Texte intégral
Le Parisien. Comment se présente la négociation sur le marché du travail, qui démarre demain entre patronat et syndicats ?
François Chérèque. Ce sera difficile tant les demandes patronales et syndicales semblent éloignées. Un constat doit guider ce travail : deux tiers des salariés, contre 50 % il y a dix ans, sont licenciés dans le cadre d'une procédure individuelle. Cela signifie qu'ils n'ont pas droit à l'accompagnement accordé lors d'un plan social. Cela doit changer. L'objectif de la CFDT face à cette précarité, est de créer des droits nouveaux pour tous les salariés qui perdent leur travail.
Le Parisien. Concrètement ?
François Chérèque. Un chiffre d'abord : 5 millions de salariés quittent leur emploi tous les ans dans le privé. Le turnover est énorme. La CFDT souhaite, que pendant toutes les périodes de transition, le jeune qui quitte l'école, le salarié en rupture de contrat, les seniors... bénéficient d'un accompagnement par l'ANPE, d'une formation et d'une indemnisation. Il faut aussi réfléchir à l'utilisation d'une partie des moyens de la formation professionnelle pour aider les salariés les moins qualifiés.
Le Parisien. Faut-il assouplir les règles d'assurance chômage ?
François Chérèque. Un chômeur sur deux n'est pas indemnisé. C'est trop peu. On cite toujours le Danemark en exemple de la flexsecurité. Là-bas, les chômeurs touchent plus de 90% de leur ancien salaire. Autre grande différence, il y a un agent pour 40 demandeurs d'emploi, contre 1 pour 120 en France. Le gouvernement ne peut pas tenir le discours sur la « flexsécurité » et la sécurisation des parcours professionnels, et ne pas regarder ce problème là. Il faudra une augmentation importante des moyens du service public de l'emploi. C'est du ressort de l'État.
Le Parisien. Et la « séparabilité à l'amiable » réclamée par le Medef, prévoyant une rupture négociée entre l'employeur et le salarié ?
François Chérèque. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Il nous serait difficile d'accepter un système qui prive les salariés du droit de recours devant les tribunaux. On peut réfléchir aux « ruptures négociées », mais dans le cadre d'un droit collectif.
Le Parisien. Chaque mois, la polémique sur les chiffres du chômage rejaillit. Comment en sortir ?
François Chérèque. On ne nie pas la baisse du chômage. Mais le chiffre officiel ne reflète pas la réalité. Une partie des demandeurs d'emploi au RMI, les 410 000 chômeurs âgés de plus de 57 ans dispensés de recherche d'emploi et toutes les personnes en formation ou en stage ne sont pas comptabilisés. Globalement, on peut rajouter 1,5 million de personnes non comptabilisées aux 2 millions de chômeurs officiels. Pour que cesse la polémique, nous demandons un travail collectif afin de tout mettre sur la table.
Le Parisien. Vous avez accusé le gouvernement de prendre les salariés pour des « andouilles ». Les heures supplémentaires ne vont pas dans le bon sens ?
François Chérèque. Cela ne va pas permettre de créer des emplois. Et ce n'est pas non plus de nature à relancer l'économie. De nombreux économistes l'affirment. Les employeurs vont préférer recourir aux heures supplémentaires plutôt que d'embaucher, c'est une évidence. De plus, on a menti aux salariés sur le volontariat. C'est l'employeur qui décide en la matière. Le ministre du Travail Xavier Bertrand ne peut pas continuer à dire : faites des heures supplémentaires et vous aurez l'équivalent d'un treizième mois. Ce n'est qu'un slogan. On doit dire la vérité aux salariés.
Le Parisien. Vous semblez très remonté...
François Chérèque. La démarche voulue par le président de la République, c'est la franchise. Alors disons les choses franchement ! La méthode de dialogue social sur certains sujets a été expéditive, comme sur le smic. Il existe une Commission nationale de la négociation chargée chaque année de faire le bilan et d'éclairer le gouvernement sur les décisions à prendre en matière de coup de pouce. Trois semaines avant cette réunion, le Premier ministre nous a dit : « circulez, il n'y a rien à voir », pas de coup de pouce cette année ! Ce n'est pas ça le respect du dialogue social. Les salariés ne comprennent pas. D'autant qu'à partir du 1er juillet les petites entreprises ne vont plus verser un centime de cotisation sociale sur les salaires au smic. Depuis 2004, la CFDT demande à rediscuter des allègements de charges. Nicolas Sarkozy l'a évoqué. On attend.
Le Parisien. Et le service minimum examiné demain en conseil des ministres ?
François Chérèque. Pour la CFDT, c'est clair. Les usagers doivent être respectés, mais place au dialogue social, seul moyen d'éviter la grève. Je suis un utilisateur des transports en commun. Pendant des années j'ai pris la ligne D du RER. On est plus gêné par les pannes techniques et les difficultés de circulation que par les journées de grève. Deuxième remarque, la seule préoccupation du gouvernement en cas de conflit, c'est de faire pression sur ceux qui veulent faire grève. Demander aux salariés de se déclarer individuellement 48 heures à l'avance, nous sommes contre. Même chose sur le référendum au bout de huit jours. La CFDT a fait une proposition au ministre. Laissons les entreprises s'organiser par la négociation. Et si la grève dure, essayons la médiation, c'est plus efficace qu'un référendum.
Le Parisien. Le président de la République gouverne, le gouvernement met en oeuvre. Cela vous choque ?
François Chérèque. Que le président soit interventionniste, pourquoi pas. Mais je me demande le jour où l'on aura un conflit, quel sera notre dernier recours. Jusqu'à présent, c'était le président. Mais demain, s'il est en première ligne, qui arbitrera ?
Propos recueillis par Catherine Gasté-Peclers et Béatrice Madeline source http://www.cfdt.fr, le 4 juillet 2007