Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à France 2 le 26 juillet 2007, sur la politique de l'environnement et la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées.

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Texte intégral

Q- Bonjour. On surnomme le ministère de l'Ecologie, « le piège à ours et le piège à ministres ». Alors saura-t-elle se défaire de ses griffes ? N. Kosciusko-Morizet, bonjour. Dans une heure environ, vous allez rencontrez les éleveurs, dans les Pyrénées, également les associations anti-ours...
R- ... et les élus.
Q- ... et tout le monde. Alors, la situation est très tendue, finalement est-ce qu'on va pouvoir rapprocher les points de vue aujourd'hui ?
R- Je vais dans les Pyrénées pour renouer le dialogue pour ça. Ce Plan ours il a été très critiqué comme ayant été décidé par Paris.
Q- Parce qu'on dit que c'est encore une fois de plus l'écologie de salon, ce sont les Parisiens qui décident tout.
R- Quand les uns et les autres m'ont demandé de venir me rencontrer, j'ai dit oui, j'y vais.
Q- ...vous êtes aussi, vous, une écolo de salon, finalement ?
R- Non, surtout pas ! J'ai dit oui, j'y vais, donc ce matin, on a une réunion avec tous les partenaires autour de la table pour beaucoup discuter, probablement beaucoup se frotter, mais surtout pour renouer le dialogue.
Q- Mais qu'est-ce qui peut se dire ? Parce que là, on le sent bien, les éleveurs veulent même prendre le fusil. Il y a un cas, Franska, alors dites-nous, parce que Le Canard Enchaîné relève que l'ourse slovène, en fait, n'a pas sept ans mais dix-sept ans, qu'elle ne peut plus avoir d'oursons, bref c'est une rouerie.
R- On dit un peu tout et n'importe quoi sur le sujet. C'est très difficile de donner un âge à un ours au moment de la capture, parce qu'on le fait sur des critères morphologiques, que ça ne se fait pas nécessairement sur des bonnes conditions.
Q- Donc quel âge ?
R- Après, ça se fait par rapport à une analyse de dents. L'ourse Franska est en effet plus âgée que ce qui avait été convenu avec les Slovènes. Ceci dit, une ourse peut avoir des oursons tout au long de sa vie et elle vit plus que trente ans. Donc Franska, en effet, il est probable qu'elle ait dix-sept ans, [et qu'elle] peut tout à fait avoir trois ou quatre portées, ce n'est pas du tout un problème.
Q- Vous avez continué votre enquête, est-ce que c'est Franska la suspecte n°1 dans toutes les attaques de brebis, dans les plaines en ce moment ? C'est elle la serial killer ?
R- Il y a une contestation sur cette ourse en particulier parce qu'elle est dans une région dans lequel il y a beaucoup d'attaques sur des troupeaux qui ont été menées. Le débat, en fait, il tourne autour de la question de savoir si cette ourse est ou pas ce qu'on appelle une ourse à problèmes, est-ce que son comportement est normal ou pas normal et c'est de ceci notamment qu'on va discuter ce matin.
Q- Alors, justement, vous venez avec un plan, parce que depuis quelques jours, on sait qu'il y a un plan qui circule, qui a été fait à l'Elysée sur les réserves...
R- ... non, non, non, ça c'est un peu... il y a un fantasme. Alors ça c'est tellement français aussi, il y a toujours un fantasme, on pense qu'il y a un plan caché avec... il n'y a rien de caché.
Q- Souvent, ce n'est pas totalement faux !
R- Non, mais je ne viens pas avec un plan, au risque de décevoir. Je viens d'abord pour écouter. Evidemment j'ai des idées sur ce qui est possible, ce qui est plus difficile, ce qu'on peut proposer, mais je viens d'abord pour écouter. Il n'y a pas de plan caché, il n'y a pas de nouveau Plan ours caché.
Q- Mais il y a une idée quand même qui tourne ; les éleveurs disent : voilà, nous ce qu'on voudrait c'est plutôt une réserve, c'est parquer... L'Elysée avait l'air de dire : oui, pourquoi pas. Alors, qu'en est-il ?
R- Il y a des demandes, et puis en face, on peut faire des propositions. La demande, c'est vrai, localement c'est ce qu'on appelle un cantonnement. Le mot "cantonnement" est assez ambigu. Est-ce qu'il s'agit d'enfermer les ours comme dans un zoo au coeur des Pyrénées, et ça évidemment ce serait incompatible avec nos accords internationaux, techniquement, financièrement pas possible, enfin ça manque de sens. Est-ce qu'il s'agit en revanche de mieux définir la zone de présence de l'ours, de plus systématiquement faire en sorte que l'ours reste dans sa zone de présence, d'améliorer aussi le suivi de l'ours, de faire en sorte que systématiquement les élus et les éleveurs soient prévenus et peut-être de plus loin à l'approche de zones de coexistence avec l'homme ? Ce sont des choses aussi comme ça dont on peut discuter.
Q- Mais, en fait, cette, justement cette zone-là, nouvelle, est-ce que c'est quelque chose que vous voulez atteindre aujourd'hui comme objectif ? Vous voulez repartir de cette réunion en disant : voilà, ça y est, on a trouvé un accord ou c'est juste le début d'une longue discussion ?
R- Encore une fois, moi je n'ai pas de plan secret. Je vois bien qu'il y a une très, très grosse contestation. L'objectif du Plan ours c'est la coexistence entre les activités humaines, notamment le pastoralisme qui est une activité extrêmement importante pour le maintien de la biodiversité, tout simplement l'activité, la vie de nos montagnes...
