Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur la coopération culturelle et linguistique, à Paris le 19 juillet 2007.

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Circonstance : Journées de culturesfrance, à Paris les 19 et 20 juillet 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
J'ai eu l'occasion, lors des Journées de la Coopération internationale et du Développement, d'ouvrir un dialogue avec vous.
J'ai évoqué le sens de nos métiers, le renouvellement de nos approches et de nos méthodes, et plus largement, la nécessaire réforme de la coopération française.
Au-delà de la diversité des cultures et des langues qui est l'un des enjeux du développement international, je souhaite aborder aujourd'hui nos actions en matière de coopération culturelle et linguistique.
Il s'agit là, vous le savez, d'un enjeu déterminant, tant à l'échelle nationale de la diplomatie française qu'à l'échelle internationale des échanges culturels.
Vous connaissez, encore mieux que moi, le caractère stratégique de votre action.
Notre rayonnement culturel participe à cette mondialisation des cultures qui déplace sans cesse les frontières.
Et, parlons clair, il constitue l'un des attributs de la notoriété, quand ce n'est pas tout simplement celui de la puissance.
Ainsi comment ne pas être conscients des enjeux économiques liés aux activités du secteur culturel ?
Les métiers de la culture connaissent une croissance forte et soutenue.
En France, la part économique des activités culturelles est équivalente à celle de l'industrie automobile et elle représente deux fois la part du secteur des assurances. L'emploi culturel a progressé deux fois plus vite que le reste de l'emploi depuis 1990.
Le patrimoine culturel et artistique contribue largement à l'attractivité touristique de notre territoire. Les industries culturelles, relayées par vos actions de terrain, valorisent ce patrimoine.
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Je n'ignore pas pour autant qu'une ambition sans moyens, mais aussi sans bonne gouvernance, tourne le plus souvent à la frustration, quand ça n'est pas tout simplement à la colère.
Dans un rapport qui a fait date, le député Yves Dauge avait parlé, en 2001 déjà, d'un malaise mêlé de révolte.
Malaise d'autant plus frappant, selon le rapporteur, qu'il touchait non pas une technocratie rétive au changement, mais "des hommes et des femmes d'un dynamisme sans pareil (...), ressentant durement leur isolement et leur paupérisation sous une tutelle parfois futile, souvent décalée et tatillonne, et se désespérant de voir la France gaspiller ses atouts".
Qu'en est-il aujourd'hui, six ans plus tard ?
Pour répondre à cette interrogation, permettez-moi de passer en revue nos principaux instruments d'action: la promotion de notre culture et de sa langue, la recherche et la formation des élites, la présence française dans le paysage audiovisuel mondial.
J'évoquerai d'abord, l'immense chantier de la défense et de la promotion du français dans le monde.
Il s'agit là d'un vecteur majeur de notre rayonnement et partant de notre influence. Avec 200 millions de locuteurs francophones dans le monde, 85 millions d'apprenants et quelques 600.000 élèves inscrits dans nos établissements culturels, nous disposons d'un capital considérable. Il convient néanmoins de le faire fructifier.
Beaucoup a été fait dans la période récente.
Des stratégies régionales ont notamment été élaborées afin de concentrer notre action de promotion sur des objectifs prioritaires.
L'Europe en tout premier lieu, avec la bataille pour le maintien du statut du français comme langue de travail de l'Union européenne, et par conséquent pour sa place de grande langue de communication internationale.
Sur ce point, les dernières évolutions ne sont guère encourageantes. Il nous faut par conséquent renforcer les moyens alloués au plan de formation destiné aux fonctionnaires et diplomates travaillant à Bruxelles ou en relation avec l'Union européenne.
Un effort particulier doit être consenti en direction des pays d'Europe qui viennent de nous rejoindre. Je souhaite impliquer davantage la Francophonie dans cette bataille essentielle, en profitant notamment de la présidence française de l'Union européenne.
