Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT dans "Le Nouvel Observateur" du 6 septembre 2007, sur les effectifs et la politique salariale dans la fonction publique et la TVA sociale.

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Média : Le Nouvel Observateur

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Le Nouvel Observateur. Comment voyez-vous cette rentrée, avant la première rencontre le 7 septembre, avec le Medef, sur le contrat unique, et les 22 700 suppressions d'emplois, dont la moitié d'enseignants dans la Fonction publique ?
François Chérèque. Cette année est marquée par l'ouverture de nombreuses négociations : les rencontres sur le contrat de travail, mais aussi les conférences sur les conditions de travail, les salaires, l'environnement, l'égalité hommes-femmes. Sur tous ces sujets, il y a chez les Français d'énormes attentes. Certes le président de la République et le gouvernement sont très populaires dans les sondages. Mais ils seront jugés sur les résultats.
Le Nouvel Observateur. Mais les fonctionnaires grognent, surtout les enseignants. Y aura-t-il des mouvements ?
François Chérèque. Il faut être lucide. Il ne suffit pas de claquer les doigts pour que des mouvements démarrent.
Le Nouvel Observateur. Le gouvernement veut réformer le contrat de travail...
François Chérèque. Un rappel tout d'abord. La loi de janvier 2006 sur le dialogue social impose au gouvernement de laisser les partenaires sociaux négocier avant de légiférer. Cette négociation n'est donc pas l'affaire du gouvernement, mais du patronat et des syndicats.
Le Nouvel Observateur. Mais qu'en attendez-vous ?
François Chérèque. Nous constatons que le marché du travail fonctionne de plus en plus mal. 70 % des embauches se font sur des emplois précaires. Les jeunes ont d'énormes problèmes pour trouver un emploi. Les licenciements individuels sont plus nombreux que les licenciements collectifs. Enfin, les chefs d'entreprise se débarrassent toujours autant des seniors. Nous voulons simplifier le nombre de contrats de travail, anticiper les problèmes qui vont se poser aux salariés. Certains droits doivent être attachés aux travailleurs et non plus à l'entreprise. Il faut, aussi, accompagner les chômeurs et, évidemment, réfléchir sur la formation tout au long de la vie. D'autres pays, en Europe, l'ont fait. Pourquoi pas la France ?
Le Nouvel Observateur. La présidente du Medef, Laurence Parisot, veut obtenir plus de facilités pour licencier...
François Chérèque. Je suis syndicaliste. Je vois que la précarité explose et on nous dit que le Code du travail est trop protecteur. Notre devoir est de faire évoluer les droits des salariés, sans nuire au fonctionnement de l'économie. Parce que notre objectif, ce n'est pas uniquement de défendre l'emploi, c'est, aussi, d'en créer.
Le Nouvel Observateur. Dans quel état d'esprit, selon vous, le Medef aborde-t-il cette négociation ?
François Chérèque. Il donne le sentiment de vouloir aller jusqu'au bout de la discussion. Celle-ci ne sera pas facile. Mais pas de procès d'intention. Nous sommes tous dans la même situation : le devoir de résultat.
Le Nouvel Observateur. Le gouvernement vous a donné une date butoir pour réussir : la fin de l'année...
François Chérèque. Si nous voyons à la fin de l'année que nous pouvons aboutir, il peut bien nous donner un mois ou deux de plus. On n'est pas à deux mois près ! Mais si (...) nous ne pouvons pas nous mettre d'accord, le gouvernement fera ce qu'il lui plaira. Attention ! Le train ne passera pas deux fois.
Le Nouvel Observateur. Les salariés ont des droits, mais aussi des devoirs...
François Chérèque. Je souris quand j'entends ça ! Depuis les lois de Jean- Louis Borloo, le précédent ministre du Travail, un chômeur est sanctionné quand il refuse deux emplois. Le problème, c'est moins l'attitude du demandeur d'emploi que l'incapacité de l'économie à lui proposer du travail.
Le Nouvel Observateur. La France manque de plombiers, d'électriciens...
François Chérèque. C'est le problème de la formation initiale. 160 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification, tous les ans. Ensuite se pose le problème, je le répète, de la formation continue. Dans cette négociation sur le contrat de travail, nous demanderons que l'on fasse un effort particulier en faveur des chômeurs dont la qualification ne correspond pas au marché du travail. Nous ferons début 2008 de nouvelles propositions sur l'évolution de notre système de formation. C'est un sujet lourd, qui prendra du temps. Il faut simplifier les réseaux de financement, en associant les responsabilités des régions, des branches professionnelles et de l'État. Par ailleurs, il faut bien évidemment revaloriser ces métiers.
Le Nouvel Observateur. Nicolas Sarkozy veut fusionner l'ANPE et l'Unédic...
François Chérèque. Cessons de dire que rien n'a été fait ! Grâce à la CFDT, la mise en place de guichets uniques est engagée. L'objectif ? Le chômeur ne doit plus avoir qu'un seul interlocuteur pour tenter de retrouver un travail et percevoir ses allocations. Alors, pourquoi tant de précipitation ?
Pourquoi faire croire aux Français qu'une opération miracle va bouleverser les choses ? Je me demande, ça s'est déjà fait avec Lionel Jospin, si le gouvernement ne lorgne pas les nouveaux excédents de la Caisse nationale d'assurance chômage. Le ministre de l'Emploi n'a plus un sou. La preuve ? Il vient de supprimer les emplois aidés, créés pour une durée de cinq ans par la loi de cohésion sociale. D'accord, on peut améliorer le système, mais tout est déjà dans les tuyaux. Le reste dépend des négociations sur le contrat de travail.
