail ça doit permettre de gagner plus.

Q.- Le revenu de solidarité active, comment le définir exactement, M. Hirsch ?

R.- Je le définis comme un complément de revenus, quand les revenus du travail ne sont pas suffisants pour sortir de la pauvreté. Donc, au lieu de définir des tas d'aides, qui sont finalement plafonnées, moi j'ai dit pendant longtemps que revenu minimum d'insertion, il y avait tromperie sur tous les mots ; "revenu" trop faible pour être revenu ; "minimum" c'est plutôt maximum pour beaucoup de gens, et l'insertion, ce n'était pas une chance qu'on laissait aux personnes. Voilà. Donc, le revenu de solidarité active, avec... le lien entre, enfin, moi je fais partie, vous me demandiez, je suis Haut commissaire, je fais partie de ceux qui disent que les mots ont de l'importance, quand ensuite les actes suivent les mots. Solidarité active, c'est, au lieu d'opposer et de dire : soit vous êtes au boulot, mais dans ce cas-là vous n'avez plus le droit aux aides, soit vous avez des aides, mais dans ce cas-là les portes du travail risquent de vous être fermées parce que vous les perdrez à ce moment-là, c'est de lier ces deux mots, comme dans un certain nombre de pays, qui ont réussi à réduire la pauvreté et atteindre le plein emploi.

Q.- Le RMI va-t-il être supprimé, M. Hirsch ?

R.- Le RMI, il ne va pas être supprimé pour une personne qui aujourd'hui touche le RMI et qui se trouverait sans rien alors qu'il y a quelques années c'est ce que l'on attendait comme discours. Moi, je me souviens, 2002/2003, c'était plutôt cette tendance là. En revanche, je souhaite que le RMI et les autres minima sociaux puissent être remplacés, comme on l'a défini dans une Commission dans laquelle il y avait les syndicats, les associations, des économistes et des experts, que le RMI et les autres minima sociaux et la prime pour l'emploi, et peut-être une trentaine d'aides différentes, soient remplacés par un revenu de solidarité active. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, aujourd'hui, quand les services sociaux ont une personne en face d'elle et elle leur dit : il faudrait que vous repreniez un travail, reprenez un contrat de travail. Et si la personne, qui au Rmiste, dit : « et combien je vais gagner après ? » on est incapable de lui répondre, parce qu'on est incapable de lui calculer ce qu'elle va avoir en plus, ce qu'elle va perdre, ce qu'elle va conserver pendant trois mois, puis reperdre le 4ème mois, ce qui va arriver à un moment, on est incapable de le dire. Ce qui fait que, comment voulez-vous reprendre du travail dans ces conditions-là ?

Q.- Le dispositif « Revenu de solidarité active », est déjà testé dans plusieurs endroits en France, c'est vraiment efficace, M. Hirsch ?

R.- On va continuer à le tester, en fait, moi, c'est ce que j'ai proposé. Alors, aujourd'hui, il est testé un peu dans des conditions difficiles par un petit trou que l'on a sous la porte. Pourquoi, parce qu'il y a l'ensemble des lois qui ne sont pas faites pour faire marcher le revenu de solidarité active. On a obtenu il y a quelques mois, je dirais dans les mêmes conditions que celles que je vais faire valoir aujourd'hui, on a obtenu une première dérogation législative pour pouvoir, je dirais...

Q.- Expérimenter...

R.- Oui, mais expérimenter dans des conditions hyper contraintes, c'est-à-dire que l'on a le droit de rajouter un petit bout à ce qui se passait auparavant. Ce que j'espère, c'est que très vite on puisse faire de véritables programmes d'expérimentation à plus grande échelle, pour faire, je dirais, les réglages, les phases pilotes, pour ne pas... Enfin, cette réforme elle ne marchera, je le dis toujours et je ne changerai pas d'un iota là-dessus, cette réforme elle ne marchera que s'il y a une sorte de résonance permanente entre le travail que l'on fait sur le terrain, au niveau local, avec, toujours autour de la table, d'abord des allocataires du RMI auxquels on demande ce dont ils ont besoin, avec les différents services, la Caisse primaire d'assurance maladie, la Caisse d'allocations familiales, l'ANPE, les services du Conseil général, les services d'Action sociale, et donc c'est à ce moment là que l'on voit ce qui est nécessaire et ce qui bloque dans le système, et à partir de là, c'est le levier supplémentaire dont je vous parlais, au lieu d'aller frapper à la porte en disant : « s'il vous plaît, est-ce qu'on pourrait avoir une loi qui colle à peu près à ça ? » d'essayer de la construire nous-mêmes.

Q.- N. Sarkozy vous soutient, de toute façon ? C'est un dossier prioritaire pour lui ?

R.- Je crois que c'est un dossier prioritaire, en tout cas c'est ce qu'il m'a dit et je pense, je suis sûr que c'est pour ça qu'il m'a demandé de changer de position et d'avoir ces responsabilités. Et je vais vous dire pourquoi je pense que c'est important pour lui : parce qu'il a fait toute sa campagne sur "travailler plus pour gagner plus". Et, moi j'ai passé toute la campagne à dire, quand on me donnait la parole : attention, travailler plus pour gagner plus, ça doit concerner d'abord ceux qui, aujourd'hui, n'arrivent pas à travailler, sont en grandes difficultés, et ceux qui aujourd'hui peuvent travailler 8, 12 heures, 16 heures par semaine, sans gagner un centime de plus. Donc, ce que l'on apporte avec cette réforme, c'est que le "travailler plus pour gagner plus" s'applique vraiment à quelques millions de personnes.

Q.- Ça a été facile de sortir de votre camp, M. Hirsch ?

R.- Sortir de mon camp ? C'est-à-dire ?

Q.- Politiquement, on vous classe plutôt à gauche.

R.- Ce qui a été difficile, c'est de quitter Emmaüs, parce que c'est un endroit où je me sens bien. Alors, je les quitte, je ne suis plus président d'Emmaüs, ce qui va de soi, mais je ne les quitte pas pour de vrai, d'ailleurs j'y retourne cet après-midi. Mais, moi, ce que j'ai expliqué, ce que je tiendrai, c'est que j'ai toujours eu un engagement non partisan et je continue avec un engagement non partisan.

Q.- Par rapport à vos collègues du Gouvernement, vous serez donc, non pas dans une attitude de solidarité active, mais de solidarité passive, si je vous entends bien, M. Hirsch.

R.- C'est assez joli, je ne l'aurais pas dit comme ça. Je serai dans une attitude où j'ai effectivement des chantiers à faire avancer sous ma responsabilité et je les ferai avancer à 100 %. Des sujets qui sont intimement liés à ça, sur lesquels j'essaierai d'avoir le plus grand pouvoir d'influence, et puis, je ne sais pas, je pense que j'ai la langue bien pendue et je ne vois pas pourquoi ça changerait.

Q.- Mais on ne vous verra pas sur les marchés pour faire campagne pour l'UMP pour les législatives.

R.- Non, mais on ne m'a jamais vu sur les marchés faire campagne pour n'importe quel candidat et pour n'importe quel parti.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2007