Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les dossiers du Kosovo, du Darfour, du Liban, les élections en Turquie, la crise au Proche-Orient et le dialogue israélo-palestinien, Bruxelles le 23 juillet 2007.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et Relations extérieures à Bruxelles le 23 juillet 2007

Texte intégral

La CIG est lancée et nous n'aurions pas pu dire la même chose il y a un mois. Il y a des discussions difficiles, particulièrement à propos du Kosovo. Il y a aussi des perspectives, des missions qui démarrent, en particulier au Darfour et dans la région périphérique, c'est-à-dire au Tchad, et cela, je pense que c'est quand même une très bonne nouvelle.
Voilà, ce fut comme d'habitude long et ce n'est pas terminé. Sur le Kosovo, c'est évident, les décisions sont difficiles. C'était jusque là le triomphe du multilatéralisme et c'était une opération presque modèle. Nous avions oublié à quel point il avait été difficile à la fois d'intervenir et de maintenir la paix, ce qui est quand même très important par rapport aux combats que se livraient les Albanais et Serbes au Kosovo. Difficile intervention, souvenez-vous en, c'était il y a huit ans, on a oublié tout ça. C'est la mission de paix et de nation building la plus courte pratiquement de l'histoire des Nations unies et l'Union européenne a joué un rôle considérable. Il s'agit, maintenant, premièrement de reconnaître qu'aux Nations unies il n'y a pas de solution, que le projet de résolution ne sera pas voté. Et il s'agit d'entamer avec l'Union européenne en particulier, mais bien entendu avec les Etats-Unis et la Russie, une période de négociations nouvelles. C'est de cela que nous avons parlé très longuement et nous venons juste de terminer la discussion. Nous ne savons pas quelle sera la durée de cette session de négociation et en particulier la contribution de l'Union européenne. Nous pensons à une durée de 120 jours qui courrait à partir de début août jusque vers la fin novembre. Nous espérons que les positions en présence vont pouvoir évoluer. Pour qui connaît la situation sur place, c'est un but difficile à atteindre et nous nous y efforcerons. Mais c'est l'une des tâches les plus nécessaires que l'Union européenne ait jamais rencontrées et sans doute l'une des plus difficiles. Nous nous embarquons pour cette période de quatre mois avec beaucoup d'espoir pour trouver un compromis.
Q - Sur le Kosovo, vous avez parlé de la mécanique, ce n'est pas clair. Après on revient au Conseil de sécurité ?
R - Nous n'en sommes pas là. Une résolution qui devait apporter un début de solution à ce problème de statut final du Kosovo a été déposée. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de vote ? Parce que les Russes ont menacé de leur veto. Vous comprenez que si nous avions passé cette résolution au vote, nous serions nous-mêmes dans l'impasse voulue par les Russes. Nous l'avons évitée en ne mettant pas au vote cette résolution. Il faut maintenant trouver une base légale pour une action particulière de l'Union européenne, pour accompagner ces discussions par exemple à l'intérieur du Groupe de contact, c'est-à-dire les Etats-Unis, l'Italie, l'Allemagne, la France, l'Angleterre et la Russie. On parle aussi d'une troïka formée par la Russie, l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous allons dans les jours qui viennent décider du format lui-même. Ce dont nous avons discuté très longuement, comme au Luxembourg, à Postdam etc., c'est de retourner à la négociation, d'essayer de trouver un compromis entre Belgrade et Pristina. Voilà ce qui est à peu près clair.
Q - Quelles sont vos réactions après les élections en Turquie ?
R - Notre réaction a été à la fois de prendre note et de féliciter les Turcs de la façon dont les élections se sont déroulées, et également d'indiquer qu'un certain nombre de points nous inquiétaient par rapport à l'attitude adoptée face au Patriarche oecuménique. A côté de cela, nous avons noté la participation et évidemment les résultats qui portent, avec la majorité absolue, un parti au pouvoir.
Q - Le porte-parole du Quai d'Orsay a déclaré tout à l'heure qu'il fallait des réformes en Turquie pour permettre d'accéder à ce partenariat privilégié dont parle M. Sarkozy alors que M. Rehn a encore dit qu'il fallait des réformes pour redynamiser le processus d'accession à l'Union européenne. Ne pensez-vous pas que ce sont deux choses différentes ?
