Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec les correspondants de la presse française le 12 septembre 2007 à Jérusalem, sur le soutien et l'implication de la France et de l'Union européenne dans la relance du processus de paix israélo-palestinien et la future conférence internationale, en vue de la création d'un Etat palestinien.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient du 10 au 13 septembre 2007

Texte intégral

Je ne suis pas habitué au langage diplomatique et je n'ai pas l'intention de m'y habituer, donc je vous dis les choses comme je les pense avec beaucoup de franchise. Ca ne veut pas dire que je condamne les diplomates, c'est leur métier, pas le mien. Et heureusement, aujourd'hui, parce que j'ai vraiment senti, profondément senti, que quelque chose se passait entre les Israéliens et les Palestiniens. Je sais que ce quelque chose est fragile, je sais que cela s'est déjà produit, je sais qu'on a eu beaucoup d'espoir au moment de Madrid, au moment d'Oslo et dans bien d'autres moments.
Là, j'ai l'impression que la façon dont ils se parlent, la manière, la technique qui a été employée, c'est à dire le contact individuel entre Ehud Olmert et Abou Mazen était une bonne idée. Parce qu'il s'est passé quelque chose, surtout au moment de la troisième entrevue. Elle a duré trois heures et ils ont commencé d'abord à ouvrir le champ, à parler avec d'autres, à proposer ce qu'on peut appeler un cadre, une feuille de route, je ne sais pas comment vous voulez l'appeler, pour que tout le monde, tous ensemble, se dirige vers ce qui n'était pas très clair, et qui est devenu un tout petit peu plus clair : cette conférence aux Etats-Unis en novembre.
Est-ce que ce sera aussi l'occasion symboliquement, ou plus encore pratiquement, de célébrer cet Etat palestinien tant espéré et tant espéré par la France depuis bien des années ? Je l'espère ! Nous n'en connaissons pas les termes. Nous n'en connaissons pas la dimension. Mais je crois qu'il y a une petite possibilité que ce progrès soit accompli avant novembre et avant cette conférence.
Voilà pourquoi je suis heureux d'avoir fait ce voyage et d'avoir essayé de passer mon temps, le plus possible, des deux côtés, palestinien et israélien. Je vous rappelle que la France est l'amie d'Israël, la France est l'amie des Israéliens : elle a toujours soutenu la nécessité de la sécurité de l'Etat d'Israël. En même temps, elle n'a jamais cessé d'être l'amie des Palestiniens et de soutenir leur juste revendication à une vie quotidienne meilleure. Et pour que tout cela demeure vrai, en particulier cette dernière phrase, parce que c'est la vie quotidienne des Palestiniens et l'amélioration éventuelle de la vie quotidienne des Palestiniens, bien sûr en Cisjordanie, mais également à Gaza, qui va conditionner la réussite ou l'échec de cette convergence et de ce mouvement politique majeur qui est en train de s'opérer.
J'ai fait ce que j'ai pu, comme dirait Chateaubriand, pour être en droit de dire : j'ai fait ce que j'ai pu. Ca n'est pas mon premier voyage ici. Ce n'est pas ma découverte de la réalité, ni de la Cisjordanie, ni de Gaza, ni des conditions médicales, ni des conditions de vie des uns et des autres. J'ai, depuis 1976 que je travaille ici, connu des gens, cela n'est pas incompatible avec la diplomatie, mais je préfère connaître les gens, les fréquenter, être avec eux, travailler, les affronter parfois, c'est ce qui me plait dans ce merveilleux métier temporaire que j'ai l'honneur de faire en représentant la France et le président de la République, M. Nicolas Sarkozy.
Q - Vous dites que ce voyage a, cette fois-ci, une pointe d'optimisme, à tel point qu'un Etat palestinien est possible dans quelques semaines ?
R - Je vous dis cela avec mille précautions. Je vous dis cela comme une espérance, mais j'ai l'impression que cette espérance, même si c'est pas exactement ce que vous venez de dire : Un Etat palestinien. Sous quelle forme ? Comment cela sera annoncé ? Je n'en sais rien, mais c'est ainsi que j'ai senti l'espérance, à la fois chez les Israéliens et les Palestiniens. Oui, avec ce mouvement vers la conférence de novembre. Bien sûr tout dépend de l'environnement, tout dépend de ce qui se passe au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Irak, en Iran. Je sais que tout cela conditionne cette conférence, mais là il y a un mouvement qui, j'espère, se traduira avant tout par une amélioration des conditions de vie. Cela ne peut pas être immédiat, il faut qu'ils le comprennent. Les Palestiniens sont un peu en mal d'espérance. Surtout à Gaza d'ailleurs, mais ici aussi en Cisjordanie. On a vu des chiffres éloquents, j'ai rencontré des ONG et des agences des Nations unies. Presque l'intégralité de la population de Gaza est assistée, aussi bien les réfugiés que les déplacés, que les habitants de Gaza maintenant ! Et une grande partie de la population en Cisjordanie dépend de la nourriture qui leur parvient pour survivre. Cela ne peut pas durer éternellement, je comprends qu'ils perdent espoir.
