Texte intégral
Béatitude,
Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Consul général,
Monsieur le Directeur,
Je suis très heureux de cette visite, trop rapide, bien sûr - les visites sont toujours trop rapides. Cette visite m'a amené à Tel-Aviv, à Jérusalem, à Ramallah, à Gaza aussi, vous avez raison de parler de Gaza, Monsieur, où j'espère que cela va se régler assez vite. Je n'en suis pas certain. Gaza échappe un peu à ma juridiction hors le Centre culturel français.
Je suis heureux d'être au Centre culturel français de Jérusalem-Est qui prend aujourd'hui le nom de Centre culturel français Chateaubriand. Je baptise ce Centre qui a déjà une existence extrêmement importante et qui a compté dans l'histoire de la fraternité entre les habitants de Jérusalem, de la Cisjordanie et de la France. Je le baptise donc du nom de Chateaubriand.
Pourquoi Chateaubriand ?
D'abord, Chateaubriand est passé ici lui-même, plusieurs fois pendant son long séjour à Jérusalem et certaines descriptions dans l'Itinéraire - et je viens de rencontrer l'éditeur qui a lu le livre bien entendu ; moi aussi, mais j'étais plus petit. Donc, dans l'Itinéraire, il décrit certains des chemins qu'il a empruntés à partir de la Vieille ville et ceci ne laisse aucun doute : ils les a empruntés. L'endroit a certes changé par rapport aux descriptions de Chateaubriand mais l'écrivain a cheminé à ces alentours sur l'emplacement de l'actuelle rue Salah Eddine, il y a plus de deux cent ans.
Mais ceci, à soi seul, ne saurait expliquer le choix de ce nom. Quel plus beau parrainage intellectuel aurions-nous pu souhaiter pour ce centre culturel, qui fête ce mois-ci ses vingt ans ? Ce Centre est situé en plein coeur de Jérusalem. Il a accompagné, depuis sa création, les grands moments qui ont traversé cette ville et il y a eu beaucoup de grands moments, des moments de joie et beaucoup de moments de difficultés.
Pour ses habitants, ce furent vingt ans d'espoir, vingt ans de lutte aussi, pour ne pas perdre pied et pour préserver leur identité culturelle. Beaucoup d'institutions culturelles phares ont été contraintes de fermer leurs portes. La flamme de la culture vacille, bousculée par les préoccupations de la vie quotidienne et des impératifs bien plus immédiats parfois de la survie.
Dans ce contexte difficile, ce Centre s'efforce d'être un acteur essentiel de la vie culturelle, de maintenir une vie culturelle. Découvreur de talents, il veut faire vivre la création artistique en lui offrant un espace dans lequel elle peut s'exprimer librement et aller à la rencontre de son public. La poésie, la peinture, la musique, la photographie, mais aussi et je dirai même surtout, le débat d'idées, trouvent en ces lieux un espace de diffusion. Le réseau du Centre culturel français et des établissements associés, de Naplouse au nord, à Gaza au sud - je ne sais pas si cela marche mieux que cela à Gaza en ce moment mais enfin, en tout cas nous le maintenons -, en passant par Ramallah, par Bethléem et Hébron permet d'atteindre l'ensemble de la population et de mettre en contact ceux qui ne peuvent se rencontrer physiquement.
De même, il organise des évènements festifs qui touchent un large public, la Fête de la Francophonie, la Fête de la musique ou, comme fin juillet dernier, le Festival de Jérusalem. Ceci rappelle, s'il en était besoin, la soif du public de se divertir, de danser et de chanter, de vivre en un mot, et de vivre librement.
Je reviens un temps à Chateaubriand. Chateaubriand, un homme complet. Ecrivain, journaliste, diplomate, homme politique, homme de foi aussi : quand il est venu à Jérusalem, il venait de publier "Le Génie du christianisme".
Chateaubriand, le visionnaire, je continue le panégyrique, le voyageur à l'intuition fulgurante. Celui qui, dans l'Itinéraire, a pris conscience de la force de l'identité du monde méditerranéen. Cela tombe bien parce que nous, nous sommes partisans d'une union méditerranéenne, j'en parlerais si vous le voulez. Il fait le tour entier de la Méditerranée : il visite Sparte, Athènes, Smyrne, Constantinople, Rhodes, Jérusalem, Alexandrie, Le Caire, Carthage, Cordoue, Grenade et Madrid. Derrière ce périple, se trouve l'intuition que les pays du bassin méditerranéen sont liés par la culture, par l'histoire, par le dialogue des civilisations et par leur avenir. J'ajouterai qu'ils sont souvent liés par la guerre qui est une façon de lier les hommes de ce territoire et de bien d'autres, qui a fait ses preuves si je peux me permettre, en négatif et puis aussi après les guerres, quand viennent les paix, en positif comme en Europe d'ailleurs.
Chateaubriand, l'homme libre, qui n'a jamais accepté de sacrifier son âme aux mirages du pouvoir. Sa carrière politique est jalonnée d'allers et retours, sa carrière diplomatique de démissions. Moi je ne suis pas partisan des démissions, je suis partisan d'une démission, mais après quand vous prenez l'habitude des démissions, cela ne veut plus rien dire. Je dis cela parce que j'ai des exemples. On démissionne et puis après on revient et puis on dit "attention je vais démissionner !", cela devient un peu grotesque, mais bon, une fois cela va.