R - Ce ne sont pas des choses différentes. Vous connaissez la position de la France qui n'a pas bloqué le processus. Vous savez très bien qu'il y a 37 chapitres et qu'il y en a 5 qui sont un peu problématiques pour la France. Le temps qu'on en ouvre 32, nous aurons le temps de nous poser la question. C'était la position très claire du président Sarkozy la dernière fois qu'il est intervenu à ce propos. Je crois que les attitudes dont vous faites mention ne sont pas contradictoires. En tout cas, personnellement, je ne souhaite pas qu'elles le soient, et elles ne le sont pas pour le moment.
Q - Ne pensez-vous pas que votre place devrait être à Tripoli pour négocier ?
R - Je souhaite que cette négociation réussisse et que les infirmières et le médecin soient enfin libérés. Si cela ne se passe pas comme cela, il faudra recommencer. Pour le moment, les discussions continuent avec l'Union européenne. D'ailleurs Mme Ferrero-Waldner est là-bas, et le dernier message que nous avons reçu, c'était que ça se poursuivait dans un climat très difficile.
Q - Sur le Darfour, avez-vous étudié la demande d'un déploiement militaire ?
R - Mais d'un déploiement militaire de quelle nature ? Il y aura un déploiement militaire. Comme vous le savez, pour le moment nous avons dit- et c'est déjà très important-que les troupes qui sont là-bas (7.000 hommes) doivent être pour le moment soutenues et qu'il y a une autre étape, celle à laquelle vous faites allusion, c'est-à-dire la force hybride qui comprendrait 20.000 hommes.
Pour le moment, nous sommes dans l'attente d'une résolution à ce propos. Vous savez que le président Béchir a accepté cette force. Cette force, c'est à New York qu'elle doit se constituer et un certain nombre de pays ont déjà fait acte de candidature. Pour le moment, nous sommes dans l'étape de constitution de cette force, de soutien financier etc. Tout cela est en bonne voie. Maintenant il faut qu'on mette en oeuvre cette décision. Cela va prendre de nombreux mois, nous essayons d'ailleurs de raccourcir ce délai. Un certain nombre de pays européens ont proposé de participer, comme vous le savez, à cette force hybride de 20.000 hommes qui aura une dominance africaine.
Pour le reste il y a le problème du commandement. Vous savez qu'un général nigérien a été nommé, les choses avancent petit à petit. Nous sommes tous absolument désireux de hâter l'arrivée de cette force et nous savons très bien que c'est une urgence qui devient chronique. Nous savons aussi que la sécurité au Darfour commande un certain nombre de déploiements et de reconstructions et de travaux nécessaires dans cette région du monde.
A côté de cela, la proposition a été faite de s'occuper non pas des réfugiés, qui eux-mêmes sont pris en charge par le HCR, mais des personnes déplacées qui hélas sont livrées très souvent à elles-mêmes et donc des milliers et des milliers, des dizaines de milliers de personnes déplacées tchadiennes au Tchad. Nous avons, la France et maintenant ce n'est plus une initiative française, c'est une initiative européenne, reçu beaucoup d'encouragements d'un certain nombre de pays pour reconstruire les villages qui ont été démolis, brûlés par les attaques directement issues du Darfour. Il faut aller ensemble dans ces deux directions. Au Darfour il y a non seulement une force nécessaire mais un problème politique qu'il faut régler. Il faut mettre les groupes rebelles ensemble, négocier, il faut une solution politique. C'est capital, mais c'est concomitant avec les conséquences très directes de l'autre côté de la frontière. Parce que ce sont les attaques au Darfour, les réfugiés du Darfour et les milices, qui ont chassé au-delà de la frontière un certain nombre de groupes, et qui ont détruit les villages qui étaient du côté tchadien. Donc il faut faire ça en même temps. C'est ce que ce que nous avons proposé, ce que l'Europe propose en liaison avec les Nations unies qui prendraient le relais : s'occuper des personnes déplacées au Tchad, mais aussi dans la région qui voisine la frontière avec la République centrafricaine. Je souhaite que nous allions au plus vite. En ce moment c'est la saison des pluies, on ne peut rien faire, mais aussitôt après, à partir de septembre, octobre, cela pourrait rendre un service incommensurable : cela veut dire reconstruire et sécuriser. Si on ne reconstruit pas, ce ne sera pas suffisant. Le problème politique doit être réglé politiquement au Darfour. Et s'agissant des personnes déplacées au Tchad, essayons de les aider.
