Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation au Liban, les relations israélo-palestiniennes et interpalestiniennes, la future conférence internationale sur le Proche-Orient, le nucléaire iranien, la crise irakienne et la question des réfugiés irakiens en Syrie et en Jordanie, Amman le 12 septembre 2007.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient du 10 au 13 septembre 2007 : rencontre avec les dirigeants jordaniens le 12 à Amman

Texte intégral

Après avoir séjourné près de trois jours en Israël et en Palestine, et avoir constaté que malgré les difficultés, les éléments positifs se faisaient jour et avant de m'envoler vers l'Egypte, je suis venu ici rencontrer avec beaucoup de plaisir le Roi Abdallah, mon homologue le ministre des affaires étrangères M. Al Khatib, et puis à nouveau Abou Mazen le président de l'Autorité palestinienne.
Les rapports entre la Jordanie et la France sont excellents. Le Roi a visité notre pays, il y a à peine quelques jours, et nous avons été très heureux de le recevoir. Le président de la République, Nicolas Sarkozy, s'est entretenu avec lui. Nous avons parlé avec lui de l'ensemble des problèmes du Proche et du Moyen-Orient et nous avons abordé les rapports bilatéraux, les échanges politiques, culturels, commerciaux qui sont excellents entre nos deux pays. Nous avons précisé ces rapports avec le Roi tout à l'heure.
Avec mon homologue, Abdellillah, nous avons parlé de la situation au Liban, de la situation entre les Palestiniens et les Israéliens et les perspectives générales qui allaient s'ouvrir. Nous espérons, à la fois avec les élections au Liban et avec cette conférence qui s'annonce en novembre pour le Moyen-Orient.
Je vous ai donné le cadre de cette visite. Peut-être que Monsieur l'Ambassadeur de France veut préciser quelque chose ? Sinon je répondrai volontiers à vos questions.
Q - Monsieur le Ministre, que vous a demandé Mahmoud Abbas précisément ?
R - Il ne m'a rien demandé, aujourd'hui, c'est moi qui lui aie demandé de m'expliquer ce qui s'était passé durant sa visite en Arabie saoudite. Mais nous avons eu un très long échange avant hier soir à Ramallah. Nous avions parlé, le jour de cette rencontre, le jeudi, de ce qui s'était passé entre le Premier ministre israélien, M. Ehud Olmert, et le président de l'Autorité palestinienne. Il nous avait expliqué que les choses s'étaient bien passées pour cette troisième rencontre et que des perspectives s'ouvraient pour la création, tout le monde le sait, tout le monde l'attend, d'un Etat palestinien situé à coté d'un Etat d'Israël en sécurité. Un Etat palestinien situé, pour le moment, sans doute en Cisjordanie puisqu'à Gaza, pour l'heure, c'était difficile.
Ce sont des perspectives qu'il faudra préciser, bien sûr. Rien n'est sûr mais c'est un espoir important et nous allons travailler les uns et les autres pour que cet espoir devienne réalité à l'occasion de cette conférence qui est prévue en novembre.
Le président de l'Autorité palestinienne a demandé le soutien de la France en différents domaines et, en particulier, a souhaité que la France participe à cette conférence. Ce que nous avons accepté, bien volontiers, mais nous ne savons pas qui invite.
Nous avons insisté sur un point à mon avis très important, très important pour la France : ce sont les conditions de vie du peuple palestinien, aussi bien en Cisjordanie qu'à Gaza, où la situation est encore plus difficile.
Nous pensons qu'il y a de l'espoir dans la démarche actuelle. Nous l'espérons mais nous avons tellement espéré en diverses occasions après Oslo, après Madrid, après Taba, que tout cela est incertain. Mais il n'empêche que sans l'amélioration des conditions de vie des Palestiniens, les choses risquent d'être très difficiles et nous voulons que la communauté internationale continue cette aide nécessaire pendant encore un certain temps.
Q - Quelle est la position de la France au sujet de l'accord entre l'AIEA et l'Iran ?
R - Il n'y a pas d'accord, ni même d'entente. Il y a pour la première fois depuis longtemps où nous avons attendu la possibilité offerte à l'Agence d'explorer certains lieux où votre pays, si vous êtes iranien, votre pays enrichit de l'uranium.
Il y a une considérable inquiétude de la communauté internationale parce que la manière qu'a l'Iran d'enrichir l'uranium est une manière de préparer des armes et pas une manière de préparer de l'énergie nucléaire civile, ce qui est absolument autorisé. Pour le moment nous devons envoyer des experts à Vienne, afin de parler à M. Mohamed El Baradei et de voir quelle est la position exacte de l'Agence. Je vous en informerai après. Certainement c'est quelque chose d'intéressant, il faut le dire, mais ce n'est certainement pas suffisant.