Q - Est-ce que dans ce processus, dans ce mouvement, dont vous avez semblé être un spectateur, la France et l'Europe sera spectatrice ?Ou peut-elle d'une manière ou d'une autre accompagner ce mouvement ? Ou doit-elle rester en dehors de ce mouvement entre Israéliens et Palestiniens ?
R - Il est très difficile de répondre à votre question. La France fait déjà partie du mouvement. L'Union européenne est représentée au Quartet dont Tony Blair est l'envoyé. Je l'ai rencontré longuement ce matin. Il n'est pas indifférent que ce soit Tony Blair, et de cette façon l'Europe participera et la France est très proche de Tony Blair. Nous avons été les premiers à saluer sa nomination et à faire une lettre assez remarquée à l'époque et assez critiquée à l'époque : la lettre des dix ministres des Affaires étrangères européens du pourtour de la Méditerranée. Si vous voulez bien relire la lettre, parce qu'on me prête souvent des propos définitifs et fracassants - il se trouve que cela arrive -, c'est ce que nous avons demandé. Donc nous y participons. Maintenant, pour les négociations, très honnêtement, je ne suis pas sûr que ce soit un bénéfice. Parce que cette technique du tête-à-tête a marché pour le moment, même si nous voulons participer à la conférence de novembre. Il faut que la France y ait sa place, je l'espère en tout cas. Je ne sais pas qui invite, et si les protagonistes ont quelque chose à dire, c'est-à-dire les Israéliens et les Palestiniens. Je pense que nous serons invités. C'est possible en tout cas, mais cela n'est pas certain. Mais il faut aussi qu'ils se méfient, vous comprenez : l'initiative de Genève a été très loin, les détails étaient abordés et puis tout le monde s'en est mêlé et cela n'a pas marché. Alors dans la mesure où ils disent : laissez-nous parler tous les deux et vous soutiendrez le texte ou les idées qui sortiront de ce dialogue, cela n'est pas forcément faux. C'est peut-être assez prudent et assez juste. Nous verrons bien, mais après nous serons associés, bien entendu. Nous sommes associés dans les projets et nous sommes associés dans l'argent donné. Bien sûr la France est là et je trouve absolument ridicule et presque scandaleux qu'on reproche à la France de ne pas être présente alors que je pense qu'il s'agit du retour de la France, au contraire, dans cette partie du monde.
Q - Vous avez dit que c'est pas le bon moment pour parler avec le Hamas, quand est-ce que ce sera le bon moment ?
R - Je n'en sais rien - et vous non plus !
C'est comme ça la vie : il y a des moments politiques où il faut aller au plus pressé. Je pense que ce n'est pas nous qui avons déclenché cette guerre fratricide entre le Fatah et le Hamas et je pense que, dans ces conditions, il est important de donner un espoir aux deux parties, je parle de la population de Gaza et de la Cisjordanie. Maintenant je ne pense pas que ce soit un avantage, mais il ne faut pas le perdre de vue, qu'il y ait, avant l'espoir, avant cette idée de création d'un Etat palestinien, qu'il y ait à nouveau des contacts, forcément longs et difficiles entre le Hamas et le Fatah. C'est à eux de décider. Mais le Fatah ne veut pas et d'ailleurs le Hamas ne veut pas non plus : des troubles violents se produisent encore à Gaza. Donc je pense que ce n'est pas le moment : il y a un moment pour tout. Là il y a un moment d'espoir pour la création d'un Etat palestinien. Bien sûr, il ne faut pas négliger la population de Gaza, nous ne le faisons pas, nous continuons à l'aider, par l'intermédiaire de la Commission européenne et même directement. J'ai vu les ONG françaises ce matin : cela continue et il faut que cela continue. Je ne confonds pas la population de Gaza et le Hamas, mais je crois que pour le moment, il faut saisir cette occasion d'aller un peu plus loin et d'amorcer un mouvement politique profond. Si cela arrive, si en novembre cela arrive, je peux me tromper à 100 % ou 120 % même, mais si cela arrive et qu'un Etat palestinien qui, d'une certaine façon soit déjà reconnu, avant même d'exister presque, mais reconnu d'avance par les Israéliens en novembre, quand même, cela représentera quelque chose. Nous y aspirons tous depuis tant d'années.
Q - La conférence internationale peut-elle être un succès en ignorant le Hamas ?
