Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RTL le 3 septembre 2007, sur la fusion GDF Suez, la réduction des effectifs dans la fonction publique et la politique salariale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, F. Chérèque. Bonjour. On en a parlé pendant 18 mois, et puis ça va être officiel dans à peu près une heure, Gaz de France et Suez vont fusionner. L'auditrice qui nous a précédés supputait que cela vous rendrait grognon, F. Chérèque. Elle a raison ?
 
R.- Je pense qu'elle se trompe sur le sujet pour lequel je ne suis pas satisfait ce matin. La CFDT a toujours dit que cette fusion Gaz de France - Suez avait du sens, au niveau industriel, à une condition : qu'on ne démantèle pas Suez.
 
Q.- Et c'est fait, çà ?
 
R.- Et c'est fait. C'est-à-dire que l'engagement qu'il y avait qui était fort, vis-à-vis des 60.000 salariés de Suez, c'était qu'on ne couperait pas leur entreprise en morceaux. Or, c'est ce qu'on fait. On est en train d'abandonner l'environnement de Suez : c'est l'eau, c'est les déchets, c'est un enjeu énorme au niveau environnemental, et on va mettre ça à la Bourse, aux prédateurs financiers. Je pense qu'on fait une grosse erreur de démanteler Suez ; et je remarque que le président de la République reçoit un syndicat des représentants des salariés de l'entreprise publique mais néglige totalement les salariés du privé qui, eux, n'ont pas de connaissances sur leur avenir, et là on a un désaccord total sur le démantèlement de Suez.
 
Q.- Le président de la République a reçu F. Imbrecht de la CGT...
 
R.- Oui.
 
Q.- C. Guéant, hier, au "Grand Jury", donc secrétaire général de l'Elysée, disait : "L'Etat n'a pas vocation à être actionnaire d'une entreprise qui travaille dans l'Environnement".
 
R.- Ah, on plaisante. On est à - comment dirais-je - à un mois du Grenelle de l'Environnement, on va parler quoi ? On va parler de l'eau, on va parler de l'énergie. Mais que dit M. Borloo, le numéro 2 du Gouvernement ? Il n'existe pas sur ce sujet-là. Et là, on a un sujet environnemental, y compris au niveau de l'électricité ou du gaz. On a un problème de cohérence européenne pour l'achat du gaz. Alors, rappelons-nous pourquoi cette démarche au départ ? On avait peur qu'ENEL, entreprise d'électricité italienne, mette la main sur Suez et démantèle Suez. Or, on est en train de faire la même chose, de faire une alliance avec Suez : on démantèle Suez et la France met la main sur l'électricité et sur le gaz du numéro UN belge, sans du tout se concerter avec les Belges ; c'est-à-dire on tourne le dos à une réflexion européenne. Là, il nous semble que... Et là, je ne suis pas à l'inverse de ce que disait Madame, à défendre le statut des salariés du public, même si je dois le défendre bien évidemment... Mais on est là sur une logique européenne, on tourne à la logique européenne, et puis, on ne prend pas en compte un problème environnemental qui est fort et l'intérêt des 60.000 salariés qui, apparemment, ne comptent pas pour le Président de la République.
 
Q.- Peut-être J.-L. Borloo vous aura entendu ce matin sur RTL, F. Chérèque, peut-être on le sollicitera aussi. On verra bien. Ce matin, c'est la pré-rentrée pour les enseignants. Demain, les gros bataillons d'élèves suivront. On parlera sans doute beaucoup dans les salles de professeurs des suppressions de postes dans l'Education nationale, plus largement dans la fonction publique. Hier, à votre franchise, qu'est-ce que vous en pensez, F. Chérèque. C. Lagarde a dit : "Dans la fonction publique, il y aura un plan de rigueur" ?
 
R.- On y est déjà à la rigueur. Lorsqu'on supprime 22.000 ou 23.000 postes...
 
Q.- 22.700.
 
R.- 22.700 postes dans la fonction publique, que l'on est à six ans, sans accord salarial, on est dans une démarche de rigueur et de difficultés. Donc, là, je crois qu'il y a eu un aveu de franchise et je dois reconnaître qui est honnête de la part de ministres, et puis beaucoup de langue de bois de la part de M. Guéant sur ce sujet-là.
 
Q.- Guéant a parlé de "revalorisation" de la fonction publique.
 
R.- On revalorise comment ? En bloquant les salaires et en supprimant des fonctionnaires, on ne revalorise pas.
 
Q.- C'est aussi ce que disait F. Fillon : si les fonctionnaires acceptent de voir leurs postes diminuer, ils seront mieux payés. Il le disait l'autre jour sur TF1.
 
R.- Vous savez très bien qu'il y a 5 millions de fonctionnaires, qu'on ne revalorise pas les autres fonctionnaires avec le gain qu'on pourra faire sur ce sujet-là. Non, je crois qu'il faut qu'on sorte de cette spirale qui est une spirale négative de la fonction Publique et qu'on rediscute enfin. Qu'est-ce qu'on veut faire des fonctionnaires ? Quel est l'avenir de la fonction publique et les fonctions qu'on veut assigner à la fonction publique ? Qu'est-ce qu'on veut comme services aux usagers de la fonction publique ? Ensuite, on débattra du nombre et du niveau de qualification des fonctionnaires. On n'a pas de tabou sur le nombre de fonctionnaires mais on ne peut pas avoir une réforme de la fonction publique au niveau comptable sans avoir un débat sur l'avenir de l'Etat et l'avenir des missions qu'on assigne à l'Etat.
 
