Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France 2 le 22 août 2007, sur le bilan de son voyage en Irak et l'inflexion de la position française.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Bonsoir Monsieur le Ministre, vous revenez d'une visite de trois jours en Irak. Avez-vous trouvé dans ce voyage, quelques raisons d'espérer mettre fin, d'une façon ou d'une autre, à ce bain de sang ?
R - Oui, une timide raison, une petite raison, mais je crois qu'il fallait y aller pour entendre les Irakiens. De l'extérieur, de loin, nous avons une vision, une impression d'horreur - et cette impression est justifiée -, mais on se rend mal compte de la complexité du problème.
Bien sûr, les Américains doivent se retirer. Ils se retireront. Mais aucun de mes interlocuteurs, même les plus farouchement anti-américains, n'a exigé qu'ils se retirent maintenant, tout de suite.
C'est donc très émouvant et en même tant très angoissant. Il faut que cette guerre s'arrête et c'est là, de mon point de vue, que se joue une partie du sort du monde, une partie de l'avenir de nos enfants.
Q - Quel rôle la France ou l'Europe peut-elle jouer ? Les esprits sont-ils mûrs, y a-t-il un début de commencement d'une conférence ou au moins l'idée de se mettre autour de la table ?
R - Non. Pas maintenant et d'ailleurs, je ne l'ai pas proposé. J'ai évoqué la possibilité de participer au dialogue, d'entendre.
La France doit être là-bas, c'est sa place. Nous sommes un pays écouté dans le monde, nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité et, je le répète, l'avenir du monde dépend de ce qui se joue là-bas. Tous les problèmes se manifestent là-bas : le terrorisme, les affrontements entre les religions, les affrontements des communautés, le pétrole, l'énergie, la bombe atomique, les pays environnants. Chacun a des milices, et la politique se termine souvent par un assassinat.
La France se devait d'être présente. Il y a longtemps qu'elle n'y était pas et on l'y attendait.
Oui, je suis un peu optimiste, mais cela prendra du temps et il faut sans doute que la solution passe par l'Organisation des Nations unies. La France est prête à appuyer cette position.
Q - Votre voyage est tout de même la marque d'un tournant diplomatique. Jusqu'ici, la France était tenue un peu ostensiblement à l'écart de l'Irak. Vous laissiez les Américains s'embourber sans vous en mêler.
R - En effet, vous n'avez pas tort, on disait : "détournez-vous, il n'y a rien à voir".
Nous avons affirmé notre position, il ne faut pas faire la guerre : certainement pas de la façon dont les Américains l'ont faite, c'est-à-dire qu'ils l'ont très vite gagné cette guerre. Mais, franchement, même parmi les partisans de Saddam que j'ai également rencontrés, personne ne regrette le dictateur dont je rappelle - et vous avez donné des chiffres - qu'il a été à l'origine -personne ne s'entend sur le chiffre - du fait que deux à quatre millions d'Irakiens ont été tués, maltraités, torturés.
Personne ne le regrette. Tout le monde sait que la France avait une position différente de la position américaine. Il n'empêche - et tout le monde a été ravi, vraiment tout le monde, l'accueil a été chaleureux et formidable - que ce furent des situations horribles. Je pense que la France était attendue.
Q - Vous avez notamment rencontré l'un des patriarches des chrétiens d'Orient qui ne sont pas très bien traités, c'est le moins que l'on puisse dire ?
R - Ils sont très maltraités, les communautés s'affrontent. Il y avait 1.200.000 chrétiens, dont 80 ou 85 % de chaldéens. C'est l'une des premières religions du monde, ils sont installés en Irak depuis le premier siècle après Jésus-Christ. Pourtant, ils ne sont plus, maintenant, que 400.000. Les églises sont fermées, les gens sont forcés de disparaître, assassinés même. On les maltraite en permanence. Et qui agit de la sorte ? Les autres religions.
Ne soyons pas naïfs alors. Je veux bien espérer que viendra du ciel une solution, mais "Aide-toi, le ciel t'aidera".
Il fallait que la France soit là-bas, on l'a très bien compris sur place, j'espère qu'il y aura une suite à tout cela. Il faut écouter les gens d'abord. En général, les ministres restent trois heures puis ils s'en vont. La situation n'est pas bonne, je le reconnais. Mais il faut pouvoir toucher les gens, les écouter longuement, revenir, réfléchir à leurs arguments. C'est cela maintenant la politique étrangère comme l'on dit, une politique qui doit tous nous concerner. C'est nous que nous allons rechercher là-bas et si nous nous désintéressons d'un chaos comme celui-là, d'une barbarie comme celle-là, alors, cette barbarie risque de nous atteindre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 août 2007