Texte intégral
Les Français ont voté. Et leur choix nous engage tous.
Vous, au nom de la majorité, à tenir vos promesses.
Nous, au nom de l'opposition, à offrir une alternative. C'est la règle en démocratie.
Nous sommes les uns et les autres conscients des enjeux. Ils sont communs à notre Nation : la mondialisation avec ses atouts et ses menaces, l'Europe qu'il faut faire avancer, les changements climatiques qui pèsent d'ores et déjà sur notre vie quotidienne, les rapports avec le Sud qui dégradent les conditions de la paix dans le monde et la menace terroriste. Les enjeux en France sont toujours, après cinq ans d'une action conduite par la majorité sortante -on croirait l'oublier- les questions de l'emploi, de la solidarité et de la démocratie
Dans ce contexte, Monsieur le Premier ministre, vous venez de présenter la politique de votre gouvernement. J'aurais dû dire la politique du Président de la République. C'eût été plus exact. Certes, il en a la plus incontestable des légitimités puisqu'il l'a tirée du suffrage universel. Il a un mandat. Rien de plus normal qu'il vous demande de le mettre en oeuvre. Sauf que la pratique de l'Exécutif, depuis l'entrée en fonction du Président de la République, marque une inflexion -sans doute une rupture- une mutation vers ce que j'appelle « l'omniprésidence ». Omniprésent, omnipotent, omniscient, le Chef de l'Etat décide de tout, parle de tout, intervient sur tout, évoque tout. Et quand il ne le fait pas, ce n'est pas vous, Monsieur le Premier ministre, qui intervenez, c'est le Secrétaire général de l'Elysée qui donne le calendrier; ce sont des conseillers présidentiels qui précisent le contenu des réformes.
Au point que, sans vous faire offense, la question se pose de savoir quelle est la tâche qui vous revient, le rôle qui vous est fixé, la responsabilité qui est la vôtre.
Ce n'est pas simplement une question qui se pose au sein de l'Exécutif ; mais, dès lors que le Premier ministre est responsable devant l'Assemblée nationale, c'est aussi la place du Parlement qui s'en trouve altérée, modifiée. Sans que nos institutions, d'ailleurs, en aient été changées.
En fait, nous sommes dans une dérive présidentialiste et dans le faux-semblant. Peut-on en effet prétendre aujourd'hui que le Président de la République « veille au respect de la Constitution et assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » ? Que signifie encore l'article 20 de la Constitution qui dispose, contre toute évidence, que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Et l'article 21 selon lequel « le Premier ministre dirige l'action du gouvernement ».
Faisons donc l'effort de vérité indispensable ; constatons une pratique qui s'est éloignée des principes. Et traduisons dans nos textes, non pas « l'omniprésidence », mais le nécessaire équilibre entre les pouvoirs.
L'Exécutif doit décider et agir. Le Parlement, lui, doit au moins délibérer et contrôler. Sinon c'est la démocratie politique qui vient à claudiquer, à fléchir et enfin à tomber. Nous acceptons cet exercice de réflexion institutionnelle que vous nous avez proposé. Nous l'acceptons à condition qu'il soit mené jusqu'au bout et sans fard. S'il ne s'agit que de corriger ici, de toiletter là et de n'offrir au Président de la République qu'une tribune de plus (celle de l'Assemblée nationale), alors cette réforme ne sera qu'un artifice de plus. Si, en revanche, la finalité du processus de révision de notre Constitution est de clarifier les responsabilités, de répartir les pouvoirs et de rapprocher la décision du citoyen, alors allons-y franchement.
Vous ne prenez pas le chemin le plus court pour aller vers la République moderne. Il y avait de la timidité, de la retenue. Car, si l'on veut vraiment changer nos institutions, il faut alors lever les procédures qui contraignent jusqu'à l'effacement : il faut donner au Législatif, c'est-à-dire au Parlement et notamment à l'Assemblée nationale, les moyens d'investigation que vous annoncez pour contrôler le gouvernement (mais que nous ne voyons pas venir). Il faut limiter le cumul des mandats il faut introduire une part de proportionnelle à l'Assemblée nationale ; il faut réformer le Sénat sans le renforcer -ce qui serait un comble dans l'équilibre des deux assemblées. Les sujets ne manquent pas. Il y a même urgence à les traiter. Et je souhaite que ce soit au Parlement de les traiter et non dans une commission dont les membres seraient désignés par le Président de la République ! Alors que c'est ici que la réforme doit être décidée si nous voulons renforcer les pouvoirs du Parlement.