R - Elle sera un succès si elle décide d'un Etat palestinien dont l'autorité légitime demeure du côté de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne. L'Autorité palestinienne est le représentant légitime du peuple palestinien. Si sous sa direction il y a la création d'un Etat, bien sûr qu'il y aura ensuite des pourparlers politiques. On ne va pas élire un gouvernement nouveau. Evidemment on ne va pas l'élire parce que des élections sont difficiles en ce moment : vous le savez bien. On ne va pas reconnaître un gouvernement, mais l'idée d'un Etat. Je l'espère encore une fois. Vous évoquez un succès, mais il n'y a pas eu de conférence, on ne sait pas qui invite, où cela se passe, alors on ne va pas parler de succès tout de suite.
Q - Vous parlez d'un Etat dans quelques semaines quand même ?
R - Oui, et c'est l'espoir de l'oeil et du coeur que tout le monde caresse.
Q - Vous avez rencontré Tony Blair ce matin. Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
R - Ca va, il est en bonne forme, il vous remercie, il est jeune et beau... J'étais pas mal non plus et nous sommes très amis et je suis très heureux ! Nous l'avons soutenu dès le début. Que Tony Blair soit le représentant du Quartet va "booster" les choses, il a un bon programme, son équipe est formidable, elle comprend un Français d'ailleurs, mais ce n'est pas pour cela qu'elle est formidable. Je pense qu'ils vont travailler d'arrache-pied à l'aspect économique, mais, croyez-moi, l'aspect politique le regarde également.
Q - Il pourrait faciliter l'invitation et l'entrée de la France à la conférence internationale ?
R - Je ne crois pas que ce soit lui qui invite. Qui invite d'ailleurs ? Moi je souhaite que la France soit invitée, mais si elle n'est pas invitée et que cela réussit, je serais très heureux quand même.
Q - Vous parlez d'un Etat palestinien, mais sur le terrain, les conditions sont aux antipodes, que ce soit les colonies, les routes de contournement, la saisie pour ne pas dire le vol des terres. Avez-vous entendu, de la part des Israéliens, une prédisposition pour changer complètement à 360° ?
R - Oui et pourquoi pas 660° ! Ecoutez, le mieux est l'ennemi du bien. Laissez faire les choses. Ca suffit comme ça, vous êtes toujours plus exigeant que la musique et vous allez plus vite que le temps ! Une seconde ! Cela fait 45 ans que ça dure ! Oui ! Il faut réparer les injustices ! Alors commençons par l'injustice des injustices : un peuple sans nation et sans territoire. Si par hasard cela est fait, tous les problèmes que vous soulevez justement pourront être réglés, en tout cas je l'espère, plus facilement. C'est ce qu'il faut voir, ne soyez pas trop exigeant.
Q - Vous avez abordé ce sujet avec vos interlocuteurs israéliens ?
R - Mais bien sûr, et ils l'abordent eux-mêmes. Ce qui est étonnant dans ces contacts, c'est qu'on n'a pas besoin de les pousser : ils ont apparemment décidé d'y consacrer vraiment à la fois beaucoup de temps et d'énergie. Et leur espoir dans cette transformation actuelle, c'est ça qui a changé mais je ne me fais pas d'illusions. Cela a été vrai plusieurs fois dans les 20 ans passés et donc cela n'est pas certain. Mais si on souligne uniquement les difficultés, on n'y arrivera pas. Alors comme vous savez qu'il est inutile d'espérer pour entreprendre, il sera inutile de réussir pour persévérer.
Q - Comptez-vous venir en aide aux journalistes français empêchés d'exercer en Israël ?
R - Mais pourquoi pas ? Bien sûr ! Vous pouvez compter sur moi.
Q - ...(inaudible)
R - J'ai demandé à mes interlocuteurs qui ne m'ont pas renseigné. Si en effet aujourd'hui on croit savoir qu'ils ont bombardé un convoi qui se dirigeait vers le Liban, on peut comprendre pourquoi ils le font. Cela ne va pas faciliter les choses. Mais cela fait partie des événements de la région depuis très longtemps. Tout le monde sait au Liban que des armes importantes, c'est à dire des missiles, arrivent à travers la frontière syrienne. Le gouvernement libanais lui-même s'est non seulement inquiété de cela mais a proposé que la communauté internationale boucle cette frontière. Il y a des propositions allemandes sur un système électronique. Nous savons tout cela maintenant. Quant à la réalité des choses sur la Syrie, je n'en sais pas plus que vous.
Q - Est-ce que c'est de nature à menacer la conférence ?
R - Ce n'est pas de nature à menacer la conférence. Cela ne me paraît pas être un évènement "difficile". Encore une fois, ce qui est un évènement difficile à supporter, c'est l'arrivée massive depuis des mois et des mois d'armes sur le territoire libanais. Simplement, on sait qu'elles ne sont plus au Sud du Litani et qu'elles menacent toutes les régions d'Israël.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2007