Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, notamment sur les efforts français et internationaux pour le réglement du conflit libanais, Le Caire le 29 juillet 2007.

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Circonstance : Déplacement en Egypte-conférence de presse conjointe avec M. Ahmad Aboul Gheit, ministre égyptien des affaires étrangères, Le Caire le 29 juillet 2007

Texte intégral

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Je suis heureux d'être avec vous et je remercie mon cher ami de ces paroles flatteuses et très sympathiques à propos de mon humanité. Je suis très désireux de poursuivre la conversation que nous avons interrompue pour vous parler. Nous étions en effet en train de discuter, après le Liban - et il reste des choses à dire à ce propos - du Darfour. Nous avons également parlé de la Somalie. Nous aborderons tous les autres sujets ce soir. Je suis donc à votre disposition et je vous remercie de votre intérêt.

Q - Il y a actuellement des pressions françaises pour que les différentes parties libanaises parviennent à un accord. Mais jusqu'à ce jour, aucune perspective ne semble se dessiner. Pensez- vous pouvoir résoudre cette crise dans un futur proche ?
R - Il y a des progrès. Le fait simplement, que, grâce à nos efforts communs, et à ceux de la Ligue arabe, efforts que nous allons poursuivre ce soir, les Libanais, de toutes les communautés se parlent - ce qu'ils n'avaient pas fait depuis neuf mois - c'est un tout petit progrès, mais c'est un progrès. Surtout lorsque les élections sont au mois de septembre, c'est-à-dire devant nous. Nous les avons invités à Paris. Le Secrétaire général de la Ligue arabe les avait vus à Beyrouth. Et nous sommes en contact permanent, ainsi qu'avec le ministre égyptien des Affaires étrangères. Dans les deux derniers jours, nous avons poursuivi - non pas avec les numéros deux des quatorze partis, mais avec les numéros un - les discussions sur des points précis qui concernent l'élection présidentielle. Maintenant, vous savez très bien qu'il n'y a pas qu'au Liban que se décide le sort du Liban. Et cela fera l'objet, dans la soirée, d'une partie de la discussion. Nous le savons et je pense qu'il y a une attitude commune entre le ministre des Affaires étrangères égyptien et le ministre des Affaires étrangères français, tout comme avec nos amis saoudiens et avec la Ligue arabe.

Q - Parler de la crise au Liban amène nécessairement à parler de la scène palestinienne. On observe une activité française intense pour ce qui concerne le Liban et ce qui concerne le processus de paix. La France est-elle favorable à une initiative en faveur du processus de paix ? Est-elle favorable à la conférence de paix évoquée par M. George Bush ?
R - Nous suivons de près et avec soin le dossier palestinien. Nous sommes très proche de M. Mahmoud Abbas. Nous l'avons reçu, ainsi que sa délégation en France. Nous lui avons attribué une aide financière et nous essayons, pas seulement nous, Français et Egyptien, mais beaucoup d'autres pays, souhaitent et poussent à la reprise du processus de paix. C'est très important pour la conférence de paix souhaitée par les Américains..

Q - Concernant la crise libanaise, les Arabes voudraient parvenir à un règlement qui puisse satisfaire toutes les parties. Quel règlement souhaite la France ? Accepte-t-elle que le Hezbollah fasse partie de la vie politique libanaise ?
R - Oui, nous le voulons et nous avons invité le Hezbollah à Paris, et aujourd'hui, à, l'ambassade de France. Et nous les avons tous ensemble invités et ils ont recommencé à se parler, au niveau des responsables. Bien sûr que le Hezbollah fait partie de la communauté nationale libanaise. Sans aucun doute.