La démocratie n'est pas simplement la démocratie institutionnelle, c'est aussi la démocratie sociale. Sur ce point, Monsieur le Premier ministre, je vous rejoins. Essayons de faire prévaloir le contrat, engageons la négociation collective, ayons des syndicats davantage représentatifs fondés, notamment, sur la base de l'élection. Alors, là encore, allons jusqu'au bout et fixons le principe des accords majoritaires et la hiérarchie des normes. Que ce soient les syndicats majoritaires qui puissent engager les salariés et non pas tels ou tels syndicats minoritaires.
Enfin, la démocratie, Monsieur le Premier ministre, et vous l'avez oublié dans votre intervention, c'est aussi le pluralisme : celui de la presse qui est aujourd'hui menacé par le conflit d'intérêt lorsqu'un grand groupe veut racheter la presse économique en fixant ses conditions ; le pluralisme est aussi altéré quand un groupe audiovisuel privé veut aujourd'hui être partie prenante dans la gestion du nucléaire civil. C'est un problème non pas pour l'industrie, mais pour la presse précisément. J'attendais là des propositions de votre part, elles ne sont pas venues.
La démocratie n'est pas une contrainte, elle n'est pas un frein ; c'est une condition de la réussite, et notamment sur le plan économique.
Vous héritez, j'en conviens, d'une situation dégradée.
La vieille croissance dont vous parler est là depuis 5 ans. Une croissance qui a été continûment plus faible depuis 5 ans que celle de notre voisin allemand notamment. L'endettement public atteint -ce trimestre-là un niveau record- 65% du PIB. C'est le vôtre. Les comptes sociaux, ce sont les vôtres, Monsieur Fillon -vous étiez Ministre des Affaires sociales : les régimes de retraite sont déséquilibrés pour près de 5 milliards d'euros. L'assurance maladie -mais ce n'était pas vous, c'était Monsieur Douste-Blazy -où est-il d'ailleurs !- 6 milliards d'euros. Et, que dire du taux de chômage qui reste l'un des plus élevés d'Europe !
Vous auriez mauvaise grâce à accabler l'héritage de vos prédécesseurs puisque, si je puis dire, vous êtes un de vos prédécesseurs. Ce bilan est le vôtre.
Vous voulez aujourd'hui rompre avec lui. C'est le signe qu'il n'était pas fameux.
Et vous proposez aux Français un contrat avec des grandes réformes structurelles. Sur leur intitulé, nul doute que chacun pourra s'y retrouver : l'université en est le bon exemple. Si nous pouvons nous retrouver pour mettre des moyens supplémentaires sur l'université, à la condition néanmoins que ce soit pour toutes les universités et pas seulement pour quelques-unes, à la condition aussi qu'il puisse y avoir un plan social étudiant et un lien avec la Recherche. Nous y sommes prêts. Je pense que nous sommes devant un des grands enjeux de la préparation de l'avenir. Chiche ! Faisons-le, traitons-le et allons jusqu'au bout là encore.
Mais lorsque vous nous parlez de la réforme de l'emploi et du marché du travail et que vous nous dites qu'il faudra introduire le contrat de travail unique, vous entrez dans un processus proche du CPE et qui consiste tout simplement à rendre plus facile le licenciement au prétexte de favoriser l'emploi. Ce n'est pas ainsi que vous engagerez une concertation car, qu'allez-vous proposer aux salariés avec ce contrat unique de travail ? Des garanties supplémentaires ? Mais où sont-elles ? Des droits ? Mais où sont-ils ? L'accompagnement individuel ? Mais, où est-il ?
La fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC ! Mais qu'est-ce que cela fera aux salariés licenciés de savoir qu'il y a maintenant une fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, s'ils ne peuvent pas retrouver l'emploi !
La véritable confrontation que nous devons avoir ensemble est sur la politique de croissance.
Je considère aujourd'hui que votre paquet fiscal, votre choc fiscal est économiquement inapproprié, socialement injuste et budgétairement aventureux.
D'abord économiquement inappropriée.
