Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à RMC le 9 juillet 2007, sur les négociations sur les contrats de travail, le bilan du CNE et les régimes de retraites.

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Texte intégral


J.-C. Mailly, bonjour. C'était quand ce déjeuner avec N. Sarkozy ? La semaine
dernière ?
Oui, il y a une semaine.
Q- Il y a une semaine, et en tête à tête ?
R- Oui, enfin, il y avait une troisième personne : le conseiller de Monsieur Sarkozy, Monsieur Soubie.
Q- C'est lui qui vous a appelé en vous disant "J.-C. Mailly, bonjour" ; vous vous connaissez ?
R- Pas le direct. C'est son conseiller qui m'avait appelé.
Q- Et il vous a emmené dans un restaurant proche de l'Elysée ? Preuve : vous avez bien mangé ? C'était bien ?
R- Oui, oui on a bien mangé.
Q- De quoi avez-vous parlé ?
R- Un tour d'horizon. On a fait un tour d'horizon sur les dossiers. Il souhaitait, notamment après le congrès de F.O. qui s'était tenu la semaine précédente, savoir ce que les gens avaient dit, quelle était l'ambiance, quels étaient les sentiments, les revendications, et, sur toute une série de dossiers, ce qu'on appelle les lignes blanches ou les lignes rouges, peu importe, où il y avait des problèmes, ce que je lui ai expliqué. Il a surtout écouté. C'était surtout de l'écoute de sa part.
Q- Il voulait s'informer en quelque sorte ?
R- Oui, bien sûr, en direct.
Q- En direct, ce qui me paraît d'ailleurs pas mal.
R- Oui, bien.
Q- Regardons la dernière actualité. Elle concerne le CNE, le fameux CNE et c'est une décision de justice : la cour d'appel de Paris a jugé vendredi que le CNE n'était pas conforme à la Convention 158 de l'organisation Internationale du Travail. Cela veut dire quoi ?
R- Les conventions internationales du travail ce sont en gros de la législation internationale. Ce sont des textes élaborés entre le patronat, les gouvernements et les organisations syndicales au niveau international. Et quand des pays ont ratifié ces conventions - c'est le cas de la France, par exemple, pour cette convention 158 - nous devons la respecter. Or dans cette convention, il est expressément dit qu'on ne peut pas faire des périodes d'essai déraisonnables. Donc, là, deux ans c'est considéré comme étant déraisonnable, et on doit motiver la rupture.
Q- Cela veut dire que dans d'autres pays d'Europe, il n'y a pas des périodes d'essai aussi longues ?
R- A ma connaissance, deux ans, non.
Q- C'est unique en Europe ?
R- La période de deux ans c'est très long. En France, c'est quoi les périodes d'essai aujourd'hui ? C'est les périodes - le Gouvernement ne les appelaient pas "essai", volontairement d'ailleurs, pour ne pas jouer sur les mots, mais cela revient à ça - c'est entre trois et six mois, et c'est prévu en général par les conventions collectives.
Q- Mais le patronat, les PME notamment disent, la CGPME dit : cet arrêt ne remet pas en question la validité juridique du CNE. Même chose au Medef.
R- Mais non, attendez ! Si... Il y a encore des procédures derrières, puisque apparemment, la Cour de cassation est saisie...
Q- Elle est saisie par le patronat ?
R- Par le patronat, oui. Et Force Ouvrière a saisi le Bureau International du Travail. Ce dont on parle, le BIT, devra se prononcer au mois de novembre sur le CNE. C'est à l'initiative de F.O. ça. Mais à un moment donné, s'il est reconnu qu'un texte national n'est pas conforme à la législation internationale, cela veut dire que ce texte ne peut plus tenir, il faut le retirer.
Q- Cela veut dire quoi : il faut retirer le CNE ?
R- Si c'est confirmé, bien entendu. On ne peut pas avoir...
Q- Vous demandez à ce que l'on retire le CNE ?
