Déclaration de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, sur la politique d'immigration professionnelle et la lutte contre le travail illégal des étrangers, Paris le 24 septembre 2007.

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Circonstance : Intervention devant la Direction départementale du travail et de l'emploi et la Direction régionale du travail et de l'emploi, sur l'immigration professionnelle, à Paris le 24 septembre 2007

Texte intégral

Messieurs les directeurs d'administration centrale,
Mesdames et Messieurs les directeurs régionaux et départementaux,
C'est aujourd'hui la première fois que j'ai l'occasion de m'adresser à l'ensemble des directeurs régionaux et départementaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, et je m'en réjouis.
Vous êtes, à la tête de vos services, des acteurs essentiels dans la mise en oeuvre, au niveau déconcentré, de la politique dont j'ai la responsabilité au niveau national.
Dans la lettre de mission qu'ils m'ont adressée le 9 juillet dernier, le Président de la République et le Premier ministre m'ont fixé des objectifs d'une grande clarté - mais également d'une grande ambition - dont au moins deux nécessitent votre concours direct.
Le premier objectif consiste à renouer avec une véritable politique d'immigration professionnelle, fondée sur les intérêts de la France et ceux des pays d'origine. Celle-ci est à bien des égards nécessaire : il y a en France 470.000 offres d'emploi non pourvues ; chaque année, des centaines de milliers d'emplois ne trouvent pas preneurs, soit parce que nos systèmes de formation sont déficients soit - pourquoi le nier - parce qu'il s'agit de métiers que nos concitoyens ne veulent pas exercer. D'où un manque de main d'oeuvre dans plusieurs secteurs comme les services à la personne, le bâtiment, l'hôtellerie, la restauration mais aussi l'activité scientifique. Ces tensions sectorielles sont un frein à la croissance de l'économie, que nous devons contribuer à lever.
C'est dans cette optique qu'il nous est demandé d'obtenir à terme que 50% des entrées durables d'étrangers se fasse à des fins professionnelles.
Le second grand objectif qui m'est fixé est de rendre l'immigration compatible avec nos capacités d'accueil et avec nos grands équilibres sociaux, ce qui implique une lutte résolue contre l'immigration irrégulière et, en ce qui vous concerne plus particulièrement, contre le travail illégal intéressant des étrangers.
Permettez-moi de revenir plus en détail sur chacun de ces deux axes stratégiques.
I. J'ai tout d'abord besoin de votre concours pour doter la France d'une véritable politique d'immigration professionnelle.
Nous héritons d'une situation où, depuis la suspension de l'immigration professionnelle en 1974, l'immigration n'a pas été conçue comme devant être principalement liée au travail
Le constat est accablant : en 2005, seulement 11.000 étrangers ont été autorisés à venir exercer une profession dans notre pays, à comparer avec 92.000 étrangers accueillis en France au titre de l'immigration familiale.
Cela atteste que notre législation - nos pratiques aussi - restent marquées par la prédominance d'un modèle d'immigration qui n'encourage pas suffisamment l'immigration professionnelle.
Nous devons donc, après la Grande-Bretagne, le Canada ou la Suisse, rompre avec ce modèle. Nous avons l'ambition de redonner à la France les conditions de sa croissance et pour cela nous allons simultanément :
attirer les meilleurs talents ;
ouvrir les secteurs en tension ;
dialoguer avec les pays exportateurs de main d'oeuvre.
Premier chantier, nous allons attirer les meilleurs talents en mettant en oeuvre, très rapidement, les instruments innovants conçus sous la législature précédente.
C'est la raison d'être de la carte « compétences et talents », qui pourra être délivrée à l'étranger dont le projet est susceptible de contribuer au développement économique de la France ou à son rayonnement. La durée de cette carte est de 3 ans.
Je vais installer la Commission nationale des compétences et des talents présidée par Pierre BELLON, et je lui demanderai de fixer rapidement les critères permettant la délivrance, avant la fin de l'année, des premières cartes « compétences et talents » par les préfets et les ambassadeurs.
La carte « salarié en mission » vise également à être attractive, cette fois pour les groupes internationaux : valable 3 ans, elle est attribuée à tout salarié étranger détaché en France ou salarié d'une entreprise française au sein d'un groupe international.