Q - Quelle est la position de la France sur la crise humanitaire à Gaza ?
R - C'est une question très différente. Revenons à Gaza, mais cela n'a rien à voir, mise à part l'aide de votre pays au Hamas. Soyons francs entre nous. L'Iran soutient le Hezbollah et le Hamas et nous ne sommes pas complètement d'accord là-dessus. Nous aimons la démocratie et la paix, mais je pense que cette organisation a encore des progrès à faire pour apporter la paix à la région. Cependant, l'Iran est un très grand pays, un pays très important et le retour de l'Iran sur la scène internationale est quelque chose que je comprends.
Q - Votre visite récente en Irak a marqué un plus grand engagement français et je voudrais vous demander quelle forme aura cet engagement, et ce que le rapport de Petraeus vous inspire ? Comment arrêter la violence en Irak ?
R - Arrêter la violence en Irak ! Quel problème, Madame ! Bien sûr je le veux. Mais seul, cela sera un peu difficile. Oui nous voulons arrêter la violence en Irak mais cela prendra du temps. Je suis allé en Irak parce que, vous le savez, mon pays n'était pas d'accord avec les Américains sur la manière dont ils se sont débarrassés de Saddam Hussein. Saddam Hussein était un dictateur. Ils ont libéré le pays de Saddam Hussein, oui, mais nous ne sommes pas d'accord sur la manière avec laquelle ils l'ont fait. Mais nous devons oublier cela car nous devons tourner la page.
J'ai visité l'Irak afin d'écouter les Irakiens, pas les Américains. J'ai passé trois jours là-bas, j'ai vu le pire et une situation terrible. Pour le dire rapidement, trop rapidement, je crois que nous devons aider.
Nous, le peuple français, certainement, et les nations européennes doivent prendre leur place pour mettre en oeuvre la nouvelle résolution de l'ONU du 10 août. Alors, une nouvelle fois, pour être brutal, il y a un triangle : les soldats américains, 160.000 soldats, il faut qu'ils restent là-bas, ils devront publier un calendrier pour leur retrait, oui certainement. Pour le moment, ils sont là, nous devons les utiliser, il y a un gouvernement irakien et le troisième angle du triangle, c'est la résolution des Nations unies.
Mon idée est de convaincre mes collègues européens, d'abord d'aller en Irak, d'y voir la réalité, de parler avec les Irakiens, de ne pas les laisser coincer par la situation et la présence américaine. Ainsi, progressivement, comme je l'ai vu avec un grand plaisir lors de la visite de mon estimé collègue Carl Bild, ministre des Affaires étrangères de Suède qui a visité l'Irak après moi et certainement d'autres, j'essaie de les convaincre, comme ce fut le cas la semaine dernière à Porto, où nous étions tous réunis sous présidence portugaise. Je leur ai expliqué ce que nous devions faire après afin de mettre en application, de nourrir la résolution, sur la justice, l'environnement, l'économie, mais sans y envoyer un seul soldat pour remplacer les soldats américains, non en aucun cas.
Tels étaient l'intention et l'objectif de ma visite : s'impliquer afin de ramener la paix dans cette région et d'une certaine manière libérer les Irakiens de ces vieux conflits, de ces communautés qui se combattent les unes les autres pour le moment et y compris, désolé d'être franc avec vous, des Chiites qui combattent les Sunnites et des Sunnites qui combattent les Chiites. C'est le rêve mais nous devons rêver.
Q - Est-ce que vous rencontrez des opposants irakiens à Amman ?
R - Non je ne peux pas tout faire, "good luck to them".
Q - Quelles sont les attentes de la France à l'égard de la conférence organisée par les Etats-Unis sur le Proche-Orient ?
R - Ecoutez, je crois que cette conférence se tiendra en novembre. Quel est l'objet de la conférence : la paix au Moyen-Orient et surtout la paix entre Israël, les Israéliens et les Palestiniens. Cela reste pour le moment la seule indication.
J'ai compris que les Américains invitaient. Nous n'avons pas reçu d'invitation, mais personne n'a reçu d'invitation. Je parle avec Condoleezza Rice, je parle avec les Américains, j'ai parlé deux heures ce matin avec Tony Blair. Nous pensons qu'il y aura un mouvement de convergence vers cette conférence et qu'elle se tiendra.
