Interview de M. Beranard Van Craeynest, président de la CFE-CGC,à "La Chaine Parlementaire" le 3 juillet 2007, sur la déclaration de politique générale de François Fillon, notamment les contrats de travail et la TVA sociale.

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Patrick Jean-Pierre : Avec moi sur ce plateau pour décrypter ce discours de politique générale Bernard Van CRAEYNEST. On décryptera évidemment à la fois le discours de politique générale, mais aussi les réponses des différents orateurs qui se sont succédés à la tribune. Juste un mot pour réagir à ce discours de politique générale, on a entendu un certain nombre de députés réagir, vous êtes séduit par son discours ? Vous lui donnez votre confiance Bernard Van CRAEYNEST ?
Bernard van Craeynest : Il ne m'appartient pas de lui donner ma confiance ou la confiance de mon organisation, elle se manifestera si les résultats sont au rendez-vous des objectifs affichés. Sur le diagnostic porté sur notre pays et sur les objectifs affichés, on ne peut qu'être d'accord. L'ennui c'est comment va-t-on y arriver ? C'est donc la méthodologie qu'il faut déterminer et je crois qu'il faut prendre garde de ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Il y a beaucoup de choses à faire, on sent qu'il y a une volonté de faire beaucoup et vite et il ne faut pas confondre vitesse et précipitation précisément, parce qu'on le voit bien, par ailleurs, obtenir un point de croissance supplémentaire.
PJP : On va y revenir, mais sur la forme, rien que sur la forme, ce François FILLON décrit, ce n'est pas un mou, c'est quelqu'un de calme et de réservé, vous êtes d'accord ?
BVC : J'ai l'honneur de le connaître un tout petit peu et je sais qu'il est très déterminé à obtenir ces résultats.
(...) PJP : On revient sur un sujet sur lequel je suis sûr, vous allez réagir, vous l'avez entendu évidemment, François FILLON est revenu sur le volet économique, il a présenté tout simplement ses remèdes pour doper la croissance française en berne, rien de neuf puisque le Chef de l'Etat a déjà développé ses thèmes, mais le Premier ministre a remis une nouvelle fois la valeur travail au centre du débat et il se donne de nouvelles marges pour relancer une croissance nouvelle. Et puis quelques minutes après ce discours, les différents orateurs qui représentaient leur groupe politique à l'Assemblée nationale, ont pu répondre au Premier ministre et on a entendu et vu un François HOLLANDE très en verbe, très combatif, qui a tenté, point par point de démonter le projet de François FILLON et il a répondu justement au Premier ministre sur ce concept de vieille croissance. Bernard Van CRAEYNEST au-delà de l'aspect formel des orateurs, "croissance ancienne, croissance nouvelle", ça vous évoque quoi les propos de François FILLON ? Il veut relancer cette croissance, réinventer la croissance.
BVC : Oui, mais encore faut-il effacer les mesures symboliques qui ont été annoncées et qui vont être discutées dans les prochaines semaines parce qu'on sait pertinemment que ce n'est pas par les heures supplémentaires qui sont des mesures tout à fait ponctuelles de régulation d'un surcroît d'activités...
PJP : Là vous parlez du paquet fiscal qui sera d'ailleurs débattu demain en commission, puisque ces heures supplémentaires, sera débattu très prochainement à l'Assemblée.
BVC : Tout à fait, non mais on voit bien ce qui sous-tend la pensée du président SARKOZY et de François FILLON, c'est : le travail appelle le travail, on va relancer tout cela. Malheureusement, encore une fois, s'attaquer uniquement au aspect des heures supplémentaires qui ne concernent qu'une petite partie des salariés de ce pays, c'est déjà risqué de créer des inégalités ou de renforcer les inégalités existantes, parce que tout le monde n'aura pas le droit à ces possibilités et en plus, ce n'est pas une dynamique réelle de relance de l'activité et de la croissance.
PJP : Juste un mot parce que c'est très lié, on l'a vu d'ailleurs dans le discours de François FILLON, croissance, mais aussi réforme du contrat de travail. Les deux sont intimement liés et il l'a dit, c'est un contrat de travail unique vers lequel on doit aller. Quelle est votre position vous à la CFE-CGC, sur cette question précise du contrat de travail unique ?
