Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur le développement économique de Saint-Pierre-et-Miquelon et l'accord franco-canadien sur la pêche, Saint-Pierre le 9 juin 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage officiel de M. Alain Juppé au Canada du 9 au 11 juin 1996-séjour à Saint-Pierre-et-Miquelon le 9

Texte intégral

Monsieur le Député,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers compatriotes,
En me trouvant parmi vous aujourd'hui, je ressens la même émotion que tous ceux qui découvrent Saint-Pierre-et-Miquelon.
Cette émotion est liée, principalement, à cet attachement profond à la France que l'on ressent dès les premiers instants passés sur votre sol. Votre archipel, situé à 25 km des côtes canadiennes, est partie intégrante de notre pays, il est la France en Amérique du Nord.
Me rendant en visite officielle au Canada, j'ai voulu vous rencontrer, même brièvement, afin de prendre l'exacte mesure de vos difficultés, de vos attentes, et de vous témoigner l'attention et la solidarité du Gouvernement de la République.
Je dois, d'ailleurs, vous transmettre également le salut très personnel et très chaleureux du Président de la République qui se tient régulièrement informé de l'évolution de la situation dans l'archipel et qui est très sensible à la confiance que lui témoigne, depuis de nombreuses années, sa population.
Je tiens à adresser un message tout particulier aux habitants de Miquelon auxquels mon emploi du temps ne me permet pas, malheureusement, de rendre visite comme je l'aurais souhaité.
Qu'ils soient assurés de l'attention que je porte, avec l'ensemble du Gouvernement, à leurs préoccupations particulières et à leur avenir économique; nous pouvons le voir aujourd'hui sous un jour prometteur grâce au démarrage, très attendu, de la pêche aux pétoncles, et aux perspectives offertes par l'aquaculture.
Je remercie le Maire de Miquelon, Monsieur DETCHEVERRY, d'avoir bien voulu faire le déplacement jusqu'à Saint-Pierre et je lui demande d'être vis à vis des Miquelonnais l'interprète de la volonté gouvernementale d'uvrer résolument à la mise en valeur de tout le potentiel de développement de sa commune.
L'émotion que je ressens aujourd'hui parmi vous est également liée à la situation dramatique dans laquelle tout l'archipel s'est trouvé brutalement plongé, il y a trois ans.
Je sais le traumatisme qu'a représenté pour vous la cessation brutale dans vos îles des activités de pêche qui marquaient depuis toujours votre histoire et votre culture. L'État a été à vos côtés, tout au long de ces moments difficiles, mais depuis avril 1993, le Gouvernement français, vous le savez, ne s'est pas limité à vous exprimer sa solidarité financière. Il a initié une nouvelle politique, une nouvelle approche qui a montré ses résultats.
Un terme a été mis, par l'accord du 2 décembre 1994, au conflit avec le Canada sur la pêche qui durait depuis plus de 20 ans.
Le secteur de la pêche a été restructuré et diversifié par la remise en route de l'usine de Saint-Pierre avec le traitement de morues importées, le démarrage de l'usine de pétoncles à Miquelon.
Enfin, la reconversion de l'économie de l'archipel est en marche.
Saint-Pierre-et-Miquelon est en passe, je le crois profondément, de franchir une étape historique de son développement.
La crise que vous avez subit, au-delà des souvenirs douloureux qu'elle laisse, vous conduits à vous remettre en question. Elle aurait pu vous briser. Mais votre volonté, votre esprit d'initiative et la solidarité de la nation, vous ont rendus plus forts et plus entreprenants. C'est peut être ce qui, dans quelques années, restera le fait le plus marquant de toute cette période. A condition, bien sûr, que nous sachions, tous ensemble, concrétiser par de véritables réussites, cette volonté farouche de redressement.
Je souhaite vous dire aujourd'hui ma détermination et celle de mon Gouvernement pour vous aider à réussir la mutation de votre économie et à engager l'archipel dans de nouvelles relations, fructueuses et durables, avec le Canada.
La réussite de la diversification économique exige de la volonté, du temps et de la sérénité.
Je ne suis pas venu vous apporter des solutions toutes faites aux problèmes qui restent en suspens et ce serait d'ailleurs faire injure à vos élus et à tous les Saint Pierrais et Miquelonnais qui travaillent sans relâche pour sortir l'archipel d'une période difficile.
Beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, grâce à l'action très efficace de Jean-Jacques de PERETTI qui m'accompagne aujourd'hui et que je tiens à féliciter très chaleureusement pour sa capacité d'écoute, sa mobilisation permanente et son action sur le terrain, dans tout l'outre-mer français bien sûr, mais plus précisément à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il a su tisser avec vos élus des relations particulièrement constructives qui expliquent, pour beaucoup, les succès qui ont été enregistrés ces derniers mois.
La diversification économique n'est ni une mode, ni une incantation, ni un enjeu du débat politique. Elle est une nécessité absolue pour votre collectivité qui, trop longtemps, a été dépendante d'une seule activité : la pêche et le traitement de la morue.
Nous savons que la condition première de la diversification économique est l'amélioration de la desserte aérienne de l'archipel. La création du nouvel aéroport revêt à cet égard une très grande importance, et ce nouvel équipement pourrait presque symboliser le renouveau économique de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je suis heureux que cette journée soit l'occasion de poser la première pierre de la future aérogare.
Au delà de cette opération exceptionnelle, l'État continuera à aider les grands projets d'investissement dont votre archipel a besoin pour assurer son développement.
En réalisant ces investissements nous répondons également au fort besoin d'emplois apparu depuis l'interruption de la pêche à la morue.
Je connais la fierté et l'ardeur des Saint Pierrais et des Miquelonnais. Je sais combien il leur a été pénible d'être forcés à l'inactivité et combien ils refusent l'idée de vivre de l'assistance de la métropole. L'archipel a été pour la France, en certaines heures sombres de son Histoire - je pense bien évidemment à la période de l'Occupation - un modèle de courage et de résistance. La solidarité ne s'exerce pas à sens unique ; il était donc bien légitime qu'elle se déploie en votre faveur lorsque vous avez été, à votre tour, victimes d'un accident de l'histoire.
Mais, nous en sommes tous convaincus, une fois passée cette période nécessaire, c'est du travail de chaque saint-Pierrais et de chaque Miquelonnais que résultera le progrès véritable.
Pour y parvenir, tous les instruments doivent être utilisés.
A cet égard, le dispositif pour l'emploi de la loi PERBEN a été particulièrement bénéfique. Entre 1995 et 1996, le nombre de solutions d'insertion est passé de 77 à 265. Le récent comité directeur du Fonds pour l'emploi dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon vient en outre de vous accorder 100 primes supplémentaires à la création d'emplois pour les entreprises exportatrices.
Mais l'État ne peut pas être le seul acteur du développement. Toutes les forces économiques locales doivent être mobilisées au profit de projets sérieux, crédibles et créateurs d'emplois.
Vous avez mis en place à cet effet une agence de développement économique en partenariat avec l'État. Déjà, des projets prometteurs sont en train de prendre corps, s'agissant de dédouanement dans vos eaux territoriales, de la création d'un armement à Saint-Pierre, du développement du tourisme, de l'aquaculture, de l'exploitation de nouvelles ressources de la mer, comme le crabe des neiges ou les ufs de lumpe.
Nous les ferons aboutir si l'État, la collectivité territoriale, les communes, l'ensemble des partenaires sociaux et des acteurs économiques expriment une forte volonté de cohésion.
J'appelle, sur ces questions aujourd'hui primordiales, à un esprit de rassemblement. Vous ne m'en voudrez pas d'utiliser plutôt une image de rugby, même si, en Europe l'heure est au football : il faut qu'il y ait, sur le terrain politique comme sur le terrain social, un véritable "pack" de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le second axe du renouveau de Saint-Pierre-et-Miquelon concerne les relations de l'archipel avec le Canada et, plus particulièrement, ses provinces maritimes.
La délimitation de votre zone économique est un fait juridique avec lequel il faut vivre. Le moratoire sur la pêche à la morue était une décision douloureuse mais inévitable. Vous l'avez durement ressentie comme l'ont également durement ressentie les 50 000 pécheurs de Terre-Neuve, du Nouveau Brunswick et de la Nouvelle Écosse. J'espère que prochainement les scientifiques français et canadiens, pourront nous apporter des nouvelles encourageantes sur la reconstitution des stocks halieutiques.
Nous devons ensemble rebâtir, dans un climat apaisé, une nouvelle manière de voir et de vivre l'avenir de la pêche.
Le cadre a été tracé, c'est l'accord du 2 décembre 1994 qui conforte celui de 1972 et reconnaît solennellement les droits historiques de la France dans les eaux canadiennes pour les bateaux de l'archipel. Cet accord a mis en place une gestion concertée de la ressource () du secteur 3PS et je tiens à vous féliciter pour l'excellent travail accompli lors des deux réunions du Conseil consultatif franco-canadien qui se sont déroulées dans un état d'esprit très constructif.
