Texte intégral
Q- Bonjour V. Pécresse, les députés examinent depuis hier votre Projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités des universités. Après quelques couacs et une intervention de N. Sarkozy dans le dossier début juillet, ce texte prévoit que dans un délai de cinq ans, toutes les universités accéderont à l'autonomie dans les domaines budgétaires et de gestion de leurs ressources humaines. Il accorde aussi des pouvoirs étendus aux présidents de fac. Concrètement, l'une des conséquences sera la possibilité pour un président d'université, de mettre son veto au recrutement d'enseignants, chercheurs. De décider seul du montant des primes et de recruter des professeurs hors statut, c'est-à-dire payés le prix qu'on voudra bien y mettre. Est-ce que vous ne craignez pas une sorte d'hégémonie ou de népotisme, pour utiliser des gros mots ?
R- Alors d'abord pour rectifier juste ce que vous venez de dire, il pourra verser des primes et de l'intéressement, mais selon des règles générales qui seront fixées par le Conseil d'administration. Je crois que ce texte, il donne des pouvoirs justes et équilibrés au président. Parce qu'aujourd'hui, nous avions un président qui était avant tout un médiateur, qui était là, surtout pour mettre d'accord les soixante membres du Conseil d'administration qui étaient élus par 140 membres d'un Congrès, qui était plutôt un homme, en permanence, en train de gérer des compromis. Ce n'était pas un président qui dirigeait. Or nous voulons un pilote dans l'avion universitaire. Ce pilote il aura des contre-pouvoirs, le Conseil d'administration bien sûr. Il aura aussi le Conseil scientifique, il aura le Conseil des études et de la vie étudiante, il aura tous les directeurs des grandes UFR, Unités de formation et de recherche qui sont très puissantes dans l'université : le droit, les sciences, les sciences humaines. Donc il aura énormément de contre-pouvoirs, mais en même temps, il pourra porter un projet d'établissement avec une dynamique, une équipe et il aura une majorité stable. Parce qu'aujourd'hui, qu'est-ce que vous voulez, la gouvernance des universités, c'est vraiment la gestion en permanence des compromis et on tombe dans un système qui ne permet pas d'avancer, qui ne permet pas de prendre des décisions.
Q- Le député UMP, C. Goasguen a rédigé un amendement visant à modifier le mode de scrutin pour l'élection des Conseils d'administration pour, dit-il, faire en sorte que les universités ne soient plus gouvernées par les syndicats. C'est un des maux de la fac en France, le poids des syndicats ?
R- L'amendement que propose C. Goasguen, qui conduit à revenir à un scrutin où chaque membre du Conseil d'administration est élu séparément, c'est en réalité le système actuel peu ou prou. Le système actuel ne permet pas de dégager des vraies majorités autour d'un projet pour l'université. Et nous, ce que nous voulons avec notre nouveau système, c'est qu'il y ait un candidat à la présidence qui agrège autour de lui un certain nombre d'enseignants chercheurs et qui se présente avec un projet, un projet pour cette université. Un projet scientifique, un projet de formation. Nous voulons passer d'un pouvoir quasi fictif donné au président, qui était, je vous le dis, l'homme d'un compromis entre plusieurs personnes - et le mode de scrutin uninominal continuerait de maintenir cette nécessité de faire des alliances à tout bout de champ pour décider de la moindre chose - vers une logique de porteur de projet, animateur d'équipe.
Q- F. Fillon a dit que ce texte serait le plus important de la législature et pourtant, on vous reproche surtout de présenter une petite loi, une réformette en somme qui laisse de côté le problème du manque de financement pour l'université, les conditions de vie des étudiants, l'échec en premier cycle et la question du statut des chercheurs, cela fait quand même beaucoup d'oublis ça ?
R- Non, parce que cette loi, c'est le socle. Si vous voulez, quand on met en place, quand on construit une maison, on met d'abord les fondations. Les fondations c'est une bonne gouvernance qui permet de décider et puis c'est des bonnes règles de fonctionnement qui permettent de recruter très vite des enseignants, de contractualiser avec des partenaires, des collectivités locales, des entreprises, d'aller récupérer des fonds publics et privés. C'est une loi qui permet aussi d'être responsable, responsable clairement de la création des formations. Qui permet aussi de parler d'égal à égal avec l'Etat, parce que l'autonomie, elle existe depuis la loi E. Faure, la loi Savary, mais elle n'est pas réelle. Les universités ne dialoguent pas comme des partenaires avec l'Etat. Donc si vous voulez, on leur donne un mode de fonctionnement qui est adapté au 21ème siècle, et à partir de ce mode de fonctionnement, on va les aider à gérer tous ces maux de l'université et en particulier l'échec universitaire, qui est le premier mal de l'université française. Mais aussi la question de l'excellence française et de la visibilité de nos universités et de nos travaux de recherches. Mais ça ce n'est pas du domaine de la loi, c'est du domaine de la mise en place d'un certain nombre de politiques, y compris d'un certain nombre de moyens. Mais ce n'est pas du domaine législatif ! Les vrais changements législatifs, c'est ces changements de mode de fonctionnement des universités que nous posons dès cet été, parce que ce sont les fondations de la nouvelle université que nous voulons construire.