BVC : A la CFE-CGC vous savez, nous sommes très pragmatiques, nous considérons qu'il y a plus de 40 contrats de travail dans ce pays, mais, dont plus de 30 sont la résultante de tous les contrats qui ont été imaginés par les différents gouvernements d'ailleurs, au fil des années, pour essayer de lutter sur la difficulté d'insertion des jeunes dans l'emploi, sur les personnes sans qualifications, sur les seniors etc. Donc là on touche au problème des contrats aidés et des aides aux entreprises. Si on veut tendre vers un contrat de travail unique, pourquoi pas, nous ce que nous disons, c'est qu'il faut tenir compte quand même de la variété des types d'activités dans ce pays, la saisonnalité, ça existe, le CDD peut avoir aussi un attrait. Si on veut tendre vers un contrat de travail unique dans l'esprit de ce qu'a annoncé Nicolas SARKOZY, c'est-à-dire avec des droits croissants au fil de l'ancienneté, là on est face à un écueil précis. Nous savons qu'il y a dans ce pays des salariés qui peuvent faire quasiment toute leur carrière dans une entreprise et les autres qui galèrent de boulot en boulot et d'entreprise en entreprise. Si on veut créer les conditions d'une dynamique et d'un espoir en l'avenir, il faut qu'on soit en capacité de définir quand commence le contrat de travail pour les stagiaires, pour les contrats de professionnalisation, pour l'apprentissage, et que l'on soit en capacité d'organiser la tranférabilité des droits, d'une entreprise à l'autre, d'une branche à l'autre pour que ces droits croissants accompagnent l'ensemble des salariés au fil du déroulement de leur carrière.
PJP : Pas de rupture finalement... d'ailleurs c'est un dossier que vous allez, parenthèse mais on va la ferme rapidement, vous allez ouvrir dès demain puisque vous rencontrez le MEDEF pour déjà commencer à négocier sur ce dossier, donc tout va aller très vite.
BVC : Alors c'est un autre aspect intéressant du discours de François FILLON cet après-midi, il a quand même noté qu'il faisait confiance aux partenaires sociaux pour avancer dans les négociations et proposer un certain nombre de solutions sur l'ensemble des thématiques qu'il a abordées et qui concernent d'ailleurs également la formation professionnelle et d'autres thèmes qui nous sont chers. Effectivement nous travaillons entre partenaires sociaux depuis plus de six mois, nous avons décidé le 19 juin d'engager des négociations sur le contrat de travail, la sécurisation des parcours professionnels et la réforme de l'assurance chômage. Nous allons, dans la foulée, entamer des négociations sur le problème de la représentativité et de la représentation donc des salariés dans l'entreprise ; voilà des sujets sur lesquels il faut que nous puissions débattre et négocier avant que le gouvernement ne légifère.
(...) PJP : Discours rassurant Bernard Van CRAEYNEST, mais on se souvient de vous le 19 juin, vous étiez un petit peu mécontent à la sortie justement de ces débuts de négociations. Cette démocratie sociale évoquée dans ce discours, c'est une coquille vide ou vous y croyez ?
BVC : Elle est à construire parce que, lorsque le Premier ministre ...
PJP : Elle est vide donc ?
BVC : Tout à fait, pour l'instant on est sur des objectifs, des ambitions qu'on ne peut que partager, j'adhère tout à fait à ce que viens de dire François FILLON, simplement, lorsqu'on dit qu'il faut que les salariés puissent être représentés, qu'il puisse y avoir des élections dans les entreprises, un seul tour, liberté de présentation, c'est fort bien. Sauf que la réalité d'aujourd'hui, nous savons que dans les entreprises de 10 à 50 salariés qui constituent un nombre conséquent d'entreprises dans ce pays, il y a plus de 50 % de constat de carence, c'est-à-dire d'incapacité à voir des salariés se porter candidats aux élections. On voit donc qu'il va quand même falloir définir les conditions de la confiance pour que les salariés s'engagent et ça passe en particulier par le fait que les entrepreneurs, tout au moins un certain nombre d'entre eux, arrêtent de faire la chasse aux sorcières et développent des stratégies d'évitement des représentants des salariés, car ils considèrent que ce sont des gêneurs.
(...) PJP : Cette TVA sociale est revenue dans l'hémicycle et suscite une nouvelle fois le débat. La position de la CFE-CGC sur cette TVA sociale très contestée qui a suscité une forte polémique.
BVC : Déjà pour que les choses soient claires, nous, nous parlons à la CFE-CGC, nous sommes pour ce que nous appelons, une cotisation sociale sur la consommation...
PJP : C'est la même chose ?
BVC : C'est la même chose, mais une cotisation, elle mérite d'être affectée et nous voulons précisément que ce soit affecté au financement de l'assurance maladie car le besoin est énorme, on le sait. Du fait du vieillissement de la population, nous allons avoir besoin d'ici 15 ans de 3,2 points de PIB supplémentaires pour accompagner les demandes croissantes en matière de santé et aussi pour le financement de la dépendance. Il faut trouver des recettes et ces recettes nouvelles ne pourront pas être à nouveau assises sur le travail et ce mérite, les mérites de la cotisation sur la consommation ou de la TVA sociale, c'est de faire participer au financement les produits importés et ce qui est dramatique dans le débat qui a eu lieu dans l'entre deux tours des législatives, c'est qu'on a dit que les plus pauvres allaient être frappés, mais si on ne trouve pas des recettes nouvelles pour financer l'assurance maladie, est-ce que vous croyez que les plus pauvres ne vont pas être exclus de l'accès aux soins ? On voit déjà avec la CMU les difficultés rencontrées pour l'accès à certains praticiens, le problème du tiers payant... Il faut que nous trouvions des recettes nouvelles sinon il faudra admettre que notre système de santé ne sera plus aussi accessible.