Vous savez, cette différence que vous citez entre les Israéliens et les Palestiniens n'est pas très importante. Les uns veulent qu'il y ait un encadrement plus précis, si c'est possible, les autres pensent que la simple indication du chemin qui restera à accomplir est suffisante. Mais tous les deux veulent que cela réussisse, tous les deux veulent que ce soit un succès, tous les deux. Je les ai entendus des heures et des heures et, comme je l'ai dit tout à l'heure nous avons souvent été déçus par les annonces, les conférences, les mots, les promesses, nous sommes donc très prudents. Eux surtout sont très prudents et c'est pour cela qu'ils se parlent tous les deux, le Premier ministre et le président, qu'ils vont continuer de le faire pendant un certain temps et qu'il ne faut pas trop interférer dans ces discussions-là. Il faut les aider à établir le minimum d'entente nécessaire, d'entente suffisante, pour se présenter à la conférence et nous soutiendrons, pour ce qui concerne la France, tout ce qui a été décidé en commun.
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la position de la France par rapport à la situation dramatique des réfugiés irakiens en Syrie et en Jordanie ?
R - Nous venons de donner un autre million d'euros au HCR des Nations unies et je sais quel est le poids, les soucis et difficultés, que rencontrent la Syrie, certes, la Jordanie, beaucoup, en recevant, des dizaines de milliers, des centaines de milliers de réfugiés venus d'Irak. Je sais, Madame, et nous essayons de les aider. Nous en avons parlé et je crois qu'il faut tous soutenir, indépendamment de l'aide habituelle, par des aides spéciales, le HCR des Nations unies et, surtout, et c'est le sens de la question que vous m'avez posée, régler le problème politique de l'Irak parce que sinon on va toujours pouvoir aider les réfugiés mais cela ne sera pas suffisant pour les empêcher de partir.
Vous m'avez posé la question : ai-je rencontré des opposants ? Des opposants j'en ai rencontré partout, pas spécialement ici, qui sont des réfugiés. Bien sûr qu'il y a des opposants à la politique suivie par les Américains et le gouvernement actuel de l'Irak, mais il y a surtout des gens qui souffrent et ceux là il faut les aider. Je vous remercie, si vous êtes jordanienne, ou si vous êtes syrienne, je vous remercie de la façon dont ces deux pays se comportent avec ce flot terrible de réfugiés.
Puisque vous êtes jordanienne, je félicite aussi le gouvernement jordanien d'avoir accepté de scolariser les enfants des réfugiés, même s'il s'agissait de réfugiés illégaux. Nous avons soutenu le programme de la Commission européenne. La France a soutenu aussi le programme de l'Union européenne, pour scolariser les enfants irakiens réfugiés en Jordanie en particulier. C'était un très beau geste d'avoir accepté de les scolariser avec des parents illégaux. En France, chez nous, c'est un problème.
Q - S'agissant de la conférence internationale à venir sur le Proche-Orient, vous avez parlé d'éléments positifs, pouvez vous donner des détails à ce sujet. Ensuite en ce qui concerne le Liban, où vous irez demain, est-ce que vous êtes porteur de propositions d'initiatives nouvelles qui pourraient aider les Libanais dans la perspective des élections présidentielles ?
R - J'ai parlé d'éléments positifs parce que tout le monde en parle. J'ai entendu ceux qui ont participé à ces rencontres, c'est-à-dire le Premier ministre israélien et le président de l'Autorité palestinienne, en parler ouvertement pendant plus d'une heure chacun avec moi. Ce n'est donc pas une invention. C'est que les choses semblent nouer, entre les deux hommes, et c'est cela qui est intéressant d'un point de vue humain et romantique, cela existe. Il n'y a pas que la politique scientifique, d'ailleurs cela n'existe pas la politique scientifique. Voilà deux hommes qui ne se connaissaient pas, ou très peu, et qui ont voulu établir entre eux un contact secret, sans notes, personne et cela a marché pour le moment, pour le moment. Je ne sais pas si demain ce sera vrai.
Les éléments qu'ils ont retenus et, en particulier, ceux qu'ils ont proposés tous les deux, c'est à dire que soit libéré un certain nombre de prisonniers à nouveau avant le Ramadan, que soit levé un certain nombre de barrages, que l'aide soit apportée à Gaza, tout cela ce sont des éléments positifs. Cette démarche commune vers la conférence avec, non pas une résolution - je ne sais pas comment appeler cela, un "non paper" dit-on en diplomatie, un "non paper" qui permettrait peut-être de débloquer cette idée, non pas la réalité encore, mais cette idée de l'Etat palestinien accepté à côté d'Israël est également positive. Voilà ce sont des éléments, plus d'autres, plein d'éléments recueillis chez les ministres, chez le Premier ministre, M. Fayyad, à Ramallah encore une fois, ou chez les autres ministres israéliens.