Votre politique n'est ni une politique de la demande ni une politique de l'offre. Elle n'est ni conjoncturelle ni structurelle. Elle fait simplement des cadeaux à des Français qui n'en ont pas besoin aujourd'hui.
Vous dites que vous voulez encourager l'entreprise. Mais qu'est-il prévu pour l'investissement des entreprises dans le paquet fiscal ? Il est prévu des mesures pour les dirigeants des entreprises : le bouclier fiscal, la fin de l'impôt sur la fortune, des avantages aussi en termes de stocks options. Mais, pour l'entreprise elle-même, rien n'est prévu. Nous avions prévu la baisse de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis ; nous avions proposé la réforme de la taxe professionnelle pour avantager l'industrie ; nous avions proposé la modulation des cotisations sociales. Et vous, votre seule réponse et de donner des avantages fiscaux à ceux qui ne les consommeront même pas.
Vous prétendez favoriser le travail et c'est la rente que vous privilégiez. Vous voulez relancer la consommation et c'est l'épargne que vous stimulez ; vous espérez la croissance et ce sont les inégalités qui vont croître.
Votre politique est socialement injuste.
Le « bouclier fiscal » coûtera 1, 5 milliards d'euros au profit de moins de 150 000 contribuables. Il s'ajoutera la baisse de l'impôt sur le revenu, à la réforme de l'Impôt sur la fortune.
Est-ce équitable alors que les écarts de patrimoines et de revenus sont considérables dans notre pays ?
En effet, les 1% de Français les plus favorisés ont vu leurs revenus augmenter de près de 20% entre 1998 et 2005. Pour la même période, le revenu moyen de tous les autres Français n'a lui enregistré qu'une hausse de 5%.
Et c'est à ce moment-là que vous dites refuser une augmentation du SMIC ? Voilà donc le sens de votre politique.
Enfin, votre politique est aventureuse sur le plan budgétaire
Votre paquet fiscal va coûter rien de moins que 12 milliards d'euros.
Permettez que l'on vous pose cette question simple : Comment ces mesures vont-elles être financées ?
Vous nous avez indiqué : par des plus-values fiscales générées par une croissance économique plus forte. Quand bien même la croissance pour 2008 atteindrait-elle 2,5 %, ce ne sont, au mieux, à peine 0,3 ou 0,4 points de plus que cette année. Ce n'est pas ainsi que nous pourrons couvrir vos largesses fiscales.
Alors, vous nous annoncez, sans vraiment le dire, un budget de rigueur. Quand on dit que les dépenses de l'Etat sont gelées en volume, c'est un budget de rigueur. Et, quand on ajoute -le cumul des mandats dans cette assemblée me permettra d'être mieux compris- qu'on va aussi geler les dépenses des collectivités locales par les dotations de l'Etat elles aussi congelées, alors oui, la rigueur, ce n'est pas simplement pour l'Etat, c'est aussi pour les collectivités locales. Et c'est là qu'il y a quand même une forme de mystification ! Vous dites que vous baissez les impôts des contribuables d'Etat, mais vous faites augmenter les impôts des contribuables locaux ! Voilà la logique de votre politique.
Budget de rigueur. Vous nous dites 30 à 40 000 fonctionnaires en moins. Mais, en entendant votre discours Monsieur le Premier ministre, et notamment sur l'Education, il y aurait plus de moyens pour les quartiers, il y aurait des études surveillées, il y aurait un droit opposable pour les parents d'enfants handicapés et, dans le même temps, on apprend qu'il y aura 10 000 suppressions d'emplois dans l'Education nationale ! Qui peut donc vous croire, Monsieur le Premier ministre !
Mais ce budget de rigueur ne suffira pas à couvrir tous vos cadeaux fiscaux.
Aussi, on comprend mieux les raisons de la réflexion que vous avez engagée sur l'introduction de la TVA improprement nommée sociale et qui n'est qu'antisociale.
Et chacun se souvient que vous aviez évoqué une hausse qui pourrait aller jusqu'à 5 points. Nous savons aujourd'hui, suite à votre intervention, qu'il y aura bien en 2008 ou en 2009 une augmentation de la TVA dite antisociale.
Et cela ne servira pas à couvrir les dépenses de protection sociale ; cela ne servira pas à baisser le coût du travail. Cela servira à financer les cadeaux fiscaux que vous venez d'accorder aux plus favorisés.
On nous dit que les comptes sociaux sont dégradés. C'est vrai.
