Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à LCI le 23 juillet 2007, sur le projet de loi sur l'autonomie universitaire, les frais d'inscription universitaire, la rentrée scolaire et universitaire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


V. Pécresse, bonjour.
Bonjour.
Q- C. Sarkozy est en Libye pour essayer d'obtenir la libération des infirmières bulgares. Quel est le sens de cette diplomatie parallèle ?
R- Oh, je crois que c'est une volonté d'efficacité et C. Sarkozy veut sauver ces femmes, je crois qu'elle a raison, toute la communauté internationale se mobilise pour elles, et si on a enfin des résultats, je crois qu'on n'aura qu'à s'en satisfaire.
Q- Avec ce voyage, avec sans doute la visite du Président Sarkozy en Libye au milieu de cette semaine, est-ce qu'on ne se prête pas à la mise en scène par le Colonel Kadhafi de ce qui était finalement une prise d'otages d'Etat ?
R- Je crois que c'est plus compliqué que ça. Je crois que derrière, il y avait la question du sida en Libye, qui est une question qui est compliquée et qui pose des questions de responsabilité éminente. Moi, quand j'ai été juge, j'ai jugé les questions de responsabilité liées à la transmission sanguine du sida, c'est des questions qui sont éminemment complexes pour les Etats à gérer. Après, ces infirmières ont-elles pâti d'un système totalement défaillant sanitaire, ont-elles été les boucs émissaires ? Ce n'est pas à moi de le dire, c'est les procédures judiciaires qui l'ont voulu en Libye.
Maintenant, je crois qu'il faut pour des raisons humanitaires les sauver et je crois
surtout que ce qui est frappant dans la démarche du Président de la République,
toujours, partout et dans tous les domaines, c'est cette volonté de faire aboutir des
dossiers qui jusqu'à présent n'ont jamais abouti.
Q- Votre loi sur l'autonomie des universités arrive en débat à l'Assemblée nationale après avoir été adoptée par le Sénat. Tenterez-vous de rétablir certains aspects qui avaient été retirés, par exemple la sélection au bout de quatre années d'enseignement supérieur ? Est-ce qu'on en reparlera sur des amendements pour rétablir ça dans votre loi ?
R- La loi que je présente à l'Assemblée nationale ce matin est une loi qui a un objectif, c'est de modifier la gouvernance et de modifier aussi les règles de fonctionnement de l'université. Ce n'est pas une loi qui porte sur la scolarité en tant que telle. Elle donne aux universités des armes pour améliorer la scolarité des élèves et pour lutter contre l'échec à l'université. Et donc, elle est à la fois nécessaire parce qu'il y a un impératif économique : nos universités sont en train de perdre du terrain dans la compétition mondiale, et nous perdons des emplois, nous perdons des centres de recherche, nous perdons les centres de décision de nos entreprises aujourd'hui. Donc il y a une bataille mondiale de l'intelligence et dans cette bataille, il faut que les universités soient autonomes, qu'elles soient libres, qu'elles puissent de déployer pleinement, recruter les meilleurs enseignants, créer des meilleures filières de formation, c'est l'enjeu économique. Derrière, il y a un enjeu social et l'enjeu social pose le problème de la sélection dont vous parlez. Est-ce qu'il faut sélectionner à l'entrée de l'université ? Eh bien, moi, je dis qu'aujourd'hui ça n'est pas faisable, ça n'est pas réaliste, ni aujourd'hui ni demain d'ailleurs, parce que nous n'avons pas assez d'étudiants... nous n'avons pas trop d'étudiants, nous n'en avons pas assez, et nous devons former plus de jeunes aux métiers de demain.
Q- Alors, à l'entrée, oui, mais quelques années après quand il s'agit de distinguer l'excellence, de dégager le fleuron de l'université française, est-ce que là, il ne faut pas sélectionner pour éviter aussi que des jeunes passent six, sept ans dans des filières qui ne sont pas pour eux intéressantes ?
