Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à "France Inter" le 10 juillet 2007, sur l'annonce faite par Nicolas Sarkozy aux partenaires européens du rétablissement de l'équilibre budgétaire français pour 2010 ou 2012, sur le "paquet fiscal", ainsi que sur la fusion GDF-Suez.

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Média : France Inter

Texte intégral

Bonjour madame Lagarde.
Bonjour monsieur.
Q- N. Sarkozy a donc dit hier soir à Bruxelles que la France fera tout son possible pour parvenir à l'équilibre budgétaire en 2010 mais il ne peut rien promettre. Ce sera peut-être pour 2012. Alors peut-on dire qu'il n'a rien cédé face à l'inquiétude de nos partenaires européens qui voient notre dérive budgétaire ? Il a dit en fait : « à l'impossible, nul n'est tenu ».
R- Je voudrais vous dire que d'abord, il a été extraordinairement convaincant. Moi j'étais assise à côté de lui et comme modeste Française, j'étais extrêmement fière d'être représentée, évidemment d'avoir à mes côtés le président de la République, mais d'être représentée avec autant de conviction, avec autant de passion, passion pour notre pays, passion pour l'Europe aussi.
Q- Mais il ne peut rien promettre ?
R- Il a indiqué de manière très claire que la France était entrée dans un chemin de réformes et que c'était le chemin de réformes souhaité par nos partenaires européens. Qu'évidemment en même temps que ces réformes dont il a donné tout le détail, la France allait également se consolider sur le plan budgétaire et que nous ferions tous nos efforts pour être au rendez-vous fixé. Je crois qu'il a vraiment convaincu.
Q- Madame Lagarde, quand on déclare comme N. Sarkozy « la France est de retour en Europe » - il l'a dit dans le Journal Du Dimanche le week-end dernier - mais quand on dit ça, ne doit t-on pas être exemplaire et respecter les règles européennes, ce que nous ne faisons pas actuellement ?
R- Vous savez de retour en Europe, la France l'a démontré clairement lors du dernier conseil européen en étant aussi active pour parvenir à ce traité simplifié qui remet l'Europe en route, d'abord. Deuxièmement, la France est de retour en Europe parce que tout simplement, elle accepte de passer par ce chemin laborieux des réformes, qui permettront de respecter l'agenda de Lisbonne. Donc ça, c'est véritablement se montrer européen. Et il a exprimé cette solidarité européenne en indiquant que le problème d'un grand pays européen comme la France, ce n'était pas que le problème des Français, c'était aussi le problème de tous les Européens, parce que si l'Europe a besoin de croissance, elle a besoin de la France pour cette croissance.
Q- La dette représente 65% de notre PIB, le déficit 2,5%. Pour certains, nous sommes un peu le cancre de l'Europe et en plus on dit, nous les Français, il faut une meilleure gouvernance économique de la zone euro pour faire contre poids à la Banque centrale européenne. C'est très cohérent ?
R- Les questions de la Banque centrale européenne n'ont pas du tout été évoquées hier soir. Ce n'était pas du tout l'ordre du jour ni l'objet de cette réunion. On avait suffisamment à faire avec l'examen du programme de stabilité et de l'ensemble des réformes engagées par la France. Donc nous n'avons pas évoqué les questions de la Banque centrale européenne, ça viendra en son temps. Pour le moment, le président a surtout voulu indiquer de quelle nature les réformes étaient et il a pu détailler tout ce que nous souhaitons faire sur le marché du travail, tout ce que nous souhaitons
faire sur l'ensemble des freins à la croissance. Et il a indiqué très précisément quels étaient les premiers signaux.
Q- Mais peut-on être dans le rouge et en même temps demander une meilleure gouvernance économique de la zone euro ?
R- Dans le rouge, vous savez 65% c'est un chiffre que vous indiquez sur la base de résultats trimestriels. Il faut vraiment se baser sur des chiffres annuels pour parler de l'endettement réel de la France. Le Président a rappelé que notre objectif, c'était évidemment de revenir à 60% du PIB avec l'indication de plusieurs scénarios de croissance. Et évidemment, c'est en fonction de la croissance que nous obtiendrons sur les années à venir, que nous pourrons arriver soit en 2010 - nous ferons tous nos efforts - soit au plus tard en 2012, à cet objectif de 60%.
Q- La violation de nos engagements budgétaires, est-ce que c'est le meilleur argument de promotion pour défendre la candidature de D. Strauss Kahn à la tête du FMI ?
R- Ca c'est aussi un autre sujet, qui n'était pas l'essentiel de ce que nous avons évoqué hier. Je ne pense pas qu'il faille parler de la violation de nos engagements. Nos engagements, ce sont des engagements qui se prennent sur un terme. Le terme actuel c'est celui du quinquennat du président de la République et de l'Assemblée qui est sortie des urnes et c'est dans ce cadre-là, bien sûr, que nous entendons respecter nos engagements. Si on peut faire mieux et si on peut arriver aux objectifs en 2010, c'est formidable. Nous l'espérons très vivement puisque les mesures que nous prenons, la réforme profonde que nous entendons appliquer devrait permettre de dégager : un, le point de croissance supplémentaire et plus si c'est possible, et puis surtout, de désengorger et de décomplexer la France et d'éliminer les obstacles à la croissance.
Q- Et la candidature de D. Strauss Kahn, elle progresse ?
R- Elle progressera, nous l'espérons vivement. Nous la soutiendrons. Nous pensons que sur le plan en tous cas des compétences, sur le plan de la dimension internationale du candidat, D. Strauss-Kahn fait un excellent Européen.