R- Ils ne sont pas tenus de le retirer aujourd'hui, puisque c'est un jugement de cour d'appel. Après, s'il y a confirmation, on verra à la Cour de cassation. Mais à un moment donné, j'avais repris une formule d'un journal satirique en disant : « le CNE finira par mourir dans d'atroces souffrances judiciaires ». On y est, ça commence d'une certaine manière, avec la cour d'appel, ça commence. Je ne sais pas ce que décidera le BIT au mois de novembre. Enfin, j'imagine mal qu'il puisse que le CNE est conforme à la législation internationale du travail. D'ailleurs, si c'était aussi simple que cela, le BIT aurait déjà statué. Or les Gouvernements précédents ont tout fait pour que le BIT jouant sur les procédures, ne soit pas encore positionné. Donc, le Gouvernement pourrait, s'il le souhaitait, dire : "Il y a un problème, allez ! On le retire tout de suite". Ce n'est pas le choix qu'il fait pour le moment.
Q- Le contrat de travail, ce sera l'un des grands sujets de rentrée. Le Gouvernement insiste sur l'idée d'un contrat unique. J'ai remarqué que les organisations patronales n'étaient pas très chaudes.
R- Nous non plus.
Q- Et vous non plus ?
R- Mais attendez ! Il n'y a que le Gouvernement qui parle de contrat de travail unique et quelques experts. Nous allons négocier, enfin nous avons commencé la semaine dernière, il y a à nouveau une réunion cette semaine, et nous aurons un rythme accéléré à partir de septembre, sur trois thèmes : l'assurance chômage, la garantie des parcours professionnels et le contrat de travail. Mais, dans notre esprit, il ne s'agit pas, nous, de négocier un contrat de travail unique. On va regarder la situation des contrats de travail d'une manière générale, favoriser en ce qui nous concerne, le contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail unique, qu'est-ce que ça peut être...
Q- Le Gouvernement demande des propositions précises. F. Fillon dit même : "si nous n'avons pas de propositions avant la fin de l'année, eh bien nous prendrons nos responsabilités dans faillir".
R- Que le Gouvernement nous laisse négocier. La liberté de négociation ça a un sens aussi reconnu par les conventions internationales du travail. Que le Gouvernement nous laisse négocier, après il prendra ses responsabilités. Mais le Premier ministre ne peut pas nous dire : vous allez négocier, OK ; ou bien le président de la République vous a dit : on vous laisse négocier, mais voilà le résultat de la négociation ». Cela ne marche pas. Nous allons négocier et le Gouvernement regardera s'il y a un résultat positif...
Q- Vous négociez donc sur le contrat de travail, avec le patronat ?
R- Contrat de travail, assurance chômage, parcours professionnel...
Q- Le patronat demande une flexibilité, disons le mot, c'est un mot tabou en France.
R- J'ai toujours dit que cette négociation serait difficile. Parce que cela ne va pas être évident... On est en train de travailler sur ces questions là. Il y a une chose qu'on ne peut pas accepter - et cela je l'ai dit publiquement - on ne peut pas accepter qu'un salarié, qui serait licencié ne puisse pas avoir un recours juridique. Cela remet en cause, cette notion de rupture à l'amiable. Cela ce n'est pas possible, il doit y avoir un recours juridique. Après on peut regarder sur les délais, il y a des choses qui peuvent peut-être ce faire. Mais la marge de négociation sur le contrat de travail...
Q- C'est-à-dire, sur les délais ?
R- C'est vrai que quand... mais enfin, ça suppose des moyens de la justice également. Si
vous faites un recours aux prud'hommes, si le recours ne va pas jusqu'à terme, cela
veut dire s'il y a une conciliation, en moyenne c'est neuf mois. Si cela va à terme,
c'est douze à treize mois. Mais c'est aussi une question de moyens pour la justice
dans les affaires prud'homales comme dans d'autres d'ailleurs, d'une manière
générale. Il y a des choses qui peuvent se regarder, mais il y a une marge de
négociation assez étroite.
Q- N. Sarkozy est intervenu lorsque... Vous avez parlé du contrat de travail avec lui ?
R- Non, ça n'a pas été un sujet, non... mais attendez
Q- Vous avez parlé de quoi : des retraites ? Vous avez parlez de quoi ?
R- Des contrats de travail non, puisque moi j'ai quelques principes : à partir du moment où... lui ne m'en a pas parlé mais moi non plus, mais à partir du moment où nous négocions sur ces questions-là, ce n'est pas une question qui regarde le pouvoir public dans l'immédiat. C'est une question...
Q- Ni le Gouvernement, ni le président de la République.