On nous dit que l'assurance maladie a dérapé de plus de 2 milliards d'euros, c'est vrai.
On nous dit que les régimes de retraite ne sont pas financés -et je parle du régime général-, c'est vrai.
Mais, quand on nous dit que ce sont les franchises -là encore le mot n'est pas sincère- qui vont permettre de couvrir l'assurance maladie, où c'est vrai et c'est grave car ce serait un niveau de prélèvement sur la santé des Français insupportable ! Ou alors, vous continuerez à laisser filer la dette sociale et les comptes sociaux.
Vous avez donc maintenant le choix, Monsieur le Premier ministre, compte tenu de la politique que vous préconisez : soit de laisser se creuser les inégalités, soit de laisser se creuser le déficit des comptes publics. Je pense que vous ferez les deux à la fois.
CONCLUSION
Monsieur le Premier ministre,
Je voudrais ici souhaiter, au nom des socialistes, que pour les cinq ans qui viennent la France puisse se redresser. Je voudrais croire même à la possibilité d'une réussite de votre politique. Mais, tout ce que vous avez dit aujourd'hui et tout ce que vous avez fait hier, ainsi que toute la pratique qui est la vôtre depuis maintenant 5 ans, me conduit effectivement à penser que des risques sérieux sont devant nous et qu'il n'est pas facile, en début de législature, de prévoir le pire.
Et c'est pourquoi, je vous propose, Monsieur le Premier ministre, pour que nous ayons un débat de qualité, respectueux et de la majorité et de l'opposition, que nous ayons tous les six mois l'évaluation de votre politique, que nous puissions en débattre sur les résultats et pas simplement sur les choix ou sur les annonces, car la méthode est trop commode. Il faut que nous puissions en faire l'évaluation avec vous, Monsieur le Premier ministre, ou peut-être demain avec le Président de la République puisque c'est l'intention qui nous est proposée.
Nous sommes prêts, nous, à cette confrontation démocratique dans le respect. Nous sommes prêts, tous les six mois, à vous demander de rendre des comptes et à faire des propositions.
Nous sommes prêts à être utiles et la façon d'être utiles aujourd'hui, c'est de ne pas vous accorder notre confiance.
Vous, au nom de la majorité, à tenir vos promesses.
Nous, au nom de l'opposition, à offrir une alternative. C'est la règle en démocratie.
Nous sommes les uns et les autres conscients des enjeux. Ils sont communs à notre Nation : la mondialisation avec ses atouts et ses menaces, l'Europe qu'il faut faire avancer, les changements climatiques qui pèsent d'ores et déjà sur notre vie quotidienne, les rapports avec le Sud qui dégradent les conditions de la paix dans le monde et la menace terroriste. Les enjeux en France sont toujours, après cinq ans d'une action conduite par la majorité sortante -on croirait l'oublier- les questions de l'emploi, de la solidarité et de la démocratie
Dans ce contexte, Monsieur le Premier ministre, vous venez de présenter la politique de votre gouvernement. J'aurais dû dire la politique du Président de la République. C'eût été plus exact. Certes, il en a la plus incontestable des légitimités puisqu'il l'a tirée du suffrage universel. Il a un mandat. Rien de plus normal qu'il vous demande de le mettre en oeuvre. Sauf que la pratique de l'Exécutif, depuis l'entrée en fonction du Président de la République, marque une inflexion -sans doute une rupture- une mutation vers ce que j'appelle « l'omniprésidence ». Omniprésent, omnipotent, omniscient, le Chef de l'Etat décide de tout, parle de tout, intervient sur tout, évoque tout. Et quand il ne le fait pas, ce n'est pas vous, Monsieur le Premier ministre, qui intervenez, c'est le Secrétaire général de l'Elysée qui donne le calendrier; ce sont des conseillers présidentiels qui précisent le contenu des réformes.
Au point que, sans vous faire offense, la question se pose de savoir quelle est la tâche qui vous revient, le rôle qui vous est fixé, la responsabilité qui est la vôtre.
Ce n'est pas simplement une question qui se pose au sein de l'Exécutif ; mais, dès lors que le Premier ministre est responsable devant l'Assemblée nationale, c'est aussi la place du Parlement qui s'en trouve altérée, modifiée. Sans que nos institutions, d'ailleurs, en aient été changées.