Q- Alors venons-en, Madame Lagarde, au paquet fiscal, ce projet de loi qui sera examiné aujourd'hui à l'Assemblée nationale. La gauche s'inquiète « des cadeaux fiscaux faits au détriment des plus modestes », je cite. Quelle est votre réponse ?
R- Ma réponse c'est que quand je regarde ce qui coûtera le plus, ce sont des mesures qui profitent à tous les Français. La première mesure, celle qui coûtera le plus, c'est celle qui consiste à libérer les heures supplémentaires en permettant aux salariés qui les font d'être payés en brut, net d'impôt. Ca, ça concerne essentiellement les salariés les moins rémunérés puisque c'est en bas de l'échelle des salaires que la mesure est la plus forte. Deuxièmement, les droits de succession. Exonération des droits de mutation pour 95 % des successions françaises. Cela concerne à nouveau tous les Français. Et puis enfin, une diminution de l'impôt pour ceux qui achètent une résidence principale. On souhaite que plus de Français soient propriétaires, là aussi ça s'adresse à tous les Français. Alors dire que c'est une loi réservée aux riches, à mon avis c'est une mauvaise lecture, une mauvaise compréhension du texte.
Q- Alors il y a un point important dans ce texte, c'est le bouclier fiscal fixé à 50%. F. Bayrou dit que ce bouclier fiscal supprime l'ISF pour les plus riches et il est maintenu pour les autres. Il dit : « c'est un scandale ». Que répondez-vous ?
R- Moi je réponds qu'aujourd'hui, ce dont nous avons besoin c'est que les gens restent en France ou reviennent en France pour y investir leur argent. Et je suis navrée de voir des gens disposant d'un patrimoine important quitter la France, aller s'installer à Londres, aller s'installer à Bruxelles et dépenser leur argent à l'étranger. Qu'ils reviennent donc en France et dans le cadre d'un pacte, 50/50, l'Etat prend 50, vous gardez 50, ça me paraît une bonne solution pour faire circuler l'argent en France.
Q- Une des conséquences du bouclier fiscal à 50 % - c'est une estimation qui vient de la Commission des finances de l'Assemblée - 13.000 foyers vont se voir restituer 583 millions d'euros, soit une moyenne de 45.000 euros par foyer. Madame Lagarde, c'était vraiment une priorité indispensable de faire ce cadeau à des privilégiés ?
R- Ce qui est important, c'est que l'argent circule dans l'économie française. Plutôt que de favoriser un exode fiscal parce que les gens qui ont de l'argent considèrent que c'est trop lourd en France, moi je souhaite que nous les fassions rester en France, que nous leur donnions envie de revenir en France et qu'ils y dépensent leur argent, qu'ils investissent en France. Il y a une disposition qui permet en particulier d'investir dans les PME. Donc au lieu de payer son ISF au percepteur, on peut le payer à un entrepreneur pour financer son activité et son développement. Ca c'est une mesure très incitative. Nos PME ont besoin de ce financement.
Q- Juste un point : les droits de succession seront-ils aussi supprimés pour les fratries ?
R- C'est une des pistes que nous allons évoquer à l'Assemblée nationale. Je sais qu'elle tient au coeur de nombreuses personnes qui vivent effectivement en fratrie, lorsque le conjoint est décédé ou lorsque des frères et soeurs vivent ensemble et finissent leur vie ensemble. Je pense que c'est un point important que nous devrons aborder de manière très favorable.
Q- Vous y êtes favorable, vous ?
R- Personnellement, oui.
Q- Allez-vous céder une partie de vos participations dans EDF pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat ?
R- Ce n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui.
Q- La fusion SUEZ-GDF. A quand une décision et puis quelles sont les options qui sont sur votre bureau ?
R- Plusieurs, et je crois que pour une entreprise aussi belle que Gaz de France, qui a rendu tant de services aux Français, qui est véritablement un actif important, nous devons à la France et aux Français d'examiner toutes les options et en particulier celles qui permettront la pérennité, la solidité de cette entreprise si utile. Donc toutes les options sont à l'examen. Celles auxquelles vous pensez, évidemment, Suez-Gaz de France, mais pourquoi pas d'autres parce que c'est tout simplement une obligation que nous avons à l'égard des Français que de veiller à choisir la meilleure des solutions, celle qui leur permettra de préserver le service qu'ils reçoivent et qui
permettra à l'entreprise de se développer dans un monde où l'énergie est véritablement une valeur chère aujourd'hui.
Q- Lors d'un colloque la semaine dernière à Aix-en-Provence, vous avez dit qu'il fallait réhabiliter l'argent et défendre un capitalisme pragmatique. Alors rendre le capitalisme attractif même pour les plus modestes ?
R- J'ai dit qu'il fallait réhabiliter le succès et donc son corollaire, qui en général le sanctionne, c'est l'argent. Et qu'il fallait, dans ce cadre-là, observer la plus grande transparence. C'est une des dispositions, vous savez, que nous évoquerons à partir de cet après-midi à l'Assemblée nationale sur la nécessité de la transparence, en particulier pour les parachutes dorés. Autant il est juste que le succès soit récompensé et que le mérite soit reconnu - et il y a pas de pudeur à avoir sur ce point-là et tout le monde veut y arriver - autant il n'est pas équitable et il n'est pas honnête que des gens qui ne réussissent pas, ou des gens dont les entreprises ne réussissent pas, puissent en catimini, sans que ce soit véritablement porté à la connaissance des actionnaires ou même des salariés, que ces gens-là reçoivent des parachutes dorés.