Je souhaite que les premières cartes « salarié en mission » soient délivrées avant la fin de l'année, ce qui constituera un signal fort en direction du monde économique.
Dans le même esprit, nous allons étendre l'application de la procédure « cadre dirigeant et de haut niveau », en abaissant son seuil de déclenchement et en l'étendant à tous les salariés en mission, y compris les détachés. Cela permettra à davantage d'entreprises de bénéficier des points forts de cette procédure, à savoir des délais brefs et connus à l'avance, grâce à une procédure simplifiée.
Deuxième chantier, nous allons poursuivre l'ouverture du marché du travail dans les secteurs en tension, aussi bien pour les nouveaux Etats membres que pour les pays tiers
D'abord, en direction des nouveaux Etats membres de l'Union européenne : depuis le 1er mai 2006, la France a ouvert une liste de soixante-deux métiers qui connaissent des difficultés de recrutement. Nous allons poursuivre dans cette voie avec une ouverture à des métiers supplémentaires « en tension », que nous sommes en train d'identifier à partir des besoins exprimés par les fédérations professionnelles.
Ensuite, concernant les pays tiers, une ouverture partielle est également prévue par la loi. Elle doit être déclinée par région géographique. Elle se fera en fonction des besoins exprimés par les fédérations professionnelles et les préfets de région.
Troisième chantier, nous allons conclure avec certains Etats étrangers des accords d'immigration concertée.
Le principe en est simple : à partir d'un diagnostic sur nos besoins dans telle ou telle profession, nous allons conclure avec un ou plusieurs Etats étrangers qui possèdent l'excellence en la matière des accords prévoyant l'installation en France d'un nombre déterminé de ces professionnels. A l'occasion d'un déplacement en Asie, j'ai déjà pris des contacts avec plusieurs Etats, dont les Philippines, premier pays au monde en termes d'infirmiers formés, ou encore avec le Sri-Lanka, qui a une spécialisation poussée en informatique.
Il ne s'agit absolument pas de « piller les cerveaux » des pays déjà en déficit sur certaines professions. Par exemple, nous n'allons pas faire venir en France des médecins du Bénin, qui connaît une forte pénurie. Au contraire, nous allons cibler les pays excédentaires sur la profession considérée et qui sont volontaires pour expérimenter ce nouveau mode d'introduction de professionnels en France. C'est aussi cela, concrètement, l'immigration concertée.
Je n'ignore pas les obstacles qui doivent être levés pour réussir. Le premier d'entre eux est la langue. Mais, en liaison avec la branche professionnelle intéressée, une formation au français, d'abord élémentaire, puis adapté à la profession concernée, sera délivrée aux candidats retenus. Après 2 à 3 mois de formation intensive, qui pourra avoir lieu dans le pays d'origine ou en France, le niveau atteint sera suffisant pour commencer à travailler. On peut même espérer que les systèmes locaux de formation accroîtront leur offre d'enseignement du Français s'il existe des perspectives d'émigration professionnelle vers la France. Globalement, la francophonie s'en trouvera renforcée.
Le projet de loi actuellement en discussion au Parlement contient de nouvelles mesures favorables à l'immigration professionnelle.
Si le Sénat confirme le vote de l'Assemblée nationale, tout étranger entrant en France qui est en âge de travailler et qui possède une connaissance suffisante de notre langue aura l'obligation de réaliser un bilan de compétences professionnelles. Comme le taux de chômage des étrangers est supérieur à 20% et leur taux d'activité relativement faible, il faut orienter précocement vers l'emploi les étrangers qui arrivent en France au titre de l'immigration familiale. L'Assemblée nationale a donc décidé de rendre obligatoire le bilan de compétences, qui sera construit en fonction des besoins propres aux publics accueillis majoritairement par l'ANAEM. Le but sera de permettre aux primo-arrivants de rejoindre des emplois qui leur sont accessibles et l'accent sera mis sur une orientation vers les secteurs professionnels qui connaissent un déficit de main d'oeuvre et, parmi ceux-ci, vers les services à la personne.
D'autre part, un amendement parlementaire, adopté par l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du Gouvernement, vise à permettre la régularisation, à titre dérogatoire et dans des cas qui devront rester exceptionnels, d'un étranger en situation irrégulière qui peut occuper un emploi dans un secteur en tension.