Je resterai attentif à la bonne application de cet accord et vous pouvez compter sur la vigilance du Gouvernement pour le faire respecter dans toutes ses dispositions.
Vous avez pu constater à cet égard, l'effort déployé par l'État et les bâtiments de la Marine Nationale pour assurer une parfaite surveillance de la zone économique. C'était un engagement du Président de la République. Il a été tenu et continuera à l'être.
Autre engagement tenu par le Président Jacques CHIRAC, votre participation à l'OPANO. La France, au titre de Saint-Pierre-et-Miquelon, va devenir membre de cette Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest. Le projet de loi de ratification de l'adhésion de la France sera présenté en conseil des Ministres mercredi prochain.
Mais l'accord de 1994 concerne aussi la coopération régionale dans de nombreux domaines autres que la pêche. La première commission mixte franco-canadienne s'est tenue à Saint-Pierre le mois dernier et son bilan est très positif. Des projets concrets ont été étudiés avec les représentants des provinces atlantiques canadiennes. Certains d'entre eux pourront être évoqués lors de ma visite au Canada.
Sur tous ces dossiers, il faut, je pense, intensifier les contacts avec vos interlocuteurs canadiens. Je crois beaucoup aux vertus et aux résultats de ce partenariat et c'est pourquoi j'ai invité vos deux parlementaires, le député Gérard GRIGNON et le sénateur Victor REUX, à se joindre à la délégation qui m'accompagne au Canada.
Vous avez par ailleurs avec le Francoforum, un magnifique outil de rayonnement culturel et de coopération régionale. Il connaît des débuts prometteurs et peut devenir le catalyseur des échanges entre l'archipel et les provinces canadiennes.
Je sais que certains d'entre vous ont craint et craignent encore, cette perspective de coopération renforcée avec votre grand voisin.
Je ne peux pourtant imaginer un seul instant que cette coopération, porteuse d'espoirs économiques, puisse signifier un quelconque renoncement à votre identité culturelle, si bien préservée, qui fait votre force et votre fierté. Elle ne peut davantage signifier un quelconque désengagement ou relâchement de l'effort de l'État. Bien au contraire, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a vocation à devenir, dans le cadre de ces échanges, le témoin de la France en Amérique du Nord. Chacun d'entre vous, élu, chef d'entreprise, fonctionnaire ou simple citoyen accueillant touristes ou stagiaires, incarne dans cette région les valeurs de notre pays, son ouverture au monde, sa langue, sa technologie. Ce faisant, vous êtes plus proche que jamais de la métropole ; vous êtes des acteurs à part entière du courant d'échanges, culturels ou économiques, qui fait progresser notre pays.
J'ai une grande et profonde confiance en votre capacité à donner sa vraie dimension à cette coopération, où chaque partie doit trouver son intérêt. C'est dans cet esprit que mon Gouvernement y contribuera.
Voilà, mes chers compatriotes, ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Voilà pourquoi je suis heureux de passer ces quelques heures parmi vous et pourquoi, sans méconnaître les difficultés que vous rencontrez, j'ai la conviction qu'il faut avoir confiance dans l'avenir de vos îles.
Vous avez prouvé votre capacité à surmonter les épreuves. En 1993, Dominique PERBEN, dont je tiens à saluer le travail remarquable, dans sa difficile négociation avec le Canada, vous avait exhortés à "briser la spirale du pessimisme". Vous y êtes parvenus. Grâce au dynamisme de Jean Jacques de PERETTI, avec l'appui de vos élus et de toutes les forces vives locales, vous avez réussi à remettre l'archipel en mouvement pour faire de la diversification de son économie une réalité.
Vous êtes aujourd'hui au milieu du gué, mais vous n'êtes pas seuls. L'État est à vos côtés, non plus pour vous garantir l'assistance de la Nation, mais en véritable partenaire de votre politique de développement. Et vous avez désormais des partenaires canadiens, dont vous pouvez attendre, j'en suis persuadé, autant que ce que vous saurez leur apporter.
Votre archipel est Nord américain par sa géographie, mais il est français par son cur et son âme, Sa richesse tient dans cet équilibre unique. De lui, de son développement harmonieux, dépend votre avenir. Alors, soyez vous-mêmes, soyez volontaires, ouverts et audacieux. C'est comme cela que vous réussirez. C'est comme cela qu'ensemble nous réussirons.
Vive Saint-Pierre-et-Miquelon,
Vive la République,
Vive la France.