Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à RCJ et GuysenTV le 11 septembre 2007, sur le bilan de sa tournée en Israël et dans les Territoires palestiniens et le sort du soldat franco-israélien Gilad Shalit.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient du 10 au 13 septembre 2007

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, vous venez d'effectuer une tournée politique très approfondie, à la fois dans les Territoires palestiniens et auprès des responsables politiques israéliens, y compris une rencontre avec le chef de l'opposition M. Benyamin Netanyahu. Qu'est-ce qui ressort de ces entretiens ? Avez-vous le sentiment que quelque chose se développe dans le dialogue engagé entre Ehud Olmert et Mahmoud Abbas ? Est-ce que l'on peut s'attendre à une percée en direction d'un accord-cadre ?
R - On l'espère. Je ne sais pas. Je crois que oui mais ce qui me préoccupe, c'est que j'ai vu un certain nombre de gens mais pas assez de gens de terrain. C'est très joli les pourparlers entre les hommes politiques, c'est très important et c'est essentiel, mais ce qui se passe sur le terrain, en Cisjordanie comme à Gaza, va conditionner le reste.
Il faut donner une vie meilleure, la perspective d'une vie meilleure aux Palestiniens des Territoires. Si on peut leur fournir l'espoir d'un Etat palestinien, c'est déjà formidable. Je l'espère. A quel moment ? Pendant la conférence de novembre, aux Etats-Unis ? J'imagine. Avec quels invités ? Je n'en sais rien. Mais enfin, cela a donné un mouvement à toute cette nécessité. Enfin, après tant d'années, on pourrait peut-être avoir une bonne perspective. Rien ne sera terminé, il y aura beaucoup de choses à régler mais la reconnaissance de la nécessité d'un Etat palestinien est nécessaire, après on verra. Mais attention, si cela se passe mal sur le terrain, si les gens vivent mal et qu'ils n'ont pas de perspective de vie meilleure, alors cela ira mal.

Q - Est-ce que les Israéliens ont évoqué des obstacles particuliers pour l'avancée de ces négociations ?
R - Non, ils sont très prudents et je crois qu'ils ont raison. Les pourparlers, les contacts étaient secrets. Ce n'est pas mal et ils ne veulent pas d'interférence. Ils ne veulent pas que les gens donnent des conseils autour et ils ont raison. La France est décidée à être d'accord avec tout ce qui sera accepté en commun par les Palestiniens et les Israéliens. On verra bien. Encore une fois, il y a quelque chose de changé.

Q - Un des problèmes majeurs du point de vue des Palestiniens, c'est la question de la confiance. Vous avez rencontré longuement le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ainsi que le Premier ministre palestinien Salam Fayad. Avez-vous le sentiment que les Palestiniens aujourd'hui ont confiance en Israël et envisagent un aboutissement ?
R - Oui, très clairement, je le crois. Ne les décevons pas. Quand je dis nous, je me mets dans l'affaire. Je me sens Israélien pour ne pas les décevoir et je me sens d'ailleurs Palestinien pour demander très précisément aux Israéliens que quelque chose améliore la vie politique des Palestiniens qui vivent dans les Territoires. A Gaza aussi. N'abandonnons pas Gaza sous prétexte qu'on ne parle pas au Hamas. Je comprends qu'on ne parle pas au Hamas maintenant. Mais je veux aussi que l'Union européenne continue - et elle le fera - de donner un soutien aux Palestiniens qui sont bloqués à Gaza.

Q - Justement, le fait qu'il y ait deux pouvoirs, deux têtes. Le Hamas dans la bande de Gaza et Mahmoud Abbas en Cisjordanie, est-ce que cela ne condamne pas à brève échéance les négociations ?
R - Non, cela les avait condamnées avant et je pense que cela leur donne une chance maintenant. Mais il ne faudra pas négliger Gaza, bien sûr. Il faut donner une perspective aux Palestiniens et leur montrer que les choses changent pour eux avec la paix entre Israël et cet Etat palestinien. Voilà ce que l'on veut leur démontrer. J'espère que ce sera fait.