(...) PJP : Autre dossier, vous l'avez survolé et François FILLON lui l'a évoqué très clairement, c'est la question de la franchise médicale, c'est un sujet dont on a entendu parlé il y a quelques jours par Claude GUEANT le secrétaire général de l'Elysée, eh bien François FILLON est revenu sur ce dossier de la franchise médicale. Alors Bernard Van CRAEYNEST on est dans un problème de sémantique parce qu'il y a un bouclier sanitaire, moi je parlais de franchise médicale, mais c'est un dossier qui a évolué, on a parlé de franchise médicale et puis Martin HIRSCH pour resituer un peu le dossier, il est Haut commissaire au gouvernement, est intervenu et avait contesté cette franchise médicale et puis elle a évolué. Elle serait fixée en fonction de la durée de la maladie, mais aussi des revenus du patient. Sur ce point précis de la franchise médicale, c'est aussi une manière de trouver des recettes, en tout cas, de diminuer les déficits ?
BVC : Oui, sauf qu'il faut quand même être prudents et là aussi, ne pas traiter cette question de manière isolée. Quand je parlais de refonte de la fiscalité et de refonte finalement du système redistributif français, c'est là-dessus qu'il faut travailler, parce que le fait de taxer systématiquement en fonction des revenus, vous dites en plus, de la durée de la maladie, elle n'est pas toujours très prévisible, moi je me demande si on ne va pas arriver à un système où on va aller acheter sa baguette de pain avec sa feuille de paie et sa feuille d'impôt. Le fait d'avoir des franchises, c'est le système assuranciel que l'on connaît, pour l'assurance automobile, l'assurance dommage...
PJP : C'est qu'une partie de la somme n'est pas remboursée.
BVC : Oui. Je vous rappelle quand même que le reste à charge des ménages en matière des dépenses de santé est déjà de l'ordre de 11%. Donc il faut savoir jusqu'où on veut aller en la matière. En tout état de cause, nous avons un problème de vieillissement de la population, donc de soins plus importants et d'amélioration des techniques demandées par les Français, il va falloir qu'on puisse effectivement comme l'a dit François FILLON, travailler sur Alzheimer, sur le cancer...
PJP : Les grands chantiers dressés par Nicolas SARKOZY.
BVC : Les grands chantiers et qu'on étudie l'ensemble du financement.
(...) PJP : On vient d'évoquer le discours de politique générale, sur certains points très précis ; qu'attendez-vous des négociations qui viennent parce que effectivement il y a la partie législative, il y a le débat dans l'hémicycle mais il y a aussi la partie de négociations notamment avec le MEDEF, avec les partenaires sociaux. Est-ce que vous êtes inquiet, est-ce que vous avez l'impression aujourd'hui que le gouvernement, à travers ce discours notamment, commence déjà à vous mettre une petite pression ?
BVC : Ah le gouvernement incontestablement, essaie de nous mettre la pression mais je ne suis pas inquiet parce qu'on a bien travaillé, encore une fois, depuis la fin 2006 pour préparer ces négociations à venir sur le contrat de travail etc, et on a surtout défini une méthode qui me semble devoir porter ses fruits. Il y a une première réunion effectivement demain et à partir du début septembre, on a décidé de se réunir une fois par semaine, chaque vendredi matin, de manière à se dire ce qu'on a à se dire, à avancer sur les sujets que nous avons à traiter, se laisser une semaine pour travailler les points de blocage...
PJP : Ca peut durer un an, deux ans ? Vous avez un délai précis, un "dead line" comme on dit ?
BVC : Nous nous sommes fixés la fin de l'année pour aboutir. Alors s'il faut déborder sur janvier, je pense que le gouvernement ne nous en tiendra pas rigueur, mais nous avons cet objectif de la fin de l'année pour obtenir des résultats concrets sur le contrat de travail, la sécurisation des parcours professionnels, la réforme de l'assurance chômage...
PJP : Je vous interromps, vous dites contrat de travail, mais vous avez oublié le mot "unique" ; c'est le contrat de travail ou c'est le contrat de travail unique ?
BVC : Parce que je ne prédétermine pas ce que sera, ce que seront ces futurs contrats de travail. Il n'y a pas de raison de partir sur un objectif absolu, tant qu'on ne l'a pas mieux cerné, défini, c'est ce que nous allons faire en marchant avec le patronat d'un côté et nos collègues des autres organisations syndicales de salariés pour faire en sorte que nous offrions des perspectives enfin un peu dégagées et que surtout, nous restaurions la confiance. Les salariés je crois, ont besoin de retrouver la confiance et une certaine envie de bien vivre, d'être bien au travail parce que, revaloriser le travail c'est bien, mais nous avons quand même des salariés aujourd'hui dans l'entreprise qui sont en souffrance, qui sont inquiets, qui sont déboussolés et il nous appartient aussi bien évidemment, d'apporter des réponses à leurs souffrances. Source http://www.cfecgc.org, le 10 juillet 2007