En fait, nous sommes dans une dérive présidentialiste et dans le faux-semblant. Peut-on en effet prétendre aujourd'hui que le Président de la République « veille au respect de la Constitution et assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » ? Que signifie encore l'article 20 de la Constitution qui dispose, contre toute évidence, que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Et l'article 21 selon lequel « le Premier ministre dirige l'action du gouvernement ».
Faisons donc l'effort de vérité indispensable ; constatons une pratique qui s'est éloignée des principes. Et traduisons dans nos textes, non pas « l'omniprésidence », mais le nécessaire équilibre entre les pouvoirs.
L'Exécutif doit décider et agir. Le Parlement, lui, doit au moins délibérer et contrôler. Sinon c'est la démocratie politique qui vient à claudiquer, à fléchir et enfin à tomber. Nous acceptons cet exercice de réflexion institutionnelle que vous nous avez proposé. Nous l'acceptons à condition qu'il soit mené jusqu'au bout et sans fard. S'il ne s'agit que de corriger ici, de toiletter là et de n'offrir au Président de la République qu'une tribune de plus (celle de l'Assemblée nationale), alors cette réforme ne sera qu'un artifice de plus. Si, en revanche, la finalité du processus de révision de notre Constitution est de clarifier les responsabilités, de répartir les pouvoirs et de rapprocher la décision du citoyen, alors allons-y franchement.
Vous ne prenez pas le chemin le plus court pour aller vers la République moderne. Il y avait de la timidité, de la retenue. Car, si l'on veut vraiment changer nos institutions, il faut alors lever les procédures qui contraignent jusqu'à l'effacement : il faut donner au Législatif, c'est-à-dire au Parlement et notamment à l'Assemblée nationale, les moyens d'investigation que vous annoncez pour contrôler le gouvernement (mais que nous ne voyons pas venir). Il faut limiter le cumul des mandats il faut introduire une part de proportionnelle à l'Assemblée nationale ; il faut réformer le Sénat sans le renforcer -ce qui serait un comble dans l'équilibre des deux assemblées. Les sujets ne manquent pas. Il y a même urgence à les traiter. Et je souhaite que ce soit au Parlement de les traiter et non dans une commission dont les membres seraient désignés par le Président de la République ! Alors que c'est ici que la réforme doit être décidée si nous voulons renforcer les pouvoirs du Parlement.
La démocratie n'est pas simplement la démocratie institutionnelle, c'est aussi la démocratie sociale. Sur ce point, Monsieur le Premier ministre, je vous rejoins. Essayons de faire prévaloir le contrat, engageons la négociation collective, ayons des syndicats davantage représentatifs fondés, notamment, sur la base de l'élection. Alors, là encore, allons jusqu'au bout et fixons le principe des accords majoritaires et la hiérarchie des normes. Que ce soient les syndicats majoritaires qui puissent engager les salariés et non pas tels ou tels syndicats minoritaires.
Enfin, la démocratie, Monsieur le Premier ministre, et vous l'avez oublié dans votre intervention, c'est aussi le pluralisme : celui de la presse qui est aujourd'hui menacé par le conflit d'intérêt lorsqu'un grand groupe veut racheter la presse économique en fixant ses conditions ; le pluralisme est aussi altéré quand un groupe audiovisuel privé veut aujourd'hui être partie prenante dans la gestion du nucléaire civil. C'est un problème non pas pour l'industrie, mais pour la presse précisément. J'attendais là des propositions de votre part, elles ne sont pas venues.
La démocratie n'est pas une contrainte, elle n'est pas un frein ; c'est une condition de la réussite, et notamment sur le plan économique.
Vous héritez, j'en conviens, d'une situation dégradée.
La vieille croissance dont vous parler est là depuis 5 ans. Une croissance qui a été continûment plus faible depuis 5 ans que celle de notre voisin allemand notamment. L'endettement public atteint -ce trimestre-là un niveau record- 65% du PIB. C'est le vôtre. Les comptes sociaux, ce sont les vôtres, Monsieur Fillon -vous étiez Ministre des Affaires sociales : les régimes de retraite sont déséquilibrés pour près de 5 milliards d'euros. L'assurance maladie -mais ce n'était pas vous, c'était Monsieur Douste-Blazy -où est-il d'ailleurs !- 6 milliards d'euros. Et, que dire du taux de chômage qui reste l'un des plus élevés d'Europe !