Q - Sur le Kosovo, vous disiez que la période de 120 jours n'est pas définie ?
R - Elle n'est pas complètement définie. Vous savez qu'il y avait une proposition française qui était de 6 mois, et une proposition américaine qui était de 4 mois. Pour le moment, dans le projet de résolution qui ne va pas être voté, qui a été réécrit quatre fois, nous avons fait tous les efforts possibles pour ne pas donner une solution définitive. C'est-à-dire que s'il y avait une solution avant même la négociation, il devenait inutile de négocier. Nous avons donc ouvert la porte à toutes les possibilités. La quatrième version du projet de résolution n'a pas été accepté par les Russes. Vous le savez, elle portait le délai à 120 jours. Maintenant, nous n'y sommes pas tenus, puisqu'il n'y a pas de résolution. Mais, en gros ce serait 120 jours.
Q - Y a-t-il eu une discussion sur qui sera le représentant de l'Union dans la Troïka ?
R - Cela n'est pas encore défini mais nous y avons travaillé. Dans les jours qui viennent, nous désignerons un représentant, si nous mettons sur pied une Troïka et si ça n'est pas le Groupe de contact.
Q - Ne faudrait-il pas que les partenaires s'entendent sur ce qu'ils veulent ?
R - Si on s'entendait sur ce que l'on veut avant la négociation, il n'y aurait pas de négociation. Les Russes et les Américains ne sont pas d'accord et l'Union européenne est entre les deux, d'où son rôle essentiel et non seulement essentiel mais aussi son rôle politique, géographique, sociologique et culturel essentiel parce que ça se passe en Europe. Il faut bien comprendre que c'est à nous de prendre nos responsabilités. C'est pourquoi je parlais d'un problème majeur en ce qui concernait la cohésion, la ténacité, la résistance et même l'avenir de l'Union européenne.
Q - Vous avez dit que le Groupe de contact ou la Troïka pourrait être une source de légitimité à ces nouvelles discussions.
R - Non, il faut qu'il ou elle reçoive sa source de légitimité, qu'on la lui donne. Il faut noter qu'aux Nations unies, les choses ont été bâties par le Groupe de contact. Evidemment, beaucoup de ministres ont parlé avec le Secrétaire général mais il semblerait légitime que maintenant l'ONU demande particulièrement à l'Union européenne de participer soit à la Troïka soit au Groupe de contact, mais nous y sommes déjà. Ce que nous avons dit c'est que si c'est la Troïka, les 27 pays doivent continuer à proposer une vison commune de l'avenir du Kosovo à l'intérieur de l'Europe. Pour le moment, l'unité se maintient et c'est pourquoi nous avons travaillé pendant des heures et des heures encore une fois, et que nous sommes d'accord. Et nous devons rester d'accord, c'est une épreuve de plus que finalement la position russe fait courir avec un peu de brutalité à l'Union européenne. Et peut être cela suffira -t-il à nous renforcer et à nous maintenir.
Q - Qu'a fait l'Europe pour convaincre les Russes ?
R - Les 27 pays, malgré des situations différentes, maintiennent cette unité en voulant que la paix et la stabilité soient maintenues. Et c'est le rôle de l'Europe, pour avoir beaucoup affronté l'instabilité et la guerre. Je crois que nous sommes légitimement fondés à participer avec les autres. Je ne dis pas que nous devons être seuls, mais la Russie et les Etats-Unis seront dans l'idéal associés à cette discussion.
Q - Et si les Kosovars proclamaient eux-mêmes unilatéralement quelque chose ?