R- La sélection elle est très dure à l'université. Elle commence en première année, il y a la moitié des étudiants qui sont sélectionnés par l'échec. Donc, ce que nous allons faire et dès septembre, après cette loi, c'est que nous allons travailler sur la licence. Nous voulons que la licence soit un diplôme de réussite, que ce soit un diplôme vraiment qualifiant et qu'il amène au marché du travail ou alors à une poursuite d'études dans le cadre du master. Et après, quand nous aurons travaillé sur cette licence, qui doit être totalement repensée, remusclée, avec davantage d'enseignements de méthode, davantage d'enseignements de culture générale, des langues, des technologies de l'information, et c'est vraiment un chantier que j'ai ouvert avec les présidents d'université, avec les enseignants, avec la communauté universitaire, quand la licence aura sa cohérence, alors nous pourrons parler de la cohérence du master.
Q- Qui va élire les présidents d'université ? Les conseils d'administration avec uniquement les membres de l'université ou également les personnalités extérieures qui pourront venir, sans être universitaires, choisir le président ?
R- Dans la loi, il y a la volonté d'ouvrir l'université sur le monde extérieur, l'ouvrir sur les collectivités territoriales, l'ouvrir sur l'excellence scientifique des grands savants, l'ouvrir sur l'étranger et l'ouvrir sur l'entreprise parce qu'on donne dans cette loi comme troisième mission - et ça c'est une révolution - comme troisième mission à l'université l'orientation des étudiants et l'insertion professionnelle des étudiants. Mais cette ouverture suppose aussi qu'on trouve des règles qui soient satisfaisantes pour élire un président légitime. Le Sénat avait souhaité que les personnalités qualifiées, donc du monde de l'entreprise, des collectivités locales, votent au conseil d'administration pour désigner le président de l'université. Le problème c'est qu'on ne sait pas comment faire désigner ces personnalités qualifiées, c'est un peu technique mais dans le système du Sénat, la personne qui était pressentie pour être président allait choisir des personnalités extérieures pour ensuite venir l'élire. Ca, ça ne nous paraît pas un système satisfaisant. Du coup, je proposerai à l'Assemblée de rester sur l'idée que c'est les étudiants, les personnels et les enseignants de l'université qui vont élire le président, à charge pour lui ensuite d'aller chercher les personnalités extérieures les plus qualifiées pour le rayonnement de l'université.
Q- L'UNEF dénonce une sélection sauvage dès cette rentrée par le biais de frais d'inscription supplémentaires dans certaines facs. Vous allez lutter contre cela ?
R- J'ai donné une instruction extrêmement vigoureuse pour lutter contre les frais d'inscription illégaux. Il faut savoir qu'il y a des frais d'inscription nationaux, qui sont fixés par le ministre, qui sont de l'ordre de 160 euros jusqu'à 320 euros selon les diplômes, et puis il y a un certain nombre de frais facultatifs...
Q- ...complémentaires.
R- ... complémentaires, facultatifs, qui sont autorisés, et je pense notamment aux cotisations sportives. Et ça, il ne faut pas mélanger les cotisations autorisées et les cotisations qui ne le sont pas. Celles qui sont autorisées, ce sont celles qui n'ont pas de rapport avec la scolarité mais qui permettent d'apporter un petit plus aux étudiants, et il ne faut surtout pas les empêcher parce que sinon les étudiants ne feront plus de sport à l'université, n'auront plus accès aux associations culturelles, etc. Donc, il y a quelques petits frais facultatifs. Mais en revanche, il y a deux ou trois universités qui cette année ont mis des frais quasiment obligatoires, très élevés, et celles-là elles seront sanctionnées, je pense, par la justice administrative.
Q- Le PS envisage, dit-on, de s'abstenir et de ne pas rejeter votre texte. Vous l'espérez ?
R- Je crois que ce n'est pas un sujet qui devrait faire polémique, et en tout cas pas une polémique politicienne parce que je crois que dans ce texte, nous concrétisons les vingt propositions d'une mission d'évaluation et de contrôle qui était présidée par A. Claeys et M. Bouvard. Vous savez qu'A. Claeys c'est le ministre de l'Enseignement
supérieur de "l'ombre"...
Q- ... du shadow cabinet.