Enfin, nous avons réglé le problème posé par la visite médicale en laissant trois mois au salarié pour se mettre en conformité avec cette obligation, alors qu'auparavant elle était un préalable à son embauche.
II. Plus ouverts à l'immigration professionnelle, nous devons être, dans le même temps, d'autant plus efficaces sur la lutte contre le travail illégal des étrangers.
C'est un sujet prioritaire, qui est l'une des sources de l'immigration irrégulière.
Je laisserai bien sûr à Xavier BERTRAND le soin de parler du travail illégal en général.
Mais j'ai des orientations à vous donner sur la lutte contre l'emploi illégal de travailleurs étrangers.
Tout d'abord, il s'agit d'un sujet d'une importance capitale puisque sur l'ensemble des infractions constatées - qu'il s'agisse de l'emploi d'étranger sans titre de travail, du travail dissimulé ou du prêt illicite de main d'oeuvre, 42% des salariés concernés par ces infractions en 2006 étaient étrangers, soit 6.600 personnes. Quant aux employeurs impliqués, la proportion des étrangers est de 29% en 2006, soit 2.500 personnes.
Il y a donc, dans notre pays, un problème spécifique - et important - de travail clandestin, dont on sait bien qu'il est l'une des sources de l'immigration irrégulière.
Vous êtes bien conscients de ce défi et vous avez commencé à vous mobiliser : l'inspection du travail réalise, avec la police et la gendarmerie, de plus en plus d'opérations conjointes et, en unissant vos forces, vous réussissez des opérations spectaculaires. Autre progrès, le nombre de procès verbaux pour emploi d'étranger sans titre a triplé en trois ans.
Pourtant, les chiffres en valeur absolue restent très modestes, surtout lorsqu'on les compare à l'estimation de 200.000 à 400.000 étrangers en situation irrégulière sur notre territoire. De même, près de 20% des autorisations de travail déclarées en préfecture au titre de l'obligation de transmission préalable s'avèrent non valables, ce qui montre l'ampleur du travail qui reste à accomplir.
Il faut donc aller plus loin et j'attends de vous une mobilisation et une fermeté exemplaires, notamment pour sanctionner les employeurs indélicats.
Vous disposez pour cela de moyens renforcés.
Tout d'abord, vous pouvez appliquer plus facilement aux employeurs indélicats cette sanction administrative qu'est la contribution spéciale due à l'ANAEM. Si elle est correctement mise en oeuvre, elle est parfois plus dissuasive que les sanctions pénales, qui sont souvent limitées.
La responsabilité solidaire des donneurs d'ordre a été renforcée, ce qui signifie qu'ils doivent vérifier, tous les six mois, que leurs sous-traitants emploient bien des étrangers munis d'un titre de travail.
Je vous demande aussi de relever le défi des prestations de service internationales, source importante de fraudes, d'ailleurs difficiles à détecter ou à prouver, même en cas de contrôle sur place. L'enjeu est important car tout abus non sanctionné en la matière est une incitation, pour les entreprises indélicates, à contourner l'introduction légale de salariés étrangers.
Enfin, je vous demande de diversifier vos contrôles. Vous ne devez pas relâcher la pression dans les secteurs prioritaires déterminés par le Plan national de lutte contre le travail illégal, à savoir le bâtiment, l'hôtellerie-restauration et l'agriculture. Mais il vous faut également conduire des contrôles dans des secteurs où l'emploi sans titre est fréquent : la confection, la surveillance-gardiennage, le transport-déménagement.
III. Pour terminer, je voudrais vous annoncer la mise à disposition de nouveaux moyens de travail.
En juin 2008, les services de la main d'oeuvre étrangère verront la mise en application du projet GEMO, porté par la DPM. Vous pourrez enfin mettre en place la gestion automatisée des procédures d'autorisation de travail, la télétransmission des formulaires et le traitement statistique de votre activité. Un site Internet, destiné aux usagers, sera créé et traduit en 7 langues étrangères.
Je compte sur vous pour faire passer un message de confiance à vos personnels, et pour leur expliquer le sens de notre action commune : nous pourrons être d'autant plus intraitables avec le travail clandestin que nous nous ouvrons à une immigration professionnelle maîtrisée, source de dynamisme pour notre économie.
Je vous remercie.Source http://www.premier-ministr.gouv.fr, le 25 septembre 2007