Q.- Pensez-vous que la formule de C. Lagarde va susciter de la mauvaise humeur, peut-être des grèves dans la fonction publique ?
 
R.- La mauvaise humeur, elle est là. Donc, je crois qu'il faut dépasser ce type de formule. Et je répète : travailler avec les fonctionnaires, travailler à l'Assemblée Nationale, sur ce que l'on veut donner comme service et qu'on discute ensuite du nombre de fonctionnaires. La CFDT n'est pas bloquée sur une réflexion sur l'avenir de l'Etat ; encore faut-il qu'on n'en parle pas uniquement au niveau comptable.
 
Q.- Jeudi, le président de la République s'est exprimé devant le Medef, certains en ont été choqués. Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
 
R.- Moi, j'ai toujours dit que... Le Président de la République parlait d'économie devant les patrons, je ne vois pas ce qu'il y avait à revoir. C'est eux qui tiennent l'économie. Moi, je suis plutôt déçu par le discours. C'est-à-dire qu'on nous parlait d'un plan de relance de l'économie, on n'a eu rien du tout. On a eu un bon discours de motivation des patrons, c'est bien. Je pense que B. Laporte a des exemples à avoir en termes de motivation pour la Coupe du Monde de rugby ; mais sur le fond et sur les orientations économiques : rien du tout.
 
Q.- Il y avait quand même çà : "Je suis favorable, a dit N. Sarkozy, à ce que soit ouverte la possibilité d'une séparation à l'amiable entre employeur et employé d'entreprise".
 
R.- Oui, là c'est une ingérence dans une négociation qui va avoir lieu.
 
R.- Voyez, vous lui reprochez de ne rien dire, et quand il dit quelque chose...
 
Q.- Mais çà, c'est pas fondamental pour l'économie. On donne l'impression qu'on va régler le problème de l'économie sur juste ce problème-là. On ouvre une négociation avec le patronat, que le président de la République prenne partie dans cette négociation, c'est déplacé. Mais il y a d'autres choses qu'il a dites, bien évidemment, c'est pas totalement... Par exemple, il a parlé des 35 heures. Oui. Et il est en train de dire aux salariés...
 
R.- "Je veux aller beaucoup plus loin dans l'assouplissement"...
 
R.- Mais alors qu'est-ce que ça veut dire : aller plus loin. C'est qu'après avoir vendu : "Travailler plus, pour gagner plus", il est en train de nous demander de renégocier dans les entreprises, "travailler plus, sans gagner plus". C'est-à-dire qu'il est en train de se rendre compte que ce qu'il a vendu dans sa campagne électorale, n'est pas quelque chose qui est possible dans les entreprises. Il est en train de changer de direction sur les 35 heures. Et aujourd'hui, on va nous demander à nous, les syndicats, d'expliquer aux salariés : que s'ils travaillent plus, ils ne gagneront pas plus. C'est exactement ce que j'ai dit dans la campagne électorale.
 
Q.- Vous n'étiez pas candidat ; mais quand vous commentiez la campagne électorale...
 
R.- Quand j'ai interpellé...
 
Q.- Vous êtes de mauvaise humeur, ce matin, F. Chérèque. Vous êtes de mauvaise humeur ? Vous en voulez un peu au président de la République ? Vous pensez que ça ne démarre pas très bien cette rentrée ?
 
R.- Ecoutez, je pense que lorsqu'on dit une chose aux salariés, qu'on fait l'inverse, c'est pas bon. Je crois qu'on ne peut pas régler les problèmes que par des coups. Je crois qu'il faut regarder les choses globalement, c'est-à-dire que la politique économique du gouvernement aujourd'hui qui devait relancer par une baisse d'impôts, un cercle vertueux de la consommation, risque d'être un échec et Mme Lagarde l'a dit. Donc, on va vivre des moments difficiles. Mais ceci dit, je suis, comment dirais-je, plein de dynamisme dans le sens où on ouvre une négociation avec le patronat - c'est notre interlocuteur privilégié - une négociation sur le marché du travail pour lutter contre la précarité des emplois et je pense que j'ai un grand espoir pour faire en sorte que les salariés qui sont le plus en difficulté, trouvent un avenir meilleur dans cette négociation.
 
Q.- Cette négociation, vous l'ouvrez vendredi. Vous avez déjeuné au restaurant, le 23 août avec N. Sarkozy, et vous avez dit en sortant : "C'était bien agréable !"
 
R.- Ah non... j'ai pas...
 
Q.- Ah, c'est entre guillemets : "bien agréable et très intéressant".
 
R.- Le président de la République est quelqu'un d'un commerce agréable ; ce qui ne veut pas dire qu'on est obligatoirement d'accord avec ce qu'il fait, c'est ce que je viens de dire.
 
Q.- Et vous aviez bien mangé, peut-être ?
 
R.- Ah, c'est pas ça l'important !
 
Q.- C'était pas important. F. Chérèque, plein de dynamisme, a-t-il dit, était l'invité de RTL ce matin.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 septembre 2007