Pour le Liban, c'est autre chose, tout en étant à peu près la même chose. Il y a des forces qui refusent la paix et des forces qui, venues de l'extérieur, sont extrêmement agissantes dans un sens très dangereux.
Ce qu'il faut noter, je crois, c'est la déclaration de M. Nabih Berri, président du Parlement libanais qui finalement, à mon avis, produit une déclaration assez positive, assez positive dans le sens qu'il n'exige plus un gouvernement d'unité nationale avant l'élection présidentielle qui est prévue comme vous le savez entre le 25 septembre et le 24 novembre.
J'espère - puisque nous en sommes maintenant au processus constitutionnel, à la légalité libanaise des accords de Taëf, à une élection présidentielle -, qu'ils trouveront un candidat de consensus, d'abord dans chacun des camps puis ensemble. J'espère que cette élection aura lieu sans les interférences étrangères, sans la brutalité, sans les assassinats qui souvent interviennent, venus de l'extérieur et venus même de l'intérieur du Liban.
Je trouve qu'il y a un petit élément positif mais je ne suis pas Libanais. La France est aux côtés de toutes les communautés libanaises, toutes les communautés, pas une particulièrement. Nous souhaitons que soit respectée la légalité libanaise et pas que des interférences se produisent au travers des éléments violents venus d'alentours. Nous espérons être là-dessus suivis, nous sommes aux côtés de toutes les communautés libanaises.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué la nécessité de régler le problème des réfugiés irakiens, mais que pouvez-vous nous dire des réfugiés palestiniens ?
R - La même chose, il faut régler d'abord le problème politique et il faut que les deux parties s'entendent à propos des réfugiés. Je vous rappelle que les réfugiés, certains d'entre eux sont là depuis près de 60 ans, et qu'il s'est écoulé trois générations depuis. C'est aux deux protagonistes, Israéliens et Palestiniens, Palestiniens et Israéliens de s'entendre aussi là-dessus sur un minimum, avant la conférence si possible, ou avoir au moins des points de repère très forts. C'est à eux de le faire, pas à nous, pas à moi.
Je vous signale qu'il y a eu beaucoup de choses de faites déjà. Il y a eu le processus d'Oslo, il y a eu Madrid, il y a eu l'initiative de Genève, avec Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, il y a eu Taba. Il y a eu ce qui ce passe partout dans les "think thanks", il y a des documents là-dessus, tout a été déjà presque réglé.
Il faut un peu de bonne volonté et une extrême détermination politique. J'espère qu'il y en aura à ce moment là. La France est prête à y participer, mais ce n'est pas la France qui est en cause. Nous n'avons que de la bonne volonté et une diplomatie pugnace.
Q - Quelle est votre position sur la confrontation qui oppose les Etats-Unis à l'Iran ?
R - J'espère, Monsieur, que cette confrontation n'arrivera pas et qu'il n'y aura pas de guerre faite à l'Iran, ni d'événements tragiques déclenchés par l'Iran. J'espère en une solution pacifique du problème nucléaire posé par l'Iran.
Tout en étant très ferme à propos des résolutions des Nations unies, la France et l'Union européenne se montrent très disposées à faire des efforts diplomatiques, qui sont d'ailleurs faits très souvent et encore récemment par M. Solana. Nous sommes disposés à parler avec les Iraniens et nous le faisons. Mais nous sommes très fermes, la France comme l'Union européenne, sur la nécessité pour l'Iran de se conformer au droit international, aux décisions qui ont été prises par la communauté internationale. L'Iran doit respecter les engagements qu'il avait signés. Mais nous ne pensons pas, bien sûr, que l'Iran soit interdit de créer une industrie nucléaire civile pour remplacer un jour le pétrole qui manquera, bien sûr que non. Nous pensons que l'Iran a le droit de faire cela. Simplement nous ne sommes pas convaincus que c'est ce qu'il est en train de faire. Maintenant pour ce qui concerne l'ambassadeur Crocker et le général Petraeus, je n'ai pas eu le loisir, parce que je travaille beaucoup en ce moment, d'entendre ce qu'ils disaient mais quand on vient d'Irak il est évident que l'Iran y joue un rôle très important.
Q - Vous n'avez pas été très précis s'agissant de la question des réfugiés palestiniens ?
R - Non Monsieur ce n'est pas à moi d'en parler, c'est aux Palestiniens et aux Israéliens, je n'ai aucun conseil à leur donner, je suis à leur disposition, tout ce qu'ils décideront ensemble, je le soutiendrai.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2007