R - Je pense que cela ne suffira pas ni à créer une légitimité ni à assurer un soutien. S'il n'y a pas d'unité des 27 pays, il ne peut y avoir de soutien réel. Le Kosovo, pour être indépendant, y compris économiquement, a besoin du soutien de l'Europe. Nos amis kosovars doivent comprendre qu'ils ne sont pas tous seuls. D'abord, il y a les Serbes, il y a Belgrade et nos amis serbes doivent aussi comprendre qu'ils doivent faire certaines concessions. Toutes les guerres se sont finies par des paix et toutes les paix ont été négociées, y compris les plus dures. Et nous sommes nés, l'Union européenne est née de ces négociations, entre la France et l'Allemagne. Alors peut être que les Serbes et les Kosovars peuvent faire un petit effort. A ce moment, on pourra parler d'indépendance réelle.
Q - Sur le Liban, êtes-vous optimiste ?
R - Je suis plutôt optimiste, en tout cas plus optimiste que je ne l'étais avant de tenter de faire quelque chose. Cela c'est l'optimisme de la volonté. Je pense que les Libanais ont compris en se retrouvant qu'il y avait quand même intérêt à poursuivre ce dialogue. C'est ce que je peux dire pour le moment. Si cela fonctionne, je serai content.
Q - Etes-vous optimiste aussi au sujet du nucléaire iranien ?
R - Nous avons reporté la discussion sur ce sujet à une date ultérieure. Je ne peux donc vous en rendre compte maintenant.
Q - Sur le Darfour, quels pays ont manifesté leur désir de participer à la force hybride ?
R - Ils vous le diront eux-mêmes. Je peux vous dire qu'il y a eu une déclaration publique de la Suède, de la Norvège, de la France, mais il y en a d'autres. Mais ce n'est pas le problème. Pour le moment, le problème c'est de construire. Il ne suffit pas qu'il y ait des troupes, il faut qu'elles soient entraînées, qu'il y ait une stratégie, qu'il y ait des possibilités. Le Darfour, c'est ce qu'il y a le plus loin de la mer dans tous les endroits du monde que vous pouvez imaginer ; les lignes de communications sont terriblement allongées et il faut que sur place on puisse établir la sécurité. Il ne s'agit pas seulement de troupes, majoritairement africaines, parce qu'il s'agit toujours d'une mission de l'ONU et de l'Union africaine.
Q - Quel est le calendrier ?
R - On a parlé de la fin de l'année ou du début de l'autre. Franchement je ne peux pas m'engager à la place de l'ONU, je sais que l'Union africaine veut que cela se fasse vite et l'ONU a la réalité dans ses mains.
Q - Sur la situation au Moyen-Orient, quelles sont les positions européennes sur le dialogue avec le Hamas ?
R - Nous n'avons pas eu le temps d'aborder cela. Ce que je peux vous dire, c'est que la France considère qu'il faut absolument soutenir l'Autorité palestinienne. Nous l'avons fait, nous avons offert un soutien politique, un soutien financier, un soutien sous toutes les formes envisageables. Nous continuons à dire qu'il ne faut pas manquer l'occasion de reprendre le dialogue. Il ne suffit pas de libérer quelques prisonniers. Nos amis israéliens et palestiniens doivent comprendre que le moment est crucial. Il faut que ce soit maintenant que cela redémarre. Dans ce contexte, nous avons été sensibles au discours du président Bush car il affichait la volonté de reprendre ce processus de paix. Quant à la conférence, nous verrons bien comment l'organiser.
Q - Sur le Kosovo, quelle est la position de l'Europe pour ces nouvelles négociations ?
R - C'est un des points très délicats. Nous avons soutenu la proposition de Martti Ahtisaari, qui est un homme formidable. Nous ne pouvions que tenir compte de ce que Martti Ahtisaari avait conclu. Quelle a été la surprise du veto russe ! Personne ne pensait qu'ils allaient faire autre chose que s'abstenir et après nous avons été entraînés contre notre gré dans un processus qui allait nous faire nous renier nous-mêmes et détruire le multilatéralisme que nous avions construit. Nous avons dit à nos amis russes que, oui, nous allions reprendre la négociation. Nous essayons avec ténacité de reprendre la négociation et d'arriver à un résultat. Nous ne voulons pas conclure d'avance. Si on peut trouver une proposition acceptable, nous aurons accompli l'impossible.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2007