Q - Monsieur le Ministre, vous avez certainement noté cette méfiance qui prévaut entre les parties libanaises et je sais que vous ferez beaucoup pour l'atténuer. Mais il a été question de donner des garanties aux uns et aux autres pour aboutir à l'équation : élections présidentielles et gouvernement d'union nationale. Est-ce que la France peut proposer des garanties ?
R - La France ne peut qu'exprimer son opinion lorsqu'on le lui demande. La France ne peut pas intervenir dans le débat libanais, elle peut seulement faciliter les choses. Nous n'avons pas de plan précis, c'est aux Libanais ensemble d'affiner cette position. Et comme l'a dit mon collègue et ami, c'est difficile le Liban, c'est compliqué. Avec les influences extérieures, ça devient un des problèmes les plus difficiles du monde, et pourtant c'est l'endroit, je crois, où nous pouvons espérer une entente. Sur le sujet des garanties, il semblerait que, des deux côtés, des garanties puissent être fournies au niveau de l'élection présidentielle comme au niveau du gouvernement d'unité nationale.
Oui, la France fait ce qu'elle peut mais elle ne peut pas régler le problème à la place des Libanais. Il y a déjà bien d'autres pays qui s'en chargent, et ceux-là ont une action extrêmement négative sur ce qui se passe au Liban. Sur les 64 années depuis l'indépendance du Liban, 32 années ont été consacrées à la guerre. Alors quand il y a une crise au Liban, c'est très dangereux. Après la crise parfois, trop souvent, c'est l'affrontement qui arrive avec des souffrances horribles dans toutes les communautés.

Q - A Beyrouth, vous avez dit que la guerre est toujours possible au Liban. Est-ce que quelque chose dans l'entretien avec les différents leaders libanais vous a donné cette impression, quelque chose de précis, de concret ? Autre question : comment impliquer les différentes parties régionales dont vous parliez, dont l'Arabie saoudite, dans la recherche d'une solution ?
R - Sur la deuxième question, je ne répondrais pas maintenant puisque c'est l'objet de notre dîner. Et donc nous allons en parler avec nos amis de la Ligue arabe et avec le ministre saoudien et je vous en parlerai volontiers après. Mais j'ai une petite idée. Mon ami Ahmad Aboul Gheit aussi. Il ne faut pas abandonner le Liban à son sort. Car son sort, je n'ai pas dit que c'est forcément la guerre, j'ai simplement l'expérience de 16 ans de guerre au Liban. Donc, je sais que c'est dangereux. Mais en même temps, il y a un gros espoir au Liban, dont je n'ai pas encore parlé, dont nous n'avons pas eu le temps de parler, c'est la société civile. Pour la première fois, ce ne sont pas seulement les responsables politiques, les quatorze partis qui se sont réunis, en France et qui étaient réunis à Beyrouth ces deux derniers jours. C'est la société civile, et la société civile, c'est-à-dire pas seulement les organisations non gouvernementales, mais aussi les syndicats, les techniciens, les chercheurs. La société civile veut enfin se mêler de politique, toutes communautés confondues : les chiites, les sunnites, les chrétiens, les Grecs orthodoxes, tout le monde. Et ils ont créé une société, ils ont un manifeste qui va sortir demain et qui s'appelle "Khalass", "Assez". Ils demandent aux hommes politiques de régler le problème par les voies pacifiques de la politique et de la démocratie. C'est un phénomène très important dont j'espère que nous entendrons parler.

Q - Jusqu'à quel point pensez-vous que les initiatives que mènent la France, l'Arabie saoudite et la Ligue arabe au Liban, peuvent arrêter le spectre de la guerre dans ce pays ?
R - C'est une question très difficile. D'abord je voudrais vous dire et me féliciter des relations à propos du Liban, mais à propos de bien d'autres sujets aussi, des relations étroites, formidables, fraternelles, politiques, de l'Egypte et de la France. C'est un atout formidable. Sans ces relations-là, on ne pourrait pas être ici avec tant de simplicité et de fraternité. Avec d'autres comme l'Arabie saoudite, nous allons définir ce soir, comment faire pression pour que l'environnement, c'est-à-dire, soyons clairs, la Syrie et l'Iran, ne puissent pas exercer une influence qui conduirait à la guerre. Et donc il faut aussi que la situation soit éclairée de l'intérieur du Liban, par les Libanais eux-mêmes. S'ils arrivent à se mettre d'accord, personne ne pourra les en empêcher, parce que la pression internationale, l'Egypte et la France, en particulier, mais bien d'autres, parlons des Etats-Unis, parlons de l'Union européenne, seront là pour les aider. Mais, je vous assure, il faut très peu de choses pour que les Libanais s'entendent. Très peu de choses, mais ils ne s'entendent pas. Pourquoi ? Parce qu'ils manquent de confiance. Ils n'ont pas confiance les uns dans les autres. Ils n'ont pas confiance entre les communautés. Cela, c'est terrible. Et il faut du temps pour construire la confiance.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 juillet 2007