R- ... du shadow cabinet du Parti socialiste. Donc, A. Claeys et J.-Y. Le Déaut... pardon...
Q- ... M. Bouvard.
R- ... et M. Bouvard.
Q- ...de Savoie.
R- ... ont écrit un rapport avec vingt-et-une propositions. Dans ces vingt-et-une propositions, il y en a vingt qui se retrouvent dans mon projet de loi. Donc, ça supposerait une union nationale.
Q- Une unanimité ! Vous êtes pour le service minimum dans l'enseignement supérieur en cas de grève ?
R- Dans l'enseignement supérieur, le problème se pose d'une manière un peu différente parce que, je veux dire les étudiants ils sont autonomes.
Q- Ils sont libres et ils viennent.
R- Ils peuvent étudier, ils n'ont pas forcément besoin... je suis justement en train de mettre en place - et c'est aussi dans mes chantiers - la possibilité de mettre des cours sur Internet et d'avoir la possibilité que les bibliothèques puissent être ouvertes 24 h/24, donc on voit bien qu'on est quand même dans une logique de continuité du service public de l'enseignement supérieur.
Q- 3 % du produit intérieur brut pour la recherche, c'est la volonté du Premier ministre. Cela se retrouvera dans votre budget ? Cela se présente bien ?
R- Alors, le budget de l'enseignement supérieur et celui de la recherche sont deux des budgets totalement prioritaires pour le Gouvernement. Le budget de la recherche s'inscrit dans le cadre du grand pacte que nous avons conclu en 2006, le pacte sur la recherche, il sera augmenté de 4 milliards dans les cinq prochaines années. Le budget de l'enseignement supérieur quant à lui devrait faire l'objet d'une priorité totalement inédite avec 5 milliards d'euros supplémentaires. Cela fait 50 % d'augmentation du budget des universités. C'est colossal mais néanmoins ça ne m'empêchera pas d'aller chercher tout l'argent qui est prêt aujourd'hui dans notre pays à s'investir, public comme privé dans l'université.
Q- Alors, réunis ce week-end, les faucheurs d'OGM promettent la reprise de leur action aujourd'hui même. Est-ce que vous dénoncez leurs pratiques ou est-ce que vous comprenez au nom du principe de précaution et de l'urgence qu'ils interviennent dans les champs expérimentaux ?
R- Moi, je crois que dans une démocratie, il y a la loi et elle est l'expression de la volonté nationale. Donc, moi, la désobéissance civile c'est quelque chose que je ne comprends pas. Je comprends qu'on puisse porter des mouvements de protestation, mais je ne comprends pas qu'on s'affranchisse de la loi et je dis aux faucheurs d'OGM qu'il faut qu'ils fassent attention parce que la démarche recherche en matière d'OGM est essentielle pour notre pays. Si nous n'avons plus de compétence en matière de recherche, nous ne pourrons plus dire si un OGM est nocif ou pas. Et vous savez que nous les importons les OGM, donc il faut qu'on puisse en juger, il faut qu'on puisse savoir si ces importations présentent un danger ou n'en présentent pas. Il n'y a que la démarche recherche qui permet de dire ça.
Q- Alors, vous dites il y a la loi, mais justement J. Bové a été condamné pour du fauchage sauvage, il est toujours en liberté, il est condamné depuis plusieurs mois, on ne fait rien. Le pouvoir se discrédite.
R- Moi, je crois que s'il y a un problème avec les OGM, il faut un débat national, il faut porter ce débat devant la représentation nationale.
Q- Alors, il faut les inviter au "Grenelle de l'environnement" ?
R- Mais bien entendu, il faut que tout le monde vienne à ce "Grenelle de l'environnement". Dans ce "Grenelle de l'environnement", la démarche recherche sera essentielle parce que c'est par la démarche scientifique, la vérification de tous les "on-dit" que l'on ne cède pas à la psychose et l'obscurantisme.
Q- J. Bové en prison ? Ca regarde la justice ?
R- De toutes les façons, la loi doit être la même pour tous.
V. Pécresse, merci et bonne journée.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 juillet 2007