Q- Justement, cette biodiversité c'est un dilemme pour vous ; vous êtes pour la biodiversité et en même temps, il va y avoir un problème avec les ours.
R- Justement, l'objectif du Plan ours, je le redis, c'est bien la coexistence, ce n'est pas un plan pour les ours contre les hommes, c'est complètement insensé, c'est la coexistence. A partir du moment où, localement, une grande partie de la population considère qu'on n'est pas en situation de coexistence mais en situation de conflit, eh bien je crois que c'est normal que le ministère se sente concerné, c'est normal qu'on vienne écouter, c'est normal qu'on vienne dialoguer. Et, encore une fois, moi je n'arrive pas avec un plan tout à fait. Evidemment, je peux avoir des idées mais je n'arrive pas avec un plan tout fait.
Q- Très bien, on voit bien que c'est passionnel. Vous préparez également un autre grand événement pour la rentrée qu'on appelle le "Grenelle de l'environnement". Alors, ce terme "Grenelle", qui renvoie aux négociations de mai 68, ne parle pas du tout aux jeunes générations sur un sujet très moderne. Pourquoi appeler ça le "Grenelle de l'environnement" ? C'est quoi ?
R- Je comprends que le terme "Grenelle" ne parle pas beaucoup. C'est vrai, c'est un peu générationnel, ça renvoie à mai 68, tout le monde n'a pas vécu mai 68, bon, voilà. Symboliquement, il est très fort ce terme "Grenelle", en même temps, parce que c'est un moment de discussions avec les partenaires autour de la table pour sortir d'une crise et pour essayer de refonder une politique. Et, en matière d'environnement, on est en face d'une crise, la crise écologique - l'écologie c'est, moi j'en suis convaincue, le grand enjeu du 21e siècle, on manque de dialogue, on a besoin de mener des politiques transversales, ça ne peut se faire qu'avec tous les partenaires autour de la table...
Q- Oui, mais ça veut dire quoi manque de dialogue, politique transversale ?
R- ...Et on a besoin de refonder une politique écologique.
Q- Concrètement, qu'est-ce que ça signifie ?
R- Concrètement, par exemple, les grands enjeux du monde contemporain ce n'est pas comment est-ce que j'arrange ma politique de l'eau, comment est-ce que j'arrange ma politique des déchets ? Ça, il faut le faire. Mais c'est bien plus, qu'est-ce qu'on fait comme lutte contre le changement climatique ? Qu'est-ce qu'on met en place comme fiscalité environnementale ? Comment on fait pour que ce soit moins cher de consommer vert ?
Q- On en parle en ce moment, il y a des mesures fiscales mais si on veut vraiment trouver une entreprise qui fasse des travaux verts ou écolos, c'est impossible.
R- C'est tout le sujet ! Comment on fait pour faire en sorte que la société entière se mobilise ? Comment on fait pour transformer en profondeur nos modes de production et de consommation ? On n'est plus en train de définir des petites politiques sectorielles, et sous l'autorité de J.-L. Borloo, ministre d'Etat en charge de l'Ecologie, on met tout le monde autour de la table pour véritablement refonder quelque chose. Je prends juste un exemple : les énergies renouvelables. Vous voulez équiper votre maison, en effet il y a un petit problème financier, ça coûte plus cher, mais il y a aussi un problème technique, votre chauffagiste il n'est pas nécessairement au courant. Et puis, après il va y avoir un problème de raccordement au réseau si vous voulez vendre, si c'est du photo voltaïque et que vous voulez vendre l'électricité à EDF. C'est tout ça qu'il faut pouvoir discuter ensemble, ça ne se décide pas seul à trois dans un bureau.
Q- Bon, alors vous l'avez cité, c'est bien, mais est-ce que vous avez réussi à transmettre votre passion de l'écologie à J.-L. Borloo, qui ne s'exprime jamais sur le sujet depuis qu'il est nommé ?
R- Alors, ça ce n'est pas vrai du tout ! Alors, non, ce n'est pas vrai du tout. D'abord, je n'ai pas à transmettre ma passion de l'écologie à J.-L. Borloo, qui a été un des fondateurs de Génération écologie dans les années 90 et qui est très mobilisé. On est, je crois... évidemment, ça va paraître complètement... parce que ça paraît toujours hypocrite qu'on dit ces choses, mais on est très complémentaires et ce n'est pas hypocrite du tout, c'est un vrai plaisir de travailler avec lui. D'abord, parce qu'on a besoin de beaucoup de dialogue et il a une pratique formidable de ça ; ensuite parce qu'on a besoin de plans programmes avec des financements. Et là aussi, avec tout ce qu'il a fait à l'ANRU, avec le lancement des emplois dans le domaine de services, il a une grande pratique de ça. Et ensuite, parce que c'est quelqu'un qui est d'un caractère passionné, et dans le milieu de l'écologie, c'est très important, il faut se donner à ce qu'on fait. Il y a tellement d'inertie, il y a tellement d'intérêt, il y a tellement de choses, simplement d'habitudes à faire bouger que si on n'est pas un peu passionné, on n'a aucune chance et lui il est d'un naturel passionné, c'est bien.
Q- Donc, en attendant, vous allez lancer le "Grenelle" des ours aujourd'hui. Vous avez identifié les pièges, tout va bien ?
R- (Rires) Le mot "pièges" est tellement ambigu dans le contexte, n'insistez pas.
Merci, bonne journée.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 juillet 2007