Texte intégral
R. Sicard.- On va reparler de la réforme de l'université, mais je voudrais d'abord revenir sur ce qu'a dit hier le ministre de l'Education. Il a annoncé 10.000 suppressions d'emplois dans l'Education pour l'année prochaine. Cela concerne-t-il aussi l'université ?
R.- Vous savez qu'aujourd'hui, dans l'architecture gouvernementale, il y a vraiment deux ministères qui sont totalement séparés : le ministère de l'Education nationale et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, qui sont deux ministères indépendants et séparés. Pourquoi ? Parce que le président de la République et le Premier ministre ont décidé que l'Enseignement supérieur et la Recherche devaient faire l'objet d'une priorité absolue, politique et budgétaire pour les cinq ans qui viennent. Et vous savez que nous avons des engagements budgétaires qui sont sans précédent, puisque le président de la République a annoncé 1 milliard d'euros supplémentaires pour la recherche, pour l'enseignement supérieur - pendant cinq ans pour l'enseignement supérieur, pendant quatre ans pour la recherche - parce que nous avons négligé ces secteurs. Nous dépensons aujourd'hui 7.000 euros par an pour un étudiant, alors que nous dépensons 10.000 euros par an pour un lycéen. Nous sommes le seul pays au monde qui sous investisse autant dans l'enseignement supérieur et la recherche, et donc je crois qu'il faut absolument que nous rectifions le tir.
Q.- Donc, pas de suppressions de postes l'année prochaine dans l'université ?
R.- L'idée derrière n'est pas pour moi de m'abstraire de l'obligation de faire des économies et de lutter contre les gaspillages, qui est une obligation qui est faite à tous les ministres.
Q.- Est-ce que cela se traduire en termes de postes ?
R.- Nous allons commencer par faire la réforme et qui dit "réforme", dit "moyens supplémentaires". Je vais vous donner un exemple très simple : dans la réforme sur l'autonomie des universités, nous allons leur donner la gestion de leur budget de leurs ressources humaines. Cela nécessite de mettre en place un contrôle de gestion, cela nécessite de mettre en place une comptabilité, de mettre en place des nouveaux systèmes d'information, donc des nouveaux moyens pour l'université. Mais cette réforme permet aussi de faire des économies, excusez-moi, par exemple, en diminuant le nombre de redoublants, les économies qui seront faites seront l'année prochaine, dans deux ans, en termes de budget, des réductions budgétaires. Donc, on va pouvoir faire des économies, mais dans un premier temps, on fait la réforme, et qui dit "réforme" dit "moyens supplémentaires".
Q.- Mais est-ce qu'il y aura des postes supprimés ou pas, dans l'université ? Oui, non ?
R.- A court terme, la réforme va plutôt se traduire par une augmentation budgétaire, mais nous allons essayer de faire cela à l'économie, parce que moi je me sens comptable de chaque euro qui sera dépensé.
Q.- Alors, sur la réforme de l'université, vous avez dû faire des concessions. Pourquoi ces concessions ? Et pourquoi a-t-il fallu attendre le dernier moment pour les faire ?
R.- Nous avons mené une concertation qui a été très riche et très intense, qui a duré six semaines, soixante heures de rencontres avec les partenaires des négociations.
Q.- Mais finalement, ça a bloqué. N. Sarkozy est intervenu lui-même. Pourquoi ?
R.- On a voulu aboutir à un texte d'équilibre, parce que, sur une réforme qui est vitale... Cette réforme de l'autonomie des universités, elle apparaît comme cela technique, mais elle est en fait vitale, parce que c'est le socle de toute la réforme de l'enseignement supérieur que nous devons entreprendre sur quatre ou cinq ans, pour faire réussir davantage d'étudiants. Il y a un taux d'échec de 50 % dans certaines filières universitaires. La crise du CPE a révélé qu'il y avait un malaise des étudiants qui étaient à l'université, et qui s'apercevaient que leurs diplômes ne les conduisaient pas nécessairement vers l'emploi. Donc, ces étudiants-là, nous avons un devoir de les mener dans un chemin de réussite. Cela nécessite d'ouvrir plein de chantiers : un chantier sur la condition de vie étudiante, un chantier sur la réussite de la licence, un chantier sur les carrières des personnels de l'université, sur l'immobilier universitaire qui est aujourd'hui parfois dans un état de délabrement total, sur les jeunes chercheurs et l'attractivité de ce métier... Tous ces chantiers là, nous les mènerons, mais le socle d'abord, c'est de donner aux universités leur autonomie, c'est-à-dire des règles de fonctionnement qui s'inspire de tous les pays du monde les plus modernes, ceux qui fonctionnent le mieux, et qui leur permettra d'être réactifs dans la concurrence internationale. Il faut jusqu'à dix-huit mois pour recruter un enseignant aujourd'hui ; nous, nous voulons que ce délai soit ramené à trois mois, par exemple.