Q- L'Etat français dépense aujourd'hui 7.000 euros par an, par étudiant à l'université, c'est moitié moins que pour les élèves des classes préparatoires. C'est moins aussi que pour un lycéen, c'est quand même bien ça le problème de l'université en France. Et vous le dites vous-même, vous dites que l'université est devenue le parent pauvre de notre système d'enseignement. Où sont les sous et pourquoi ne pas avoir fait plutôt un collectif budgétaire, est-ce que cela n'aurait pas été une meilleure façon de prouver que l'enseignement supérieur était véritablement une priorité du Gouvernement ?
R- Le problème, c'est que si vous versez des moyens dans une structure qui ne fonctionne pas, où tout est dilué, où on perd des heures, des semaines pour prendre la moindre décision - on met dix huit mois parfois à recruter un professeur - où on ne crée jamais de nouvelles formations pour s'adapter aux besoins du marché du travail, parce que, eh bien finalement il y a une inertie de la structure qui est telle, que finalement, on est immobile ou en tout cas on est très peu mobile dans un monde qui bouge très vite. Eh bien à ce moment là, vous gaspillez cet argent public. Moi je me sens comptable de chaque euro que N. Sarkozy a promis à l'université. Il a promis cinq milliards d'euros, 50% d'augmentation sur cinq ans du budget de l'enseignement supérieur.
Q- Vous avez des garanties d'obtenir ces cinq milliards ?
R- Ecoutez, j'ai l'engagement présidentiel et si vous regardez la session extraordinaire, vous verrez que N. Sarkozy tient ses engagements.
Q- Un milliard par an, c'est suffisant ?
R- Ecoutez, c'est en tout cas un engagement inédit en faveur de l'université, parce qu'augmenter de 50 % en cinq ans, cela ne s'est jamais vu dans aucun budget de la République - mais pour moi, cela ne sera pas encore suffisant. Je pense que tout l'argent public et privé qui est prêt à s'investir aujourd'hui dans l'élévation du niveau de qualification de nos enfants doit être bienvenu. C'est pour ça que nous créons dans la loi des fondations partenariales avec les entreprises, des fondations universitaires. Il y a eu une mesure sur l'ISF, dans le projet de loi fiscal où on disait que les personnes fortunées qui veulent investir dans les PME peuvent avoir un dégrèvement de l'ISF. J'ai demandé que ce dégrèvement s'applique aussi aux universités. Nous manquons de mécènes, nous manquons d'argent, parce que tout l'argent, je vous le dis, tout l'argent qui existe dans cette société, qui veut s'investir doit s'investir dans l'Education.
Q- Mais pour l'argent public, les cinq milliards promis par N. Sarkozy, comment allez-vous ventiler cette somme sur les 85 universités ?
R- Alors ce n'est pas sur les 85 universités que je raisonne, c'est sur cinq chantiers, qui sont les cinq chantiers prioritaires aujourd'hui pour l'enseignement supérieur : la lutte contre l'échec, ou plus exactement la réussite en licence qui est vraiment notre priorité et ce que je veux dire, c'est que cette loi, contrairement a ce qui a été dit hier dans l'hémicycle, cette loi sur l'autonomie et la gouvernance, elle pose les jalons de la lutte contre l'échec universitaire. Parce qu'elle parle de l'orientation active qui va commencer dès la classe de seconde, pour que les élèves soient accompagnés vers les filières où ils peuvent réussir. Vous savez que le problème de l'échec en première année universitaire - 50 % des jeunes en échec - c'est d'abord le problème des bacheliers technologiques et professionnels qui n'ont pas trouvé de place dans les filières qui leur correspondent qui sont les filières de techniciens supérieurs, qui sont les filières technologiques. Il faut donc que l'on réoriente le système ! Ensuite, il y a la mission d'insertion professionnelle qui est donnée à l'université. Alors c'est un profond changement de mentalité, parce que cela a été réclamé par les syndicats d'étudiants, figurez-vous. Et donc la loi elle pose ces outils qui permettront aux universités ensuite, d'aider leurs étudiants.
Q- Les 90.000 étudiants qui quittent la fac chaque année sans diplôme, les droits d'inscription c'est évidemment un sujet tabou. Mais est-ce que l'on choisit quand même bien sa filière, son orientation quand on peut étudier, ce qu'on veut pour seulement 165euros par an de frais de scolarité ? On compare beaucoup les universités françaises aux universités américaines par exemple, mais là-bas, les frais de scolarité sont évidemment, totalement différents. C'est un système totalement différent, est-ce que les frais de scolarité c'est un sujet sur lequel vous viendrez plus tard ?