Le Nouvel Observateur. Revenons sur la réforme de l'État et la suppression de 22 700 emplois dans la Fonction publique...
François Chérèque. On ne peut pas parler de réforme de l'État quand l'approche se limite au comptable ! Nous n'avons pas de tabou sur ce sujet à condition que l'on ne se trompe pas de débat.
Le Nouvel Observateur. C'est-à-dire ?
François Chérèque. Discutons d'abord des objectifs que l'on assigne à la Fonction publique, de quel type de fonctionnaires on a besoin pour répondre à ces objectifs. Cela doit se faire en associant les fonctionnaires. La majorité demande une vraie réforme du dialogue social pour le secteur privé. Pourquoi ne pas faire la même démarche dans le public ? Et sur ce sujet, le gouvernement, comme ceux qui l'ont précédé, ne balaie pas devant sa porte. C'est quand même surprenant ! Quand un patron du CAC 40 supprime 1 500 emplois en France, il est convoqué par le président de la République. Quand le gouvernement annonce 22 700 suppressions de postes de travail, il faudrait trouver ça normal.
Le Nouvel Observateur. Jusqu'où voulez-vous aller ?
François Chérèque. On peut faire en sorte que les lieux de négociation soient moins centralisés, qu'ils soient plus proches des différentes réalités des Fonctions publiques. Et organiser la mobilité des salariés. Quand la CFDT parle de sécurisation des parcours professionnels, elle pense aussi aux fonctionnaires. Ceux-ci peuvent changer de métier, de Fonction publique, éventuellement aller dans le secteur privé, puis revenir dans la Fonction publique. Mettons fin à ces carrières linéaires qui bloquent un fonctionnaire toute sa vie, qui font, qu'après 40 ans, sa carrière est arrêtée, son salaire ne bouge pas.
Le Nouvel Observateur. Êtes-vous prêts à négocier un changement de statut ?
François Chérèque. Oui, il doit évoluer.
Le Nouvel Observateur. Quid de la TVA sociale ?
François Chérèque. Elle frapperait deux fois plus les revenus des ménages les moins rémunérés que ceux des plus aisés. Cette réforme se ferait au détriment des plus modestes. (...) Je croyais aussi qu'on devait en débattre. Du côté d'Eric Besson, le secrétaire d'État à la Prospective chargé de rendre un rapport sur ce sujet fin août, c'est silence radio. Il y a certaines habitudes qui passent apparemment du Parti socialiste à l'UMP...
Le Nouvel Observateur. Mais le déficit de la Sécurité sociale ne cesse d'augmenter...
François Chérèque. Oui. Et qu'est-ce qu'on nous propose ? Des franchises. En clair, ce sont les patients qui vont payer la facture. Et on continue de laisser filer le problème de fond : le système de soins. Je constate qu'on ne demande pas d'efforts aux médecins. Il faut dire qu'ils ont un poids électoral considérable. C'est comme ça, entre autres, qu'est tombé Alain Juppé après sa réforme de la Sécurité sociale...
Le Nouvel Observateur. Où en est l'unité syndicale ?
François Chérèque. Nous avons des contacts réguliers. Ce qui est médiatisé, c'est « Thibault-Mailly-Chérèque » ensemble dans la rue. Mais les relations intersyndicales peuvent aussi se nouer autour d'une table de négociation. À condition qu'on avance en commun sur certains sujets.
Le Nouvel Observateur. Quel bilan faites-vous de la politique de Nicolas Sarkozy ?
François Chérèque. Il est trop tôt pour parler de bilan. Le président de la République donne l'impression d'un responsable politique qui se préoccupe des problèmes des Français. Il occupe le terrain sur les questions de société comme la pédophilie, la délinquance ou encore les problèmes sociaux, en invitant les salariés d'Alcatel ou d'Airbus. Même si ça ne résoud rien. D'après le dernier sondage du « Figaro », 80 % des Français le trouvent courageux, mais 73 % démagogique. Ils ne sont pas dupes. Ils apprécient ce président dynamique, mais ils le mettent sous surveillance. Il prend des mesures qui, pour l'instant, n'entraînent pas ou peu de réactions hostiles importantes. Mais quand on regarde le fond, quand on les relie entre elles, elles posent problème pour la solidarité nationale.
Le Nouvel Observateur. Concrètement ?
François Chérèque. Un exemple : l'intégration de la CSG dans le bouclier fiscal. En clair, ça baisse la contribution des plus riches au financement de la Sécurité sociale; cela rompt le principe « on paie en fonction de ses revenus ». Même chose sur l'augmentation des franchises sur les actes médicaux. Là, c'est le principe selon lequel « on se soigne en fonction de ses besoins » qui est attaqué.
Le Nouvel Observateur. Vous avez fait un tabac lors de la récente université d'été des Gracques, ces anciens conseillers de gauche, dont certains sont devenus des grands patrons...
François Chérèque. Contrairement à ce que votre journal a écrit à l'occasion de cette journée, je ne suis pas devenu le « patron » de la gauche. Attention ! La CFDT est indépendante, et j'y tiens. On m'a demandé d'intervenir sur les rapports de la société civile avec les politiques, en particulier la gauche. J'ai dit qu'il fallait que chacun reste à sa place et assume son rôle. Je n'entrerai jamais dans un club politique, quelle que soit sa couleur.
Propos recueillis par Martine Gilson, Jean-Gabriel Fredet, Thierry Philippon source http://www.cfdt.fr, le 7 septembre 2007