Nous devrons également mettre l'accent sur l'Afrique francophone, le Maghreb, le Proche-Orient, qui constituent les bassins de francophonie les plus étendus, là où le français porte des enjeux de développement.
Sans négliger pour autant les grands pays émergents, dont les élites jouent d'ores et déjà un rôle déterminant sur la scène internationale.
Notre "investissement" linguistique doit donner à la France toute sa visibilité auprès des futurs décideurs économiques et politiques.
Il est important que le français puisse être davantage perçue comme une langue des affaires.
Je tiens à saluer le succès de l'initiative "Oui je parle français", élaborée, à destination des entreprises françaises présentes à l'étranger, avec l'Alliance française, la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris et le Forum francophone des affaires.
Notre présence linguistique se construit.
Particulièrement à travers l'enseignement et la formation, et elle requiert des moyens adéquats. Je me félicite à cet égard qu'ait été adopté un plan triennal de formation de 10.000 professeurs de français dans le monde.
Concernant les méthodes d'apprentissage du français, il est essentiel de tirer rapidement tout le parti possible des nouvelles technologies et de l'audiovisuel éducatif. Sites et portails Internet, jeux vidéo, téléphonie mobile, participent au rajeunissement de l'image de notre langue.
Il nous faut également veiller à ce que le réseau des 428 établissements à programme français, le premier au monde en nombre d'élèves, puisse continuer de disposer des moyens nécessaires. Non seulement pour accueillir dans de bonnes conditions les enfants de la communauté française mais aussi pour former les élites francophones de demain. C'est une mission essentielle, puisque sur les 250.000 élèves scolarisés dans nos lycées 66 % ne sont pas français. C'est dire combien demeure fort le désir de français ou d'éducation "à la française".
L'action culturelle extérieure constitue un deuxième grand chantier. Elle est située au croisement de notre diplomatie d'influence et de notre action en faveur de la diversité des identités, des cultures et des échanges.
Le réseau culturel français mérite d'être défendu.
Contrairement à certaines idées reçues, il n'est pas pléthorique. Les centres et instituts français ne sont pas plus nombreux que les centres du Goethe Institut ou du British Council.
Il est par ailleurs relativement peu coûteux puisque son coût total représente à peine plus que la subvention de la seule Bibliothèque nationale de France.
Il n'est pas non plus figé car il a déjà évolué dans ses implantations, dans ses missions et dans ses modes de fonctionnement.
Il n'est pas non plus en perte de public puisqu'au contraire son audience est en augmentation.
Cette réalité encourageante ne doit pas pour autant obscurcir notre jugement.
Le réseau est aujourd'hui à la limite de l'asphyxie financière. Sa capacité d'autofinancement, très conséquente (43 % en moyenne), atteint ses limites. Certains centres sont aujourd'hui en voie de paupérisation et leur programmation en pâtit.
Au-delà des nécessaires moyens supplémentaires, nous avons aussi le devoir d'établir de claires priorités, de gagner en cohérence, voire parfois en efficacité. Notre investissement culturel doit aussi pouvoir se mesurer en termes d'impact et de bénéfices partagés.
A l'image de la nouvelle gouvernance réformant nos politiques d'aide au développement, nous aurons toujours raison d'inventer et de proposer des changements plutôt que de les subir.
Poursuivons donc les redéploiements en allant dans le sens d'une plus grande régionalisation et d'une simplification accrue de notre dispositif.
Ces réformes de structures devront s'accompagner d'un large plan de communication destiné à rendre visible la modernisation continue de notre réseau.
Enfin, notre ministère doit pouvoir assumer pleinement son rôle de pilotage en s'impliquant davantage dans la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique culturelle internationale.
Politique qui concerne aussi bien les domaines d'intervention de l'agence CulturesFrance, avec notamment la mise en oeuvre d'un plan efficace pour la promotion des artistes français à l'étranger, que le patrimoine et les musées, avec la mise en place de l'Agence internationale des musées de France.