Vous auriez mauvaise grâce à accabler l'héritage de vos prédécesseurs puisque, si je puis dire, vous êtes un de vos prédécesseurs. Ce bilan est le vôtre.
Vous voulez aujourd'hui rompre avec lui. C'est le signe qu'il n'était pas fameux.
Et vous proposez aux Français un contrat avec des grandes réformes structurelles. Sur leur intitulé, nul doute que chacun pourra s'y retrouver : l'université en est le bon exemple. Si nous pouvons nous retrouver pour mettre des moyens supplémentaires sur l'université, à la condition néanmoins que ce soit pour toutes les universités et pas seulement pour quelques-unes, à la condition aussi qu'il puisse y avoir un plan social étudiant et un lien avec la Recherche. Nous y sommes prêts. Je pense que nous sommes devant un des grands enjeux de la préparation de l'avenir. Chiche ! Faisons-le, traitons-le et allons jusqu'au bout là encore.
Mais lorsque vous nous parlez de la réforme de l'emploi et du marché du travail et que vous nous dites qu'il faudra introduire le contrat de travail unique, vous entrez dans un processus proche du CPE et qui consiste tout simplement à rendre plus facile le licenciement au prétexte de favoriser l'emploi. Ce n'est pas ainsi que vous engagerez une concertation car, qu'allez-vous proposer aux salariés avec ce contrat unique de travail ? Des garanties supplémentaires ? Mais où sont-elles ? Des droits ? Mais où sont-ils ? L'accompagnement individuel ? Mais, où est-il ?
La fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC ! Mais qu'est-ce que cela fera aux salariés licenciés de savoir qu'il y a maintenant une fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, s'ils ne peuvent pas retrouver l'emploi !
La véritable confrontation que nous devons avoir ensemble est sur la politique de croissance.
Je considère aujourd'hui que votre paquet fiscal, votre choc fiscal est économiquement inapproprié, socialement injuste et budgétairement aventureux.
D'abord économiquement inappropriée.
Votre politique n'est ni une politique de la demande ni une politique de l'offre. Elle n'est ni conjoncturelle ni structurelle. Elle fait simplement des cadeaux à des Français qui n'en ont pas besoin aujourd'hui.
Vous dites que vous voulez encourager l'entreprise. Mais qu'est-il prévu pour l'investissement des entreprises dans le paquet fiscal ? Il est prévu des mesures pour les dirigeants des entreprises : le bouclier fiscal, la fin de l'impôt sur la fortune, des avantages aussi en termes de stocks options. Mais, pour l'entreprise elle-même, rien n'est prévu. Nous avions prévu la baisse de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis ; nous avions proposé la réforme de la taxe professionnelle pour avantager l'industrie ; nous avions proposé la modulation des cotisations sociales. Et vous, votre seule réponse et de donner des avantages fiscaux à ceux qui ne les consommeront même pas.
Vous prétendez favoriser le travail et c'est la rente que vous privilégiez. Vous voulez relancer la consommation et c'est l'épargne que vous stimulez ; vous espérez la croissance et ce sont les inégalités qui vont croître.
Votre politique est socialement injuste.
Le « bouclier fiscal » coûtera 1, 5 milliards d'euros au profit de moins de 150 000 contribuables. Il s'ajoutera la baisse de l'impôt sur le revenu, à la réforme de l'Impôt sur la fortune.
Est-ce équitable alors que les écarts de patrimoines et de revenus sont considérables dans notre pays ?
En effet, les 1% de Français les plus favorisés ont vu leurs revenus augmenter de près de 20% entre 1998 et 2005. Pour la même période, le revenu moyen de tous les autres Français n'a lui enregistré qu'une hausse de 5%.
Et c'est à ce moment-là que vous dites refuser une augmentation du SMIC ? Voilà donc le sens de votre politique.
Enfin, votre politique est aventureuse sur le plan budgétaire
Votre paquet fiscal va coûter rien de moins que 12 milliards d'euros.
Permettez que l'on vous pose cette question simple : Comment ces mesures vont-elles être financées ?
Vous nous avez indiqué : par des plus-values fiscales générées par une croissance économique plus forte. Quand bien même la croissance pour 2008 atteindrait-elle 2,5 %, ce ne sont, au mieux, à peine 0,3 ou 0,4 points de plus que cette année. Ce n'est pas ainsi que nous pourrons couvrir vos largesses fiscales.
