Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à BFM le 2 août 2007, sur la libération des infirmières bulgares et les négociations avec la Libye.

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Média : BFM

Texte intégral

Q - (inaud)
R - Je n'ai absolument rien à cacher et il faut que les parlementaires soient informés. Une négociation comme celle là qui demande plusieurs années pour l'Union européenne et plusieurs mois a un aspect un peu caché. Dans toutes les négociations, dans toutes ces épreuves de force, il y a une part secrète. Vous ne m'avez pas posé la question sur le dernier otage en Afghanistan. C'est la même chose.
Donc, nous avons éclairé, nous n'avons rien caché, ni les relations avec nos partenaires européens, ni les trois documents que j'ai fourni à la Commission qui sont très clairs sauf le document de défense, parce que là, il y a un côté confidentiel et il faut demander aux deux parties si elles sont d'accord et je vais le demander et je vous le fournirai.
Il n'y a pas eu de contrepartie, il n'y a pas eu d'argent donné et il n'y a pas eu d'accord précis sur aucun armement. Il y a eu des négociations avec la France en particulier et avec d'autres pays en général depuis 2004-2005.

Q - En même temps, quand le fils du colonel Kadhafi dit qu'il y a eu négociation de matériel militaire, notamment de livraison de missiles anti-chars, que pouvez-vous répondre ?
R - Je peux répondre qu'il témoigne d'un cynisme particulier, parce qu'à la fois rien n'a été signé sur ce contrat d'armes et en même temps il dit ne jamais avoir cru en la culpabilité des infirmières. Le fils du guide, c'est quand même curieux, n'est-ce pas ? Donc, je me méfie un peu de ses déclarations, c'est le moins que l'on puisse dire.
Vous savez, et je vous le dis les yeux dans les yeux, tout le monde dans le monde arabe croyait en la culpabilité des infirmières et que nous, nous n'y croyions pas. Cela fait une énorme différence. Ils nous ont pris pour des gens malhonnêtes qui venaient discuter d'une décision de justice qui leur paraissait évidente. Elles avaient contaminé les enfants. Et nous savions qu'elles n'avaient pas contaminé les enfants. C'est cela la vraie différence, qui a fait toutes ces négociations terribles et un succès inespéré de Nicolas Sarkozy et de Cécilia Sarkozy car il y a toujours dans les négociations de ce genre une part personnelle de talent, de moments choisis particuliers, presque inespérés. Voilà ce qui s'est fait. Pour le reste, nous n'avons rien à cacher.

Q - Il est quand même difficile de croire qu'il n'y a eu aucune négociation, aucune compensation à cette libération.
R - Il n'y a eu aucune compensation de la part de la France, c'est ce qu'à dit le président de la République. Quant aux négociations, elles étaient nouées depuis longtemps et nous n'avons rien signé, nous n'avons même pas signé au sujet de ce réacteur nucléaire qui permettrait de dessaliniser l'eau de mer, ce que tout le monde souhaite, et faire circuler de l'eau potable dans tout le pourtour sud de la Méditerranée. C'est un mémorandum d'engagement, qui - j'ai fourni le document - sera, s'il y a une négociation avec la firme qui le fournira, il n'y en a pas pour le moment, à ma connaissance, contrôlé par EURATOM et par l'AIEA, complètement et de façon transparente. Ce n'est pas un "truc" pour faire la guerre, c'est un "truc" pour déssaliniser l'eau de mer.

Q - Pouvez-vous nous éclairer dans ce cas sur l'intérêt du fils Kadhafi à faire de telles déclarations ?
R - Qu'il dise que ces infirmières n'étaient pas coupables, alors pourquoi les a-t-on torturées, pourquoi les a-t-on laissées en prison ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Vous avez vu le récit du médecin palestinien dans la presse ? Un peu dur pour des gens innocents, n'est-ce pas ?

Q - Que pensez-vous des déclarations de vos camarades socialistes, notamment de M. François Hollande, que vous n'avez eu aucune maîtrise dans ce dossier ?
R - Je dis que ce pauvre François est bien mal inspiré de s'attaquer à moi avec de vraies questions pour de mauvaises raisons.

Q - Et le socialiste Julien Dray qui demande une nouvelle audition devant la commission des Affaires étrangères ?
R - Quel bonheur, voilà que Julien Dray s'intéresse à moi ! Ecoutez, cela n'est pas sérieux. C'est de la polémique politicienne. Ce qui est sérieux, c'est que nous avons réussi là tout le monde avait échoué. Et ce n'est pas pour faire "cocorico" parce que la Commission avait été associée. M. Barroso était tenu au courant en permanence. Mme Ferrero-Waldner était là-bas. La conférence de presse de M. Sarkozy a eu lieu en même temps, sur le même sujet et avec les mêmes mots. C'est donc un triomphe pour l'Europe, pour son obstination, pour la présidence allemande et une espèce de chance extraordinaire pour Nicolas et pour Cécilia Sarkozy qui ont contribué de façon très déterminante à la libération. C'est cela qui compte, le reste est politique politicienne.

Q - Vous n'avez pas parlé de la libération de l'agent libyen. Qu'en savez-vous ?
R - Cela concerne les Anglais. A mon avis, cela doit être aussi suspect que¦ du point de vue français, je n'ai pas à commenter les déclarations du fils Kadhafi sur une allégation de libération.

Q - Cela vous agace, les critiques sur votre rôle ?
R - Cela ne m'agace pas, cela me fait rire. Ce qui compte c'est qu'au même moment et cela, personne ne le salue, alors que ma première réunion était sur le Darfour au Quai d'Orsay, la résolution 1769 a été votée à l'unanimité la veille. Ce qui m'intéresse, c'est ce que l'on fait sur le Liban, ce que l'on fait sur le Moyen-Orient en général. Et je pense aux promesses du président, sur Ingrid Betancourt. Là-aussi il a pris le dossier en main lui-même. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Sur la libération des infirmières, il a pris aussi le dossier en main. Cela nous a permis de faire libérer ces personnes qui étaient dans une situation horrible. Voilà, cela c'est intéressant.

Q - Un point qui intéresse la France. Vous avez cité la commissaire européenne. L'argent libyen, l'argent français, l'indemnisation des familles?
R - L'argent allemand, l'argent britannique, l'argent chinois, l'argent japonais¦arrêtez ! Il n'y a pas d'argent français.

Q - Encore une fois, c'est une allégation du fils Kadhafi?
R - Je sais que nous n'avons pas donné d'argent.
En tous cas, les infirmières bulgares et le médecin palestinien devenu bulgare ont été libérés.

Q- L'ensemble de la population mondiale s'en réjouit. Pas vous ?.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 août 2007