Bref, amoureux des grands espaces, et de la nature, il est le chantre de la liberté, de la liberté individuelle, celle qui permet de traverser son époque sans s'inféoder à une classe ou à un parti. Il y aurait beaucoup à dire la-dessus. Sa plume acérée a dressé avec courage des constats sans concession sur l'époque turbulente qu'il lui a été donné de traverser.
Bref, Chateaubriand, le témoin de son temps, l'homme complet, dont le labeur acharné est exemplaire pour nous tous, y compris pour les 200 étudiants de ce centre culturel français.
Mesdames, Messieurs,
Précisément, ce Centre se veut le symbole de notre engagement politique et culturel auprès de vous, habitants de Jérusalem.
Ce Centre prend aujourd'hui le nom de Chateaubriand pour rappeler l'intérêt continu de la France, à travers ses écrivains et ses hommes politiques, pour cette terre où tant de fois nos histoires se sont mêlées. C'est pour célébrer cette continuité qu'il a été décidé de donner son nom à cet établissement afin que la culture et l'esprit français dans ce qu'ils ont de plus élevé continuent de rayonner ici. Pour terminer, permettez-moi de citer l'auteur : "les idées une fois nées ne s'anéantissent plus : elles peuvent être accablées sous les chaînes, mais prisonnières immortelles, elles usent les liens de leur captivité". Inspirons-nous de ce propos.
Je voudrais que ma venue, c'est-à-dire la venue de la France, dans cette période très particulière revête exactement cette signification que Chateaubriand, il y a bien longtemps, avait écrit.
Nous avons constaté - j'espère ne pas me tromper, je me trompe souvent - qu'un petit vent d'espoir ténu, un petit souffle, souffle sur cette région. Nous avons constaté, tant du point de vue israélien que du point de vue palestinien, tant du côté israélien que du côté palestinien, tant chez nos interlocuteurs israéliens que chez nos interlocuteurs palestiniens, le même visage d'espoir. Un visage plus épanoui que d'habitude. Ici nous pouvons affirmer une fois de plus, nous l'avons déjà dit très souvent mais cela n'avait pas la même portée : les Français sont des amis des Israéliens comme ils sont des amis des Palestiniens.
Nous avons été un pays qui a travaillé à la création de l'Etat d'Israël au lendemain de la seconde guerre mondiale, après l'Holocauste, sur décision des Nations unies. Personne ne se souvient de cette histoire. Je suis toujours frappé de cette amnésie. Dans les années 40 et 50 nous avons fait cela. Mais nous avons affirmé en même temps - et nous sommes toujours restés aux côtés du peuple palestinien - que nous souhaitions qu'un Etat palestinien naisse. Depuis longtemps, depuis 20 ans, 30 ans, nous le souhaitons. C'est toujours pareil : il y a des militants, des activistes, des politiques, des pionniers et puis après viennent des opinions semblables et puis des responsables politiques des communautés elles-mêmes.
Ce chemin a été parcouru et je vous assure qu'hier et puis avant-hier, j'ai tenté de partager mon temps presque également et d'ailleurs quasi-également entre les Palestiniens et les Israéliens. Des deux côtés, j'ai constaté qu'il y avait un espoir. Je sais qu'il est fragile qu'il tient à nous, à vous tous, à moi-même, de le renforcer.
Je sais que la situation sur le terrain prévaut, que les opinions, l'évolution des opinions se fera à partir de cette situation et de ce qui sera, j'espère, son amélioration. Je sais la façon de vivre ici en étant assisté en permanence dans cette Cisjordanie bloquée, bloquée par les check-points à l'intérieur et bloquée à l'extérieur. De cette situation dépendra beaucoup de choses. Je sais qu'à Gaza c'est encore pire et qu'il faudra intervenir auprès du peuple palestinien de Gaza également.
Mais il y a un processus politique en cours et c'est cela l'espoir. Ce processus conduit à la conférence qui se tiendra, sans doute aux Etats-Unis dans le courant du mois de novembre. Beaucoup de choses peuvent survenir. Oui ! Il y a des pays qui, alentours, comptent beaucoup dans les décisions politiques prises ici. C'est vrai pour le Liban, c'est vrai pour la Syrie, c'est vrai pour l'Iran. C'est vrai pour tous les pays en réalité autour de ceux qui nous intéressent.
Mais il n'empêche, si chacun y met de la bonne volonté, si l'on comprend que c'est vraiment, je ne dis pas la dernière occasion ce serait trop pessimiste, mais une occasion à saisir maintenant. Il faut qu'un Etat palestinien soit créé dans les semaines qui viennent. Il y aura d'autres problèmes : rien ne sera terminé, rien ne sera achevé en terme même de fonctionnement administratif, politique, légal de cet Etat et puis il y Gaza, je sais.
Mais quelque chose se passe que nous devons encourager et c'est sur ces mots, ayant cité Chateaubriand qui disait que les idées ne peuvent pas mourir, ces idées que nous avons, la France, depuis très longtemps, maintenues, encouragées, propagées, parce que cette idée des deux Etats, de la justice pour le peuple palestinien et de la sécurité pour le peuple israélien. La création parallèle, côte à côte, de ces deux voisins capables de se parler puis de vivre ensemble et d'aller plus loin ensemble.
C'est l'espoir que je formule aujourd'hui en vous félicitant, en vous remerciant d'avoir attendu car nous étions en retard, les directeurs, le personnel que je salue et puis vous, Mesdames et Messieurs, les représentants, Béatitude, des religions qui ici trouvent leur place avec difficulté mais sont les symboles permanents de cette ville.
Je souhaite longue vie, après 20 ans, à ce Centre culturel français Chateaubriand.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2007