Q.- Quand N. Sarkozy est intervenu lui-même dans le dossier, est-ce que vous vous êtes sentie désavouée ?
R.- C'est très important, l'engagement du président de la République dans cette réforme. Et je pense que c'est une chance pour l'université. Parce que vous savez, avec le lien très personnel qu'il a tissé avec les Français pendant cette campagne présidentielle, il est devenu le porteur de l'idée de changement. Quand N. Sarkozy dit "il faut bouger, il faut changer", les Français le croient. Je crois que sa parole porte plus que celle de ses ministres. Donc, c'est important pour lui son engagement.
Q.- Donc, ça ne vous a pas du tout gêné ?
R.- Cela a été même un moment très important, d'abord parce que lui et le Premier ministre m'ont totalement soutenue, à la fois dans mes propositions et dans le projet qu'on portait. Et en même temps, parce que en rencontrant les acteurs de la réformes, ils auront permis de susciter une adhésion de plus en plus large. Moi, ce qui me satisfait beaucoup, c'est qu'aujourd'hui on n'entend plus critiquer l'idée même d'autonomie, alors que cela fait vingt ans que tous les ministres de l'Enseignement supérieur et de la Recherche essayent de faire cette réforme. Cette idée d'autonomie n'est plus critiquée ; au contraire on entend les universités dirent "nous voulons toutes passer à l'autonomie". Quel progrès ! Cela prouve qu'en six semaines, on a beaucoup avancé.
Q.- Ce qui est critiqué, c'est la sélection, en revanche. Les étudiants n'en veulent pas ; pour l'instant, c'est retiré du projet. Est-ce que cela va revenir ? Est-ce que la sélection est abandonnée définitivement ou est ce que c'est un sujet qui va revenir sur le tapis ?
R.- Il y a deux choses, il a d'abord, la question de l'entrée à l'université. La sélection à l'entrée de l'université, cela s'appelle le baccalauréat et donc, dans l'université, il doit y avoir une place pour chaque bachelier. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, on laisse les bacheliers s'engouffrer dans des filières, pour lesquelles ils ne sont pas préparés et des filières qui n'ont malheureusement pas assez de débouchés. C'est pourquoi, dans le projet, on donne deux nouvelles missions à l'université : la mission d'orienter les lycéens vers les bonnes filières, et puis, éventuellement, faire des réorientations en première année, et puis on lui donne aussi la mission d'insertion professionnelle. Et cela, c'est décisif. Parce que dire aux universités "vous allez former, vous allez faire de la recherche mais vous allez aussi être responsables en partie de l'insertion professionnelle de vos étudiants", je vous assure que c'est une révolution !
Q.- Et cette idée de sélection à bac + 4, qui était dans le projet, elle y est plus elle va revenir, c'est abandonné définitivement ou pas ?
R.- Alors, sur la question du master - donc c'est bac + 4, bac + 5, après les trois ans de licence -, il y avait dans le projet, effectivement, la possibilité pour les universités autonomes, puisqu'elles vont devenir autonomes, de fixer les conditions d'accès aux masters. Alors pourquoi cette disposition figurait-elle dans le texte ? Tout simplement, parce qu'aujourd'hui, il y a de la sélection injuste, la sélection injuste par le biais du diplôme de licence c'est-à-dire que comme les universités - vous savez en licence, il y a beaucoup de places, en master il y a moins de places - eh bien donc, comme elles ne pouvaient pas fixer des conditions à l'entrée - donc de la sélection -, elles faisaient des épreuves infaisables aux diplômes de licence. Vous aviez des étudiants qui se retrouvaient en échec - ils n'avaient pas leurs diplômes de licence -, parce qu'on ne pouvait pas leur réglementer les conditions d'accès aux masters. Donc, cette disposition à l'entrée aux masters, elle est très importante !
Q.- Et elle reviendra, vous allez la remettre sur le tapis ?
R.- Cette disposition sera envisagée dans le cadre de chantier que j'ai lancé, qui s'appelle "réussir la licence". Quand on aura une licence vraiment qualifiante, on parlera ensuite du diplôme du master, qu'il faut absolument faire en deux ans et il faut absolument réfléchir à ce diplôme. Mais toute la communauté universitaire est d'accord là-dessus. Simplement, ce qu'ils demandent, c'est d'avantage de places en masters et ils ont raison parce qu'aujourd'hui, il faut absolument que toutes nos formations soient des formations de qualité qui mènent à l'emploi.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 juin 2007