R- Non, c'est une négociation qui s'ouvre, qui devrait aller jusqu'à la fin de l'année. Nous, c'est l'objectif qu'on se fixe. On verra si on arrive à le respecter ou pas. Donc à partir de là, ce n'est pas du ressort des pouvoirs publics.
Q- Est-ce que vous avez parlé des retraites ?
R- Oui, j'ai évoqué le dossier des retraites en disant "attention".
Q- Un dossier essentiel dans les années qui viennent...
R- C'est un des dossiers importants, pour dire notamment que le sur le dossier des retraites, il faut le reposer de manière globale. C'est-à-dire qu'il ne faut pas commencer par dire "les régimes spéciaux", "les régimes spéciaux". Parce que c'est une volonté, à partir de là, de prendre un élément du dossier. Qui plus est, au nom de l'égalité, je rappelle tout simplement une chose : l'égalité, on n'a jamais été tous sur le même moule dans le domaine de la retraite. Il n'y a jamais eu d'égalité entre les non salariés, les salariés, entre le public et le privé. Cela a toujours été très différent. Et quand on compare les régimes un à un, il faut tout prendre. On peut dire chez les cheminots, par exemple, il y a un durée de cotisation plus faible, mais il faut également expliquer- je prends un autre exemple - que chez les cheminots on n'a pas deux ans de bonification, quand on a eu des enfants. Donc, il faut prendre tous les éléments et les comparer. Et Il y a un vrai problème global de la retraite : qu'est-ce que l'on veut faire dans le système de retraite ? Question de répartition des richesses, il faudra reposer le dossier. Tout cela c'est prévu début 2008, et cela fera un des dossiers qui...
Q- On remettra tout sur la table début 2008. Mais F. Fillon a déjà averti : la durée de cotisations sera prolongée au-delà de quarante ans, il l'a déjà dit.
R- C'est la loi de F. Fillon 2003.
Q- Est-ce qu'on va remettre en cause cette loi ?
R- La loi qu'est-ce qu'elle dit, notamment sur la durée de cotisation ? Tout le monde sera à quarante ans au premier janvier 2008 de durée de cotisations et la loi prévoit, effectivement, qu'en 2012 on sera tous à quarante et un ans. Mais pour le moment, en janvier 2008, on sera à quarante ans. Au congrès F.O., on en a débattu la semaine dernière. Nous, dans l'immédiat, on souhaite en rester à quarante ans.
Q- Quarante ans.
R- Oui, d'ailleurs il suffirait de faire un décret pour que l'on reste à quarante ans. Donc
cela fera partie des discussions. Nous, nous souhaitons rester à quarante ans.
Q- Même en 2012, quarante ans ?
R- Mais bien sûr. Il faut regarder le problème de manière globale. Vous savez, la rupture c'est bien, le terme...
Q- Si on n'allonge pas la durée des cotisations, comment finance-t-on les retraites futures ?
R- Il faut déjà reposer dans le domaine de la Sécurité sociale, d'une manière générale et y compris dans le problème des retraites, il faut reposer la responsabilité des uns et des autres. Déjà que l'Etat paye ses dettes, l'Etat a des dettes par rapport à la maladie, par rapport également...
Q- Elles sont importantes ?
R- Je vais prendre un seul exemple. Le fonds de solidarité vieillesse, qui doit verser à la Caisse nationale d'assurance vieillesse, tous les ans, de l'argent, il a versé 400 millions de moins cette année. Il y a le fonds de réserve des retraites, qui devait être alimenté régulièrement, qui devait avoir 150 milliards d'euros ; on en n'est à peine à 30. Donc il faut reposer tout le problème. C'est une question globale de répartition des richesses, c'est lié la politique économique, ces questions de retraites. On ne peut pas juste prendre un critère ou un autre. La rupture c'est aussi - quand on parle de "rupture", moi cela ne me choque pas qu'on parle de "rupture" - mais c'est aussi faire autrement que l'on faisait avant. Cela veut dure savoir poser les problèmes au fond, de manière structurelle, et non pas prendre des épiphénomènes ou des petites mesures ici ou là, qui peuvent être dangereuses. Il faut reposer les problèmes globalement.
Q- Un mot quand même : N. Sarkozy ne vous a pas proposé d'entrer au Gouvernement ?
R- Non, non, non.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 juillet 2007