N'oublions pas non plus d'accorder une attention particulière à la place de la jeunesse mais aussi du sport dans notre action culturelle extérieure.
Ce pilotage stratégique est parfaitement en phase avec le renforcement de notre opérateur culturel, CulturesFrance.
En faisant le choix d'étendre la palette d'interventions de l'opérateur historique du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture, nous avons fait le pari de la clarification des métiers et surtout de la professionnalisation de l'action culturelle.
Je souhaite que la nouvelle agence puisse recevoir à terme le statut d'établissement public qui lui permettra de fonctionner avec toute l'efficacité dont est capable l'ensemble de ses personnels.
Ce nouveau statut donnera à CultureFrances la possibilité de diversifier ses modes de financement, notamment à travers la signature de partenariats européens. De plus, l'agence saura se rapprocher, davantage encore, des acteurs non institutionnels que sont les entreprises ou les universités.
CultureFrances pourra ainsi jouer à plein son rôle d'ingénierie culturelle et de pivot dans la constitution de coalitions culturelles.
L'agence travaillera également au renforcement des structures existantes qui ont fait leur preuve. Nous ne pouvons pas tout recommencer tout le temps. L'ambition de notre action culturelle ne doit pas se limiter à une politique événementielle. Nous devons nous inscrire dans la durée et laisser des traces pérennes de notre action.
Je souhaite, enfin, en tant qu'élu local, que vous intégriez davantage les collectivités territoriales françaises à votre action à l'étranger. Là aussi, libérons les énergies et les talents, en profitant du savoir-faire partagé et des proximités, tissées au fil des ans, qui ne demandent qu'à être valorisés.
Permettez-moi d'évoquer maintenant la recherche et la formation des élites.
Non seulement parce que la France, comme la plupart des grands pays industrialisés, est engagée dans la compétition internationale des savoirs. Et que de la recherche d'aujourd'hui dépendent les progrès, les activités et les emplois de demain.
Mais aussi, parce que la recherche et la formation constituent de puissants leviers de développement.
Notre réseau à l'étranger doit ainsi contribuer à la mobilisation de toutes nos ressources : par notre capacité de veille scientifique et technologique, par le développement des échanges et des collaborations scientifiques, par la mise en valeur de la recherche française dans les grands débats.
En France, nous devons poursuivre les efforts entamés au cours des dernières années pour ouvrir plus largement encore aux étrangers nos grandes écoles et nos universités.
Avec 265.000 étudiants, chiffre en croissance de plus de 50 % en cinq ans, la France se place au troisième rang mondial.
La création du nouvel opérateur CampusFrance, en mars 2007, simplifie le paysage institutionnel et devrait faciliter les démarches des étudiants aussi bien pour accéder aux études en France que pour s'y installer. Cet effort de simplification et de rationalisation, d'amélioration des conditions d'accueil, devrait nous permettre de consolider notre place et de réaffirmer notre ambition en matière d'attractivité des élites mondiales.
La recherche française est très attendue par nos partenaires du Sud.
Considérée à juste titre comme un "nouveau chantier de l'aide", la recherche répond à une double mission : à la fois dans ses applications concrètes dans tous les domaines du développement du Sud (santé, agriculture, notamment), mais aussi dans sa capacité à entraîner dans son sillage la recherche au Sud, à favoriser son insertion dans les réseaux internationaux.
La France dispose à cet égard d'un réseau unique d'instituts de recherche. Réseau qui constitue, comme vous le savez, une part non négligeable de l'APD de la France. Nous avons donc une obligation d'efficacité, de résultats, qui là encore repose sur l'existence d'indicateurs de performance fiables et d'évaluations régulières.
Je souhaite que dès la rentrée, sans doute dans le cadre du CICID, nous soyons en mesure d'élaborer une stratégie cohérente qui fasse de l'IRD l'agence de recherche pour le développement que nous appelons tous de nos voeux. De même, le rapprochement du CIRAD avec l'INRA, déjà maintes fois évoqué, devrait également se traduire par des actes.