R- Je crois que ce n'est pas notre modèle national de faire des barrières avec l'argent pour l'entrée à l'université. Je crois que ce n'est pas comme ça que nous avons conçu l'éducation dans notre pays. Dans notre pays, l'éducation elle est gratuite, et l'université n'est pas gratuite. Parce que, ce qui est gratuit n'a pas de valeur, mais ce n'est pas les familles qui en supportent la majorité du coût. Et moi je vais vous dire, compte tenu des chiffres que vous avez donnés tout à l'heure, c'est-à-dire un Etat qui donne 7.000euros par étudiant, alors qu'il donne 10.000euros par lycéen, je considère qu'aujourd'hui c'est d'abord à l'Etat de faire le pas de l'engagement financier et certainement pas de se défausser sur les familles.
Q- Pour favoriser l'émulation, N. Sarkozy souhaite accorder les moyens aux établissements en fonction de leurs résultats, en matière d'accès de leurs étudiants aux diplômes et en fonction de l'insertion de leurs diplômés sur le marché du travail. Comment est-ce que vous allez mettre en place un dispositif pareil, comment vous l'imaginez ?
R- Aujourd'hui, les modes d'attribution des crédits des universités sont très critiqués, à droite comme à gauche, puisque le groupe socialiste du Sénat nous a demandé de les réviser et de prendre solennellement l'engagement de les réviser. Vous savez qu'aujourd'hui, on attribue les fonds aux universités au nombre d'étudiants inscrits. Alors évidemment cela a beaucoup d'effets pervers et notamment celui d'encourager des inscriptions dans des filières qui n'ont peut-être pas de débouchés et qui sont les moins coûteuses de l'université, donc les moins technologiques, celles qui ont le moins d'encadrement etc. Donc il faut évidemment réviser ce mode de fonctionnement, faire en sorte que les dotations soient données sur un projet d'établissement. Mais l'autonomie va le permettre cela, parce que les universités quand elles vont arriver pour négocier leur contrat avec l'Etat - puisque c'est l'Etat qui finance l'université - elles vont arriver pour négocier leur contrat, elles vont arriver avec des projets, des projets de formation. Et dans la loi, on leur demande désormais de publier, ce qui est une obligation depuis 86, mais qui n'est malheureusement pas toujours respecté, de publier les résultats de leurs filières en terme de diplômes, en terme de poursuites d'études et en terme de débouchés.
Q- Est-ce qu'il n'y a pas le risque que certaines facs soient tentées de mettre en place une sélection déguisée ou pire encore, qu'elles bradent leurs diplômes pour avoir de meilleurs taux de réussite ?
R- Je crois que la vérité... brader les diplômes pour avoir un meilleur taux de réussite, nous y serons très vigilants. Nous allons avoir une Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'AERES, qui a été mise en place par le Pacte pour la recherche de 2006, qui dans les semaines qui viennent, sera opérationnelle et c'est elle qui évaluera la qualité de l'ensemble des formations. Donc sur l'évaluation, qui est un corollaire nécessaire et indispensable de la réforme, parce que si on donne l'autonomie, il faut que l'Etat reste pilote, donc, il faut qu'il évalue les obligations et les résultats des universités. Donc l'évaluation va se mettre en place dans les semaines qui viennent, ça, ce sera très important. Mais sur la question des filières, moi je crois qu'il faut que nous nous donnions les moyens d'augmenter les places en IUT et en STS, de façon à ce qu'ils accueillent davantage les bacs professionnels et les bacs technologiques, c'est indispensable et ils souhaitent aller là. C'est-à-dire que quand vous prenez les statistiques et les études, vous vous apercevez qu'en première année, à l'université, il y a deux étudiants sur trois qui auraient préféré être ailleurs.
Q- Vous faites passer le projet de loi sur l'autonomie pendant l'été, donc pendant les vacances, est-ce que vous craignez une rentrée chaude dans les universités ?
R- L'engagement de N. Sarkozy c'est dès la rentrée, à partir de cette loi qui changera les modes de fonctionnement, de se mettre au travail sur la lutte contre l'échec. Sur les conditions étudiantes, sur le statut des jeunes chercheurs et enseignants chercheurs, sur l'immobilier universitaire, puisque vous savez qu'il a dit : nous avons avoir des campus dignes d'un grand pays développé et aussi et je le dis, sur la carrière de l'ensemble des personnels de l'université. Parce que nous avons laissé se dévaloriser les métiers de l'enseignement et de la recherche et nous n'avons pas traité la question des personnels de l'université. Et toutes ces questions là, nous les traiterons à la rentrée.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 juillet 2007