Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à Europe 1 le 2 août 2007, sur les négociations entre la France et la Libye en matière d'armement et de réacteur nucléaire et la libération des infirmières bulgares.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Je vous repose la même question au départ puisque c'est elle qui fait polémique. Vous vous êtes expliqué devant les sénateurs ce matin. Qu'en est-il d'un accord ou d'un contrat d'armement entre la France et la Libye ?
R - Elle n'est pas polémique, elle demande des explications. Cela s'est passé dans la meilleure ambiance. Il est tout à fait normal que des explications soient fournies sauf que ce document-là est un document confidentiel et que seules les deux parties en commun peuvent révéler. Il n'y a rien dedans, je l'ai signé, je le sais. C'est extraordinairement général et en particulier on ne parle pas de ces missiles Milan dont le fils de M. Kadhafi parle à pleines colonnes dans Le Monde. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de négociation. Il y a une négociation qui se poursuit, et pas seulement avec la France. Nous sommes en concurrence, depuis que M. Kadhafi a voulu renouer avec la normalité, avec l'exercice plein et entier de sa souveraineté au sein de la communauté internationale, en renonçant au nucléaire, en renonçant à sa politique d'agressivité.
Cela, c'était 2003. Dès 2004, les industries françaises, comme les autres, sont en négociation. Et je serai très heureux, si cela doit aboutir, d'un succès de la France. Ce que je peux vous dire, c'est que rien n'a été évoqué ni signé précisément dans les documents dont je suis responsable. Les autres documents qui sont consultables ont été fournis à la Commission et ils concernent en particulier le réacteur nucléaire, qui est évoqué dans un document très large, un mémorandum d'entente, et qui servirait à dessaliniser l'eau de mer.

Q - Pour essayer de trouver le dénominateur commun entre ce que vous me dites aujourd'hui et les déclarations de Saif al-islam Kadhafi dans Le Monde, est-ce qu'on peut essayer d'imaginer qu'une rencontre à ce niveau - Tripoli entre le président de la République française et le leader libyen - peut aider à débloquer des contrats commerciaux qui étaient en discussion et qui peut-être à cette occasion auraient donné le petit coup de pouce nécessaire pour les débloquer ?
R - Bien sûr que oui, et pour tous les pays c'est comme ça. Le fils Kadhafi n'était pas là. Il n'était pas aux entretiens. Vous croyez plus le fils Kadhafi que ce que je vous dis, c'est embêtant. Tous les contrats se négocient de la même façon et nous sommes en concurrence. Vous croyez que l'Angleterre, l'Allemagne, l'Autriche, que tout le monde, les Américains, toute l'Europe. Cette visite était prévue depuis longtemps et le président de la République avait dit qu'il n'irait pas si les infirmières et le médecin n'étaient pas libérés. N'oublions pas que tout ça était une négociation qui comme dans tous les cas, est une négociation difficile, secrète pour une part, ne soyons pas naïfs. Il ne s'agissait pas d'otages, il s'agissait des conséquences d'un jugement qui par deux fois avait condamné à mort des infirmières que nous jugions innocentes mais que les Libyens et l'ensemble du monde arabe jugent encore coupables.
Evidemment, pourquoi demander à la France, qui a réussi, ce qu'on ne demandait pas aux autres, qui ont échoué. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de se réjouir de ce que la diplomatie française - et je dis la diplomatie française, parce que le Quai d'Orsay, notre ambassadeur, tous les services y ont participé - a obtenu. Il s'agissait d'une promesse du président de la République qui concernait un otage, Ingrid Betancourt, et il s'y est donné à fond, personnellement. Il s'agissait de la conséquence d'un jugement pour les sept prisonniers médicaux et il s'y est donné à fond et c'était son dossier et il a négocié une journée et demi entière, directement, avec le président Kadhafi. Voilà la réalité.

Q - Est-ce qu'on peut dire, pour résumer, que ces contrats commerciaux, finalement, ont été aidés par cette visite ?
R - Pourquoi vous vous intéressez au côté mercantile et pas au côté Droits de l'Homme ? Pourquoi ne vous intéressez-vous pas à la libération ? Là, il y a une libération, parlons-en, quand même ! Il y a un cadre général. On dit on va vous aider dans le domaine de la santé, dans le domaine de l'agriculture, des choses comme cela. La seule chose particulière concernait le mémorandum d'entente sur le réacteur nucléaire. Lorsqu'il y aura des négociations, si elles se nouent entre les firmes françaises et le gouvernement libyen, il s'agira d'économiser 150 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, parce qu'avec un réacteur nucléaire, la dessalinisation se fait à beaucoup moindre coût pour le réchauffement climatique. C'est un espoir formidable pour l'union méditerranéenne. Toutes les visites de toute la terre, de tous les présidents quels qu'ils soient comportent non seulement des industriels - là il n'y en avait pas - mais aussi des négociations sur le plan des relations bilatérales commerciales, bien entendu.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 août 2007