Je souhaite évoquer devant vous, pour terminer, la présence française dans le paysage audiovisuel mondial. Notre présence sur les ondes et sur Internet est la meilleure garantie, à long terme, de notre influence mais aussi de l'existence réelle de la diversité culturelle.
C'est bien là que se jouera, pour l'essentiel, la bataille de demain : celle des images et de l'information.
De cette compétition des images, nous ne pouvons être absents. Pour faire entendre notre voix, pour limiter tout monopole sur l'information et l'image, la France a fait le choix dès le départ d'une communauté de destin, celle des nations ayant le français en partage.
Depuis 1984, année de regroupement en consortium de plusieurs chaînes francophones, jusqu'à la réforme en 2000 conduisant à la création d'un seul réseau mondial, TV5 a permis à plus de 176 millions de foyers de pouvoir accéder à une information et à une programmation diversifiées. TV5MONDE, chaîne en français à dominante culturelle, est ainsi devenu l'un des 3 plus grands réseaux mondiaux de télévision, aux côtés de MTV et de CNN.
Aujourd'hui, au-delà du monde francophone, il nous faut également toucher les élites quelles que soient leurs ères culturelles et linguistiques.
C'est tout le sens de la création voulue par la France d'une chaîne d'information multilingue, diffusée en continu, France 24.
Destinée avant tout aux relais d'opinion, France 24 devra notamment proposer des contenus rédactionnels spécifiques et des exclusivités pouvant faire événement.
Il existe une forte complémentarité éditoriale entre les deux chaînes dont nous devrons tirer pleinement parti avec nos partenaires.
Parallèlement, il nous faudra poursuivre les efforts engagés pour moderniser RFI et lui permettre de s'adapter aux modes de consommation actuels de la radio. RFI devra sans doute redéfinir ses zones de diffusion, préciser le choix de ses programmes en langue étrangère et poursuivre son positionnement sur Internet.
A cet égard, je souhaiterais que nous puissions ensemble anticiper l'avenir. Nous avons besoin d'investir rapidement et massivement le média Internet, à l'échelle internationale.
Le constat d'une omniprésence des contenus en anglais ne doit pas nous freiner. Afin de rester présent dans la bataille de l'information, nous devons disposer d'un outil adapté, en langue anglaise, à forte visibilité, facilitant l'accès des internautes au débat d'idées à la française. Ce portail nous fait aujourd'hui cruellement défaut.
Je souhaite conclure en rappelant, qu'au-delà de la légitime recherche d'influence, notre Francophonie doit aussi être à l'avant garde du monde.
Nous avons besoin d'une Francophonie qui conjugue le français au pluriel de la richesse des échanges culturels.
Cette Francophonie n'est ni crispée, ni défensive ni agressive, encore moins repliée sur elle-même.
Elle travaille au contraire à son affirmation, à la fois porteuse de son histoire et de son esprit, mais aussi ouverte à la diversité et à la jeunesse.
Diversité d'abord de la Francophonie puisque notre langue n'est pas celle d'une culture unique. Il existe bien des francophonies au pluriel.
Diversité ensuite au-delà des frontières francophones.
La Francophonie, issue d'une langue d'ouverture et d'échange, est un outil de partage qui construit, avec d'autres grandes ères linguistiques, une "internationale de la culture".
"Notre patrie" est bien, pour reprendre Camus, "la langue française" mais cette langue se nourrit des diversités qui la travaillent et l'entourent.
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Vous l'aurez compris, je compte sur votre énergie, sur votre imagination, pour être à la hauteur des enjeux internationaux auxquels nous sommes confrontés.
Vous portez aujourd'hui la voix de la France, d'une France qui regarde au-delà d'elle-même, vous êtes les dépositaires de son rayonnement et de son partage.
Je compte sur vous !source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 août 2007