Alors, vous nous annoncez, sans vraiment le dire, un budget de rigueur. Quand on dit que les dépenses de l'Etat sont gelées en volume, c'est un budget de rigueur. Et, quand on ajoute -le cumul des mandats dans cette assemblée me permettra d'être mieux compris- qu'on va aussi geler les dépenses des collectivités locales par les dotations de l'Etat elles aussi congelées, alors oui, la rigueur, ce n'est pas simplement pour l'Etat, c'est aussi pour les collectivités locales. Et c'est là qu'il y a quand même une forme de mystification ! Vous dites que vous baissez les impôts des contribuables d'Etat, mais vous faites augmenter les impôts des contribuables locaux ! Voilà la logique de votre politique.
Budget de rigueur. Vous nous dites 30 à 40 000 fonctionnaires en moins. Mais, en entendant votre discours Monsieur le Premier ministre, et notamment sur l'Education, il y aurait plus de moyens pour les quartiers, il y aurait des études surveillées, il y aurait un droit opposable pour les parents d'enfants handicapés et, dans le même temps, on apprend qu'il y aura 10 000 suppressions d'emplois dans l'Education nationale ! Qui peut donc vous croire, Monsieur le Premier ministre !
Mais ce budget de rigueur ne suffira pas à couvrir tous vos cadeaux fiscaux.
Aussi, on comprend mieux les raisons de la réflexion que vous avez engagée sur l'introduction de la TVA improprement nommée sociale et qui n'est qu'antisociale.
Et chacun se souvient que vous aviez évoqué une hausse qui pourrait aller jusqu'à 5 points. Nous savons aujourd'hui, suite à votre intervention, qu'il y aura bien en 2008 ou en 2009 une augmentation de la TVA dite antisociale.
Et cela ne servira pas à couvrir les dépenses de protection sociale ; cela ne servira pas à baisser le coût du travail. Cela servira à financer les cadeaux fiscaux que vous venez d'accorder aux plus favorisés.
On nous dit que les comptes sociaux sont dégradés. C'est vrai.
On nous dit que l'assurance maladie a dérapé de plus de 2 milliards d'euros, c'est vrai.
On nous dit que les régimes de retraite ne sont pas financés -et je parle du régime général-, c'est vrai.
Mais, quand on nous dit que ce sont les franchises -là encore le mot n'est pas sincère- qui vont permettre de couvrir l'assurance maladie, où c'est vrai et c'est grave car ce serait un niveau de prélèvement sur la santé des Français insupportable ! Ou alors, vous continuerez à laisser filer la dette sociale et les comptes sociaux.
Vous avez donc maintenant le choix, Monsieur le Premier ministre, compte tenu de la politique que vous préconisez : soit de laisser se creuser les inégalités, soit de laisser se creuser le déficit des comptes publics. Je pense que vous ferez les deux à la fois.
CONCLUSION
Monsieur le Premier ministre,
Je voudrais ici souhaiter, au nom des socialistes, que pour les cinq ans qui viennent la France puisse se redresser. Je voudrais croire même à la possibilité d'une réussite de votre politique. Mais, tout ce que vous avez dit aujourd'hui et tout ce que vous avez fait hier, ainsi que toute la pratique qui est la vôtre depuis maintenant 5 ans, me conduit effectivement à penser que des risques sérieux sont devant nous et qu'il n'est pas facile, en début de législature, de prévoir le pire.
Et c'est pourquoi, je vous propose, Monsieur le Premier ministre, pour que nous ayons un débat de qualité, respectueux et de la majorité et de l'opposition, que nous ayons tous les six mois l'évaluation de votre politique, que nous puissions en débattre sur les résultats et pas simplement sur les choix ou sur les annonces, car la méthode est trop commode. Il faut que nous puissions en faire l'évaluation avec vous, Monsieur le Premier ministre, ou peut-être demain avec le Président de la République puisque c'est l'intention qui nous est proposée.
Nous sommes prêts, nous, à cette confrontation démocratique dans le respect. Nous sommes prêts, tous les six mois, à vous demander de rendre des comptes et à faire des propositions.
Nous sommes prêts à être utiles et la façon d'être utiles aujourd'hui, c'est de ne pas vous accorder notre confiance.