Q - Quelle est l'implication, Monsieur le Ministre, de la France et de l'Europe dans cette conférence de paix prévue en novembre à Washington ? Quel rôle comptez-vous jouer ?
R - Je n'en sais rien. Personne n'en sait rien. Je souhaite que la France soit invitée ainsi que d'autres pays d'Europe, d'autres nations. Il y aura apparemment une représentation du Quartet. Ce n'est pas suffisant. Mais je ne peux pas répondre pour chacun des pays européens.
La France, qui est un allié d'Israël comme un allié des Palestiniens, a une place très particulière. Nous sommes depuis le début, depuis la création de l'Etat d'Israël, aux côtés des Israéliens. Il y a eu des hauts et des bas, des difficultés, du général de Gaulle à Jacques Chirac. C'est normal dans des relations entre nations mais il y a une vraie amitié et, je dirais, des sentiments d'affection et d'amour. Nous avons une place politique dans cette Conférence.
Maintenant l'Europe... Vous savez, la France a proposé de ne pas rompre avec le Hamas s'il gagnait les élections. Ce n'est quand même pas la faute du Hamas s'ils ont gagné les élections. C'est la faute des autres qui n'ont pas gagné. Nous avons pensé qu'il fallait continuer à apporter notre aide. Je le pense encore. Il y a une aide qui vient d'Europe et de la Commission européenne qui est très importante : 400 millions d'euros. Ce n'est pas suffisant mais c'est quand même beaucoup. Il faut que les Palestiniens se prennent un tout petit peu en charge. Mais la France sera à leurs côtés. Pas du côté des lanceurs de missiles, des assassins, des terroristes. Cela non ! Jamais.

Q - Sur le dossier iranien, le président Nicolas Sarkozy a fait des déclarations très fermes en disant qu'un Iran doté d'une arme nucléaire était vraiment inacceptable. Est-ce que vous partagez cette même fermeté ?
R - Oui, je partage ce sentiment, mais être ferme dans un discours, ce n'est pas suffisant, il faut être ferme sur le terrain. Il faut donc préparer des sanctions tout en tendant la main aux Iraniens. Il faut les voir, les écouter, leur parler, mais surtout dire au peuple iranien qu'il y a d'autres solutions que la guerre. Il faut le dire à la diaspora comme au peuple qui n'a pas voté pour M. Ahmadinejad. Vous savez Ahmadinejad a été élu par 25 % des participants au vote. Il y a toute une population énorme qui est négligée, qui se sent acculée, qui se sent isolée, qui se sent solitaire. Il faut peut-être leur parler.

Q - Donc, il vaut mieux parler au peuple qu'à Ahmedinejad, finalement ?
R - Oui, mais ce n'est pas facile ! Il faut trouver les voies, bien sûr.

Q - On sait que la France et l'Egypte ont joué un rôle très important dans le dossier Shalit. Où en est-on aujourd'hui ?
R - Hélas, nous en sommes au statu quo et c'est aux Egyptiens, puisque nous, nous ne parlons pas au Hamas, à qui je vais demander, à l'occasion de mon déplacement en Egypte dans deux jours, d'intervenir. C'est à eux qu'il faut faire confiance pour le moment. Il faut continuer et nous continuons. Il n'y a pas une rencontre, dans laquelle les Français sont présents, où ne soit pas demandée la libération du soldat Shalit, notre compatriote.

Q - Un dernier mot sur votre relation personnelle à Israël.
R - Vous savez, quand Israël ne fait pas ce que je crois qu'Israël devrait faire, je suis un des premiers à critiquer. Mais j'ai au fond de mon coeur, de toute façon, la détermination qu'Israël doit exister, doit assurer sa sécurité, doit être dans ce monde, car Israël est une nécessité, sûr de son avenir. Et je suis prêt à me battre pour cela.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2007